×

Nous utilisons des cookies pour rendre LingQ meilleur. En visitant le site vous acceptez nos Politique des cookies.


image

Le bouchon de cristal, Maurice Leblanc, VI. — La peine de mort (3)

VI. — La peine de mort (3)

Et c'est pourquoi, mon excellent monsieur, au lieu de vous faire arrêter, comme je l'aurais pu… oui, comme je l'aurais pu, et en toute facilité… je vous laisse le champ libre, et vous rappelle charitablement qu'avant trois minutes il faut me débarrasser le plancher.

— Donc, c'est non ?

— C'est non.

— Tu ne feras rien pour Gilbert ?

— Si, je continuerai à faire ce que je fais depuis son arrestation, c'est-à-dire à peser indirectement sur le ministre de la Justice, pour que le procès soit mené le plus activement possible, et dans le sens que je désire.

— Comment ! cria Lupin, hors de lui, c'est à cause de toi, c'est pour toi…

— C'est pour moi, Daubrecq, mon Dieu, oui. J'ai un atout, la tête du fils : je le joue. Quand j'aurai obtenu une bonne petite condamnation à mort contre Gilbert, quand les jours passeront, et que la grâce du jeune homme sera, par mes bons offices, rejetée, tu peux être sûr, monsieur Lupin, que la maman ne verra plus du tout d'objections à s'appeler Mme Alexis Daubrecq, et à me donner des gages irrécusables et immédiats de sa bonne volonté. Cette heureuse issue est fatale, que tu le veuilles ou non. C'est couru d'avance. Tout ce que je peux faire pour toi, c'est de te prendre comme témoin le jour de mon mariage, et de t'inviter au lunch. Ça te va-t-il ? Non ? Tu persistes dans tes noirs desseins ? Eh bien, bonne chance, tends tes pièges, jette tes filets, fourbis tes armes et potasse le manuel du parfait cambrioleur de papier pelure. Tu en auras besoin. Sur ce, bonsoir. Les règles de l'hospitalité écossaise m'ordonnent de te mettre à la porte. File.

Lupin demeura silencieux assez longtemps. Les yeux fixés sur Daubrecq, il semblait mesurer la taille de son adversaire, jauger son poids, estimer sa force physique et discuter, en fin de compte, à quel endroit précis il allait l'attaquer. Daubrecq serra les poings et en lui-même prépara le système de défense qu'il opposerait à cette attaque.

Une demi-minute s'écoula. Lupin porta la main à son gousset. Daubrecq en fit autant et saisit la crosse de son revolver… Quelques secondes encore… Froidement, Lupin sortit une bonbonnière d'or, l'ouvrit et la tendit à Daubrecq :

— Une pastille ?

— Qu'est-ce que c'est ? demanda l'autre, étonné.

— Des pastilles Géraudel.

— Pourquoi faire ?

— Pour le rhume que tu vas prendre.

Et profitant du léger désarroi où cette boutade laissait Daubrecq, il saisit rapidement son chapeau et s'esquiva.

— Évidemment, se disait-il en traversant le vestibule, je suis battu à plate couture. Mais, tout de même, cette petite plaisanterie de commis voyageur avait, dans l'espèce, quelque chose de nouveau. S'attendre à un pruneau et recevoir une pastille Géraudel… il y a là comme une déception. Il en est resté baba, le vieux chimpanzé !

Comme il refermait la grille, une automobile s'arrêta, et un homme descendit rapidement, suivi de plusieurs autres. Lupin reconnut Prasville.

— Monsieur le secrétaire général, murmura-t-il, je vous salue. J'ai idée qu'un jour le destin nous mettra l'un en face de l'autre, et je le regrette pour vous, car vous ne m'inspirez qu'une médiocre estime, et vous passerez un sale quart d'heure. Aujourd'hui, si je n'étais pas si pressé, j'attendrais votre départ et je suivrais Daubrecq pour savoir à qui il a confié l'enfant qu'il va me rendre. Mais je suis pressé. En outre, rien ne m'assure que Daubrecq ne va pas agir par téléphone. Donc ne nous gaspillons pas en vains efforts, et rejoignons Victoire, Achille et notre précieuse valise.

Deux heures après, posté dans son hangar de Neuilly, toutes ses mesures prises, Lupin voyait Daubrecq qui débouchait d'une rue voisine et s'approchait avec méfiance.

Lupin ouvrit lui-même la grande porte.

— Vos affaires sont là, monsieur le député, dit-il. Vous pouvez vous rendre compte. Il y a un loueur de voitures à côté, vous n'avez qu'à demander un camion et des hommes. Où est l'enfant ?

Daubrecq examina d'abord les objets, puis il conduisit Lupin jusqu'à l'avenue de Neuilly, où deux vieilles dames, masquées par des voiles, stationnaient avec le petit Jacques.

À son tour, Lupin emmena l'enfant jusqu'à son automobile, où l'attendait Victoire.

Tout cela fut exécuté rapidement, sans paroles inutiles, et comme si les rôles eussent été appris, les allées et venues réglées d'avance, ainsi que des entrées et des sorties de théâtre.

À dix heures du soir, Lupin, selon sa promesse, rendait le petit Jacques à sa mère. Mais on dut appeler le docteur en hâte, tellement l'enfant, frappé par tous ces événements, montrait d'agitation et d'effroi.

Il lui fallut plus de deux semaines pour se rétablir et pour supporter les fatigues d'un déplacement que Lupin jugeait nécessaire. C'est à peine, d'ailleurs, si Mme Mergy, elle-même, fut rétablie au moment de ce départ, qui eut lieu la nuit, avec toutes les précautions possibles et sous la direction de Lupin.

Il conduisit la mère et le fils sur une petite plage bretonne et les confia aux soins et à la vigilance de Victoire.

— Enfin, se dit-il, quand il les eut installés, il n'y a plus personne entre le Daubrecq et moi ! Il ne peut plus rien contre Mme Mergy et contre le gosse, et elle-même ne risque plus, par son intervention, de faire dévier la lutte. Fichtre, nous avons commis assez de bêtises. 1º j'ai dû me découvrir vis-à-vis de Daubrecq ; 2º j'ai dû lâcher ma part du mobilier d'Enghien. Certes, je la reprendrai un jour ou l'autre, cela ne fait pas l'ombre d'un doute. Mais, tout de même, nous n'avançons pas, et, d'ici une huitaine, Gilbert et Vaucheray passent en cour d'assises.

Ce à quoi, dans l'aventure, Lupin était le plus sensible, c'était à la dénonciation de Daubrecq concernant son domicile de la rue Chateaubriand. La police avait envahi ce domicile. L'identité de Lupin et de Michel Beaumont avait été reconnue, certains papiers découverts, et, Lupin, tout en poursuivant son but, tout en menant de front certaines entreprises déjà commencées, tout en évitant les recherches, plus pressantes que jamais, de la police, devait procéder, sur d'autres bases, à une réorganisation complète de ses affaires.

Aussi sa rage contre Daubrecq croissait-elle en proportion des ennuis que lui causait le député. Il n'avait plus qu'un désir, l'empocher, comme il disait, le tenir à sa disposition et, de gré ou de force, lui extraire son secret. Il rêvait de tortures propres à délier la langue de l'homme le plus taciturne. Brodequins, chevalet, tenailles rougies au feu, planches hérissées de pointes… il lui semblait que l'ennemi était digne de tous les supplices, et que le but à atteindre excusait tous les moyens.

— Ah ! se disait-il, une bonne chambre ardente, avec quelques bourreaux qui n'auraient pas froid aux yeux… On ferait de la belle besogne.

Chaque après-midi, Grognard et Le Ballu étudiaient le parcours que Daubrecq suivait entre le square Lamartine, la Chambre des députés et le cercle dont il faisait partie. On devait choisir la rue la plus déserte, l'heure la plus propice et, un soir, le pousser dans une automobile.

De son côté, Lupin aménageait non loin de Paris, au milieu d'un grand jardin, une vieille bâtisse qui offrait toutes les conditions nécessaires de sécurité et d'isolement, et qu'il appelait la « Cage du Singe ».

Malheureusement, Daubrecq devait se méfier. Car chaque fois, pour ainsi dire, il changeait d'itinéraire, ou bien prenait le métro, ou bien montait en tramway, et la cage demeurait vide.

Lupin combina un autre plan. Il fit venir de Marseille un de ses affidés, le père Brindebois, honorable épicier en retraite, qui précisément habitait dans la circonscription électorale de Daubrecq et s'occupait de politique.

De Marseille, le père Brindebois annonça sa visite à Daubrecq qui reçut avec empressement cet électeur considérable. Un dîner fut projeté pour la semaine suivante.

L'électeur proposa un petit restaurant de la rive gauche, où, disait-il, on mangeait merveille. Daubrecq accepta.

C'est ce que voulait Lupin. Le propriétaire de ce restaurant comptait au nombre de ses amis. Dès lors, le coup, qui devait avoir lieu le jeudi suivant, ne pouvait manquer de réussir.

Sur ces entrefaites, le lundi de la même semaine, commença le procès de Gilbert et de Vaucheray.

On se le rappelle, et les débats sont trop récents pour que je remémore la façon vraiment incompréhensible et partiale dont le président des assises conduisit son interrogatoire à l'encontre de Gilbert. La chose fut remarquée et jugée sévèrement. Lupin reconnut là l'influence détestable de Daubrecq.

L'attitude des deux accusés fut très différente. Vaucheray, sombre, taciturne, l'expression âpre, avoua cyniquement, en phrases brèves, ironiques, presque provocantes, les crimes qu'il avait commis autrefois. Mais, par une contradiction inexplicable pour tout le monde, sauf pour Lupin, il se défendit de toute participation à l'assassinat du domestique Léonard et chargea violemment Gilbert. Il voulait ainsi, en liant son sort à celui de Gilbert, obliger Lupin à prendre pour ses deux complices les mêmes mesures de délivrance.

Quant à Gilbert, dont le visage franc, dont les yeux rêveurs et mélancoliques conquirent toutes les sympathies, il ne sut pas se garer des pièges du président, ni rétorquer les mensonges de Vaucheray. Il pleurait, parlait trop, ou ne parlait pas quand il l'eût fallu. En outre, son avocat, un des maîtres du barreau, malade au dernier moment (et là encore Lupin voulut voir la main de Daubrecq) fut remplacé par un secrétaire, lequel plaida mal, prit l'affaire à contresens, indisposa le jury, et ne put effacer l'impression qu'avaient produite le réquisitoire de l'avocat général et la plaidoirie de l'avocat de Vaucheray.

Lupin, qui eut l'audace inconcevable d'assister à la dernière journée des débats, le jeudi, ne douta pas du résultat. La double condamnation était certaine.

Elle était certaine, parce que tous les efforts de la justice, corroborant ainsi la tactique de Vaucheray, avaient tendu à solidariser étroitement les deux accusés. Elle était certaine, ensuite et surtout, parce qu'il s'agissait des deux complices de Lupin. Depuis l'ouverture de l'instruction jusqu'au prononcé du jugement, et bien que la justice, faute de preuves suffisantes, et aussi pour ne point disséminer ses efforts, n'eût pas voulu impliquer Lupin dans l'affaire, tout le procès fut dirigé contre Lupin. C'était lui l'adversaire que l'on voulait atteindre ; lui, le chef qu'il fallait punir en la personne de ses amis ; lui, le bandit célèbre et sympathique, dont on devait détruire le prestige aux yeux de la foule. Gilbert et Vaucheray exécutés, l'auréole de Lupin s'évanouissait. La légende prenait fin.

Lupin… Lupin… Arsène Lupin… on n'entendit que ce nom durant les quatre jours. L'avocat général, le président, les jurés, les avocats, les témoins, n'avaient pas d'autres mots à la bouche. À tout instant on invoquait Lupin pour le maudire, pour le bafouer, pour l'outrager, pour le rendre responsable de toutes les fautes commises. On eût dit que Gilbert et Vaucheray ne figuraient que comme comparses, et qu'on faisait son procès à lui, le sieur Lupin, Lupin cambrioleur, chef de bande, faussaire, incendiaire, récidiviste, ancien forçat ! Lupin assassin, Lupin souillé par le sang de sa victime, Lupin qui restait lâchement dans l'ombre après avoir poussé ses amis jusqu'au pied de l'échafaud !

— Ah ! ils savent bien ce qu'ils font ! murmura-t-il. C'est ma dette que va payer mon pauvre grand gamin de Gilbert. C'est moi le vrai coupable.

Et le drame se déroula, effrayant.

À sept heures du soir, après une longue délibération, les jurés revinrent en séance, et le président du jury donna lecture des réponses aux questions posées par la Cour. C'était « oui » sur tous les points. C'était la culpabilité et le rejet des circonstances atténuantes.

On fit rentrer les deux accusés.

Debout, chancelants et blêmes, ils écoutèrent la sentence de mort.

Et, dans le grand silence solennel, où l'anxiété du public se mêlait de pitié, le président des assises demanda :

— Vous n'avez rien à ajouter, Vaucheray ?

— Rien, monsieur le président ; du moment que mon camarade est condamné comme moi, je suis tranquille… Nous sommes sur le même pied tous les deux… Faudra donc que le patron trouve un truc pour nous sauver tous les deux.

— Le patron ?

— Oui, Arsène Lupin.

Il y eut un rire parmi la foule.

Le Président reprit :

— Et vous, Gilbert ?

Des larmes roulaient sur les joues du malheureux ; il balbutia quelques phrases inintelligibles.


VI. — La peine de mort (3) VI. - The death penalty (3)

Et c'est pourquoi, mon excellent monsieur, au lieu de vous faire arrêter, comme je l'aurais pu… oui, comme je l'aurais pu, et en toute facilité… je vous laisse le champ libre, et vous rappelle charitablement qu'avant trois minutes il faut me débarrasser le plancher. And that's why, my excellent sir, instead of having you arrested, as I could have done... yes, as I could have done, and with the greatest of ease... I'm giving you a free hand, and charitably reminding you that you'll have to clear the floor for me within three minutes.

— Donc, c'est non ? - So that's a no?

— C'est non.

— Tu ne feras rien pour Gilbert ?

— Si, je continuerai à faire ce que je fais depuis son arrestation, c'est-à-dire à peser indirectement sur le ministre de la Justice, pour que le procès soit mené le plus activement possible, et dans le sens que je désire.

— Comment ! cria Lupin, hors de lui, c'est à cause de toi, c'est pour toi… shouted Lupin, beside himself, it's because of you, it's for you...

— C'est pour moi, Daubrecq, mon Dieu, oui. - It's for me, Daubrecq, my God, yes. J'ai un atout, la tête du fils : je le joue. I have a trump card, the son's head: I play it. Quand j'aurai obtenu une bonne petite condamnation à mort contre Gilbert, quand les jours passeront, et que la grâce du jeune homme sera, par mes bons offices, rejetée, tu peux être sûr, monsieur Lupin, que la maman ne verra plus du tout d'objections à s'appeler Mme Alexis Daubrecq, et à me donner des gages irrécusables et immédiats de sa bonne volonté. When I have obtained a good little death sentence against Gilbert, when the days pass, and the young man's pardon is, through my good offices, rejected, you can be sure, Monsieur Lupin, that the mother will no longer see any objections to calling herself Mme Alexis Daubrecq, and to giving me immediate and irrefutable proof of her good will. Cette heureuse issue est fatale, que tu le veuilles ou non. This happy outcome is fatal, whether you like it or not. C'est couru d'avance. It's a foregone conclusion. Tout ce que je peux faire pour toi, c'est de te prendre comme témoin le jour de mon mariage, et de t'inviter au lunch. Ça te va-t-il ? Does it suit you? Non ? Tu persistes dans tes noirs desseins ? Do you persist in your dark plans? Eh bien, bonne chance, tends tes pièges, jette tes filets, fourbis tes armes et potasse le manuel du parfait cambrioleur de papier pelure. Well, good luck, set your traps, cast your nets, cobble together your weapons and study the perfect burglar's manual. Tu en auras besoin. You'll need it. Sur ce, bonsoir. On that note, good evening. Les règles de l'hospitalité écossaise m'ordonnent de te mettre à la porte. The rules of Scottish hospitality order me to kick you out. File.

Lupin demeura silencieux assez longtemps. Les yeux fixés sur Daubrecq, il semblait mesurer la taille de son adversaire, jauger son poids, estimer sa force physique et discuter, en fin de compte, à quel endroit précis il allait l'attaquer. With his eyes fixed on Daubrecq, he seemed to be measuring his opponent's size, gauging his weight, estimating his physical strength and ultimately discussing where exactly he was going to attack him. Daubrecq serra les poings et en lui-même prépara le système de défense qu'il opposerait à cette attaque.

Une demi-minute s'écoula. Lupin porta la main à son gousset. Daubrecq en fit autant et saisit la crosse de son revolver… Quelques secondes encore… Froidement, Lupin sortit une bonbonnière d'or, l'ouvrit et la tendit à Daubrecq : Daubrecq did the same and gripped the butt of his revolver... A few more seconds... Coldly, Lupin took out a gold bonbonnière, opened it and handed it to Daubrecq:

— Une pastille ? - A lozenge?

— Qu'est-ce que c'est ? - What is it? demanda l'autre, étonné.

— Des pastilles Géraudel. - Geraudel pastilles.

— Pourquoi faire ?

— Pour le rhume que tu vas prendre. - For the cold you're about to catch.

Et profitant du léger désarroi où cette boutade laissait Daubrecq, il saisit rapidement son chapeau et s'esquiva. And taking advantage of Daubrecq's slight dismay at this quip, he quickly grabbed his hat and dashed off.

— Évidemment, se disait-il en traversant le vestibule, je suis battu à plate couture. - Offensichtlich", dachte er, als er durch die Eingangshalle ging, "werde ich ordentlich verprügelt. - Obviously," he said to himself as he crossed the hallway, "I'm beaten to the punch. Mais, tout de même, cette petite plaisanterie de commis voyageur avait, dans l'espèce, quelque chose de nouveau. All the same, there was something new about this little traveling salesman's joke. S'attendre à un pruneau et recevoir une pastille Géraudel… il y a là comme une déception. Expecting a prune and receiving a Geraudel pastille... it's a bit of a letdown. Il en est resté baba, le vieux chimpanzé ! The old chimpanzee was speechless!

Comme il refermait la grille, une automobile s'arrêta, et un homme descendit rapidement, suivi de plusieurs autres. Lupin reconnut Prasville.

— Monsieur le secrétaire général, murmura-t-il, je vous salue. - Mr. Secretary General," he murmured, "I salute you. J'ai idée qu'un jour le destin nous mettra l'un en face de l'autre, et je le regrette pour vous, car vous ne m'inspirez qu'une médiocre estime, et vous passerez un sale quart d'heure. I have an idea that one day destiny will bring us face to face, and I regret it for you, because you inspire only mediocre esteem in me, and you'll have a hard time of it. Aujourd'hui, si je n'étais pas si pressé, j'attendrais votre départ et je suivrais Daubrecq pour savoir à qui il a confié l'enfant qu'il va me rendre. Today, if I weren't in such a hurry, I'd wait for you to leave and follow Daubrecq to find out to whom he's entrusted the child he's going to return to me. Mais je suis pressé. But I'm in a hurry. En outre, rien ne m'assure que Daubrecq ne va pas agir par téléphone. What's more, there's no guarantee that Daubrecq won't act by phone. Donc ne nous gaspillons pas en vains efforts, et rejoignons Victoire, Achille et notre précieuse valise. So let's not waste ourselves in vain efforts, and join Victoire, Achille and our precious suitcase.

Deux heures après, posté dans son hangar de Neuilly, toutes ses mesures prises, Lupin voyait Daubrecq qui débouchait d'une rue voisine et s'approchait avec méfiance. Two hours later, stationed in his hangar in Neuilly, with all his measurements taken, Lupin saw Daubrecq emerging from a nearby street and approaching warily.

Lupin ouvrit lui-même la grande porte.

— Vos affaires sont là, monsieur le député, dit-il. Vous pouvez vous rendre compte. You can see for yourself. Il y a un loueur de voitures à côté, vous n'avez qu'à demander un camion et des hommes. There's a rental car company next door, so all you have to do is ask for a truck and some men. Où est l'enfant ?

Daubrecq examina d'abord les objets, puis il conduisit Lupin jusqu'à l'avenue de Neuilly, où deux vieilles dames, masquées par des voiles, stationnaient avec le petit Jacques. Daubrecq first examined the objects, then led Lupin to the Avenue de Neuilly, where two old ladies, masked by veils, parked with Petit Jacques.

À son tour, Lupin emmena l'enfant jusqu'à son automobile, où l'attendait Victoire. Lupin in turn took the child to his car, where Victoire was waiting.

Tout cela fut exécuté rapidement, sans paroles inutiles, et comme si les rôles eussent été appris, les allées et venues réglées d'avance, ainsi que des entrées et des sorties de théâtre. All this was done quickly, without unnecessary words, and as if the roles had been learned, the comings and goings regulated in advance, as well as the entrances and exits of the theater.

À dix heures du soir, Lupin, selon sa promesse, rendait le petit Jacques à sa mère. Mais on dut appeler le docteur en hâte, tellement l'enfant, frappé par tous ces événements, montrait d'agitation et d'effroi.

Il lui fallut plus de deux semaines pour se rétablir et pour supporter les fatigues d'un déplacement que Lupin jugeait nécessaire. It took him more than two weeks to recover, and to endure the fatigue of a trip that Lupin considered necessary. C'est à peine, d'ailleurs, si Mme Mergy, elle-même, fut rétablie au moment de ce départ, qui eut lieu la nuit, avec toutes les précautions possibles et sous la direction de Lupin. Moreover, Mme Mergy herself was barely recovered by the time of her departure, which took place at night, with every possible precaution and under Lupin's direction.

Il conduisit la mère et le fils sur une petite plage bretonne et les confia aux soins et à la vigilance de Victoire. He took mother and son to a small Breton beach and entrusted them to Victoire's care and vigilance.

— Enfin, se dit-il, quand il les eut installés, il n'y a plus personne entre le Daubrecq et moi ! Il ne peut plus rien contre Mme Mergy et contre le gosse, et elle-même ne risque plus, par son intervention, de faire dévier la lutte. He can no longer do anything against Mme Mergy and the kid, and she herself is no longer in danger, through her intervention, of derailing the fight. Fichtre, nous avons commis assez de bêtises. Gosh, we've done enough stupid things. 1º j'ai dû me découvrir vis-à-vis de Daubrecq ; 2º j'ai dû lâcher ma part du mobilier d'Enghien. 1º ich musste mich gegenüber Daubrecq offenbaren; 2º ich musste meinen Anteil an den Möbeln von Enghien aufgeben. 1º I had to reveal myself to Daubrecq; 2º I had to let go of my share of Enghien's furniture. Certes, je la reprendrai un jour ou l'autre, cela ne fait pas l'ombre d'un doute. Natürlich werde ich sie früher oder später wieder aufnehmen, daran besteht kein Zweifel. Mais, tout de même, nous n'avançons pas, et, d'ici une huitaine, Gilbert et Vaucheray passent en cour d'assises.

Ce à quoi, dans l'aventure, Lupin était le plus sensible, c'était à la dénonciation de Daubrecq concernant son domicile de la rue Chateaubriand. Am empfindlichsten reagierte Lupin in diesem Abenteuer auf Daubrecqs Denunziation bezüglich seiner Wohnung in der Rue Chateaubriand. What Lupin was most sensitive to was Daubrecq's denunciation of his home on rue Chateaubriand. La police avait envahi ce domicile. L'identité de Lupin et de Michel Beaumont avait été reconnue, certains papiers découverts, et, Lupin, tout en poursuivant son but, tout en menant de front certaines entreprises déjà commencées, tout en évitant les recherches, plus pressantes que jamais, de la police, devait procéder, sur d'autres bases, à une réorganisation complète de ses affaires.

Aussi sa rage contre Daubrecq croissait-elle en proportion des ennuis que lui causait le député. So his rage against Daubrecq grew in proportion to the trouble the deputy was causing him. Il n'avait plus qu'un désir, l'empocher, comme il disait, le tenir à sa disposition et, de gré ou de force, lui extraire son secret. All he wanted to do was pocket it, as he put it, hold it at his disposal and, willingly or not, extract its secret. Il rêvait de tortures propres à délier la langue de l'homme le plus taciturne. Brodequins, chevalet, tenailles rougies au feu, planches hérissées de pointes… il lui semblait que l'ennemi était digne de tous les supplices, et que le but à atteindre excusait tous les moyens. Brodequins, trestles, fire-reddened pincers, boards bristling with spikes... it seemed to him that the enemy was worthy of all torments, and that the goal to be achieved excused all means.

— Ah ! se disait-il, une bonne chambre ardente, avec quelques bourreaux qui n'auraient pas froid aux yeux… On ferait de la belle besogne.

Chaque après-midi, Grognard et Le Ballu étudiaient le parcours que Daubrecq suivait entre le square Lamartine, la Chambre des députés et le cercle dont il faisait partie. Every afternoon, Grognard and Le Ballu studied the route Daubrecq took between Square Lamartine, the Chamber of Deputies and the circle to which he belonged. On devait choisir la rue la plus déserte, l'heure la plus propice et, un soir, le pousser dans une automobile. We had to choose the most deserted street, the most convenient time and, one evening, push him into an automobile.

De son côté, Lupin aménageait non loin de Paris, au milieu d'un grand jardin, une vieille bâtisse qui offrait toutes les conditions nécessaires de sécurité et d'isolement, et qu'il appelait la « Cage du Singe ».

Malheureusement, Daubrecq devait se méfier. Unfortunately, Daubrecq had to be wary. Car chaque fois, pour ainsi dire, il changeait d'itinéraire, ou bien prenait le métro, ou bien montait en tramway, et la cage demeurait vide.

Lupin combina un autre plan. Lupin came up with another plan. Il fit venir de Marseille un de ses affidés, le père Brindebois, honorable épicier en retraite, qui précisément habitait dans la circonscription électorale de Daubrecq et s'occupait de politique. He sent for one of his affianced friends from Marseille, Father Brindebois, a retired grocer who lived in Daubrecq's electoral district and was involved in politics.

De Marseille, le père Brindebois annonça sa visite à Daubrecq qui reçut avec empressement cet électeur considérable. From Marseille, Father Brindebois announced his visit to Daubrecq, who received the considerable elector with alacrity. Un dîner fut projeté pour la semaine suivante.

L'électeur proposa un petit restaurant de la rive gauche, où, disait-il, on mangeait merveille. Daubrecq accepta.

C'est ce que voulait Lupin. That's what Lupin wanted. Le propriétaire de ce restaurant comptait au nombre de ses amis. Dès lors, le coup, qui devait avoir lieu le jeudi suivant, ne pouvait manquer de réussir. From then on, the coup, scheduled for the following Thursday, was bound to succeed.

Sur ces entrefaites, le lundi de la même semaine, commença le procès de Gilbert et de Vaucheray.

On se le rappelle, et les débats sont trop récents pour que je remémore la façon vraiment incompréhensible et partiale dont le président des assises conduisit son interrogatoire à l'encontre de Gilbert. We remember, and the debates are too recent for me to recall the truly incomprehensible and biased way in which the president of the assizes conducted his questioning of Gilbert. La chose fut remarquée et jugée sévèrement. It was noticed and judged severely. Lupin reconnut là l'influence détestable de Daubrecq. Lupin recognized Daubrecq's detestable influence.

L'attitude des deux accusés fut très différente. Vaucheray, sombre, taciturne, l'expression âpre, avoua cyniquement, en phrases brèves, ironiques, presque provocantes, les crimes qu'il avait commis autrefois. Vaucheray, dark, taciturn, his expression harsh, confessed cynically, in brief, ironic, almost provocative sentences, the crimes he had committed in the past. Mais, par une contradiction inexplicable pour tout le monde, sauf pour Lupin, il se défendit de toute participation à l'assassinat du domestique Léonard et chargea violemment Gilbert. But, in a contradiction inexplicable to anyone but Lupin, he denied any involvement in the murder of the servant Léonard and violently accused Gilbert. Il voulait ainsi, en liant son sort à celui de Gilbert, obliger Lupin à prendre pour ses deux complices les mêmes mesures de délivrance. By tying his fate to Gilbert's, he wanted to force Lupin to take the same rescue measures for his two accomplices.

Quant à Gilbert, dont le visage franc, dont les yeux rêveurs et mélancoliques conquirent toutes les sympathies, il ne sut pas se garer des pièges du président, ni rétorquer les mensonges de Vaucheray. As for Gilbert, whose frank face and dreamy, melancholy eyes won over every sympathizer, he was unable to ward off the president's traps or counter Vaucheray's lies. Il pleurait, parlait trop, ou ne parlait pas quand il l'eût fallu. He cried, spoke too much, or didn't speak when he should have. En outre, son avocat, un des maîtres du barreau, malade au dernier moment (et là encore Lupin voulut voir la main de Daubrecq) fut remplacé par un secrétaire, lequel plaida mal, prit l'affaire à contresens, indisposa le jury, et ne put effacer l'impression qu'avaient produite le réquisitoire de l'avocat général et la plaidoirie de l'avocat de Vaucheray. Außerdem war sein Anwalt, ein Meister der Anwaltskammer, im letzten Moment erkrankt (und auch hier wollte Lupin die Hand Daubrecqs sehen) und wurde durch einen Sekretär ersetzt, der schlecht plädierte, den Fall falsch aufnahm, die Geschworenen verärgerte und den Eindruck, den die Anklage des Generalanwalts und das Plädoyer des Anwalts de Vaucheray hinterlassen hatten, nicht mehr rückgängig machen konnte. What's more, his lawyer, one of the masters of the bar, was taken ill at the last moment (and here again Lupin wanted to see Daubrecq's hand) and replaced by a secretary, who pleaded badly, took the case in the wrong direction, upset the jury, and was unable to erase the impression made by the public prosecutor's indictment and Vaucheray's closing arguments.

Lupin, qui eut l'audace inconcevable d'assister à la dernière journée des débats, le jeudi, ne douta pas du résultat. Lupin, who had the inconceivable audacity to attend the final day of debates on Thursday, had no doubts about the outcome. La double condamnation était certaine.

Elle était certaine, parce que tous les efforts de la justice, corroborant ainsi la tactique de Vaucheray, avaient tendu à solidariser étroitement les deux accusés. It was certain, because all the efforts of justice, corroborating Vaucheray's tactics, had tended to bring the two defendants together. Elle était certaine, ensuite et surtout, parce qu'il s'agissait des deux complices de Lupin. She was certain, secondly and above all, because they were Lupin's two accomplices. Depuis l'ouverture de l'instruction jusqu'au prononcé du jugement, et bien que la justice, faute de preuves suffisantes, et aussi pour ne point disséminer ses efforts, n'eût pas voulu impliquer Lupin dans l'affaire, tout le procès fut dirigé contre Lupin. From the opening of the investigation to the pronouncement of the verdict, and despite the fact that the justice system, for lack of sufficient evidence, and also in order not to spread its efforts too thinly, did not want to implicate Lupin in the case, the entire trial was directed against Lupin. C'était lui l'adversaire que l'on voulait atteindre ; lui, le chef qu'il fallait punir en la personne de ses amis ; lui, le bandit célèbre et sympathique, dont on devait détruire le prestige aux yeux de la foule. Gilbert et Vaucheray exécutés, l'auréole de Lupin s'évanouissait. Gilbert and Vaucheray executed, Lupin's halo vanished. La légende prenait fin. The legend had come to an end.

Lupin… Lupin… Arsène Lupin… on n'entendit que ce nom durant les quatre jours. L'avocat général, le président, les jurés, les avocats, les témoins, n'avaient pas d'autres mots à la bouche. À tout instant on invoquait Lupin pour le maudire, pour le bafouer, pour l'outrager, pour le rendre responsable de toutes les fautes commises. Lupin was invoked at every turn to curse him, to scorn him, to outrage him, to blame him for all the mistakes he had made. On eût dit que Gilbert et Vaucheray ne figuraient que comme comparses, et qu'on faisait son procès à lui, le sieur Lupin, Lupin cambrioleur, chef de bande, faussaire, incendiaire, récidiviste, ancien forçat ! It was as if Gilbert and Vaucheray were only there as companions, and that they were putting him on trial, Sieur Lupin, burglar Lupin, gang leader, forger, arsonist, recidivist, ex-convict! Lupin assassin, Lupin souillé par le sang de sa victime, Lupin qui restait lâchement dans l'ombre après avoir poussé ses amis jusqu'au pied de l'échafaud ! Lupin the murderer, Lupin stained by the blood of his victim, Lupin who cowardly remained in the shadows after having pushed his friends to the foot of the scaffold!

— Ah ! ils savent bien ce qu'ils font ! they know what they're doing! murmura-t-il. C'est ma dette que va payer mon pauvre grand gamin de Gilbert. It's my debt that my poor big kid Gilbert is going to pay. C'est moi le vrai coupable.

Et le drame se déroula, effrayant.

À sept heures du soir, après une longue délibération, les jurés revinrent en séance, et le président du jury donna lecture des réponses aux questions posées par la Cour. C'était « oui » sur tous les points. C'était la culpabilité et le rejet des circonstances atténuantes. It was guilt and the rejection of extenuating circumstances.

On fit rentrer les deux accusés. The two defendants were let in.

Debout, chancelants et blêmes, ils écoutèrent la sentence de mort. Standing, staggering and pale, they listened to the death sentence.

Et, dans le grand silence solennel, où l'anxiété du public se mêlait de pitié, le président des assises demanda :

— Vous n'avez rien à ajouter, Vaucheray ?

— Rien, monsieur le président ; du moment que mon camarade est condamné comme moi, je suis tranquille… Nous sommes sur le même pied tous les deux… Faudra donc que le patron trouve un truc pour nous sauver tous les deux. - Nothing, Mr. President; as long as my comrade is condemned like me, I'm safe... We're both on the same footing... So the boss will have to find a way to save us both.

— Le patron ?

— Oui, Arsène Lupin.

Il y eut un rire parmi la foule.

Le Président reprit :

— Et vous, Gilbert ?

Des larmes roulaient sur les joues du malheureux ; il balbutia quelques phrases inintelligibles.