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Le bouchon de cristal, Maurice Leblanc, VII. — Le profil de Napoléon (2)

VII. — Le profil de Napoléon (2)

Et quelles journées pour Clarisse Mergy ! Chacune d'elles rapprochait Gilbert de l'échéance terrible. Chacune d'elles était une fois de moins vingt-quatre heures avant la date qu'elle avait involontairement fixée dans son esprit. Et elle disait à Lupin, que la même anxiété obsédait :

— Encore cinquante-cinq jours… Encore cinquante… Que peut-on faire en si peu de jours ? Oh ! je vous en prie… je vous en prie…

Que pouvait-on faire, en effet ? Lupin ne s'en remettant à personne du soin de surveiller le marquis, ne dormait pour ainsi dire plus. Mais le marquis avait repris sa vie régulière, et, défiant sans doute, ne se hasardait à aucune absence.

Une seule fois, il alla, dans la journée, chez le duc de Montmaur, dont l'équipage chassait le sanglier en forêt de Durlaine, et avec lequel il n'entretenait que des relations sportives.

— Il n'y a pas à supposer, dit Prasville, que le richissime duc de Montmaur, qui ne s'occupe que de ses terres et de ses chasses, et ne fait pas de politique, se prête à la séquestration, dans son château, du député Daubrecq.

Lupin fut de cet avis, mais, comme il ne voulait rien laisser au hasard, la semaine suivante, un matin, apercevant d'Albufex qui partait en tenue de cavalier, il le suivit jusqu'à la gare du Nord et prit le train pour le suivre.

Il descendit à la station d'Aumale, où d'Albufex trouva une voiture qui le conduisit vers le château de Montmaur.

Lupin déjeuna tranquillement, loua une bicyclette, et parvint en vue du château au moment où les invités débouchaient du parc, en automobile, ou à cheval. Le marquis d'Albufex se trouvait au nombre des cavaliers.

Trois fois, au cours de la journée, Lupin le revit qui galopait, et il le retrouva le soir à la station où d'Albufex se rendit à cheval suivi d'un piqueur.

L'épreuve était donc décisive, et il n'y avait rien de suspect de ce côté. Pourquoi cependant Lupin résolut-il de ne pas s'en tenir aux apparences ? Et pourquoi, le lendemain, envoya-t-il Le Ballu faire une enquête aux environs de Montmaur ? Surcroît de précautions qui ne reposait sur aucun raisonnement, mais qui concordait avec sa manière d'agir méthodique et minutieuse.

Le surlendemain, il recevait de Le Ballu, outre des informations sans intérêt, la liste de tous les invités, de tous les domestiques et de tous les gardes de Montmaur.

Un nom le frappa, parmi ceux des piqueurs. Il télégraphia aussitôt :

« Se renseigner sur le piqueur Sébastiani. » La réponse de Le Ballu ne tarda pas. « Sébastiani (Corse) a été recommandé au duc de Montmaur par le marquis d'Albufex. Il habite, à une lieue du château, un pavillon de chasse élevé parmi les débris de la forteresse féodale qui fut le berceau de la famille de Montmaur. » — Ça y est, dit Lupin à Clarisse Mergy, en lui montrant la lettre de Le Ballu. Tout de suite, ce nom de Sébastiani m'avait rappelé que d'Albufex est d'origine corse. Il y avait là un rapprochement…

— Alors, votre intention ?

— Mon intention est, si Daubrecq se trouve enfermé dans ces ruines, d'entrer en communication avec lui.

— Il se défiera de vous.

— Non. Ces jours-ci, sur les indications de la police, j'ai fini par découvrir les deux vieilles dames qui ont enlevé votre petit Jacques à Saint-Germain, et qui, le soir même, voilées, l'ont ramené à Neuilly. Ce sont deux vieilles filles, les cousines de Daubrecq, qui reçoivent de lui une petite rente mensuelle. J'ai rendu visite à ces demoiselles Rousselot (rappelez-vous leur nom et leur adresse, 134 bis, rue du Bac), je leur ai inspiré confiance, je leur ai promis de retrouver leur cousin et bienfaiteur, et l'aînée, Euphrasie Rousselot, m'a remis une lettre par quoi elle supplie Daubrecq s'en rapporter absolument au sieur Nicole. Vous voyez que toutes les précautions sont prises. Je pars cette nuit.

— Nous partons, dit Clarisse.

— Vous !

— Est-ce que je peux vivre ainsi dans l'inaction, dans la fièvre !

Et elle murmura :

— Ce n'est plus les jours que je compte… les trente-huit ou quarante jours au plus qui nous restent… ce sont les heures…

Lupin sentit en elle une résolution trop violente pour qu'il essayât de la combattre. À cinq heures du matin, ils s'en allaient tous deux en automobile. Grognard les accompagnait.

Afin de ne pas éveiller les soupçons, Lupin choisit comme quartier général une grande ville. D'Amiens, où il installa Clarisse, il n'était séparé de Montmaur que par une trentaine de kilomètres.

Vers huit heures, il retrouva Le Ballu non loin de l'ancienne forteresse, connue dans la région sous le nom de Mortepierre, et, dirigé par lui, il examina les lieux.

Sur les confins de la forêt, la petite rivière du Ligier qui s'est creusé, à cet endroit, une vallée très profonde, forme une boucle que domine l'énorme falaise de Mortepierre.

— Rien à faire de ce côté, dit Lupin. La falaise est abrupte, haute de soixante ou soixante-dix mètres, et la rivière l'enserre de toutes parts.

Ils trouvèrent plus loin un pont qui aboutissait au bas d'un sentier dont les lacets les conduisirent, parmi les sapins et les chênes, jusqu'à une petite esplanade, où se dressait une porte massive, bardée de fer, hérissée de clous et flanquée de deux grosses tours.

— C'est bien là, dit Lupin, que le piqueur Sébastiani habite ?

— Oui, fit Le Ballu, avec sa femme, dans un pavillon situé au milieu des ruines. J'ai appris, en outre, qu'il avait trois grands fils et que tous trois étaient soi-disant partis en voyage, et cela précisément le jour où l'on enlevait Daubrecq.

— Oh ! oh ! fit Lupin, la coïncidence vaut la peine d'être retenue. Il est bien probable que le coup fut exécuté par ces gaillards-là et par le père.

À la fin de l'après-midi, Lupin profita d'une brèche pour escalader la courtine, à droite des tours. De là il put voit le pavillon du garde et les quelques débris de la vieille forteresse — ici, un pan de mur où se devine le manteau d'une cheminée ; plus loin, une citerne ; de ce côté, l'arcade d'une chapelle ; de cet autre, un amoncellement de pierres éboulées.

Sur le devant, un chemin de ronde borde la falaise, et, à l'une des extrémités de ce chemin, il y a les vestiges d'un formidable donjon presque rasé au niveau du sol.

Le soir, Lupin retourna près de Clarisse Mergy. Et, dès lors, il fit la navette entre Amiens et Mortepierre, laissant Grognard et Le Ballu en observation permanente.

Et six jours passèrent… Les habitudes de Sébastiani semblaient uniquement soumises aux exigences de son emploi. Il allait au château de Montmaur, se promenait dans la forêt, relevait les passages des bêtes, faisait des rondes de nuit.

Mais le septième jour, ayant su qu'il y avait chasse, et qu'une voiture était partie le matin pour la station d'Aumale, Lupin se posta dans un groupe de lauriers et de buis qui entouraient la petite esplanade, devant la porte.

À deux heures, il entendit les aboiements de la meute. Ils se rapprochèrent, accompagnés de clameurs, puis s'éloignèrent. Il les entendit de nouveau vers le milieu de l'après-midi, moins distincts, et ce fut tout. Mais soudain, dans le silence, un galop de cheval parvint jusqu'à lui, et quelques minutes plus tard, il vit deux cavaliers qui escaladaient le sentier de la rivière.

Il reconnut le marquis d'Albufex et Sébastiani. Arrivés sur l'esplanade, tous deux mirent pied à terre, tandis qu'une femme, la femme du piqueur sans doute, ouvrait la porte. Sébastiani attacha les brides des montures à des anneaux scellés dans une borne qui se dressait à trois pas de Lupin, et, en courant, il rejoignit le marquis. La porte se ferma derrière eux.

Lupin n'hésita pas, et, bien que ce fût encore le plein jour, comptant sur la solitude de l'endroit, il se hissa au creux de la brèche. Passant la tête, il aperçut les deux hommes et la femme de Sébastiani qui se hâtaient vers les ruines du donjon.

Le garde souleva un rideau de lierre et découvrit l'entrée d'un escalier qu'il descendit, ainsi que d'Albufex, laissant sa femme en faction sur la terrasse.

Comme il ne fallait pas songer à s'introduire à leur suite, Lupin regagna sa cachette. Il n'attendit pas longtemps avant que la porte se rouvrît.

Le marquis d'Albufex semblait fort en courroux. Il frappait à coups de cravache la tige de ses bottes et mâchonnait des paroles de colère que Lupin discerna quand la distance fut moins grande.

— Ah ! le misérable, je l'y forcerai bien… Ce soir, tu entends, Sébastiani… ce soir, à dix heures, je reviendrai… Et nous agirons… Ah ! l'animal !…

Sébastiani détachait les chevaux. D'Albufex se tourna vers la femme :

— Que vos fils fassent bonne garde… Si on essayait de le délivrer, tant pis pour lui… La trappe est là… Je peux compter sur eux ?

— Comme sur leur père, monsieur le marquis, affirma le piqueur. Ils savent ce que monsieur le marquis a fait pour moi, et ce qu'il veut faire pour eux. Ils ne reculeront devant rien.

— À cheval, dit d'Albufex, et rejoignons la chasse.

Ainsi donc, les choses s'accomplissaient comme Lupin l'avait supposé. Au cours de ces parties de chasse, d'Albufex, galopant de son côté, poussait une pointe jusqu'à Mortepierre, sans que personne pût se douter de son manège. Sébastiani qui, pour des raisons anciennes, et d'ailleurs inutiles à connaître, lui était dévoué corps et âme, Sébastiani l'accompagnait, et ils allaient voir ensemble le captif, que les trois fils du piqueur et sa femme surveillaient étroitement.

— Voilà où nous en sommes, dit Lupin à Clarisse Mergy, lorsqu'il l'eut retrouvée dans une auberge des environs. Ce soir, à dix heures, le marquis fera subir à Daubrecq l'interrogatoire… un peu brutal, mais indispensable, auquel je devais procéder moi-même.

— Et Daubrecq livrera son secret… dit Clarisse, déjà bouleversée.

— J'en ai peur.

— Alors ?

— Alors, répondit Lupin, qui paraissait très calme, j'hésite entre deux plans. Ou bien empêcher cette entrevue…

— Mais comment ?

— En devançant d'Albufex. À neuf heures, Grognard, Le Ballu et moi, nous franchissons les remparts. Envahissement de la forteresse, assaut du donjon, désarmement de la garnison… le tour est joué. Daubrecq est à nous.

— Si toutefois les fils de Sébastiani ne l'ont pas jeté par cette trappe à laquelle le marquis a fait allusion…

— Aussi, dit Lupin, ai-je bien l'intention de ne risquer ce coup de force qu'en désespoir de cause, et au cas où mon autre plan ne serait pas réalisable.

— Et cet autre plan ?

— C'est d'assister à l'entrevue. Si Daubrecq ne parle pas, cela nous donne le loisir nécessaire pour préparer son enlèvement dans des conditions plus favorables. S'il parle, si on le contraint à révéler l'endroit où se trouve la liste des vingt-sept, je saurai la vérité en même temps que d'Albufex, et je jure Dieu que j'en tirerai parti avant lui.

— Oui… oui… prononça Clarisse… Mais par quel moyen comptez-vous assister…

— Je ne sais pas encore, avoua Lupin. Cela dépend de certains renseignements que doit m'apporter Le Ballu… et de ceux que je réunirai moi-même.

Il sortit de l'auberge et n'y revint qu'une heure plus tard, à la nuit tombante. Le Ballu l'y rejoignit.

— Tu as le bouquin ? dit-il à son complice.

— Oui, patron. C'était bien ce que j'avais vu chez le marchand de journaux d'Aumale. Je l'ai eu pour dix sous.

— Donne.

Le Ballu lui donna une vieille brochure usée, salie, sur laquelle on lisait :

Une visite à Mortepierre, 1824, avec dessins et plans.

Tout de suite, Lupin chercha le plan du donjon.

— C'est bien cela, dit-il… Il y avait, au-dessus du sol, trois étages qui ont été rasés, et, au-dessous, creusés dans le roc même, deux étages, dont l'un a été envahi par les décombres, et dont l'autre… Tenez, voilà où gît notre ami Daubrecq. Le nom est significatif… La salle des tortures… Pauvre ami !… Entre l'escalier et la salle, deux portes. Entre ces deux portes, un réduit, où se tiennent évidemment les trois frères, un fusil à la main.


VII. — Le profil de Napoléon (2) VII. - Napoleon's profile (2)

Et quelles journées pour Clarisse Mergy ! Chacune d'elles rapprochait Gilbert de l'échéance terrible. Each one brought Gilbert closer to the terrible deadline. Chacune d'elles était une fois de moins vingt-quatre heures avant la date qu'elle avait involontairement fixée dans son esprit. Each of them was twenty-four hours earlier than the date she had involuntarily fixed in her mind. Et elle disait à Lupin, que la même anxiété obsédait : And she said to Lupin, whom the same anxiety obsessed:

— Encore cinquante-cinq jours… Encore cinquante… Que peut-on faire en si peu de jours ? - Another fifty-five days... Another fifty... What can be done in so few days? Oh ! je vous en prie… je vous en prie…

Que pouvait-on faire, en effet ? What could we do? Lupin ne s'en remettant à personne du soin de surveiller le marquis, ne dormait pour ainsi dire plus. Lupin didn't leave it to anyone else to keep an eye on the Marquis, so he didn't sleep at all. Mais le marquis avait repris sa vie régulière, et, défiant sans doute, ne se hasardait à aucune absence. But the Marquis had resumed his regular life, and, defiant no doubt, didn't risk any absences.

Une seule fois, il alla, dans la journée, chez le duc de Montmaur, dont l'équipage chassait le sanglier en forêt de Durlaine, et avec lequel il n'entretenait que des relations sportives. Only once, during the day, did he visit the Duc de Montmaur, whose crew was hunting wild boar in the Durlaine forest, and with whom he had only sporting relations.

— Il n'y a pas à supposer, dit Prasville, que le richissime duc de Montmaur, qui ne s'occupe que de ses terres et de ses chasses, et ne fait pas de politique, se prête à la séquestration, dans son château, du député Daubrecq. - There's no reason to suppose," says Prasville, "that the wealthy Duc de Montmaur, who cares only for his lands and his hunting, and is not involved in politics, would lend himself to the sequestration, in his château, of the deputy Daubrecq.

Lupin fut de cet avis, mais, comme il ne voulait rien laisser au hasard, la semaine suivante, un matin, apercevant d'Albufex qui partait en tenue de cavalier, il le suivit jusqu'à la gare du Nord et prit le train pour le suivre. Lupin agreed, but as he didn't want to leave anything to chance, one morning the following week he spotted d'Albufex leaving in a cavalier outfit, so he followed him to the Gare du Nord and took the train to follow him.

Il descendit à la station d'Aumale, où d'Albufex trouva une voiture qui le conduisit vers le château de Montmaur.

Lupin déjeuna tranquillement, loua une bicyclette, et parvint en vue du château au moment où les invités débouchaient du parc, en automobile, ou à cheval. Lupin had a leisurely lunch, rented a bicycle, and arrived in sight of the château just as the guests were emerging from the park, either by car or on horseback. Le marquis d'Albufex se trouvait au nombre des cavaliers. The Marquis d'Albufex was among the riders.

Trois fois, au cours de la journée, Lupin le revit qui galopait, et il le retrouva le soir à la station où d'Albufex se rendit à cheval suivi d'un piqueur. Dreimal im Laufe des Tages sah Lupin ihn galoppieren, und am Abend traf er ihn an der Station wieder, wo d'Albufex auf einem Pferd, gefolgt von einem Pikenier, hinritt. Three times during the day, Lupin saw him galloping again, and in the evening he found him at the station where d'Albufex rode off with a picker.

L'épreuve était donc décisive, et il n'y avait rien de suspect de ce côté. Pourquoi cependant Lupin résolut-il de ne pas s'en tenir aux apparences ? But why did Lupin decide to go beyond appearances? Et pourquoi, le lendemain, envoya-t-il Le Ballu faire une enquête aux environs de Montmaur ? Surcroît de précautions qui ne reposait sur aucun raisonnement, mais qui concordait avec sa manière d'agir méthodique et minutieuse. The extra precautions were not based on any reasoning, but were consistent with his methodical, meticulous approach.

Le surlendemain, il recevait de Le Ballu, outre des informations sans intérêt, la liste de tous les invités, de tous les domestiques et de tous les gardes de Montmaur.

Un nom le frappa, parmi ceux des piqueurs. One name struck him, among those of the pickers. Il télégraphia aussitôt : He immediately telegraphed:

« Se renseigner sur le piqueur Sébastiani. "Find out more about the Sébastiani stitcher. » La réponse de Le Ballu ne tarda pas. « Sébastiani (Corse) a été recommandé au duc de Montmaur par le marquis d'Albufex. Il habite, à une lieue du château, un pavillon de chasse élevé parmi les débris de la forteresse féodale qui fut le berceau de la famille de Montmaur. A league from the château, he lives in a hunting lodge built among the remains of the feudal fortress that was the birthplace of the Montmaur family. » — Ça y est, dit Lupin à Clarisse Mergy, en lui montrant la lettre de Le Ballu. "That's it," said Lupin to Clarisse Mergy, showing her Le Ballu's letter. Tout de suite, ce nom de Sébastiani m'avait rappelé que d'Albufex est d'origine corse. Il y avait là un rapprochement… There was a connection...

— Alors, votre intention ? - So, what's your intention?

— Mon intention est, si Daubrecq se trouve enfermé dans ces ruines, d'entrer en communication avec lui.

— Il se défiera de vous. - He'll challenge you.

— Non. Ces jours-ci, sur les indications de la police, j'ai fini par découvrir les deux vieilles dames qui ont enlevé votre petit Jacques à Saint-Germain, et qui, le soir même, voilées, l'ont ramené à Neuilly. In the last few days, on the advice of the police, I've finally discovered the two old ladies who kidnapped your little Jacques in Saint-Germain, and who, that very evening, veiled, brought him back to Neuilly. Ce sont deux vieilles filles, les cousines de Daubrecq, qui reçoivent de lui une petite rente mensuelle. J'ai rendu visite à ces demoiselles Rousselot (rappelez-vous leur nom et leur adresse, 134 bis, rue du Bac), je leur ai inspiré confiance, je leur ai promis de retrouver leur cousin et bienfaiteur, et l'aînée, Euphrasie Rousselot, m'a remis une lettre par quoi elle supplie Daubrecq s'en rapporter absolument au sieur Nicole. I visited the Rousselot girls (remember their name and address, 134 bis, rue du Bac), inspired their confidence, promised to find their cousin and benefactor, and the eldest, Euphrasie Rousselot, gave me a letter in which she begged Daubrecq to rely absolutely on Sieur Nicole. Vous voyez que toutes les précautions sont prises. As you can see, every precaution has been taken. Je pars cette nuit. I'm leaving tonight.

— Nous partons, dit Clarisse. - We're leaving," says Clarisse.

— Vous !

— Est-ce que je peux vivre ainsi dans l'inaction, dans la fièvre ! - Can I live like this in inaction, in fever!

Et elle murmura :

— Ce n'est plus les jours que je compte… les trente-huit ou quarante jours au plus qui nous restent… ce sont les heures…

Lupin sentit en elle une résolution trop violente pour qu'il essayât de la combattre. Lupin sensed in her a resolution too violent for him to try and fight it. À cinq heures du matin, ils s'en allaient tous deux en automobile. Grognard les accompagnait.

Afin de ne pas éveiller les soupçons, Lupin choisit comme quartier général une grande ville. To avoid arousing suspicion, Lupin chose a large city as his headquarters. D'Amiens, où il installa Clarisse, il n'était séparé de Montmaur que par une trentaine de kilomètres. From Amiens, where he settled Clarisse, he was separated from Montmaur by only 30 kilometers.

Vers huit heures, il retrouva Le Ballu non loin de l'ancienne forteresse, connue dans la région sous le nom de Mortepierre, et, dirigé par lui, il examina les lieux. Around eight o'clock, he met up with Le Ballu not far from the ancient fortress known in the region as Mortepierre, and, under his guidance, examined the site.

Sur les confins de la forêt, la petite rivière du Ligier qui s'est creusé, à cet endroit, une vallée très profonde, forme une boucle que domine l'énorme falaise de Mortepierre. On the edge of the forest, the little Ligier river, which has carved out a very deep valley here, forms a loop dominated by the huge Mortepierre cliff.

— Rien à faire de ce côté, dit Lupin. La falaise est abrupte, haute de soixante ou soixante-dix mètres, et la rivière l'enserre de toutes parts. The cliff is steep, sixty or seventy meters high, and the river surrounds it on all sides.

Ils trouvèrent plus loin un pont qui aboutissait au bas d'un sentier dont les lacets les conduisirent, parmi les sapins et les chênes, jusqu'à une petite esplanade, où se dressait une porte massive, bardée de fer, hérissée de clous et flanquée de deux grosses tours. Farther on, they found a bridge leading to the bottom of a path whose twists and turns took them through fir and oak trees to a small esplanade, where a massive gate stood, iron-clad, spiked with nails and flanked by two large towers.

— C'est bien là, dit Lupin, que le piqueur Sébastiani habite ? - Isn't that where Sébastiani, the picker, lives?

— Oui, fit Le Ballu, avec sa femme, dans un pavillon situé au milieu des ruines. - Yes, Le Ballu did, with his wife, in a pavilion in the middle of the ruins. J'ai appris, en outre, qu'il avait trois grands fils et que tous trois étaient soi-disant partis en voyage, et cela précisément le jour où l'on enlevait Daubrecq. I learned, moreover, that he had three grown sons and that all three had supposedly gone on a trip, and precisely on the day Daubrecq was kidnapped.

— Oh ! oh ! fit Lupin, la coïncidence vaut la peine d'être retenue. said Lupin, the coincidence is worth remembering. Il est bien probable que le coup fut exécuté par ces gaillards-là et par le père.

À la fin de l'après-midi, Lupin profita d'une brèche pour escalader la courtine, à droite des tours. At the end of the afternoon, Lupin took advantage of a gap to climb the curtain wall to the right of the towers. De là il put voit le pavillon du garde et les quelques débris de la vieille forteresse — ici, un pan de mur où se devine le manteau d'une cheminée ; plus loin, une citerne ; de ce côté, l'arcade d'une chapelle ; de cet autre, un amoncellement de pierres éboulées. From here, he could see the guardhouse and the few remains of the old fortress - here, a section of wall with the mantle of a chimney; further on, a cistern; on this side, the arcade of a chapel; on that other, a pile of crumbled stones.

Sur le devant, un chemin de ronde borde la falaise, et, à l'une des extrémités de ce chemin, il y a les vestiges d'un formidable donjon presque rasé au niveau du sol. At the front, a sentry walk runs along the cliff, and at one end of this path are the remains of a formidable keep, almost razed to the ground.

Le soir, Lupin retourna près de Clarisse Mergy. Et, dès lors, il fit la navette entre Amiens et Mortepierre, laissant Grognard et Le Ballu en observation permanente.

Et six jours passèrent… Les habitudes de Sébastiani semblaient uniquement soumises aux exigences de son emploi. And six days went by... Sébastiani's habits seemed to be subject only to the demands of his job. Il allait au château de Montmaur, se promenait dans la forêt, relevait les passages des bêtes, faisait des rondes de nuit. He would go to the Château de Montmaur, take walks in the forest, record cattle movements and make nightly rounds.

Mais le septième jour, ayant su qu'il y avait chasse, et qu'une voiture était partie le matin pour la station d'Aumale, Lupin se posta dans un groupe de lauriers et de buis qui entouraient la petite esplanade, devant la porte. But on the seventh day, having learned that there was a hunt, and that a carriage had left in the morning for the Aumale station, Lupin stationed himself in a group of laurel and box trees that surrounded the small esplanade in front of the gate.

À deux heures, il entendit les aboiements de la meute. At two o'clock, he heard the barking of the pack. Ils se rapprochèrent, accompagnés de clameurs, puis s'éloignèrent. They drew nearer, accompanied by clamors, then moved away. Il les entendit de nouveau vers le milieu de l'après-midi, moins distincts, et ce fut tout. He heard them again around mid-afternoon, less distinct, and that was that. Mais soudain, dans le silence, un galop de cheval parvint jusqu'à lui, et quelques minutes plus tard, il vit deux cavaliers qui escaladaient le sentier de la rivière. But suddenly, in the silence, a horse's gallop reached him, and a few minutes later he saw two riders climbing the river path.

Il reconnut le marquis d'Albufex et Sébastiani. Arrivés sur l'esplanade, tous deux mirent pied à terre, tandis qu'une femme, la femme du piqueur sans doute, ouvrait la porte. Als sie auf dem Vorplatz ankamen, stiegen beide ab, während eine Frau, zweifellos die Frau des Pikeniers, die Tür öffnete. When they reached the esplanade, they both dismounted, while a woman, no doubt the picker's wife, opened the door. Sébastiani attacha les brides des montures à des anneaux scellés dans une borne qui se dressait à trois pas de Lupin, et, en courant, il rejoignit le marquis. Sébastiani attached the mounts' bridles to rings sealed into a bollard that stood three paces from Lupin, and, running, joined the marquis. La porte se ferma derrière eux.

Lupin n'hésita pas, et, bien que ce fût encore le plein jour, comptant sur la solitude de l'endroit, il se hissa au creux de la brèche. Lupin didn't hesitate, and although it was still daylight, relying on the solitude of the place, he pulled himself up into the gap. Passant la tête, il aperçut les deux hommes et la femme de Sébastiani qui se hâtaient vers les ruines du donjon. Looking over, he saw the two men and Sebastiani's wife hurrying towards the ruins of the keep.

Le garde souleva un rideau de lierre et découvrit l'entrée d'un escalier qu'il descendit, ainsi que d'Albufex, laissant sa femme en faction sur la terrasse. The guard lifted an ivy curtain to reveal the entrance to a staircase, which he and d'Albufex descended, leaving his wife standing guard on the terrace.

Comme il ne fallait pas songer à s'introduire à leur suite, Lupin regagna sa cachette. Da es nicht in Frage kam, sich in ihr Gefolge einzuschleichen, kehrte Lupin in sein Versteck zurück. As there was no point in thinking about following them, Lupin returned to his hiding place. Il n'attendit pas longtemps avant que la porte se rouvrît. Er wartete nicht lange, bis sich die Tür wieder öffnete.

Le marquis d'Albufex semblait fort en courroux. The Marquis d'Albufex seemed very angry. Il frappait à coups de cravache la tige de ses bottes et mâchonnait des paroles de colère que Lupin discerna quand la distance fut moins grande. He whacked the shafts of his boots with his riding crop and chewed angry words that Lupin discerned when the distance was less.

— Ah ! le misérable, je l'y forcerai bien… Ce soir, tu entends, Sébastiani… ce soir, à dix heures, je reviendrai… Et nous agirons… Ah ! the wretch, I'll make him do it... Tonight, you hear, Sébastiani... tonight, at ten o'clock, I'll be back... And we'll act... Ah! l'animal !…

Sébastiani détachait les chevaux. D'Albufex se tourna vers la femme :

— Que vos fils fassent bonne garde… Si on essayait de le délivrer, tant pis pour lui… La trappe est là… Je peux compter sur eux ? - Tell your sons to be careful... If we try to free him, too bad for him... The trapdoor is there... Can I count on them?

— Comme sur leur père, monsieur le marquis, affirma le piqueur. - As on their father, monsieur le marquis," asserted the picker. Ils savent ce que monsieur le marquis a fait pour moi, et ce qu'il veut faire pour eux. They know what Monsieur le Marquis has done for me, and what he wants to do for them. Ils ne reculeront devant rien. They'll stop at nothing.

— À cheval, dit d'Albufex, et rejoignons la chasse.

Ainsi donc, les choses s'accomplissaient comme Lupin l'avait supposé. Au cours de ces parties de chasse, d'Albufex, galopant de son côté, poussait une pointe jusqu'à Mortepierre, sans que personne pût se douter de son manège. Während dieser Jagdausflüge galoppierte d'Albufex seinerseits eine Spitze bis nach Mortepierre vor, ohne dass jemand etwas von seinem Manöver ahnte. Sébastiani qui, pour des raisons anciennes, et d'ailleurs inutiles à connaître, lui était dévoué corps et âme, Sébastiani l'accompagnait, et ils allaient voir ensemble le captif, que les trois fils du piqueur et sa femme surveillaient étroitement.

— Voilà où nous en sommes, dit Lupin à Clarisse Mergy, lorsqu'il l'eut retrouvée dans une auberge des environs. Ce soir, à dix heures, le marquis fera subir à Daubrecq l'interrogatoire… un peu brutal, mais indispensable, auquel je devais procéder moi-même.

— Et Daubrecq livrera son secret… dit Clarisse, déjà bouleversée.

— J'en ai peur.

— Alors ?

— Alors, répondit Lupin, qui paraissait très calme, j'hésite entre deux plans. Ou bien empêcher cette entrevue…

— Mais comment ?

— En devançant d'Albufex. À neuf heures, Grognard, Le Ballu et moi, nous franchissons les remparts. Envahissement de la forteresse, assaut du donjon, désarmement de la garnison… le tour est joué. Daubrecq est à nous.

— Si toutefois les fils de Sébastiani ne l'ont pas jeté par cette trappe à laquelle le marquis a fait allusion…

— Aussi, dit Lupin, ai-je bien l'intention de ne risquer ce coup de force qu'en désespoir de cause, et au cas où mon autre plan ne serait pas réalisable.

— Et cet autre plan ?

— C'est d'assister à l'entrevue. Si Daubrecq ne parle pas, cela nous donne le loisir nécessaire pour préparer son enlèvement dans des conditions plus favorables. S'il parle, si on le contraint à révéler l'endroit où se trouve la liste des vingt-sept, je saurai la vérité en même temps que d'Albufex, et je jure Dieu que j'en tirerai parti avant lui.

— Oui… oui… prononça Clarisse… Mais par quel moyen comptez-vous assister…

— Je ne sais pas encore, avoua Lupin. Cela dépend de certains renseignements que doit m'apporter Le Ballu… et de ceux que je réunirai moi-même.

Il sortit de l'auberge et n'y revint qu'une heure plus tard, à la nuit tombante. Le Ballu l'y rejoignit.

— Tu as le bouquin ? dit-il à son complice.

— Oui, patron. C'était bien ce que j'avais vu chez le marchand de journaux d'Aumale. Je l'ai eu pour dix sous.

— Donne.

Le Ballu lui donna une vieille brochure usée, salie, sur laquelle on lisait :

Une visite à Mortepierre, 1824, avec dessins et plans.

Tout de suite, Lupin chercha le plan du donjon.

— C'est bien cela, dit-il… Il y avait, au-dessus du sol, trois étages qui ont été rasés, et, au-dessous, creusés dans le roc même, deux étages, dont l'un a été envahi par les décombres, et dont l'autre… Tenez, voilà où gît notre ami Daubrecq. Le nom est significatif… La salle des tortures… Pauvre ami !… Entre l'escalier et la salle, deux portes. Entre ces deux portes, un réduit, où se tiennent évidemment les trois frères, un fusil à la main.