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Le bouchon de cristal, Maurice Leblanc, III. — La vie privée d’Alexis Daubrecq. (1)

III. — La vie privée d'Alexis Daubrecq. (1)

En entrant chez lui après son déjeuner, le lendemain de ce jour où la police avait exploré son domicile, le député Daubrecq fut arrêté par Clémence, sa concierge. Celle-ci avait réussi à trouver une cuisinière en qui l'on pouvait avoir toute confiance.

Cette cuisinière, qui se présenta quelques minutes plus tard, exhiba des certificats de premier ordre, signés par des personnes auprès desquelles il était facile de prendre des informations. Très active, quoique d'un certain âge, elle acceptait de faire le ménage à elle seule sans l'aide d'aucun domestique, condition imposée par Daubrecq, qui préférait réduire les chances d'être espionné.

Comme, en dernier lieu, elle était placée chez un membre du Parlement, le comte Saulevat, Daubrecq téléphona aussitôt à son collègue. L'intendant du comte Saulevat donna sur elle les meilleurs renseignements. Elle fut engagée.

Dès qu'elle eut apporté sa malle, elle se mit à l'ouvrage, nettoya toute la journée et prépara le repas.

Daubrecq dîna et sortit.

Vers onze heures, la concierge étant couchée, elle entre-bâilla avec précaution la grille du jardin. Un homme approcha.

— C'est toi ? dit-elle.

— Oui, c'est moi, Lupin.

Elle le conduisit dans la chambre qu'elle occupait au troisième étage, sur le jardin, et, tout de suite, elle se lamenta :

— Encore des trucs, et toujours des trucs ! Tu ne peux donc pas me laisser tranquille, au lieu de m'employer à des tas de besognes.

— Que veux-tu, ma bonne Victoire[1], quand il me faut une personne d'apparence respectable et de mœurs incorruptibles, c'est à toi que je pense. Tu dois être flattée.

— Et c'est comme ça que tu t'émeus ! s'écria-t-elle. Tu me jettes une fois de plus dans la gueule du loup, et ça te fait rigoler.

— Qu'est-ce que tu risques ?

— Comment… ce que je risque ! Tous mes certificats sont faux.

— Les certificats sont toujours faux.

— Et si M. Daubrecq s'en aperçoit ? S'il se renseigne ?

— Il s'est renseigné.

— Hein !

Qu'est-ce que tu dis ?

— Il a téléphoné à l'intendant du comte Saulevat, chez qui, soi-disant, tu as eu l'honneur de servir.

— Tu vois, je suis fichue.

— L'intendant du comte n'a pas tari d'éloges à ton propos.

— Il ne me connaît pas.

— Mais moi, je le connais. C'est moi qui l'ai fait placer chez le comte Saulevat. Alors, tu comprends…

Victoire parut un peu calmée.

— Enfin ! qu'il soit fait selon la volonté de Dieu… ou plutôt selon la tienne. Et quel est mon rôle dans tout cela ?

— Me coucher ici, d'abord. Tu m'as jadis nourri de ton lait. Tu peux bien m'offrir la moitié de ta chambre. Je dormirai sur le fauteuil.

— Et après ?

— Après ? Me fournir les aliments nécessaires.

— Et après ?

— Après ? Entreprendre de concert avec moi, et sous ma direction, toute une série de recherches ayant pour but…

— Ayant pour but ?

— La découverte de l'objet précieux dont je t'ai parlé.

— Quoi ?

— Un bouchon de cristal.

— Un bouchon de cristal !… Jésus, Marie ! Quel métier ! Et si on ne le trouve pas, ton sacré bouchon ?

Lupin lui saisit doucement le bras, et d'une voix grave :

— Si on ne le trouve pas, Gilbert, le petit Gilbert que tu connais et que tu aimes bien, a beaucoup de chances d'y laisser sa tête, ainsi que Vaucheray.

— Vaucheray, ça m'est égal… une canaille comme lui ! Mais Gilbert…

— Tu as lu les journaux, ce soir ? L'affaire tourne de plus en plus mal. Vaucheray, comme de juste, accuse Gilbert d'avoir frappé le domestique, et il arrive précisément que le couteau dont Vaucheray s'est servi appartenait à Gilbert. La preuve en a été faite, ce matin. Sur quoi, Gilbert, qui est intelligent, mais qui manque d'estomac, a bafouillé et s'est lancé dans des histoires et des mensonges qui achèveront de le perdre. Voilà où nous en sommes. Veux-tu m'aider ?

À minuit le député rentra.

Dès lors, et durant plusieurs jours, Lupin modela sa vie sur celle de Daubrecq. Aussitôt que celui-ci quittait l'hôtel, Lupin commençait ses investigations.

Il les poursuivit avec méthode, divisant chacune des pièces en secteurs qu'il n'abandonnait qu'après avoir interrogé les plus petits recoins, et, pour ainsi dire, épuisé toutes les combinaisons possibles.

Victoire cherchait aussi. Et rien n'était oublié. Pieds de table, bâtons de chaises, lames de parquets, moulures, cadres de glaces ou de tableaux, pendules, socles de statuettes, ourlets de rideaux, appareils téléphoniques ou appareils d'électricité, on passait en revue tout ce qu'une imagination ingénieuse aurait pu choisir comme cachette.

Et l'on surveillait aussi les moindres actes du député, ses gestes les plus inconscients, ses regards, les livres qu'il lisait, les lettres qu'il écrivait.

C'était chose facile. Il semblait vivre au grand jour. Jamais une porte n'était fermée. Il ne recevait aucune visite. Et son existence fonctionnait avec une régularité de mécanique. L'après-midi il allait à la Chambre, le soir au cercle.

— Pourtant, disait Lupin, il doit bien y avoir quelque chose qui n'est pas catholique dans tout cela.

— Rien, que je te dis, gémissait Victoire, tu perds ton temps, et nous nous ferons pincer.

La présence des agents de la Sûreté et leurs allées et venues sous les fenêtres l'affolaient. Elle ne pouvait admettre qu'ils fussent là pour une autre raison que pour la prendre au piège, elle, Victoire. Et, chaque fois qu'elle se rendait au marché, elle était toute surprise qu'un de ces hommes ne lui mît pas la main sur l'épaule.

Un jour elle revint, bouleversée. Son panier de provisions tremblait à son bras.

— Eh bien, qu'y a-t-il, ma bonne Victoire ? lui dit Lupin ; tu es verte.

— Verte… n'est-ce pas ?… Il y a de quoi…

Elle dut s'asseoir, et ce n'est qu'après bien des efforts qu'elle réussit à bégayer :

— Un individu… un individu qui m'a abordée… chez la fruitière…

— Bigre ! Il voulait t'enlever ?

— Non… Il m'a remis une lettre…

— Et tu te plains ? Une déclaration d'amour, évidemment !

— Non… « C'est pour votre patron », qu'il a dit. « Mon patron » que j'ai dit. « Oui, pour le monsieur qui habite votre chambre. » — Hein ! Cette fois Lupin avait tressailli.

— Donne-moi ça, fit-il, en lui arrachant l'enveloppe.

L'enveloppe ne portait aucune adresse.

Mais il y en avait une autre, à l'intérieur, sur laquelle il lut :

Monsieur Arsène Lupin, aux bons soins de Victoire. — Fichtre ! murmura-t-il, celle-ci est raide.

Il déchira cette seconde enveloppe. Elle contenait une feuille de papier, avec ces mots écrits en grosses majuscules :

Tout ce que vous faites est inutile et dangereux… Abandonnez la partie…

Victoire poussa un gémissement et s'évanouit. Quant à Lupin, il se sentit rougir jusqu'aux oreilles, comme si on l'eût outragé de la façon la plus grossière. Il éprouvait cette humiliation d'un duelliste dont les intentions les plus secrètes seraient annoncées à haute voix par un adversaire ironique.

D'ailleurs il ne souffla mot. Victoire reprit son service. Lui, il resta dans sa chambre, toute la journée, à réfléchir.

Le soir, il ne dormit pas.

Et il ne cessait de se répéter :

— À quoi bon réfléchir ? je me heurte à l'un de ces problèmes que l'on ne résout pas par la réflexion. Il est certain que je ne suis pas seul dans l'affaire, et que, entre Daubrecq et la police, il y a, outre le troisième larron que je suis, un quatrième larron qui marche pour son compte et qui me connaît, et qui lit clairement dans mon jeu. Mais quel est ce quatrième larron ? Et puis, est-ce que je ne me trompe pas ? Et puis… Ah ! zut… dormons !

Mais il ne pouvait dormir, et une partie de la nuit s'écoula de la sorte.

Or, vers quatre heures du matin, il lui sembla entendre du bruit dans la maison. Il se leva précipitamment, et, du haut de l'escalier, il aperçut Daubrecq qui descendait le premier étage et se dirigeait ensuite vers le jardin.

Une minute plus tard le député, après avoir ouvert la grille, rentra avec un individu dont la tête était enfouie au fond d'un vaste col de fourrure, et le conduisit dans son cabinet de travail.

En prévision d'une éventualité de ce genre, Lupin avait pris ses précautions. Comme les fenêtres du cabinet et celles de sa chambre, situées toutes deux derrière la maison, donnaient sur le jardin, il accrocha à son balcon une échelle de corde qu'il déroula doucement, et le long de laquelle il descendit jusqu'au niveau supérieur des fenêtres du cabinet.

Des volets masquaient ces fenêtres. Mais, comme elles étaient rondes, une imposte en demi-cercle restait libre, et Lupin, bien qu'il lui fût impossible d'entendre, put discerner tout ce qui se passait à l'intérieur.

Aussitôt il constata que la personne qu'il avait prise pour un homme était une femme — une femme encore jeune, quoique sa chevelure noire se mêlât de cheveux gris, une femme d'une élégance très simple, haute de taille, et dont le beau visage avait cette expression lasse et mélancolique que donne l'habitude de souffrir.

— Où diable l'ai-je vue ? se demanda Lupin. Car, sûrement, ce sont là des traits, un regard, une physionomie que je connais.

Debout, appuyée contre la table, impassible, elle écoutait Daubrecq. Celui-ci, debout également, lui parlait avec animation. Il tournait le dos à Lupin, mais Lupin s'étant penché, aperçut une glace où se reflétait l'image du député. Et il fut effrayé de voir avec quels yeux étranges, avec quel air de désir brutal et sauvage il regardait sa visiteuse.

Elle-même dut en être gênée, car elle s'assit et baissa les paupières. Daubrecq alors s'inclina vers elle, et il semblait prêt à l'entourer de ses longs bras aux poings énormes. Et, tout à coup, Lupin s'avisa que de grosses larmes roulaient sur le triste visage de la femme.

Est-ce la vue de ces larmes qui fit perdre la tête à Daubrecq ? D'un mouvement brusque il étreignit la femme et l'attira contre lui. Elle le repoussa avec une violence haineuse. Et tous deux, après une courte lutte où la figure de l'homme apparut à Lupin, atroce et convulsée, tous deux, dressés l'un contre l'autre, ils s'apostrophèrent comme des ennemis mortels.

Puis ils se turent. Daubrecq s'assit, il avait un air méchant, dur, ironique aussi. Et il parla de nouveau en frappant la table à petits coups secs, comme s'il posait des conditions.

Elle ne bougeait plus. Elle le dominait de tout son buste hautain, distraite, et les yeux vagues. Lupin ne la quittait pas du regard, captivé par ce visage énergique et douloureux, et il recherchait vainement à quel souvenir la rattacher, lorsqu'il s'aperçut qu'elle avait tourné légèrement la tête et qu'elle remuait le bras de façon imperceptible.

Et son bras s'écartait de son buste, et Lupin vit qu'il y avait à l'extrémité de cette table une carafe coiffée d'un bouchon à tête d'or. La main atteignit la carafe, tâtonna, s'éleva doucement, et saisit le bouchon. Un mouvement de tête rapide, un coup d'œil, puis le bouchon fut remis à sa place. Sans aucun doute ce n'était pas cela que la femme espérait.

— Crebleu, se dit Lupin, elle aussi est en quête du bouchon de cristal. Décidément l'affaire se complique tous les jours.

Mais, ayant de nouveau observé la visiteuse, il fut stupéfait de noter l'expression subite et imprévue de son visage, une expression terrible, implacable, féroce. Et il vit que la main continuait son manège autour de la table, et que, par un glissement ininterrompu, par une manœuvre sournoise, elle repoussait des livres et, lentement, sûrement, approchait d'un poignard dont la lame brillait parmi les feuilles éparses.

Nerveusement elle agrippa le manche.

Daubrecq continuait à discourir. Au-dessus de son dos, sans trembler, la main s'éleva peu à peu, et Lupin voyait les yeux hagards et forcenés de la femme qui fixaient le point même de la nuque qu'elle avait choisi pour y planter son couteau.

— Vous êtes en train de faire une bêtise, ma belle madame, pensa Lupin.

Et il songeait déjà au moyen de s'enfuir et d'emmener Victoire.

Elle hésitait pourtant, le bras dressé. Mais ce ne fut qu'une défaillance brève. Elle serra les dents. Toute sa face, contractée par la haine, se tordit davantage encore.

III. — La vie privée d’Alexis Daubrecq. (1) III. - The private life of Alexis Daubrecq (1)

En entrant chez lui après son déjeuner, le lendemain de ce jour où la police avait exploré son domicile, le député Daubrecq fut arrêté par Clémence, sa concierge. Als der Abgeordnete Daubrecq am Tag nach dem Mittagessen seine Wohnung betrat, wurde er von seiner Concierge Clémence angehalten. Entering his home after lunch, the day after the police had searched his home, Deputy Daubrecq was stopped by Clémence, his concierge. Celle-ci avait réussi à trouver une cuisinière en qui l'on pouvait avoir toute confiance. She had managed to find a cook who could be trusted. Hän oli onnistunut löytämään kokin, johon saattoi luottaa.

Cette cuisinière, qui se présenta quelques minutes plus tard, exhiba des certificats de premier ordre, signés par des personnes auprès desquelles il était facile de prendre des informations. This cook, who showed up a few minutes later, showed first-class certificates, signed by people from whom it was easy to obtain information. Tämä kokki, joka ilmestyi paikalle muutamaa minuuttia myöhemmin, esitteli joitakin ensiluokkaisia todistuksia, jotka olivat sellaisten henkilöiden allekirjoittamia, joilta oli helppo saada tietoja. Très active, quoique d'un certain âge, elle acceptait de faire le ménage à elle seule sans l'aide d'aucun domestique, condition imposée par Daubrecq, qui préférait réduire les chances d'être espionné. Very active, albeit of a certain age, she agreed to do the housework on her own without the help of any servant, a condition imposed by Daubrecq, who preferred to reduce the chances of being spied on.

Comme, en dernier lieu, elle était placée chez un membre du Parlement, le comte Saulevat, Daubrecq téléphona aussitôt à son collègue. Daubrecq soitti välittömästi kollegalleen, sillä tämä oli sijoitettu parlamentin jäsenen, kreivi Saulevatin luo. L'intendant du comte Saulevat donna sur elle les meilleurs renseignements. Elle fut engagée.

Dès qu'elle eut apporté sa malle, elle se mit à l'ouvrage, nettoya toute la journée et prépara le repas. As soon as she had brought her trunk, she set to work, cleaning all day and preparing the meal.

Daubrecq dîna et sortit.

Vers onze heures, la concierge étant couchée, elle entre-bâilla avec précaution la grille du jardin. Gegen elf Uhr, als die Pförtnerin im Bett lag, öffnete sie vorsichtig das Gartentor. Around eleven o'clock, the concierge was in bed, and she carefully opened the garden gate. Un homme approcha.

— C'est toi ? dit-elle.

— Oui, c'est moi, Lupin.

Elle le conduisit dans la chambre qu'elle occupait au troisième étage, sur le jardin, et, tout de suite, elle se lamenta : She took him to the room she occupied on the third floor, overlooking the garden, and immediately she lamented:

— Encore des trucs, et toujours des trucs ! — More stuff, and more stuff! Tu ne peux donc pas me laisser tranquille, au lieu de m'employer à des tas de besognes. Can't you just leave me alone, instead of using me for all kinds of work? Etkö voisi jättää minua rauhaan sen sijaan, että käytät minua kaikenlaisiin asioihin?

— Que veux-tu, ma bonne Victoire[1], quand il me faut une personne d'apparence respectable et de mœurs incorruptibles, c'est à toi que je pense. Tu dois être flattée.

— Et c'est comme ça que tu t'émeus ! - And that's how you get emotional! s'écria-t-elle. Tu me jettes une fois de plus dans la gueule du loup, et ça te fait rigoler. You're throwing me back into the lion's den, and you're laughing. Heität minut takaisin leijonan luolaan, ja sinä naurat.

— Qu'est-ce que tu risques ?

— Comment… ce que je risque ! - How... what I'm risking! Tous mes certificats sont faux.

— Les certificats sont toujours faux.

— Et si M. Daubrecq s'en aperçoit ? S'il se renseigne ?

— Il s'est renseigné. - He asked around.

— Hein !

Qu'est-ce que tu dis ?

— Il a téléphoné à l'intendant du comte Saulevat, chez qui, soi-disant, tu as eu l'honneur de servir. - He telephoned the steward of Count Saulevat, with whom you supposedly had the honor of serving.

— Tu vois, je suis fichue. - See, I'm screwed.

— L'intendant du comte n'a pas tari d'éloges à ton propos. - The Count's steward was full of praise for you.

— Il ne me connaît pas.

— Mais moi, je le connais. C'est moi qui l'ai fait placer chez le comte Saulevat. It was I who had him placed with Count Saulevat. Alors, tu comprends…

Victoire parut un peu calmée.

— Enfin ! qu'il soit fait selon la volonté de Dieu… ou plutôt selon la tienne. may it be done according to God's will... or rather, according to yours. Et quel est mon rôle dans tout cela ?

— Me coucher ici, d'abord. - First of all, I have to lie here. Tu m'as jadis nourri de ton lait. You once fed me with your milk. Tu peux bien m'offrir la moitié de ta chambre. Je dormirai sur le fauteuil.

— Et après ?

— Après ? Me fournir les aliments nécessaires. Provide me with the food I need.

— Et après ?

— Après ? Entreprendre de concert avec moi, et sous ma direction, toute une série de recherches ayant pour but… Undertake with me, and under my direction, a whole series of research projects aimed at...

— Ayant pour but ?

— La découverte de l'objet précieux dont je t'ai parlé.

— Quoi ?

— Un bouchon de cristal.

— Un bouchon de cristal !… Jésus, Marie ! Quel métier ! Et si on ne le trouve pas, ton sacré bouchon ?

Lupin lui saisit doucement le bras, et d'une voix grave :

— Si on ne le trouve pas, Gilbert, le petit Gilbert que tu connais et que tu aimes bien, a beaucoup de chances d'y laisser sa tête, ainsi que Vaucheray.

— Vaucheray, ça m'est égal… une canaille comme lui ! - Vaucheray, I don't care... a scoundrel like him! Mais Gilbert…

— Tu as lu les journaux, ce soir ? L'affaire tourne de plus en plus mal. Vaucheray, comme de juste, accuse Gilbert d'avoir frappé le domestique, et il arrive précisément que le couteau dont Vaucheray s'est servi appartenait à Gilbert. Vaucheray, appropriately enough, accuses Gilbert of hitting the servant, and it just so happens that the knife Vaucheray used belonged to Gilbert. La preuve en a été faite, ce matin. The proof was in the pudding this morning. Sur quoi, Gilbert, qui est intelligent, mais qui manque d'estomac, a bafouillé et s'est lancé dans des histoires et des mensonges qui achèveront de le perdre. Daraufhin stammelte Gilbert, der zwar intelligent ist, aber keinen Magen hat, und verwickelte sich in Geschichten und Lügen, die ihn endgültig ins Verderben stürzten. Whereupon Gilbert, who is intelligent but lacks a stomach, stammered and launched into stories and lies that would finish him off. Voilà où nous en sommes. Here we are. Veux-tu m'aider ?

À minuit le député rentra.

Dès lors, et durant plusieurs jours, Lupin modela sa vie sur celle de Daubrecq. Aussitôt que celui-ci quittait l'hôtel, Lupin commençait ses investigations.

Il les poursuivit avec méthode, divisant chacune des pièces en secteurs qu'il n'abandonnait qu'après avoir interrogé les plus petits recoins, et, pour ainsi dire, épuisé toutes les combinaisons possibles. He pursued them methodically, dividing each room into sectors which he abandoned only after he had investigated the smallest nooks and crannies, and, so to speak, exhausted all possible combinations.

Victoire cherchait aussi. Et rien n'était oublié. Pieds de table, bâtons de chaises, lames de parquets, moulures, cadres de glaces ou de tableaux, pendules, socles de statuettes, ourlets de rideaux, appareils téléphoniques ou appareils d'électricité, on passait en revue tout ce qu'une imagination ingénieuse aurait pu choisir comme cachette. Table legs, chair sticks, floorboards, mouldings, mirror or picture frames, clocks, statuette pedestals, curtain hems, telephone or electrical appliances - we went through everything that an ingenious imagination could have chosen as a hiding place.

Et l'on surveillait aussi les moindres actes du député, ses gestes les plus inconscients, ses regards, les livres qu'il lisait, les lettres qu'il écrivait.

C'était chose facile. It was easy. Il semblait vivre au grand jour. He seemed to live in the open. Jamais une porte n'était fermée. No door was ever closed. Il ne recevait aucune visite. Et son existence fonctionnait avec une régularité de mécanique. And his existence functioned with mechanical regularity. L'après-midi il allait à la Chambre, le soir au cercle. In the afternoon he went to the Chamber, in the evening to the circle. Iltapäivällä hän kävi kamarissa, illalla klubilla.

— Pourtant, disait Lupin, il doit bien y avoir quelque chose qui n'est pas catholique dans tout cela. - Yet," said Lupin, "there must be something un-Catholic about all this.

— Rien, que je te dis, gémissait Victoire, tu perds ton temps, et nous nous ferons pincer. - You're wasting your time, and we'll get caught.

La présence des agents de la Sûreté et leurs allées et venues sous les fenêtres l'affolaient. Die Anwesenheit der Sicherheitsbeamten und ihr Kommen und Gehen unter den Fenstern versetzten ihn in Panik. The presence of the Sûreté officers and their comings and goings under the windows made him panic. Elle ne pouvait admettre qu'ils fussent là pour une autre raison que pour la prendre au piège, elle, Victoire. Sie konnte nicht zugeben, dass sie aus einem anderen Grund hier waren, als um sie, Victoire, in eine Falle zu locken. She couldn't admit that they were there for any other reason than to trap her, Victoire. Et, chaque fois qu'elle se rendait au marché, elle était toute surprise qu'un de ces hommes ne lui mît pas la main sur l'épaule. Und jedes Mal, wenn sie auf den Markt ging, war sie ganz überrascht, dass einer dieser Männer ihr nicht die Hand auf die Schulter legte. And every time she went to the market, she was surprised that one of these men didn't put his hand on her shoulder.

Un jour elle revint, bouleversée. Son panier de provisions tremblait à son bras.

— Eh bien, qu'y a-t-il, ma bonne Victoire ? lui dit Lupin ; tu es verte. said Lupin; you're green.

— Verte… n'est-ce pas ?… Il y a de quoi… - Green... isn't it?... You bet it is...

Elle dut s'asseoir, et ce n'est qu'après bien des efforts qu'elle réussit à bégayer : She had to sit down, and it was only after much effort that she managed to stammer:

— Un individu… un individu qui m'a abordée… chez la fruitière… - An individual... an individual who approached me... at the fruit shop...

— Bigre ! - Vau! Il voulait t'enlever ? He wanted to kidnap you? Halusiko hän siepata sinut?

— Non… Il m'a remis une lettre…

— Et tu te plains ? - And you're complaining? Une déclaration d'amour, évidemment !

— Non… « C'est pour votre patron », qu'il a dit. - No... " It's for your boss," he said. « Mon patron » que j'ai dit. "My boss," I said. « Oui, pour le monsieur qui habite votre chambre. » — Hein ! Cette fois Lupin avait tressailli.

— Donne-moi ça, fit-il, en lui arrachant l'enveloppe.

L'enveloppe ne portait aucune adresse.

Mais il y en avait une autre, à l'intérieur, sur laquelle il lut : But there was another, inside, on which he read:

Monsieur Arsène Lupin, aux bons soins de Victoire. — Fichtre ! - Gosh! murmura-t-il, celle-ci est raide. he murmured, this one's stiff.

Il déchira cette seconde enveloppe. Elle contenait une feuille de papier, avec ces mots écrits en grosses majuscules :

Tout ce que vous faites est inutile et dangereux… Abandonnez la partie… Everything you do is useless and dangerous... Give up the game...

Victoire poussa un gémissement et s'évanouit. Quant à Lupin, il se sentit rougir jusqu'aux oreilles, comme si on l'eût outragé de la façon la plus grossière. As for Lupin, he felt himself blushing up to his ears, as if he'd been outraged in the rudest way. Il éprouvait cette humiliation d'un duelliste dont les intentions les plus secrètes seraient annoncées à haute voix par un adversaire ironique. He felt the humiliation of a duelist whose most secret intentions would be announced aloud by an ironic opponent.

D'ailleurs il ne souffla mot. Besides, he didn't breathe a word. Victoire reprit son service. Victoire went back to work. Lui, il resta dans sa chambre, toute la journée, à réfléchir.

Le soir, il ne dormit pas.

Et il ne cessait de se répéter :

— À quoi bon réfléchir ? - What's the point of thinking? je me heurte à l'un de ces problèmes que l'on ne résout pas par la réflexion. I've come up against one of those problems that can't be solved by reflection. Il est certain que je ne suis pas seul dans l'affaire, et que, entre Daubrecq et la police, il y a, outre le troisième larron que je suis, un quatrième larron qui marche pour son compte et qui me connaît, et qui lit clairement dans mon jeu. It's certain that I'm not alone in this affair, and that, between Daubrecq and the police, there's, in addition to the third thief that I am, a fourth thief who works for his own account and who knows me, and who clearly reads my game. Mais quel est ce quatrième larron ? Et puis, est-ce que je ne me trompe pas ? And then, am I right? Et puis… Ah ! zut… dormons ! heck... let's sleep!

Mais il ne pouvait dormir, et une partie de la nuit s'écoula de la sorte. Aber er konnte nicht schlafen und so verging ein Teil der Nacht. But he couldn't sleep, and part of the night passed that way. Mutta hän ei saanut unta, ja osa yöstä kului näin.

Or, vers quatre heures du matin, il lui sembla entendre du bruit dans la maison. Il se leva précipitamment, et, du haut de l'escalier, il aperçut Daubrecq qui descendait le premier étage et se dirigeait ensuite vers le jardin. He hurried to his feet and, from the top of the stairs, saw Daubrecq descending the second floor and heading for the garden.

Une minute plus tard le député, après avoir ouvert la grille, rentra avec un individu dont la tête était enfouie au fond d'un vaste col de fourrure, et le conduisit dans son cabinet de travail. A minute later, after opening the gate, the deputy returned with an individual whose head was buried deep in a large fur collar, and led him into his study.

En prévision d'une éventualité de ce genre, Lupin avait pris ses précautions. In anticipation of such an eventuality, Lupin had taken precautions. Comme les fenêtres du cabinet et celles de sa chambre, situées toutes deux derrière la maison, donnaient sur le jardin, il accrocha à son balcon une échelle de corde qu'il déroula doucement, et le long de laquelle il descendit jusqu'au niveau supérieur des fenêtres du cabinet. As the windows of the study and those of his bedroom, both located at the back of the house, overlooked the garden, he hung a rope ladder from his balcony, which he gently unrolled, and along which he descended to the upper level of the study windows. Koska sekä työhuoneen että makuuhuoneen ikkunat, jotka molemmat sijaitsivat talon takaosassa, avautuivat puutarhaan, hän ripusti parvekkeelta köysitikkaat, jotka hän purki hitaasti ja kiipesi työhuoneen ikkunoiden yläpuolelle.

Des volets masquaient ces fenêtres. Fensterläden verdeckten diese Fenster. These windows were covered by shutters. Mais, comme elles étaient rondes, une imposte en demi-cercle restait libre, et Lupin, bien qu'il lui fût impossible d'entendre, put discerner tout ce qui se passait à l'intérieur. Lupin konnte zwar nicht hören, aber alles erkennen, was sich im Inneren abspielte.

Aussitôt il constata que la personne qu'il avait prise pour un homme était une femme — une femme encore jeune, quoique sa chevelure noire se mêlât de cheveux gris, une femme d'une élégance très simple, haute de taille, et dont le beau visage avait cette expression lasse et mélancolique que donne l'habitude de souffrir. Immediately he realized that the person he had taken for a man was a woman - a woman still young, though her black hair was mixed with gray, a woman of simple elegance, tall of stature, and whose beautiful face had that weary, melancholy expression given by the habit of suffering.

— Où diable l'ai-je vue ? - Where on earth have I seen her? se demanda Lupin. Car, sûrement, ce sont là des traits, un regard, une physionomie que je connais. Denn sicherlich sind dies Züge, ein Blick, eine Physiognomie, die ich kenne. For, surely, these are features, a look, a physiognomy I know.

Debout, appuyée contre la table, impassible, elle écoutait Daubrecq. Celui-ci, debout également, lui parlait avec animation. Il tournait le dos à Lupin, mais Lupin s'étant penché, aperçut une glace où se reflétait l'image du député. Et il fut effrayé de voir avec quels yeux étranges, avec quel air de désir brutal et sauvage il regardait sa visiteuse. Und er erschrak, als er sah, mit welch seltsamen Augen, mit welch brutaler und wilder Begierde er seine Besucherin betrachtete. And he was frightened to see with what strange eyes, with what air of brutal, savage desire he looked at his visitor.

Elle-même dut en être gênée, car elle s'assit et baissa les paupières. She herself must have been embarrassed, for she sat up and lowered her eyelids. Daubrecq alors s'inclina vers elle, et il semblait prêt à l'entourer de ses longs bras aux poings énormes. Daubrecq then leaned towards her, and looked ready to wrap his long arms around her with huge fists. Et, tout à coup, Lupin s'avisa que de grosses larmes roulaient sur le triste visage de la femme. Suddenly, Lupin noticed that large tears were rolling down the woman's sad face.

Est-ce la vue de ces larmes qui fit perdre la tête à Daubrecq ? Was it the sight of those tears that made Daubrecq lose his mind? D'un mouvement brusque il étreignit la femme et l'attira contre lui. With a sudden movement, he embraced the woman and drew her against him. Elle le repoussa avec une violence haineuse. Et tous deux, après une courte lutte où la figure de l'homme apparut à Lupin, atroce et convulsée, tous deux, dressés l'un contre l'autre, ils s'apostrophèrent comme des ennemis mortels. And the two of them, after a short struggle in which the man's figure appeared to Lupin, atrocious and convulsed, the two of them, pitted against each other, apostrophized like mortal enemies. Lyhyen kamppailun jälkeen, jossa miehen hahmo näyttäytyi Lupinille kauhistuneena ja kouristuneena, he kaksi hyökkäsivät toisiaan vastaan kuin kuolemanviholliset.

Puis ils se turent. Then they fell silent. Daubrecq s'assit, il avait un air méchant, dur, ironique aussi. Et il parla de nouveau en frappant la table à petits coups secs, comme s'il posait des conditions. And he spoke again, hitting the table with short, sharp strokes, as if laying down conditions.

Elle ne bougeait plus. Elle le dominait de tout son buste hautain, distraite, et les yeux vagues. She towered over him, her whole bust haughty, distracted, and her eyes vague. Lupin ne la quittait pas du regard, captivé par ce visage énergique et douloureux, et il recherchait vainement à quel souvenir la rattacher, lorsqu'il s'aperçut qu'elle avait tourné légèrement la tête et qu'elle remuait le bras de façon imperceptible. Lupin couldn't take his eyes off her, captivated by her energetic, pained face, and was searching in vain for a memory to attach her to, when he noticed that she had turned her head slightly and was moving her arm imperceptibly.

Et son bras s'écartait de son buste, et Lupin vit qu'il y avait à l'extrémité de cette table une carafe coiffée d'un bouchon à tête d'or. Und sein Arm wanderte von seiner Brust weg und Lupin sah, dass am Ende dieses Tisches eine Karaffe mit einem Korken mit goldenem Kopf auf dem Kopf stand. And his arm moved away from his chest, and Lupin saw that at the end of this table was a decanter topped with a gold-headed cork. La main atteignit la carafe, tâtonna, s'éleva doucement, et saisit le bouchon. Die Hand erreichte die Karaffe, tastete, hob sich sanft an und griff nach dem Korken. The hand reached the decanter, groped, gently raised, and grasped the cork. Un mouvement de tête rapide, un coup d'œil, puis le bouchon fut remis à sa place. Eine schnelle Kopfbewegung, ein Blick, dann wurde der Korken wieder an seinen Platz gesetzt. A quick shake of the head, a glance, and the cork was put back in its place. Sans aucun doute ce n'était pas cela que la femme espérait. Zweifellos war es nicht das, was die Frau sich erhofft hatte. Without a doubt, this was not what the woman was hoping for.

— Crebleu, se dit Lupin, elle aussi est en quête du bouchon de cristal. - Donnerwetter", dachte Lupin, "sie ist auch auf der Suche nach dem Kristallkorken. - Hitto", Lupin sanoi itsekseen, "hän etsii myös kristallikorkkia. Décidément l'affaire se complique tous les jours. Der Fall wird jeden Tag komplizierter. The case is getting more complicated by the day.

Mais, ayant de nouveau observé la visiteuse, il fut stupéfait de noter l'expression subite et imprévue de son visage, une expression terrible, implacable, féroce. Aber als er die Besucherin wieder beobachtete, stellte er erstaunt den plötzlichen und unerwarteten Ausdruck in ihrem Gesicht fest, einen schrecklichen, unerbittlichen, wilden Ausdruck. But, having observed the visitor again, he was stunned to note the sudden, unexpected expression on her face, a terrible, implacable, ferocious expression. Et il vit que la main continuait son manège autour de la table, et que, par un glissement ininterrompu, par une manœuvre sournoise, elle repoussait des livres et, lentement, sûrement, approchait d'un poignard dont la lame brillait parmi les feuilles éparses. Und er sah, dass die Hand ihre Manöver um den Tisch fortsetzte und in einem ununterbrochenen Gleiten, in einem hinterhältigen Manöver Bücher zurückschob und sich langsam, aber sicher einem Dolch näherte, dessen Klinge zwischen den verstreuten Blättern glänzte. And he saw that the hand continued its maneuver around the table, and that, by an uninterrupted glide, by a devious maneuver, it pushed back books and, slowly, surely, approached a dagger whose blade shone among the scattered leaves.

Nerveusement elle agrippa le manche. Nervously, she grasped the handle.

Daubrecq continuait à discourir. Au-dessus de son dos, sans trembler, la main s'éleva peu à peu, et Lupin voyait les yeux hagards et forcenés de la femme qui fixaient le point même de la nuque qu'elle avait choisi pour y planter son couteau. Above her back, without trembling, the hand rose little by little, and Lupin could see the woman's haggard, forcible eyes staring at the very spot on the back of her neck that she had chosen to stab with her knife.

— Vous êtes en train de faire une bêtise, ma belle madame, pensa Lupin.

Et il songeait déjà au moyen de s'enfuir et d'emmener Victoire. And he was already thinking about how to escape and take Victoire with him. Ja hän mietti jo, miten hän voisi paeta ja ottaa Victoiren mukaansa.

Elle hésitait pourtant, le bras dressé. Sie zögerte jedoch mit ausgestrecktem Arm. Mais ce ne fut qu'une défaillance brève. Doch dies war nur ein kurzer Schwächeanfall. But it was only a brief lapse. Elle serra les dents. Sie biss die Zähne zusammen. She gritted her teeth. Toute sa face, contractée par la haine, se tordit davantage encore. Sein ganzes Gesicht, das sich vor Hass zusammengezogen hatte, verzerrte sich noch mehr. His whole face, contracted by hatred, twisted even more. Hänen koko kasvonsa, jotka viha oli supistanut, vääntyivät entisestään.