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Bernadette, Sœur Marie-Bernard (Henri Lasserre), Livre 3 – La Vie Cachée et la Mort (12)

Livre 3 – La Vie Cachée et la Mort (12)

Prévenu de la mort de Bernadette quelques instants après son dernier soupir, par un télégramme de la Révérende Mère Adélaïde Dons, supérieure générale, nous étions accouru à Nevers contempler une fois encore celle dont nous avons, quoique bien indigne, raconté au monde la merveilleuse histoire.

Ainsi, dans le court espace d'un an et demi, la Providence, en nous envoyant douleur sur douleur, nous a laissé la mélancolique consolation de fermer nous-même les yeux du grand ouvrier de Notre-Dame de Lourdes, le bon et vénérable curé Peyramale, et de conduire en sa tombe fleurie la Voyante très pure sur le front de laquelle Marie immaculée arrêta dix-huit fois son regard maternel!...

C'est au sein de ces multitudes émues que nous avons retrouvé l'enfant de prédilection, reposant toute lumineuse. Des roses parent sa couche. Elle porte la couronne de la Vierge, la couronne de la fiancée aux noces de l'Agneau. L'Alleluia de la Pâque retentit dans le lointain. Tout parle de fête, tout parle d'éternel amour et de pascale résurrection, autour de ce tombeau nuptial et de cette mort triomphante.

Et cependant nos larmes coulent, montant invinciblement de notre coeur à nos yeux. Mais elles n'ont rien d'amer : c'est l'attendrissement, c'est l'émotion profonde; ce n'est point le deuil. Oui, sans doute, en la revoyant nous pleurons : mais surtout nous pleurons sur nous-même, sur nos misères, sur nos défaillances de chaque jour, sur notre vie qui n'est qu'une vraie mort, à côté de cette mort qui est la vraie vie.

Nous pleurons aussi sur les périls que peut courir, remise à la garde fragile des hommes, l'oeuvre que la Vierge fonda jadis par cette humble bergère. Et, dans le secret de notre prière, nous supplions Bernadette et Mgr Peyramale, inséparables dans les souvenirs de l'histoire et dans la reconnaissance des peuples, d'intercéder là-haut, afin que Dieu écarte tous les pièges de l'ennemi.

« Dès le samedi matin 19 avril, jour des obsèques, les cours et abords du couvent étaient envahis, raconte Mgr Crosnier, vicaire général de Nevers; et on fut obligé tout d'abord de fermer l'église au public, jusqu'à ce que le Clergé et les députations des Ordres religieux eussent pris la place qu'ils devaient occuper... »

Mgr Lelong, évêque du Diocèse, que la nouvelle de cette grande mort avait sur pris loin de Nevers, au milieu de ses visites pastorales, n avait pas hésité à tout arrêter, à tout suspendre pour venir rendre un dernier honneur à l'humble et illustre enfant que la Providence avait confiée à ses paternelles mains. A côté de lui, Mgr Crosnier et M. l'abbé Dubarbier, ses vicaires généraux.

Dans le choeur, un prêtre d'un aspect vénérable versait de silencieuses larmes. C'était celui qui préparait jadis Bernadette à la première communion. A l'époque même où la Vierge apparaissait à l'enfant, M. l'abbé Pomian instruisait la Voyante au nom de l'Eglise, tandis que la Reine de toute pureté prenait soin de l'enseigner aussi elle-même et de lui montrer le chemin du Ciel.

Quelques instants avant la cérémonie, le Supérieur des missionnaires de la Grotte de Lourdes, le R. P. Sempé était également arrivé à Nevers.

La main des Religieuses avait clos le cercueil, revêtu de draperies blanches. Dans l'église, nul signe de deuil, sauf un ruban de crêpe léger, flottant autour des chandeliers d'or de l'autel. Sur le drap mortuaire, couvert de roses, s'épanouissait une éclatante couronne, formée au hasard de la saison et telle que l'avait fournie la nature printanière. C'étaient la mousse et le laurier, c'étaient les pensées et les marguerites : heureuse rencontre de plantes et de fleurs, qui symbolisaient l'humilité et la gloire, la méditation de l'esprit en quête de la Vérité, et la recherche du coeur qui pour jamais veut trouver l'Amour.

Qu'ils furent beaux ces chants de l'Eglise! Qu'il fut plein d'éloquentes émotions le discours de l'Évêque, disant au revoir à celle qu'appelait à lui le Seigneur, à celle qui, naguère encore, dans les joies de la souffrance et dans l'amour de sa vocation, répétait cette parole: « Je suis l'Épouse du Grand Roi! »

Enfin l'Absoute est donnée par le Pontife, et le long et pieux défilé sort de la nef, précédant la vierge endormie.

Et en ce moment (qu'on nous le pardonne!) sur le seuil même de l'église, et comme, les yeux pleins de larmes, nous marchions lentement près de ce blanc cercueil, voilà qu'irrésistiblement deux voix intérieures, réveillant d'antiques échos de notre enfance, faisaient retentir en nous-même les strophes du poète chrétien de nos contrées méridionales. C'était la langue natale de Bernadette. C'était le dialecte d'or que parlait la Reine du ciel aux Roches de l'Apparition.

La première voix était comme une plainte douce, et elle disait avec toutes les mélancolies de la Terre:

Tous les chemins devraient gémir,

Si belle morte va sortir!

Devraient gémir, devraient pleurer!

Si belle morte va passer!

Et la seconde voix, comme un chant de triomphe, répondait, avec toutes les allégresses du Ciel:

Tous les chemins devraient fleurir,

Si belle fiancée va sortir!

Devraient fleurir, devraient germer

Si belle épousée va passer!

Et déjà le cortège, quittant les voûtes claustrales, descendait en procession immense et recueillie, le long des grandes allées, dans les jardins du Couvent.

Le soleil promenait sur la terre frémissante la douceur de ses rayons. A toutes les branches des arbres se balançaient les jeunes feuilles et éclataient les bourgeons entr'ouverts, poussés par la sève du printemps. A travers les pommiers en fleurs se jouait la brise embaumée. Cà et là la fraîche verdure s'étoilait de marguerites et se parfumait de violettes cachées sous l'herbe. Chantant, elle aussi, son Alleluia pascal, et célébrant par les voix de mille oiseaux sa naissance nouvelle, toute la Création ressuscitait, à l'image de l'Époux des âmes. Et cette fête radieuse servait de cadre à Bernadette qui s'en allait, doucement portée par de pieuses mains, précédée par le Pontife, accompagnée par ses Mères et par ses Soeurs, au devant du Seigneur Jésus.

— « Venez en mon jardin, ma Soeur et mon Épouse. »

Ce sont les mots du céleste Époux dans le Cantique des Cantiques.

Et la Vierge aux yeux fermés murmurait en son repos:

— « Je dors, mais mon coeur veille. Mon Bien-Aimé me parle et m'appelle. »

Et à ces souvenirs du divin Cantique répondait de toutes parts le grand écho de la Nature, se mêlant aux chants de l'Église:

Tous les chemins ont dû fleurir, Si belle fiancée va sortir! Ont dû fleurir, ont dû germer, Si belle épousée va passer!


Livre 3 – La Vie Cachée et la Mort (12)

Prévenu de la mort de Bernadette quelques instants après son dernier soupir, par un télégramme de la Révérende Mère Adélaïde Dons, supérieure générale, nous étions accouru à Nevers contempler une fois encore celle dont nous avons, quoique bien indigne, raconté au monde la merveilleuse histoire.

Ainsi, dans le court espace d'un an et demi, la Providence, en nous envoyant douleur sur douleur, nous a laissé la mélancolique consolation de fermer nous-même les yeux du grand ouvrier de Notre-Dame de Lourdes, le bon et vénérable curé Peyramale, et de conduire en sa tombe fleurie la Voyante très pure sur le front de laquelle Marie immaculée arrêta dix-huit fois son regard maternel!...

C'est au sein de ces multitudes émues que nous avons retrouvé l'enfant de prédilection, reposant toute lumineuse. Des roses parent sa couche. Elle porte la couronne de la Vierge, la couronne de la fiancée aux noces de l'Agneau. L'__Alleluia__ de la Pâque retentit dans le lointain. Tout parle de fête, tout parle d'éternel amour et de pascale résurrection, autour de ce tombeau nuptial et de cette mort triomphante.

Et cependant nos larmes coulent, montant invinciblement de notre coeur à nos yeux. Mais elles n'ont rien d'amer : c'est l'attendrissement, c'est l'émotion profonde; ce n'est point le deuil. Oui, sans doute, en la revoyant nous pleurons : mais surtout nous pleurons sur nous-même, sur nos misères, sur nos défaillances de chaque jour, sur notre vie qui n'est qu'une vraie mort, à côté de cette mort qui est la vraie vie.

Nous pleurons aussi sur les périls que peut courir, remise à la garde fragile des hommes, l'oeuvre que la Vierge fonda jadis par cette humble bergère. Et, dans le secret de notre prière, nous supplions Bernadette et Mgr Peyramale, inséparables dans les souvenirs de l'histoire et dans la reconnaissance des peuples, d'intercéder là-haut, afin que Dieu écarte tous les pièges de l'ennemi.

« Dès le samedi matin 19 avril, jour des obsèques, les cours et abords du couvent étaient envahis, raconte Mgr Crosnier, vicaire général de Nevers; et on fut obligé tout d'abord de fermer l'église au public, jusqu'à ce que le Clergé et les députations des Ordres religieux eussent pris la place qu'ils devaient occuper... »

Mgr Lelong, évêque du Diocèse, que la nouvelle de cette grande mort avait sur pris loin de Nevers, au milieu de ses visites pastorales, n avait pas hésité à tout arrêter, à tout suspendre pour venir rendre un dernier honneur à l'humble et illustre enfant que la Providence avait confiée à ses paternelles mains. A côté de lui, Mgr Crosnier et M. l'abbé Dubarbier, ses vicaires généraux.

Dans le choeur, un prêtre d'un aspect vénérable versait de silencieuses larmes. C'était celui qui préparait jadis Bernadette à la première communion. A l'époque même où la Vierge apparaissait à l'enfant, M. l'abbé Pomian instruisait la Voyante au nom de l'Eglise, tandis que la Reine de toute pureté prenait soin de l'enseigner aussi elle-même et de lui montrer le chemin du Ciel.

Quelques instants avant la cérémonie, le Supérieur des missionnaires de la Grotte de Lourdes, le R. P. Sempé était également arrivé à Nevers.

La main des Religieuses avait clos le cercueil, revêtu de draperies blanches. Dans l'église, nul signe de deuil, sauf un ruban de crêpe léger, flottant autour des chandeliers d'or de l'autel. Sur le drap mortuaire, couvert de roses, s'épanouissait une éclatante couronne, formée au hasard de la saison et telle que l'avait fournie la nature printanière. C'étaient la mousse et le laurier, c'étaient les pensées et les marguerites : heureuse rencontre de plantes et de fleurs, qui symbolisaient l'humilité et la gloire, la méditation de l'esprit en quête de la Vérité, et la recherche du coeur qui pour jamais veut trouver l'Amour.

Qu'ils furent beaux ces chants de l'Eglise! Qu'il fut plein d'éloquentes émotions le discours de l'Évêque, disant au revoir à celle qu'appelait à lui le Seigneur, à celle qui, naguère encore, dans les joies de la souffrance et dans l'amour de sa vocation, répétait cette parole: « Je suis l'Épouse du Grand Roi! »

Enfin l'Absoute est donnée par le Pontife, et le long et pieux défilé sort de la nef, précédant la vierge endormie.

Et en ce moment (qu'on nous le pardonne!) sur le seuil même de l'église, et comme, les yeux pleins de larmes, nous marchions lentement près de ce blanc cercueil, voilà qu'irrésistiblement deux voix intérieures, réveillant d'antiques échos de notre enfance, faisaient retentir en nous-même les strophes du poète chrétien de nos contrées méridionales. C'était la langue natale de Bernadette. C'était le dialecte d'or que parlait la Reine du ciel aux Roches de l'Apparition.

La première voix était comme une plainte douce, et elle disait avec toutes les mélancolies de la Terre:

Tous les chemins devraient gémir,

Si belle morte va sortir!

Devraient gémir, devraient pleurer!

Si belle morte va passer!

Et la seconde voix, comme un chant de triomphe, répondait, avec toutes les allégresses du Ciel:

Tous les chemins devraient fleurir,

Si belle fiancée va sortir!

Devraient fleurir, devraient germer

Si belle épousée va passer!

Et déjà le cortège, quittant les voûtes claustrales, descendait en procession immense et recueillie, le long des grandes allées, dans les jardins du Couvent.

Le soleil promenait sur la terre frémissante la douceur de ses rayons. A toutes les branches des arbres se balançaient les jeunes feuilles et éclataient les bourgeons entr'ouverts, poussés par la sève du printemps. A travers les pommiers en fleurs se jouait la brise embaumée. Cà et là la fraîche verdure s'étoilait de marguerites et se parfumait de violettes cachées sous l'herbe. Chantant, elle aussi, son __Alleluia__ pascal, et célébrant par les voix de mille oiseaux sa naissance nouvelle, toute la Création ressuscitait, à l'image de l'Époux des âmes. Et cette fête radieuse servait de cadre à Bernadette qui s'en allait, doucement portée par de pieuses mains, précédée par le Pontife, accompagnée par ses Mères et par ses Soeurs, au devant du Seigneur Jésus.

— « Venez en mon jardin, ma Soeur et mon Épouse. »

Ce sont les mots du céleste Époux dans le Cantique des Cantiques.

Et la Vierge aux yeux fermés murmurait en son repos:

— « Je dors, mais mon coeur veille. Mon Bien-Aimé me parle et m'appelle. »

Et à ces souvenirs du divin Cantique répondait de toutes parts le grand écho de la Nature, se mêlant aux chants de l'Église:

Tous les chemins ont dû fleurir, Si belle fiancée va sortir! Ont dû fleurir, ont dû germer, Si belle épousée va passer!