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Le bouchon de cristal, Maurice Leblanc, XI. — La Croix de Lorraine (2)

XI. — La Croix de Lorraine (2)

Je vous ferai observer en outre…

Lupin poursuivit assez longtemps ses considérations relatives au paquet de maryland et au bouchon de cristal, l'ingéniosité et la clairvoyance de son adversaire l'intéressant d'autant plus qu'il avait fini par avoir raison de lui. Mais Clarisse, à qui ces questions importaient beaucoup moins que le souci de actes qu'il fallait accomplir pour sauver son fils, l'écoutait à peine, tout entière à ses pensées. — Êtes-vous sûr, répétait-elle sans cesse, que vous allez réussir ?

— Absolument sûr.

— Mais Prasville n'est pas à Paris. — S'il n'y est pas, c'est qu'il est au Havre. J'ai lu cela dans un journal hier. En tout cas notre dépêche le rappellera immédiatement à Paris.

— Et vous croyez qu'il aura assez d'influence ?… — Pour obtenir personnellement la grâce de Vaucheray et de Gilbert, non. Sans quoi, nous l'aurions déjà fait marcher. Mais il aura assez d'intelligence pour comprendre la valeur de ce que nous lui apportons… et pour agir sans une minute de retard. — Mais, précisément, vous ne vous trompez pas sur cette valeur ?

— Et Daubrecq, se trompait-il donc ? Est-ce que Daubrecq n'était pas mieux placé que personne pour savoir la toute-puissance de ce papier ? N'en a-t-il pas eu vingt preuves plus décisives les unes que les autres ? Songez à tout ce qu'il a fait, par la seule raison qu'on le savait possesseur de la liste ? On le savait, voilà tout. Il ne se servait pas de cette liste, mais il l'avait. Et, l'ayant, il tua votre mari. Il échafauda sa fortune sur la ruine et le déshonneur des vingt-sept. Hier encore, un des plus intrépides, d'Albufex, se coupait la gorge dans sa prison. Non, soyez tranquille, contre la remise de cette liste, nous pourrions demander ce que nous voudrions. Or, nous demandons quoi ? Presque rien… moins que rien… la grâce d'un enfant de vingt ans. C'est-à-dire qu'on nous prendra pour des imbéciles. Comment ! nous avons entre les mains…

Il se tut, Clarisse, épuisée par tant d'émotions, s'endormait en face de lui. À huit heures du matin, ils arrivaient à Paris.

Deux télégrammes attendaient Lupin à son domicile de la place Clichy.

L'un de Le Ballu, envoyé d'Avignon la veille, annonçait que tout allait pour le mieux, et que l'on espérait bien être exact au rendez-vous du soir. L'autre était de Prasville, daté du Havre, et adressé à Clarisse : « Impossible revenir demain matin lundi. Venez à mon bureau cinq heures. Compte absolument sur vous. — Cinq heures, dit Clarisse, comme c'est tard ! — C'est une heure excellente, affirma Lupin. — Cependant, si…

— Si l'exécution doit avoir lieu demain matin ? c'est ce que vous voulez dire ?… N'ayez donc pas peur des mots, puisque l'exécution n'aura pas lieu. — Les journaux…

— Les journaux, vous ne les avez pas lus, et je vous défends de les lire. Tout ce qu'ils peuvent annoncer ne signifie rien. Une seule chose importe : notre entrevue avec Prasville. D'ailleurs… Il tira d'une armoire un petit flacon et, posant sa main sur l'épaule de Clarisse, il lui dit : — Étendez-vous sur ce canapé, et buvez quelques gorgées de cette potion.

— Qu'est-ce que c'est ? — De quoi vous faire dormir quelques heures… et oublier. C'est toujours cela de moins. — Non, non, protesta Clarisse, je ne veux pas. Gilbert ne dort pas, lui… Il n'oublie pas. — Buvez, dit Lupin, en insistant avec douceur.

Elle céda tout d'un coup, par lâcheté, par excès de souffrance et docilement s'étendit sur le canapé et ferma les yeux. Au bout de quelques minutes elle dormait.

Lupin sonna son domestique.

— Les journaux… vite… tu les as achetés ?

— Voici, patron.

Lupin déplia l'un d'eux et aussitôt il vit ces lignes : LES COMPLICES D'ARSÈNE LUPIN Nous savons de source certaine que les complices d'Arsène Lupin, Gilbert et Vaucheray, seront exécutés demain matin mardi. M. Deibler a visité les bois de justice. Tout est prêt.

Il releva la tête avec une expression de défi.

— Les complices d'Arsène Lupin ! L'exécution des complices d'Arsène Lupin Quel beau spectacle ! Et comme il y aurait foule pour voir cela ! Désolé, messieurs, mais le rideau ne se lèvera pas. Relâche par ordre supérieur de l'autorité. Et l'autorité, c'est moi ! Il se frappa violemment la poitrine avec un geste d'orgueil. — L'autorité, c'est moi. À midi, Lupin reçut une dépêche que Le Ballu lui avait expédiée de Lyon.

« Tout va bien. Colis arrivera sans avaries. À trois heures, Clarisse se réveilla.

Sa première parole fut celle-ci :

— C'est pour demain. Il ne répondit pas. Mais elle le vit si calme, si souriant, qu'elle se sentit pénétrée d'une paix immense et qu'elle eut l'impression que tout était fini, dénoué, arrangé selon la volonté de son compagnon. À quatre heures dix ils partirent.

Le secrétaire de Prasville, prévenu téléphoniquement par son chef, les introduisit dans le bureau et les pria d'attendre. Il était cinq heures moins le quart.

À cinq heures précises, Prasville entra en courant et, tout de suite, il s'écria : — Vous avez la liste ?

— Oui.

— Donnez.

Il tendait la main. Clarisse, qui s'était levée, ne broncha pas. Prasville la regarda un moment, hésita, puis s'assit. Il comprenait. En poursuivant Daubrecq, Clarisse Mergy n'avait pas agi seulement par haine et par désir de vengeance. Un autre motif la poussait. La remise du papier ne s'effectuerait que sous certaines conditions. — Asseyez-vous, je vous prie, dit-il, montrant ainsi qu'il acceptait le débat. Prasville était un homme maigre, de visage osseux, auquel un clignotement perpétuel des yeux et une certaine déformation de la bouche donnaient une expression de fausseté et d'inquiétude. On le supportait mal à la Préfecture, où il fallait, à tout instant, réparer ses gaffes et ses maladresses. Mais il était de ces êtres peu estimés que l'on emploie pour des besognes spéciales et que l'on congédie ensuite avec soulagement. Cependant, Clarisse avait repris sa place. Comme elle se taisait, Prasville prononça :

— Parlez, chère amie, et parlez en toute franchise. Je n'ai aucun scrupule à déclarer que nous serions désireux d'avoir ce papier. — Si ce n'est qu'un désir, observa Clarisse, à qui Lupin avait soufflé son rôle dans les moindres détails, si ce n'est qu'un désir, j'ai peur que nous ne puissions nous accorder. Prasville sourit :

— Ce désir, évidemment, nous conduirait à certains sacrifices.

— À tous les sacrifices, rectifia Mme Mergy.

— À tous les sacrifices, pourvu, bien entendu, que nous restions dans la limite des désirs acceptables.

— Et même si nous sortions de ces limites ? prononça Clarisse, inflexible.

Prasville s'impatienta : — Enfin, voyons, de quoi s'agit-il ? Expliquez-vous.

— Pardonnez-moi, cher ami. Je tenais, avant tout, à marquer l'importance considérable que vous attachez à ce papier, et, en vue de la transaction immédiate que nous allons conclure, à bien spécifier… comment dirais-je ?… la valeur de mon apport. Cette valeur n'ayant pas de limites, je le répète, doit être échangée contre une valeur illimitée. — C'est entendu, articula Prasville, avec irritation. — Il n'est donc pas utile que je fasse un historique complet de l'affaire et que j'énumère d'une part les désastres que la possession de ce papier vous aurait permis d'éviter, d'autre part, les avantages incalculables que vous pourrez tirer de cette possession ? Prasville eut besoin d'un effort pour se contenir et pour répondre d'un ton à peu près poli : — J'admets tout cela. Est-ce fini ?

— Je vous demande pardon, mais nous ne saurions nous expliquer avec trop de netteté. Or, il est un point qu'il nous faut encore éclaircir. Êtes-vous en mesure de traiter personnellement ?

— Comment cela ?

— Je vous demande, non pas évidemment si vous avez le pouvoir de régler cette affaire sur l'heure, mais si vous représentez en face de moi la pensée de ceux qui connaissent l'affaire et qui ont qualité pour la régler. — Oui, affirma Prasville avec force.

— Donc, une heure après que je vous aurai communiqué mes conditions, je pourrai avoir votre réponse ?

— Oui.

— Cette réponse sera celle du gouvernement ?

— Oui.

Clarisse se pencha, et d'une voix plus sourde : — Cette réponse sera celle de l'Élysée ? Prasville parut surpris. Il réfléchit un instant, puis il prononça :

— Oui.

Alors Clarisse conclut.

— Il me reste à vous demander votre parole d'honneur, que, si incompréhensibles que vous paraissent mes conditions, vous n'exigerez pas que je vous en révèle le motif. Elles sont ce qu'elles sont. Votre réponse doit être un oui ou un non.

— Je vous donne ma parole d'honneur, scanda Prasville. Clarisse eut un instant d'émotion qui la fit plus pâle encore qu'elle n'était. Puis, se maîtrisant, les yeux fixés sur les yeux de Prasville, elle dit :

— La liste des vingt-sept sera remise contre la grâce de Gilbert et de Vaucheray.

— Hein ! Quoi ?

Prasville s'était dressé, l'air absolument ahuri. — La grâce de Gilbert et de Vaucheray ! les complices d'Arsène Lupin ! — Oui, dit-elle.

— Les assassins de la villa Marie-Thérèse ! Ceux qui doivent mourir demain !

— Oui, ceux-là mêmes, dit-elle, la voix haute. Je demande, j'exige leur grâce. — Mais c'est insensé ! Pourquoi ?

Pourquoi ?

— Je vous rappelle, Prasville, que vous m'avez donné votre parole… — Oui… oui… en effet… mais la chose est tellement imprévue.

— Pourquoi ?

— Pourquoi ?

Mais pour toutes sortes de raisons…

— Lesquelles ?

— Enfin… enfin… réfléchissez ! Gilbert et Vaucheray ont été condamnés à mort !

— On les enverra au bagne, voilà tout.

— Impossible !

L'affaire a fait un bruit énorme. Ce sont des complices d'Arsène Lupin. Le verdict est connu du monde entier.

— Eh bien ?

— Eh bien, nous ne pouvons pas, non, nous ne pouvons pas nous insurger contre les arrêts de la justice.

— On ne vous demande pas cela. On vous demande une commutation de la peine par le moyen de la grâce. La grâce est une chose légale.

— La commission des grâces s'est prononcée… — Soit, mais il reste le Président de la République.

— Il a refusé.

— Qu'il revienne sur son refus. — Impossible !

— Pourquoi ?

— Il n'y a pas de prétexte. — Il n'est pas besoin de prétexte. Le droit de grâce est absolu. Il s'exerce sans contrôle, sans motif, sans prétexte, sans explication. C'est une prérogative royale. Que le Président de la République en use selon son bon plaisir, ou plutôt selon sa conscience, au mieux des intérêts de l'État. — Mais il est trop tard ! Tout est prêt.

L'exécution doit avoir lieu dans quelques heures. — Une heure vous suffit pour avoir la réponse, vous venez de nous le dire.

— Mais c'est de la folie, sacrebleu ! Vos exigences se heurtent à des obstacles infranchissables. Je vous le répète, c'est impossible, matériellement impossible. — Alors, c'est non ? — Non, non, mille fois non !

— En ce cas nous n'avons plus qu'à nous retirer. Elle esquissa un mouvement vers la porte. M. Nicole la suivit.

D'un bond, Prasville leur barra la route. — Où allez-vous ?

— Mon Dieu, cher ami, il me semble que notre conversation est terminée. Puisque vous estimez, puisque vous êtes sûr que le Président de la République estimera que cette fameuse liste des vingt-sept ne vaut pas…

— Restez, dit Prasville.

Il ferma d'un tour de clef la porte de sortie, et se mit à marcher de long en large, les mains au dos, et la tête inclinée. Et Lupin, qui n'avait pas soufflé mot durant toute la scène et s'était, par prudence, confiné dans un rôle effacé, Lupin se disait : « Que d'histoires ! Que de manières pour arriver à l'inévitable dénouement ! Comment le sieur Prasville, lequel n'est pas un aigle, mais lequel n'est pas non plus une buse, renoncerait-il à se venger de son ennemi mortel ? Tiens, qu'est-ce que je disais ! l'idée de culbuter Daubrecq au fond de l'abîme le fait sourire. Allons, la partie est gagnée. À ce moment, Prasville ouvrait une petite porte intérieure qui donnait sur le bureau de son secrétaire particulier.

Il prescrivit à haute voix :

— Monsieur Lartigue, téléphonez à l'Élysée et dites que je sollicite une audience pour une communication de la plus haute gravité. Fermant la porte, il revint vers Clarisse et lui dit :

— En tout cas mon intervention se borne à soumettre votre proposition.

— Soumise, elle est acceptée.

Il y eut un long silence. Le visage de Clarisse exprimait une joie si profonde que Prasville en fut frappé et qu'il la regarda avec une curiosité attentive.

XI. XI. - The Cross of Lorraine (2) XI.- ロレーヌ十字架 (2) — La Croix de Lorraine (2)

Je vous ferai observer en outre…

Lupin poursuivit assez longtemps ses considérations relatives au paquet de maryland et au bouchon de cristal, l'ingéniosité et la clairvoyance de son adversaire l'intéressant d'autant plus qu'il avait fini par avoir raison de lui. Mais Clarisse, à qui ces questions importaient beaucoup moins que le souci de actes qu'il fallait accomplir pour sauver son fils, l'écoutait à peine, tout entière à ses pensées. But Clarisse, to whom these questions were of far less importance than her concern for what had to be done to save her son, barely listened to him, totally absorbed in her own thoughts. — Êtes-vous sûr, répétait-elle sans cesse, que vous allez réussir ?

— Absolument sûr.

— Mais Prasville n'est pas à Paris. — S'il n'y est pas, c'est qu'il est au Havre. J'ai lu cela dans un journal hier. En tout cas notre dépêche le rappellera immédiatement à Paris.

— Et vous croyez qu'il aura assez d'influence ?… — Pour obtenir personnellement la grâce de Vaucheray et de Gilbert, non. Sans quoi, nous l'aurions déjà fait marcher. Otherwise, we'd have made it work by now. Mais il aura assez d'intelligence pour comprendre la valeur de ce que nous lui apportons… et pour agir sans une minute de retard. — Mais, précisément, vous ne vous trompez pas sur cette valeur ?

— Et Daubrecq, se trompait-il donc ? Est-ce que Daubrecq n'était pas mieux placé que personne pour savoir la toute-puissance de ce papier ? Wasn't Daubrecq better placed than anyone else to know the omnipotence of this paper? N'en a-t-il pas eu vingt preuves plus décisives les unes que les autres ? Songez à tout ce qu'il a fait, par la seule raison qu'on le savait possesseur de la liste ? On le savait, voilà tout. We just knew it. Il ne se servait pas de cette liste, mais il l'avait. Et, l'ayant, il tua votre mari. Il échafauda sa fortune sur la ruine et le déshonneur des vingt-sept. Hier encore, un des plus intrépides, d'Albufex, se coupait la gorge dans sa prison. Just yesterday, one of the most intrepid, d'Albufex, cut his own throat in prison. Non, soyez tranquille, contre la remise de cette liste, nous pourrions demander ce que nous voudrions. Or, nous demandons quoi ? Presque rien… moins que rien… la grâce d'un enfant de vingt ans. Almost nothing... less than nothing... the grace of a twenty-year-old. C'est-à-dire qu'on nous prendra pour des imbéciles. Comment ! nous avons entre les mains…

Il se tut, Clarisse, épuisée par tant d'émotions, s'endormait en face de lui. Clarisse, exhausted by so many emotions, fell asleep opposite him. À huit heures du matin, ils arrivaient à Paris.

Deux télégrammes attendaient Lupin à son domicile de la place Clichy.

L'un de Le Ballu, envoyé d'Avignon la veille, annonçait que tout allait pour le mieux, et que l'on espérait bien être exact au rendez-vous du soir. L'autre était de Prasville, daté du Havre, et adressé à Clarisse : The other was from Prasville, dated Le Havre, and addressed to Clarisse: « Impossible revenir demain matin lundi. Venez à mon bureau cinq heures. Compte absolument sur vous. — Cinq heures, dit Clarisse, comme c'est tard ! - Five o'clock," says Clarisse, "how late it is! — C'est une heure excellente, affirma Lupin. — Cependant, si…

— Si l'exécution doit avoir lieu demain matin ? c'est ce que vous voulez dire ?… N'ayez donc pas peur des mots, puisque l'exécution n'aura pas lieu. So don't be afraid of words, since the execution won't take place. — Les journaux…

— Les journaux, vous ne les avez pas lus, et je vous défends de les lire. Tout ce qu'ils peuvent annoncer ne signifie rien. Une seule chose importe : notre entrevue avec Prasville. D'ailleurs… Il tira d'une armoire un petit flacon et, posant sa main sur l'épaule de Clarisse, il lui dit : — Étendez-vous sur ce canapé, et buvez quelques gorgées de cette potion.

— Qu'est-ce que c'est ? - What is it? — De quoi vous faire dormir quelques heures… et oublier. C'est toujours cela de moins. — Non, non, protesta Clarisse, je ne veux pas. Gilbert ne dort pas, lui… Il n'oublie pas. — Buvez, dit Lupin, en insistant avec douceur.

Elle céda tout d'un coup, par lâcheté, par excès de souffrance et docilement s'étendit sur le canapé et ferma les yeux. Au bout de quelques minutes elle dormait.

Lupin sonna son domestique.

— Les journaux… vite… tu les as achetés ?

— Voici, patron.

Lupin déplia l'un d'eux et aussitôt il vit ces lignes : LES COMPLICES D'ARSÈNE LUPIN Nous savons de source certaine que les complices d'Arsène Lupin, Gilbert et Vaucheray, seront exécutés demain matin mardi. M. Deibler a visité les bois de justice. Tout est prêt.

Il releva la tête avec une expression de défi.

— Les complices d'Arsène Lupin ! L'exécution des complices d'Arsène Lupin Quel beau spectacle ! Et comme il y aurait foule pour voir cela ! Désolé, messieurs, mais le rideau ne se lèvera pas. Relâche par ordre supérieur de l'autorité. Et l'autorité, c'est moi ! Il se frappa violemment la poitrine avec un geste d'orgueil. — L'autorité, c'est moi. À midi, Lupin reçut une dépêche que Le Ballu lui avait expédiée de Lyon.

« Tout va bien. Colis arrivera sans avaries. À trois heures, Clarisse se réveilla.

Sa première parole fut celle-ci :

— C'est pour demain. Il ne répondit pas. Mais elle le vit si calme, si souriant, qu'elle se sentit pénétrée d'une paix immense et qu'elle eut l'impression que tout était fini, dénoué, arrangé selon la volonté de son compagnon. À quatre heures dix ils partirent.

Le secrétaire de Prasville, prévenu téléphoniquement par son chef, les introduisit dans le bureau et les pria d'attendre. Il était cinq heures moins le quart.

À cinq heures précises, Prasville entra en courant et, tout de suite, il s'écria : — Vous avez la liste ?

— Oui.

— Donnez.

Il tendait la main. Clarisse, qui s'était levée, ne broncha pas. Prasville la regarda un moment, hésita, puis s'assit. Il comprenait. En poursuivant Daubrecq, Clarisse Mergy n'avait pas agi seulement par haine et par désir de vengeance. Un autre motif la poussait. La remise du papier ne s'effectuerait que sous certaines conditions. — Asseyez-vous, je vous prie, dit-il, montrant ainsi qu'il acceptait le débat. Prasville était un homme maigre, de visage osseux, auquel un clignotement perpétuel des yeux et une certaine déformation de la bouche donnaient une expression de fausseté et d'inquiétude. On le supportait mal à la Préfecture, où il fallait, à tout instant, réparer ses gaffes et ses maladresses. Mais il était de ces êtres peu estimés que l'on emploie pour des besognes spéciales et que l'on congédie ensuite avec soulagement. Cependant, Clarisse avait repris sa place. Comme elle se taisait, Prasville prononça :

— Parlez, chère amie, et parlez en toute franchise. Je n'ai aucun scrupule à déclarer que nous serions désireux d'avoir ce papier. — Si ce n'est qu'un désir, observa Clarisse, à qui Lupin avait soufflé son rôle dans les moindres détails, si ce n'est qu'un désir, j'ai peur que nous ne puissions nous accorder. Prasville sourit :

— Ce désir, évidemment, nous conduirait à certains sacrifices.

— À tous les sacrifices, rectifia Mme Mergy.

— À tous les sacrifices, pourvu, bien entendu, que nous restions dans la limite des désirs acceptables.

— Et même si nous sortions de ces limites ? prononça Clarisse, inflexible.

Prasville s'impatienta : — Enfin, voyons, de quoi s'agit-il ? Expliquez-vous.

— Pardonnez-moi, cher ami. Je tenais, avant tout, à marquer l'importance considérable que vous attachez à ce papier, et, en vue de la transaction immédiate que nous allons conclure, à bien spécifier… comment dirais-je ?… la valeur de mon apport. Cette valeur n'ayant pas de limites, je le répète, doit être échangée contre une valeur illimitée. — C'est entendu, articula Prasville, avec irritation. — Il n'est donc pas utile que je fasse un historique complet de l'affaire et que j'énumère d'une part les désastres que la possession de ce papier vous aurait permis d'éviter, d'autre part, les avantages incalculables que vous pourrez tirer de cette possession ? Prasville eut besoin d'un effort pour se contenir et pour répondre d'un ton à peu près poli : — J'admets tout cela. Est-ce fini ?

— Je vous demande pardon, mais nous ne saurions nous expliquer avec trop de netteté. Or, il est un point qu'il nous faut encore éclaircir. Êtes-vous en mesure de traiter personnellement ? Sind Sie in der Lage, persönlich zu behandeln?

— Comment cela ?

— Je vous demande, non pas évidemment si vous avez le pouvoir de régler cette affaire sur l'heure, mais si vous représentez en face de moi la pensée de ceux qui connaissent l'affaire et qui ont qualité pour la régler. — Oui, affirma Prasville avec force.

— Donc, une heure après que je vous aurai communiqué mes conditions, je pourrai avoir votre réponse ?

— Oui.

— Cette réponse sera celle du gouvernement ?

— Oui.

Clarisse se pencha, et d'une voix plus sourde : — Cette réponse sera celle de l'Élysée ? Prasville parut surpris. Il réfléchit un instant, puis il prononça :

— Oui.

Alors Clarisse conclut.

— Il me reste à vous demander votre parole d'honneur, que, si incompréhensibles que vous paraissent mes conditions, vous n'exigerez pas que je vous en révèle le motif. Elles sont ce qu'elles sont. Votre réponse doit être un oui ou un non.

— Je vous donne ma parole d'honneur, scanda Prasville. Clarisse eut un instant d'émotion qui la fit plus pâle encore qu'elle n'était. Puis, se maîtrisant, les yeux fixés sur les yeux de Prasville, elle dit :

— La liste des vingt-sept sera remise contre la grâce de Gilbert et de Vaucheray.

— Hein ! Quoi ?

Prasville s'était dressé, l'air absolument ahuri. — La grâce de Gilbert et de Vaucheray ! les complices d'Arsène Lupin ! — Oui, dit-elle.

— Les assassins de la villa Marie-Thérèse ! Ceux qui doivent mourir demain !

— Oui, ceux-là mêmes, dit-elle, la voix haute. Je demande, j'exige leur grâce. — Mais c'est insensé ! Pourquoi ?

Pourquoi ?

— Je vous rappelle, Prasville, que vous m'avez donné votre parole… — Oui… oui… en effet… mais la chose est tellement imprévue.

— Pourquoi ?

— Pourquoi ?

Mais pour toutes sortes de raisons…

— Lesquelles ?

— Enfin… enfin… réfléchissez ! Gilbert et Vaucheray ont été condamnés à mort !

— On les enverra au bagne, voilà tout.

— Impossible !

L'affaire a fait un bruit énorme. Ce sont des complices d'Arsène Lupin. Le verdict est connu du monde entier.

— Eh bien ?

— Eh bien, nous ne pouvons pas, non, nous ne pouvons pas nous insurger contre les arrêts de la justice.

— On ne vous demande pas cela. On vous demande une commutation de la peine par le moyen de la grâce. La grâce est une chose légale.

— La commission des grâces s'est prononcée… — Soit, mais il reste le Président de la République.

— Il a refusé.

— Qu'il revienne sur son refus. — Impossible !

— Pourquoi ?

— Il n'y a pas de prétexte. — Il n'est pas besoin de prétexte. Le droit de grâce est absolu. Il s'exerce sans contrôle, sans motif, sans prétexte, sans explication. C'est une prérogative royale. Que le Président de la République en use selon son bon plaisir, ou plutôt selon sa conscience, au mieux des intérêts de l'État. — Mais il est trop tard ! Tout est prêt.

L'exécution doit avoir lieu dans quelques heures. — Une heure vous suffit pour avoir la réponse, vous venez de nous le dire.

— Mais c'est de la folie, sacrebleu ! Vos exigences se heurtent à des obstacles infranchissables. Je vous le répète, c'est impossible, matériellement impossible. — Alors, c'est non ? — Non, non, mille fois non !

— En ce cas nous n'avons plus qu'à nous retirer. Elle esquissa un mouvement vers la porte. M. Nicole la suivit.

D'un bond, Prasville leur barra la route. — Où allez-vous ?

— Mon Dieu, cher ami, il me semble que notre conversation est terminée. Puisque vous estimez, puisque vous êtes sûr que le Président de la République estimera que cette fameuse liste des vingt-sept ne vaut pas…

— Restez, dit Prasville.

Il ferma d'un tour de clef la porte de sortie, et se mit à marcher de long en large, les mains au dos, et la tête inclinée. Et Lupin, qui n'avait pas soufflé mot durant toute la scène et s'était, par prudence, confiné dans un rôle effacé, Lupin se disait : « Que d'histoires ! Que de manières pour arriver à l'inévitable dénouement ! Comment le sieur Prasville, lequel n'est pas un aigle, mais lequel n'est pas non plus une buse, renoncerait-il à se venger de son ennemi mortel ? Tiens, qu'est-ce que je disais ! l'idée de culbuter Daubrecq au fond de l'abîme le fait sourire. Allons, la partie est gagnée. À ce moment, Prasville ouvrait une petite porte intérieure qui donnait sur le bureau de son secrétaire particulier.

Il prescrivit à haute voix :

— Monsieur Lartigue, téléphonez à l'Élysée et dites que je sollicite une audience pour une communication de la plus haute gravité. Fermant la porte, il revint vers Clarisse et lui dit :

— En tout cas mon intervention se borne à soumettre votre proposition. - In jedem Fall beschränkt sich mein Beitrag darauf, Ihren Vorschlag zu unterbreiten.

— Soumise, elle est acceptée. - Eingereicht wird sie akzeptiert.

Il y eut un long silence. Le visage de Clarisse exprimait une joie si profonde que Prasville en fut frappé et qu'il la regarda avec une curiosité attentive.