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Le bouchon de cristal, Maurice Leblanc, V. — Les Vingt-Sept (3)

V. — Les Vingt-Sept (3)

Achevez, je vous en prie… Comment avez-vous su, le soir même, les événements d'Enghien ?

Elle se domina et, le visage contracté d'angoisse et de fièvre, elle répondit :

— Par deux de vos complices, ou plutôt par deux complices de Vaucheray à qui ils étaient entièrement dévoués et qu'il avait choisis pour conduire les deux barques.

— Ceux qui sont là dehors, Grognard et Le Ballu ?

— Oui.

À votre retour de la villa, lorsque, poursuivi sur le lac par le commissaire de police, vous avez abordé, vous leur avez jeté quelques mots d'explication tout en vous dirigeant vers votre automobile. Affolés, ils sont accourus chez moi, où ils étaient déjà venus, et m'ont appris l'affreuse nouvelle. Gilbert était en prison ! Ah ! l'effroyable nuit ! Que faire ? Vous chercher ? Certes, et implorer votre secours ! Mais où vous retrouver ? C'est alors que Grognard et Le Ballu, acculés par les circonstances, se décidèrent à m'expliquer le rôle de leur ami Vaucheray, ses ambitions, son dessein longuement mûri…

— De se débarrasser de moi, n'est-ce pas ? ricana Lupin.

— Oui, Gilbert ayant toute votre confiance, il surveillait Gilbert et, par là, il connut tous vos domiciles. Quelques jours encore, une fois possesseur du bouchon de cristal, maître de la liste des vingt-sept, héritier de la toute puissance de Daubrecq, il vous livrait à la police, sans que votre bande, désormais la sienne, fût seulement compromise.

— Imbécile ! murmura Lupin… un sous-ordre comme lui !

Et il ajouta :

— Ainsi donc, les panneaux des portes…

— Furent découpés par ses soins, en prévision de la lutte qu'il entamait contre vous et contre Daubrecq, chez qui il commença la même besogne. Il avait à sa disposition une sorte d'acrobate, un nain d'une maigreur extrême auquel ces orifices suffisaient et qui surprenait ainsi toute votre correspondance et tous vos secrets. Voilà ce que ses deux amis me révélèrent. Tout de suite j'eus cette idée ! me servir, pour sauver mon fils aîné, de son frère, de mon petit Jacques, si mince lui aussi et si intelligent, si brave comme vous avez pu le voir. Nous partîmes dans la nuit. Sur les indications de mes compagnons, je trouvai, au domicile personnel de Gilbert, les doubles clefs de votre appartement de la rue Matignon, où vous deviez coucher, paraît-il. En route, Grognard et Le Ballu me confirmèrent dans ma résolution, et je pensais beaucoup moins à vous demander secours qu'à vous reprendre le bouchon de cristal, lequel évidemment, s'il avait été découvert à Enghien, devait être chez vous. Je ne me trompais pas. Au bout de quelques minutes mon petit Jacques, qui s'était introduit dans votre chambre, me le rapportait. Je m'en allai frémissante d'espoir. Maîtresse à mon tour du talisman, le gardant pour moi seule, sans en prévenir Prasville, j'avais tout pouvoir sur Daubrecq. Je le faisais agir à ma guise et, dirigé par moi, esclave de ma volonté, il multiplierait les démarches en faveur de Gilbert, obtiendrait qu'on le laissât évader, ou tout au moins qu'on ne le condamnât pas. C'était le salut.

— Eh bien ?

Clarisse se leva dans un élan de tout son être, se pencha sur Lupin, et lui dit d'une voix sourde :

— Il n'y avait rien dans ce morceau de cristal, rien, vous entendez, aucun papier, aucune cachette. Toute l'expédition d'Enghien était inutile ! Inutile, le meurtre de Léonard ! Inutile, l'arrestation de mon fils ! Inutiles, tous mes efforts !

— Mais pourquoi ? Pourquoi ?

— Pourquoi ? Vous aviez volé à Daubrecq, non pas le bouchon fabriqué sur son ordre, mais le bouchon qui avait servi de modèle au verrier John Howard, de Stourbridge.

Si Lupin n'avait pas été en face d'une douleur aussi profonde, il n'eût pu retenir quelqu'une de ces boutades ironiques que lui inspirent les malices du destin.

Il dit entre ses dents :

— Est-ce bête ? Et d'autant plus bête qu'on avait donné l'éveil à Daubrecq.

— Non, dit-elle, le jour même, je me rendis à Enghien. Dans tout cela Daubrecq n'avait vu et ne voit encore aujourd'hui qu'un cambriolage ordinaire, qu'une mainmise sur ses collections. Votre participation l'a induit en erreur.

— Cependant, ce bouchon disparu…

— D'abord cet objet ne peut avoir pour lui qu'une importance secondaire, puisque ce n'est que le modèle.

— Comment le savez-vous ?

— Il y a une éraflure à la base de la tige, et je me suis renseignée depuis en Angleterre.

— Soit, mais pourquoi la clef du placard où il fut volé ne quittait-elle pas le domestique ? et pourquoi, en second lieu, l'a-t-on retrouvé dans le tiroir d'une table chez Daubrecq, à Paris ?

— Évidemment Daubrecq y fait attention, et il y tient comme on tient au modèle d'une chose qui a de la valeur. Et c'est précisément pourquoi j'ai remis ce bouchon dans le placard, avant qu'il n'en eût constaté la disparition. Et c'est pourquoi aussi, la seconde fois, je vous fis reprendre le bouchon par mon petit Jacques, dans la poche même de votre pardessus, et le fis replacer par la concierge.

— Alors, il ne soupçonne rien ?

— Rien, il sait qu'on cherche la liste, mais il ignore que Prasville et moi nous connaissons l'objet où il la cache.

Lupin s'était levé et marchait à travers la pièce en réfléchissant. Puis il s'arrêta près de Clarisse Mergy.

— En somme, depuis les événements d'Enghien, vous n'avez pas fait un seul pas en avant ?

— Pas un seul, dit-elle. J'ai agi au jour le jour, conduite par ces deux hommes ou bien les conduisant, tout cela sans plan précis.

— Ou du moins, dit-il, sans autre plan que d'arracher à Daubrecq la liste des vingt-sept.

— Oui, mais comment ? En outre, vos manœuvres me gênaient, nous n'avions pas tardé à reconnaître, dans la nouvelle cuisinière de Daubrecq, votre vieille servante Victoire et à découvrir, grâce aux indications de la concierge, que Victoire vous donnait asile, et j'avais peur de vos projets.

— C'est vous, n'est-ce pas, qui m'écriviez de me retirer de la lutte ?

— Oui.

— Vous également qui me demandiez de ne pas aller au théâtre le soir du Vaudeville ?

— Oui, la concierge avait surpris Victoire écoutant la conversation que Daubrecq et moi nous avions par téléphone, et Le Ballu, qui surveillait la maison, vous avait vu sortir. Je pensais donc bien que vous fileriez Daubrecq, le soir.

— Et l'ouvrière qui est venue ici, une fin d'après-midi ?

— C'était moi, moi, découragée, qui voulais vous voir.

— Et c'est vous qui avez intercepté la lettre de Gilbert ?

— Oui, j'avais reconnu son écriture sur l'enveloppe.

— Mais votre petit Jacques n'était pas avec vous ?

— Non. Il était dehors, en automobile avec Le Ballu. Je l'ai fait monter par la fenêtre du salon, et il s'est glissé dans cette chambre par l'orifice du panneau.

— Que contenait la lettre ?

— Malheureusement des reproches de Gilbert. Il vous accusait de le délaisser, de prendre l'affaire à votre compte. Bref, cela me confirmait dans ma méfiance. Je me suis enfuie.

Lupin haussa les épaules avec irritation.

— Que de temps perdu ! Et par quelle fatalité n'avons-nous pas pu nous entendre plus tôt ? Nous jouions tous deux à cache-cache… Nous nous tendions des pièges absurdes… Et les jours passaient, des jours précieux, irréparables.

— Vous voyez, vous voyez, dit-elle en frissonnant… vous aussi, vous avez peur de l'avenir !

— Non, je n'ai pas peur, s'écria Lupin. Mais je pense à ce que nous aurions pu déjà accomplir d'utile si nous avions réuni nos efforts. Je pense à toutes les erreurs, à toutes les imprudences que notre accord nous eût évitées. Je pense que votre tentative de cette nuit pour fouiller les vêtements que porte Daubrecq fut tout aussi vaine que les autres, et que, en ce moment, grâce à notre duel stupide, grâce au tumulte que nous avons fait dans son hôtel, Daubrecq est averti et se tiendra sur ses gardes plus encore qu'auparavant.

Clarisse Mergy hocha la tête.

— Non, non, je ne crois pas, le bruit n'a pas dû le réveiller, car nous avions retardé d'un jour cette tentative pour que la concierge pût mêler à son vin un narcotique très violent.

Et elle ajouta lentement :

— Et puis, voyez-vous, aucun événement ne fera que Daubrecq se tienne davantage sur ses gardes. Sa vie n'est qu'un ensemble de précautions contre le danger. Rien n'est laissé au hasard… D'ailleurs, n'a-t-il pas tous les atouts dans les mains ?

Lupin s'approcha et lui demanda :

— Que voulez-vous dire ? Selon vous, il n'y aurait donc pas d'espoir de ce côté ? Il n'y aurait pas un seul moyen pour arriver au but ?

— Si, murmura-t-elle, il y en a un, un seul…

Avant qu'elle eût caché de nouveau son visage entre ses mains, il remarqua sa pâleur. Et de nouveau un frisson de fièvre la secoua tout entière.

Il crut comprendre la raison de son épouvante, et, se penchant vers elle, ému par sa douleur :

— Je vous en prie, répondez sans détours. C'est à cause de Gilbert, n'est-ce pas ?… Si la justice n'a pas pu, heureusement, déchiffrer l'énigme de son passé, si l'on ne sait pas jusqu'ici le véritable nom du complice de Vaucheray, quelqu'un tout au moins le sait, n'est-ce pas ? N'est-ce pas ? Daubrecq a reconnu votre fils Antoine sous le masque de Gilbert ?

— Oui, oui…

— Et il vous promet de le sauver, n'est-ce pas ? Il vous offre sa liberté, son évasion, je ne sais quoi… C'est cela, n'est-ce pas, qu'il vous a offert une nuit, dans son bureau, une nuit où vous avez voulu le frapper ?…

— Oui… oui… c'est cela…

— Et comme condition, une seule, n'est-ce pas ? une condition abominable, telle que ce misérable pouvait l'imaginer ? j'ai compris, n'est-ce pas ?

Clarisse ne répondit point. Elle semblait épuisée par une longue lutte contre un ennemi qui, chaque jour, gagnait du terrain, et contre qui il était vraiment impossible qu'elle combattît. Lupin vit en elle la proie conquise d'avance, livrée au caprice du vainqueur. Clarisse Mergy, la femme aimante de ce Mergy que Daubrecq avait réellement assassiné, la mère épouvantée de ce Gilbert que Daubrecq avait dévoyé, Clarisse Mergy, pour sauver son fils de l'échafaud, devrait, quoi qu'il advînt, et quelle que fût l'ignominie de la chose, se soumettre au désir de Daubrecq. Elle serait la maîtresse, la femme, l'esclave obéissante de Daubrecq, de ce monstre à la silhouette et aux allures de bête fauve, de ce personnage innommable auquel Lupin ne pouvait songer sans un soulèvement de révolte et de dégoût.

S'asseyant auprès d'elle, doucement avec des gestes de compassion, il la contraignit à lever la tête, et il lui dit, les yeux dans les yeux :

— Écoutez-moi bien. Je vous jure de sauver votre fils… je vous le jure… votre fils ne mourra pas, vous entendez… il n'y a pas de force au monde qui puisse faire que, moi vivant, l'on touche à la tête de votre fils.

— Je vous crois… J'ai confiance en votre parole.

— Ayez confiance… c'est la parole d'un homme qui ne connaît pas la défaite. Je réussirai. Seulement, je vous supplie de prendre un engagement irrévocable.

— Lequel ?

— Vous ne verrez plus Daubrecq.

— Je vous le jure !

— Vous chasserez de votre esprit toute idée, toute crainte… si obscure soit-elle, d'un accord entre vous et lui… d'un marché quelconque…

— Je vous le jure.

Elle le regardait avec une expression de sécurité et d'abandon absolu, et, sous son regard, il éprouvait l'allégresse de se dévouer, et le désir ardent de rendre à cette femme le bonheur, ou, tout au moins, la paix et l'oubli qui ferment les blessures.

— Allons, dit-il en se levant, et d'un ton joyeux, tout ira bien. Nous avons deux mois, trois mois devant nous. C'est plus qu'il n'en faut… à condition, bien entendu, que je sois libre de mes mouvements. Et pour cela, voyez-vous, vous devez vous retirer de la bataille.

— Comment ?

— Oui, disparaître pendant quelque temps, vous installer à la campagne. D'ailleurs, n'avez-vous pas pitié de votre petit Jacques ? À ce jeu-là, on lui démolirait les nerfs, au pauvre gosse… Et vrai, il a bien gagné son repos… N'est-ce pas, Hercule ?

⁂ Le lendemain, Clarisse Mergy, que tant d'événements avaient abattue et qui, elle aussi, sous peine de tomber malade, avait besoin d'un peu de répit, prenait pension avec son fils chez une dame de ses amies dont la maison s'élevait à la lisière même de la forêt de Saint-Germain.

V. — Les Vingt-Sept (3) V. - The Twenty-Seven (3)

Achevez, je vous en prie… Comment avez-vous su, le soir même, les événements d'Enghien ? How did you find out about the events at Enghien that very evening?

Elle se domina et, le visage contracté d'angoisse et de fièvre, elle répondit : She dominated herself and, her face contracted with anguish and fever, she replied:

— Par deux de vos complices, ou plutôt par deux complices de Vaucheray à qui ils étaient entièrement dévoués et qu'il avait choisis pour conduire les deux barques. - By two of your accomplices, or rather by two of Vaucheray's accomplices to whom they were entirely devoted and whom he had chosen to drive the two boats.

— Ceux qui sont là dehors, Grognard et Le Ballu ? - The ones out there, Grognard and Le Ballu?

— Oui.

À votre retour de la villa, lorsque, poursuivi sur le lac par le commissaire de police, vous avez abordé, vous leur avez jeté quelques mots d'explication tout en vous dirigeant vers votre automobile. On your return from the villa, when you were chased along the lake by the police commissioner, you approached them and said a few words of explanation as you made your way to your car. Affolés, ils sont accourus chez moi, où ils étaient déjà venus, et m'ont appris l'affreuse nouvelle. Panic-stricken, they rushed to my house, where they'd been before, and told me the awful news. Gilbert était en prison ! Ah ! l'effroyable nuit ! Que faire ? What to do? Vous chercher ? Looking for you? Certes, et implorer votre secours ! Certainly, and implore your help! Mais où vous retrouver ? But where to find you? C'est alors que Grognard et Le Ballu, acculés par les circonstances, se décidèrent à m'expliquer le rôle de leur ami Vaucheray, ses ambitions, son dessein longuement mûri… It was then that Grognard and Le Ballu, forced by circumstances, decided to explain to me the role of their friend Vaucheray, his ambitions, his long-cherished plan...

— De se débarrasser de moi, n'est-ce pas ? - To get rid of me, right? ricana Lupin.

— Oui, Gilbert ayant toute votre confiance, il surveillait Gilbert et, par là, il connut tous vos domiciles. - Yes, since Gilbert had your full confidence, he kept an eye on Gilbert and, as a result, knew all your addresses. Quelques jours encore, une fois possesseur du bouchon de cristal, maître de la liste des vingt-sept, héritier de la toute puissance de Daubrecq, il vous livrait à la police, sans que votre bande, désormais la sienne, fût seulement compromise. A few days later, once he had the crystal stopper, mastered the list of the twenty-seven, inherited Daubrecq's omnipotence, he would hand you over to the police, without your gang, now his, being compromised.

— Imbécile ! murmura Lupin… un sous-ordre comme lui ! murmured Lupin... a sub-order like him!

Et il ajouta :

— Ainsi donc, les panneaux des portes… - So, the door panels...

— Furent découpés par ses soins, en prévision de la lutte qu'il entamait contre vous et contre Daubrecq, chez qui il commença la même besogne. - These were cut out by him, in anticipation of the battle he was starting against you and Daubrecq, where he began the same task. Il avait à sa disposition une sorte d'acrobate, un nain d'une maigreur extrême auquel ces orifices suffisaient et qui surprenait ainsi toute votre correspondance et tous vos secrets. He had at his disposal a sort of acrobat, an extremely skinny dwarf for whom these orifices were enough, and who thus surprised all your correspondence and all your secrets. Voilà ce que ses deux amis me révélèrent. This is what his two friends told me. Tout de suite j'eus cette idée ! I immediately had this idea! me servir, pour sauver mon fils aîné, de son frère, de mon petit Jacques, si mince lui aussi et si intelligent, si brave comme vous avez pu le voir. Nous partîmes dans la nuit. We set off into the night. Sur les indications de mes compagnons, je trouvai, au domicile personnel de Gilbert, les doubles clefs de votre appartement de la rue Matignon, où vous deviez coucher, paraît-il. On the instructions of my companions, I found, at Gilbert's personal residence, the duplicate keys to your apartment in the rue Matignon, where you were supposed to sleep. En route, Grognard et Le Ballu me confirmèrent dans ma résolution, et je pensais beaucoup moins à vous demander secours qu'à vous reprendre le bouchon de cristal, lequel évidemment, s'il avait été découvert à Enghien, devait être chez vous. On the way, Grognard and Le Ballu confirmed my resolution, and I thought much less of asking you for help than of taking back the crystal cork, which obviously, if it had been discovered in Enghien, had to be with you. Matkalla Grognard ja Le Ballu vahvistivat päätökseni, ja ajattelin paljon vähemmän pyytää teiltä apua kuin ottaa takaisin kristallikorkin, jonka oli tietenkin oltava teillä, jos se oli löydetty Enghienistä. Je ne me trompais pas. Au bout de quelques minutes mon petit Jacques, qui s'était introduit dans votre chambre, me le rapportait. After a few minutes, my little Jacques, who had sneaked into your room, brought it back to me. Je m'en allai frémissante d'espoir. I went away trembling with hope. Maîtresse à mon tour du talisman, le gardant pour moi seule, sans en prévenir Prasville, j'avais tout pouvoir sur Daubrecq. Master of the talisman in my turn, keeping it for myself, without telling Prasville, I had all the power over Daubrecq. Je le faisais agir à ma guise et, dirigé par moi, esclave de ma volonté, il multiplierait les démarches en faveur de Gilbert, obtiendrait qu'on le laissât évader, ou tout au moins qu'on ne le condamnât pas. I'd let him do as I pleased and, directed by me, a slave to my will, he'd multiply his efforts on Gilbert's behalf, get him to escape, or at least not be condemned. C'était le salut. It was salvation.

— Eh bien ?

Clarisse se leva dans un élan de tout son être, se pencha sur Lupin, et lui dit d'une voix sourde : Clarisse rose in a rush of her whole being, leaned over Lupin, and said to him in a dull voice:

— Il n'y avait rien dans ce morceau de cristal, rien, vous entendez, aucun papier, aucune cachette. - There was nothing in that piece of crystal, nothing, you understand, no paper, no hiding place. Toute l'expédition d'Enghien était inutile ! Inutile, le meurtre de Léonard ! Inutile, l'arrestation de mon fils ! Inutiles, tous mes efforts !

— Mais pourquoi ? Pourquoi ?

— Pourquoi ? Vous aviez volé à Daubrecq, non pas le bouchon fabriqué sur son ordre, mais le bouchon qui avait servi de modèle au verrier John Howard, de Stourbridge. You had stolen from Daubrecq, not the cork he had ordered, but the cork that had served as a model for Stourbridge glassmaker John Howard.

Si Lupin n'avait pas été en face d'une douleur aussi profonde, il n'eût pu retenir quelqu'une de ces boutades ironiques que lui inspirent les malices du destin. Had Lupin not been faced with such profound grief, he would have been unable to hold back one of those ironic quips inspired by the misfortunes of fate.

Il dit entre ses dents :

— Est-ce bête ? - Is it silly? - Onko se typerää? Et d'autant plus bête qu'on avait donné l'éveil à Daubrecq. And all the more stupid because Daubrecq had been given a wake-up call. Ja sitäkin typerämpää, koska Daubrecq oli saanut herätyksen.

— Non, dit-elle, le jour même, je me rendis à Enghien. - No," she said, "I went to Enghien that very day. Dans tout cela Daubrecq n'avait vu et ne voit encore aujourd'hui qu'un cambriolage ordinaire, qu'une mainmise sur ses collections. In all this, Daubrecq saw, and still sees today, nothing more than an ordinary burglary, a takeover of his collections. Votre participation l'a induit en erreur. Your participation misled him.

— Cependant, ce bouchon disparu…

— D'abord cet objet ne peut avoir pour lui qu'une importance secondaire, puisque ce n'est que le modèle. - First of all, this object can only be of secondary importance to him, since it's only the model.

— Comment le savez-vous ? - How do you know?

— Il y a une éraflure à la base de la tige, et je me suis renseignée depuis en Angleterre. - There is a scratch at the base of the stem, and I have since made enquiries in England.

— Soit, mais pourquoi la clef du placard où il fut volé ne quittait-elle pas le domestique ? - But why did the key to the cupboard where it was stolen remain with the servant? - Mutta miksi avain kaappiin, josta se varastettiin, oli aina palvelijan luona? et pourquoi, en second lieu, l'a-t-on retrouvé dans le tiroir d'une table chez Daubrecq, à Paris ? and why, secondly, was it found in a table drawer at Daubrecq's home in Paris? ja toiseksi, miksi se löydettiin pöytälaatikosta Daubrecqin liikkeestä Pariisissa?

— Évidemment Daubrecq y fait attention, et il y tient comme on tient au modèle d'une chose qui a de la valeur. - Of course, Daubrecq is careful about this, and holds on to it as one would to the model of something valuable. Et c'est précisément pourquoi j'ai remis ce bouchon dans le placard, avant qu'il n'en eût constaté la disparition. And that's precisely why I put that cork back in the closet, before he noticed it was missing. Et c'est pourquoi aussi, la seconde fois, je vous fis reprendre le bouchon par mon petit Jacques, dans la poche même de votre pardessus, et le fis replacer par la concierge. And that's why, on the second occasion, I had my little Jacques take the cork from the pocket of your overcoat, and had the concierge replace it.

— Alors, il ne soupçonne rien ?

— Rien, il sait qu'on cherche la liste, mais il ignore que Prasville et moi nous connaissons l'objet où il la cache. - Nothing, he knows we're looking for the list, but he doesn't know that Prasville and I know where he's hiding it.

Lupin s'était levé et marchait à travers la pièce en réfléchissant. Lupin had gotten up and was walking across the room, thinking. Puis il s'arrêta près de Clarisse Mergy.

— En somme, depuis les événements d'Enghien, vous n'avez pas fait un seul pas en avant ? - In short, you haven't taken a single step forward since the events at Enghien? - Lyhyesti sanottuna, ette ole ottaneet yhtään askelta eteenpäin Enghienin tapahtumien jälkeen?

— Pas un seul, dit-elle. - Not one," she says. J'ai agi au jour le jour, conduite par ces deux hommes ou bien les conduisant, tout cela sans plan précis. I acted from day to day, led by these two men or leading them, all without a precise plan.

— Ou du moins, dit-il, sans autre plan que d'arracher à Daubrecq la liste des vingt-sept. - Or at least, he says, with no plan other than to wrest the list of twenty-seven from Daubrecq.

— Oui, mais comment ? En outre, vos manœuvres me gênaient, nous n'avions pas tardé à reconnaître, dans la nouvelle cuisinière de Daubrecq, votre vieille servante Victoire et à découvrir, grâce aux indications de la concierge, que Victoire vous donnait asile, et j'avais peur de vos projets. What's more, your maneuvers were bothering me. It wasn't long before we recognized your old servant Victoire in Daubrecq's new cook and discovered, thanks to the concierge's indications, that Victoire was giving you shelter, and I was afraid of your plans.

— C'est vous, n'est-ce pas, qui m'écriviez de me retirer de la lutte ?

— Oui.

— Vous également qui me demandiez de ne pas aller au théâtre le soir du Vaudeville ? - You, too, who used to ask me not to go to the theater on Vaudeville night?

— Oui, la concierge avait surpris Victoire écoutant la conversation que Daubrecq et moi nous avions par téléphone, et Le Ballu, qui surveillait la maison, vous avait vu sortir. Je pensais donc bien que vous fileriez Daubrecq, le soir. Ich dachte mir also, dass Sie Daubrecq am Abend beschatten würden. I thought you'd be shadowing Daubrecq in the evening.

— Et l'ouvrière qui est venue ici, une fin d'après-midi ? - And the worker who came here one late afternoon?

— C'était moi, moi, découragée, qui voulais vous voir. - It was me, me, discouraged, who wanted to see you.

— Et c'est vous qui avez intercepté la lettre de Gilbert ? - And it was you who intercepted Gilbert's letter?

— Oui, j'avais reconnu son écriture sur l'enveloppe.

— Mais votre petit Jacques n'était pas avec vous ?

— Non. Il était dehors, en automobile avec Le Ballu. Je l'ai fait monter par la fenêtre du salon, et il s'est glissé dans cette chambre par l'orifice du panneau. I took him upstairs through the living room window, and he slipped into this room through the panel hole.

— Que contenait la lettre ?

— Malheureusement des reproches de Gilbert. - Unfortunately, Gilbert's reproaches. Il vous accusait de le délaisser, de prendre l'affaire à votre compte. He accused you of abandoning him, of taking over the business. Bref, cela me confirmait dans ma méfiance. In short, it confirmed my mistrust. Je me suis enfuie. I ran away.

Lupin haussa les épaules avec irritation.

— Que de temps perdu ! - What a waste of time! Et par quelle fatalité n'avons-nous pas pu nous entendre plus tôt ? And why couldn't we have come to an agreement earlier? Nous jouions tous deux à cache-cache… Nous nous tendions des pièges absurdes… Et les jours passaient, des jours précieux, irréparables. We both played hide-and-seek... We set absurd traps for each other... And the days went by, precious, irreparable days.

— Vous voyez, vous voyez, dit-elle en frissonnant… vous aussi, vous avez peur de l'avenir ! - You see, you see," she said, shivering, "you're afraid of the future too!

— Non, je n'ai pas peur, s'écria Lupin. Mais je pense à ce que nous aurions pu déjà accomplir d'utile si nous avions réuni nos efforts. But I can't help thinking how much more we could have achieved if we'd joined forces. Je pense à toutes les erreurs, à toutes les imprudences que notre accord nous eût évitées. I think of all the mistakes, all the imprudence that our agreement would have spared us. Je pense que votre tentative de cette nuit pour fouiller les vêtements que porte Daubrecq fut tout aussi vaine que les autres, et que, en ce moment, grâce à notre duel stupide, grâce au tumulte que nous avons fait dans son hôtel, Daubrecq est averti et se tiendra sur ses gardes plus encore qu'auparavant. I think your attempt last night to search Daubrecq's clothes was just as futile as all the others, and that right now, thanks to our stupid duel, thanks to the uproar we've caused in his hotel, Daubrecq has been warned and will be on his guard even more than before.

Clarisse Mergy hocha la tête.

— Non, non, je ne crois pas, le bruit n'a pas dû le réveiller, car nous avions retardé d'un jour cette tentative pour que la concierge pût mêler à son vin un narcotique très violent. - No, no, I don't think so, the noise must not have woken him up, because we had delayed this attempt for a day so that the concierge could mix a very violent narcotic with her wine. - Ei, ei, en usko, melu ei varmaankaan herättänyt häntä, koska olimme lykänneet tätä yritystä päivällä, jotta concierge voisi sekoittaa viiniinsä erittäin voimakkaan huumaavan aineen.

Et elle ajouta lentement :

— Et puis, voyez-vous, aucun événement ne fera que Daubrecq se tienne davantage sur ses gardes. - And then, you see, no event will make Daubrecq more wary. - Eikä Daubrecqin varovaisuutta lisää mikään. Sa vie n'est qu'un ensemble de précautions contre le danger. His life is a series of precautions against danger. Rien n'est laissé au hasard… D'ailleurs, n'a-t-il pas tous les atouts dans les mains ? Nothing is left to chance... And doesn't he have all the trump cards up his sleeve?

Lupin s'approcha et lui demanda : Lupin approached him and asked:

— Que voulez-vous dire ? - What do you mean? Selon vous, il n'y aurait donc pas d'espoir de ce côté ? So, in your opinion, there's no hope on this front? Il n'y aurait pas un seul moyen pour arriver au but ? Isn't there just one way to get there?

— Si, murmura-t-elle, il y en a un, un seul… - Yes," she murmured, "there is one, just one...

Avant qu'elle eût caché de nouveau son visage entre ses mains, il remarqua sa pâleur. Before she had hidden her face in her hands again, he noticed how pale she was. Et de nouveau un frisson de fièvre la secoua tout entière.

Il crut comprendre la raison de son épouvante, et, se penchant vers elle, ému par sa douleur : He thought he understood the reason for her horror, and, leaning towards her, moved by her pain:

— Je vous en prie, répondez sans détours. - Please, answer straightforwardly. - Vastatkaa suoraan. C'est à cause de Gilbert, n'est-ce pas ?… Si la justice n'a pas pu, heureusement, déchiffrer l'énigme de son passé, si l'on ne sait pas jusqu'ici le véritable nom du complice de Vaucheray, quelqu'un tout au moins le sait, n'est-ce pas ? It's because of Gilbert, isn't it? If, fortunately, justice hasn't been able to decipher the enigma of his past, if we don't yet know the real name of Vaucheray's accomplice, someone at least knows, don't you think? Jos tuomioistuimet eivät onneksi ole pystyneet purkamaan hänen menneisyytensä arvoitusta, jos emme vielä tiedä Vaucherayn rikoskumppanin oikeaa nimeä, niin ainakin joku tietää, eikö totta? N'est-ce pas ? Daubrecq a reconnu votre fils Antoine sous le masque de Gilbert ?

— Oui, oui…

— Et il vous promet de le sauver, n'est-ce pas ? Il vous offre sa liberté, son évasion, je ne sais quoi… C'est cela, n'est-ce pas, qu'il vous a offert une nuit, dans son bureau, une nuit où vous avez voulu le frapper ?… He's offering you his freedom, his escape, I don't know what... That's what he offered you one night in his office, one night when you wanted to hit him... Hän tarjoaa sinulle vapauttaan, pakoaan, en tiedä mitä... Sitä hän tarjosi sinulle eräänä iltana toimistossaan, kun halusit lyödä häntä.....

— Oui… oui… c'est cela…

— Et comme condition, une seule, n'est-ce pas ? une condition abominable, telle que ce misérable pouvait l'imaginer ? an abominable condition, such as this wretch could imagine? j'ai compris, n'est-ce pas ?

Clarisse ne répondit point. Elle semblait épuisée par une longue lutte contre un ennemi qui, chaque jour, gagnait du terrain, et contre qui il était vraiment impossible qu'elle combattît. She seemed exhausted by a long struggle against an enemy that was gaining ground every day, and against whom it was truly impossible for her to fight. Lupin vit en elle la proie conquise d'avance, livrée au caprice du vainqueur. Lupin saw in her the prey conquered in advance, delivered to the whim of the victor. Lupin näki hänessä etukäteen valloitetun saaliin, joka oli luovutettu voittajan mielivallan armoille. Clarisse Mergy, la femme aimante de ce Mergy que Daubrecq avait réellement assassiné, la mère épouvantée de ce Gilbert que Daubrecq avait dévoyé, Clarisse Mergy, pour sauver son fils de l'échafaud, devrait, quoi qu'il advînt, et quelle que fût l'ignominie de la chose, se soumettre au désir de Daubrecq. Clarisse Mergy, the loving wife of this Mergy whom Daubrecq had really murdered, the appalled mother of this Gilbert whom Daubrecq had led astray, Clarisse Mergy, in order to save her son from the scaffold, would have to submit to Daubrecq's wishes, no matter what, no matter how ignominious. Elle serait la maîtresse, la femme, l'esclave obéissante de Daubrecq, de ce monstre à la silhouette et aux allures de bête fauve, de ce personnage innommable auquel Lupin ne pouvait songer sans un soulèvement de révolte et de dégoût. She would be the mistress, the wife, the obedient slave of Daubrecq, of this monster with the silhouette and look of a wild beast, of this unspeakable character whom Lupin could not think of without a revolt of disgust.

S'asseyant auprès d'elle, doucement avec des gestes de compassion, il la contraignit à lever la tête, et il lui dit, les yeux dans les yeux : Er setzte sich zu ihr, sanft mit mitfühlenden Gesten, zwang sie, den Kopf zu heben, und sagte ihr Auge in Auge: Sitting down beside her, gently with compassionate gestures, he compelled her to raise her head, and said, eye to eye:

— Écoutez-moi bien. Je vous jure de sauver votre fils… je vous le jure… votre fils ne mourra pas, vous entendez… il n'y a pas de force au monde qui puisse faire que, moi vivant, l'on touche à la tête de votre fils. I swear to you to save your son... I swear to you... your son will not die, you hear... there is no force in the world that can make me, alive, touch your son's head.

— Je vous crois… J'ai confiance en votre parole.

— Ayez confiance… c'est la parole d'un homme qui ne connaît pas la défaite. Je réussirai. Seulement, je vous supplie de prendre un engagement irrévocable. But I beg you to make an irrevocable commitment.

— Lequel ?

— Vous ne verrez plus Daubrecq. - You won't see Daubrecq again.

— Je vous le jure !

— Vous chasserez de votre esprit toute idée, toute crainte… si obscure soit-elle, d'un accord entre vous et lui… d'un marché quelconque… - You will put out of your mind any idea, any fear... however obscure, of an agreement between you and him... of a deal of any kind... - Hävitätte mielestänne kaikki ajatukset, kaikki pelot... vaikka ne olisivat kuinka hämäräperäisiä, teidän ja hänen välisestä sopimuksesta... kaikenlaisesta sopimuksesta...

— Je vous le jure. - I swear to you.

Elle le regardait avec une expression de sécurité et d'abandon absolu, et, sous son regard, il éprouvait l'allégresse de se dévouer, et le désir ardent de rendre à cette femme le bonheur, ou, tout au moins, la paix et l'oubli qui ferment les blessures. She looked at him with an expression of absolute security and abandonment, and under her gaze he felt the elation of devotion, and the burning desire to restore to this woman happiness, or, at least, the peace and oblivion that close wounds.

— Allons, dit-il en se levant, et d'un ton joyeux, tout ira bien. - Come on," he said, rising to his feet in a cheerful tone, "everything's going to be all right. Nous avons deux mois, trois mois devant nous. C'est plus qu'il n'en faut… à condition, bien entendu, que je sois libre de mes mouvements. That's more than enough... provided, of course, that I'm free to move around. Et pour cela, voyez-vous, vous devez vous retirer de la bataille. And for that, you see, you have to withdraw from the battle.

— Comment ?

— Oui, disparaître pendant quelque temps, vous installer à la campagne. D'ailleurs, n'avez-vous pas pitié de votre petit Jacques ? Besides, don't you feel sorry for your little Jacques? À ce jeu-là, on lui démolirait les nerfs, au pauvre gosse… Et vrai, il a bien gagné son repos… N'est-ce pas, Hercule ? The poor kid would have his nerves shattered playing that game... And really, he's earned his rest... Haven't you, Hercules?

⁂ Le lendemain, Clarisse Mergy, que tant d'événements avaient abattue et qui, elle aussi, sous peine de tomber malade, avait besoin d'un peu de répit, prenait pension avec son fils chez une dame de ses amies dont la maison s'élevait à la lisière même de la forêt de Saint-Germain. ⁂ The next day, Clarisse Mergy, who had been devastated by so many events, and who also needed a little respite from illness, boarded with her son at the home of a lady friend whose house stood on the very edge of the Saint-Germain forest. ⁂ Seuraavana päivänä Clarisse Mergy, jota niin monet tapahtumat olivat järkyttäneet ja joka tarvitsi myös pienen hengähdystauon välttääkseen sairastumisen, majoittui poikansa kanssa ystävättärensä luokse, jonka talo sijaitsi aivan Saint-Germainin metsän reunalla.