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Histoire d'Europe et du monde: "Nota Bene", L'abbaye aussi puissante que Rome ! - Corbie

L'abbaye aussi puissante que Rome ! - Corbie

Mes chers camarades bien le bonjour et bienvenue dans le beau pays du Val de Somme,

plus précisément à Corbie.

Ce site est occupé depuis le paléolithique,

autant vous dire qu'il y a énormément de choses à raconter, mais aujourd'hui on va revenir d'une façon un peu plus particulière

sur l'histoire d'un de ses monuments : l'abbaye !

Durant le Moyen Âge, l'abbaye de Corbie se fait une place d'honneur grâce à

l'intervention d'une femme qui fait rarement les choses à moitié, déjà connue pour sa lutte

active contre l'esclavage : Bathilde, reine des Francs ! De simple servante du Palais,

elle s'est élevée jusqu'à la royauté en épousant Clovis II. Son sens de la politique et sa grande

piété la poussent à fonder au 7e siècle l'abbaye royale de Corbie, qui marquera l'histoire

de France. Bathilde veut à la fois convertir les païens de la région,

confirmer le pouvoir royal sur place, enfin structurer et administrer tout le pays.

Elle nomme alors un abbé au pouvoir démesuré : il possède 22.000 hectares de terre

où se répartissent 250 vassaux armés. Sur ce domaine, il est seul maître après Dieu,

ne payant aucune taxe ni aucun impôt. D'ailleurs, bien que liée à la règle

de Saint Benoît, l'abbaye n'est contrôlée par aucun vicaire ou prélat

L'abbé fait justice, guerre, péage et monnaie...de belles pièces sonnantes et trébuchantes,

parfois plus recherchées que celles des rois des Francs !

A cette époque, les abbés sont donc de véritables princes, parfois guerriers,

à l'image de Francon d'Amiens qui, au 10e siècle, fortifie toute la région, creuse des

fossés et des canaux entre les rivières afin de structurer ce qui sera la future ville d'Amiens.

Et vu que maintenant l'abbé Francon est protégé,

il peut à loisir poutrer du Viking à l'aide de son armée. Un vrai guerrier qu'on a dit !

Bien sûr, le fait que l'abbé aie autant de pouvoirs à une utilité pour le royaume.

Corbie sert particulièrement bien les rois de France. Son domaine est une une tête

de pont royale face aux adversaires de la Guerre de Cent Ans : les Flandres au Nord,

et la Bourgogne à l'Est. Elle est aussi à la tête du réseau d'abbayes carolingiennes qui

modernisèrent la langue et l'écriture, notamment en inventant pour l'empire de

Charlemagne la minuscule caroline, une écriture encore utilisée de nos jours dans toute l'Europe.

Si vous voulez en savoir plus sur ce type d'abbaye médiévale, Saint Riquier connaît

un développement similaire non loin de là. Et ça tombe bien, puisqu'on a déjà sorti un

épisode à ce propos sur la chaîne, il ne tient qu'à vous d'aller le voir pour en savoir plus !

Si la période du Moyen Âge est très important pour l'abbaye de Corbie,

on ne va donc pas s'attarder dessus car ce qui m'intéresse aujourd'hui, c'est de vous montrer

comme Corbie va connaître un second “âge d'or” durant la Renaissance, indirectement

grâce à un souverain pas comme les autres : François Ier...

En 1515, le roi François Ier est un jeune roi auréolé par sa victoire de Marignan : il

profite de sa position de force pour finaliser la politique religieuse des rois de France. En effet,

cela fait bien longtemps que les rois Philippe Auguste, Saint Louis et Philippe

le Bel jouent une diplomatie complexe avec l'Eglise : ils veulent rester catholiques,

mais sans avoir à obéir au pape. C'est ce qu'on appelle le gallicanisme. Et c'est cette politique

que François Ier va parvenir à achever en 1516 : il signe le concordat de Bologne,

qui lui donne le pouvoir unique de gérer le clergé et l'église au sein du royaume.

Je sais pas si vous vous rendez compte de la petite révolution que ça représente ! Pour Corbie,

qui était déjà une abbaye de poids directement liée à la famille royale,

cela signifie un accroissement significatif de son pouvoir

politique. Son influence locale va désormais devenir nationale, voire internationale.

En effet, le temps de la Renaissance est à l'Humanisme : les arts et les écrits vantent

la grandeur du génie humain, quitte à amoindrir le pouvoir divin. On questionne les dogmes,

et on cherche à moderniser l'Eglise. Des figures comme Jean Calvin et Martin Luther

désirent accélérer le mouvement de cette réforme déjà en marche ce qui donnera d'ailleurs le

protestantisme. Certains s'impatientent, comme le roi d'Angleterre Henri VIII,

qui va s'inspirer du gallicanisme Français pour fonder l'Anglicanisme.

Bon, à la base le type veut juste divorcer pour prendre une autre femme,

ce qui va lui arriver un certain nombre de fois, mais vu que l'église veut pas,

il fait scission. C'est un peu radical mais ça marche !

En tout cas, la tension religieuse de la Réforme devient vite politique

et militaire : la guerre menace l'Europe. Et c'est là que Corbie entre en scène.

Depuis le Moyen Âge, l'abbaye n'a cessé de gagner en puissance. Elle est désormais immense,

et plusieurs cloîtres et cours connectent entre eux les bâtiments : dortoir, salle d'étude,

archive, réfectoire, salle du chapitre, cuisine, infirmerie, mais aussi un tribunal et une prison,

puisque l'abbé rend justice ! Sans compter les magasins de fourrages et autres bâtiments

d'artisanat et d'agriculture, où des centaines de religieux, de laïcs et de serviteurs s'activent

sans cesse. On connaît assez bien les dimensions du bâtiment Est du cloître principal : 7m de

large, 66m de long, plusieurs étages, il avait 13 portes qui donnaient directement sur le cloître.

Avec toute cette richesse récoltée sur le pays alentour, les abbés décident d'ailleurs

de reconstruire l'église abbatiale en 1501. Les plans dessinent à l'époque

un des plus grands temples de France : un sanctuaire pour l'autel, autour

duquel il y a 7 chapelles rayonnantes. Chacune contient de riches reliques. Sainte Bathilde,

fondatrice de l'abbaye, est bien sûr mise à l'honneur. Mais le vrai trésor, celui des

Corps Saints, a été rapporté de la 4e croisade à Constantinople : couronne d'Épine du Christ,

bois de la Sainte Croix, et une Sainte Face, qu'on disait alors peinte par un évangéliste, et devant

laquelle Richelieu adorait se recueillir. Il y a tant de merveilles que Corbie est

surnommée “la deuxième Rome”. Et ce n'est que le sanctuaire : ajoutez une longue nef de 115 mètres,

on prévoyait encore 20 chapelles supplémentaires. A la croisée du transept, s'élève une immense tour

lanterne de 90m de haut, à laquelle se joignent deux tours de 55m en façade de l'édifice.

En fait l'église de l'abbé peut largement rivaliser avec n'importe

quelle cathédrale ! Enfin, sur le papier. Car le concordat et les privilèges royaux

ont une contrepartie, un véritable fléau pour l'abbaye, qui fait que cette église

mettra plus de 270 ans à être achevée ! Ce fléau, c'est le régime de la commende,

qui à la fois ralentit les travaux locaux de l'abbaye et la projette sur la scène politique.

La commende, c'est lorsqu'on nomme un commendataire, qui perçoit le bénéfice

de l'abbaye, ses revenus. Mais la petite subtilité, c'est que cet “abbé” en titre peut

être quelqu'un qui n'est pas du tout religieux : il ne gère pas la vie quotidienne des moines,

ni l'application de la règle monastique. Et dans ce cas-là, c'est le prieur sur place

qui gère la vie de l'abbaye. Les rois de France vont soumettre Corbie à ce régime, et donc la

confier à toutes sortes d'hommes politiques ou de cardinaux, afin de les récompenser

de leurs services. Par exemple Mazarin, ministre des rois Louis XIII et Louis XIV,

a été deux fois abbé commendataire de Corbie. La plupart des autres abbés seront des princes de la

maison de Bourbon. Et c'est cela qui place Corbie au milieu d'un conflit sanglant : les nouveaux

abbés, selon leur position sur l'échiquier politique, entre catholicisme et protestantisme,

font participer Corbie aux Guerres de Religion qui vont embraser la France et l'Europe.

De 1562 à 1598, en seulement 36 ans, la France connaîtra 8 guerres de religion successives.

Les trêves ne durent jamais, car la peur compromet toujours la paix. Par exemple,

en 1567, la première guerre de religion est terminée. Mais l'Espagne catholique

attaque les Flandres protestantes. Leur armée longe alors la frontière française non loin de

Corbie. Pour prévenir une agression espagnole, on arme la province. Mais les protestants

Français craignent une nouvelle agression contre eux, ce qui va alimenter la peur,

et concourir à faire éclater une deuxième guerre de religion en France !

Alors qu'à la base...le but était au contraire de se prémunir de toute

attaque des catholiques espagnols ! On peut dire que c'est loupé !

L'élite au pouvoir est divisée entre catholiques et protestants,

et le roi indécis ne sait plus où donner de la tête. En 1573, le gouverneur de la Picardie -qui

contrôle donc militairement la zone frontalière de la Somme et de Corbie- est un protestant,

Henri Ier de Bourbon-Condé, dit “Condé”. Son influence est trop grande,

et en 1577 un vassal de l'abbaye de Corbie s'oppose à lui en fondant la Ligue Picarde,

un rassemblement catholique. Il y eu plusieurs ligues dans tout le royaume, mais c'est bien

cette Ligue, née à Corbie, qui sera l'embryon de la Sainte Ligue Catholique, dirigée par le duc

Henri de Guise. En 1588, l'abbaye elle-même adhère officiellement à la Ligue. Ça y est,

le roi est coincé : il y a deux grands partis en France : Condé et ses protestant, Guise et ses

catholiques. La guerre civile se poursuit sans relâche, le royaume se déchire. Cette situation

dégénère même jusqu'au régicide : Henri III fait assassiner le duc de Guise en décembre 1588 et,

accusé de trahir le catholicisme, il est à son tour tué en 1589 par un certain Jacques Clément.

Corbie, à fond dans la Ligue, se réjouit de la mort du roi. Plus

que ça, elle nomme son propre abbé commendataire, Charles de Bourbon,

nouveau roi de France ! Ouais... ils y vont à fond ! Mais ce dernier meurt quelques mois plus tard.

Finalement, c'est Henri IV qui monte sur le trône. Les guerres de religion,

débutées dans le nordique pays Corbéen par deux hommes que tout opposait, Condé et Guise,

s'atténuent finalement grâce à un prince venu du Sud, un Protestant baptisé Catholique.

Mais l'aventure est loin d'être finie pour l'abbaye : si les armes de fer se taisent,

les armes spirituelles les remplacent. C'est le début de la contre-réforme.

En 1545, débute le Concile de Trente : pendant 25 ans l'Eglise va se réunir pour répondre aux

objections de Jean Calvin et de Martin Luther. Il faut “mettre aux normes” tout ce que le Moyen

Âge chrétien a apporté de diversités de cultes, d'usages et de coutumes. Le concile répond donc

à certaines attentes, mais en rejette d'autres. Il définit, en fin de compte, ce qui est catholique

et ce qui ne l'est pas. Bien sûr, cela définit deux camps qui s'accusent mutuellement d'être

hérétiques, d'avoir une bible incomplète, etc. Pour mener cette lutte idéologique,

l'Eglise va fonder de nouvelles congrégations, de véritables “troupes d'élites intellectuelles”. Ce

sont les Jésuites en 1540, puis la congrégation de Saint-Maur en 1618. Ces mouvements sont très

attractifs : ils ont le prestige de combattre pour la “vraie foi”, ils sont réformateurs,

à la pointe de la nouvelle doctrine. De plus, ils fondent leur évangélisation sur

une connaissance encyclopédique du monde, de la religion, de la philosophie, de la théologie,

de la politique et de l'histoire. Et Corbie fait son choix : après 1.000 ans

d'une relative autonomie, l'abbaye adhère à la congrégation de Saint-Maur dès sa fondation.

D'ailleurs, une petite parenthèse à propos de cette congrégation : en voulant fonder

une critique historique de la bible et du christianisme, Saint-Maur a dû définir une

approche des sources historiques, une méthode d'analyse, une façon de lire

les textes antiques : c'est ce qu'on appelle la paléographie. En agissant pour l'Eglise,

la congrégation a paradoxalement fini par faire considérablement avancer...la science historique !

Avec 700 ouvrages fondamentaux, des dictionnaires, des chronologies,

des chroniques, etc., les 220 auteurs de la congrégation ont permis, par la suite,

de bien connaître l'histoire de l'Antiquité et du Moyen Âge. Encore aujourd'hui ces ouvrages

sont utilisés par les historiens, on les reconnaît facilement puisqu'ils sont écrits

par des religieux, des “Dom quelque-chose” : Dom Mabillon, Dom Devic, Dom Vaissète, etc.

Pour nous, c'est une bonne chose mais pour les moines de Corbie de l'époque, c'était quand-même

un peu plus difficile : après des siècles de laxisme et d'absence des abbés commendataires,

il a fallu tout à coup revenir à une nouvelle règle, une discipline, des études...et ça s'est

plutôt mal passé : tous les vieux moines n'étaient pas prêt à ce changement radical.

De nombreux conflits ont eu lieu entre l'abbaye et la ville, car qui change la règle,

change aussi la gestion économique du territoire. Il y a même eu des

affrontements entre les moines et leur propre prieur, voire leur propre abbé ! Et on peut

le comprendre : l'abbé commendataire qui a imposé la règle de Saint-Maur s'appelle

Louis de Lorraine, un homme puissant qui est commendataire dans...5 autres abbayes !

Dans le genre cumul des mandats, “je suis pas là, mais je ramasse le pognon”,

Louis touchait plutôt sa bille donc, et on peut supposer qu'il n'était pas

très présent ni très soucieux du quotidien des moines de Corbie…

On finit cependant par trouver une solution rigolote : les nouveaux arrivants devaient

être formés à la nouvelle et stricte règle, tandis que les plus âgés pouvaient continuer

de vivre selon l'ancienne coutume, jusqu'à leur mort. C'est pas l'idéal si on est pressé,

mais cette petite astuce a permis de restaurer la paix entre les murs de

l'abbaye… et il était temps, car à l'extérieur de ses murs, la guerre menace à nouveau !

En effet, si les guerres de religion se calment plus ou moins en France, ce n'est pas le cas dans

l'Empire : la guerre de Trente Ans démarre en 1618. Ce conflit fut particulièrement meurtrier

car il divisait les princes, le clergé, et les petites gens. Entre ravages de mercenaires,

sièges, épidémies et famines, on prétend que l'Europe centrale aurait perdu presque

la moitié de sa population. Le cardinal français Richelieu se frotte les mains : pour affaiblir la

puissance des Habsbourg catholiques, il n'hésite pas à aider les protestants rebelles...alors que

dans le même temps, il lutte pour affaiblir les protestants dans son propre pays !

C'est un peu tordu, mais il ne faut pas oublier qu'à cette époque la France est

prise en tenaille par l'Espagne et le Saint-Empire. Mais en fin de compte,

Richelieu doit payer l'addition puisqu'en 1635, c'est la guerre.

Les troupes espagnoles redescendent des Flandres et assiègent Corbie en 1636. Le gouverneur de la

ville, Maximilien de la Belleferrière, se rend avant même le premier assaut,

après seulement 13 jours de siège. Il faut dire que la ville subit un sacré bombardement,

et que l'abbaye en souffre énormément. Pendant un temps, on croit même que ce

sont les moines de Corbie eux-mêmes qui ont demandé à Maximilien de rendre les

armes. Quoi qu'il en soit, c'est un drame, à la fois pour la France et pour l'abbaye.

La panique est totale : la Somme est la frontière de l'époque, et Corbie était la dernière vraie

place forte pour protéger Paris. Le peuple de la capitale tremble, l'urgence est maximale,

et on lève une armée de renfort en toute hâte pour reprendre Corbie. Les Espagnols

sont indélogeables : leurs réserves de grain sont immenses, la ville est bien fortifiée,

et ils ont pris position dans l'abbaye. Le cloître est un bivouac, le chapitre et

le réfectoire sont des magasins de vivres et des arsenaux - des réserves de poudres : une

étincelle, et on peut dire adieu à l'abbaye ! Heureusement, quelques pêcheurs Corbéens

connaissent bien le pays : de nuit, par voie d'eau, ils indiquent la route aux Français. Une

opération commando est lancée sur les moulins, qui sont incendiés. Les modestes pêcheurs sont

remerciés : ils sont exonérés de taxes à vie, et leurs maisons sont reconstruites à neuf

par le trésor royal. Pendant ce temps, privés de vivres, les Espagnols sont obligés de se rendre.

Franchement, l'état a vraiment été cool avec ces pêcheurs,

moi aussi j'aimerai bien que ma maison soit reconstruite à neuf par l'état.

Le pire est donc passé. D'ailleurs, pour faire bonne mesure, la troupe d'élite du roi et du

cardinal, les fameux “Grands Mousquetaires”, ou “Mousquetaires Gris”, est envoyée dans la

région. A leur tête, le célèbre Charles de Batz de Castelmore. Ce nom ne vous dit peut-être rien,

mais vous le connaissez : on l'appelle plus couramment d'Artagnan ! D'Artagnan,

au service du nouveau ministre Mazarin, sécurise les places, inspecte la frontière,

et fortifie les villes. Il multiplie les aller-retours entre Paris et Corbie,

qui aura l'honneur de recevoir sa visite, ainsi que celle du roi, et de la reine ! C'est qu'il est

hors de question de perdre à nouveau la Somme : on fait donc tout pour la conserver, jusqu'en 1659,

où la partie est gagnée : la frontière française avance considérablement au Nord,

ce qui permet d'ailleurs à d'Artagnan de gagner une promotion : il devient gouverneur de Lille.

Ça y est, Corbie est enfin en sécurité. Et c'est pas trop tôt,

car l'abbaye a énormément souffert de ces années de conflit et de bombardement !

En plus d'un cloître transformé en camp retranché,

la grande bibliothèque de l'abbaye, celle qui participa à la grandeur de Charlemagne,

est dépouillée. L'évêque croyait la protéger en apposant son sceau sur chacune des portes.

Mais des petits malins passèrent par les fenêtres arrières qui avaient été oubliées.

N'ayant brisé aucun sceau, ils commettent alors un “vol légal” de 400 ouvrages qui

sont alors déplacés vers Paris pour être mis en sécurité à Saint-Germain-des-Prés.

Les grands-prieurs commencent alors d'importantes restaurations : de 1662 à 1678, le cloître,

ses colonnes, voûtes et vitraux sont refaits à neuf. Puis au 18e siècle,

l'abbatiale connaît ses derniers aménagements intérieurs : les orgues

et le baldaquin. L'abbatiale débutée en 1501 est enfin achevée en 1775. Depuis la

fin de la Guerre de 30 ans et le traité de Westphalie de 1648, la paix règne.

La paix, vraiment ? Mais que contient ce fameux traité, qui est censé avoir plus ou

moins mis un terme aux guerres de religion en Europe ? Un concept tout nouveau, bête

comme chou : puisque les Protestants et les Catholiques sont incapables de s'entendre,

on décrète que chaque prince décide de la religion de son État. Un roi, un peuple,

une foi, une loi. C'est la base de la monarchie absolue, née de l'Humanisme.

Mais cette forme politique ne dure qu'un temps : après l'Humanisme, viennent les

idées des Lumières, d'une monarchie éclairée, et, finalement, d'une Révolution. En 1792, Corbie est

entraînée dans la tourmente. Abandonnée, pillée, elle perd ses 300 derniers ouvrages manuscrits

et ses 10.000 autres livres, qui sont stockés à la bibliothèque d'Amiens encore aujourd'hui.

Ses bâtiments faiblissent, ses toitures tombent. Elle ne s'en relèvera pas. En 1815 finalement,

il faut trancher, et au sens littéral du terme, puisqu'on tronque la grande église

abbatiale : elle passe de 115m à 35m, coupée en deux par un mur aveugle. Tout le reste est rasé.

Tout ce que vous voyez aujourd'hui ne représente que 5% de l'ancienne

abbaye ! Mais c'est suffisant ! Il reste déjà beaucoup de belles choses à voir !

La splendide porte monumentale de 1750, qui est désormais intégrée à la Place de la République, et

l'abbatiale elle-même, qui reste impressionnante. Le plus fou, c'est la reconstitution en réalité

virtuelle qui a été créée par la communauté de communes du Val de Somme : vive le 21e siècle,

qui nous permet d'arpenter à nouveau les bâtisses et les cloîtres aujourd'hui disparus.

Ce genre de technologies, en plus de mettre en valeur de patrimoine, réserve souvent de

belles surprises : les drones utilisés pour la photogrammétrie de l'abbatiale, par exemple,

ont découvert tout au sommet de l'abbatiale Saint-Pierre des statues parfaitement inconnues

jusqu'ici, car invisibles à l'œil nu ! De là-haut, Bathilde et ses sœurs veillent encore sur la

ville. Bathilde, c'est la grosse cloche de 1,8 tonne qui continue de mettre l'ambiance à Corbie.

Alors je vous invite vraiment à découvrir cette visite virtuelle assez extraordinaire,

et n'hésitez pas à profiter du code promo que je vous mets en description,

afin de bénéficier d'un petit tarif préférentiel pour cette

visite. Je remercie Somme Tourisme et Val de Somme Tourisme grâce à qui nous avons pu

faire cet épisode, notamment en me fournissant une quantité d'informations hallucinante,

puisque vous voyez, on a à peine eu le temps de parler des 16e et 18e siècles. Autant vous

dire dire qu'il vous reste des choses à découvrir sur place ! A très bientôt sur Nota Bene. Ciao !


L'abbaye aussi puissante que Rome ! - Corbie Die Abtei so mächtig wie Rom! - Corbie The abbey as powerful as Rome! - Corbie Una abadía tan poderosa como Roma - Corbie L'abbazia potente come Roma! - Corbie Opactwo tak potężne jak Rzym! - Corbie Аббатство, такое же могущественное, как Рим! - Корби Klostret lika mäktigt som Rom! - Corbie Roma kadar güçlü bir manastır! - Corbie 与罗马一样强大的修道院- 科比

Mes chers camarades bien le bonjour  et bienvenue dans le beau pays du Val de Somme,

plus précisément à Corbie.

Ce site est occupé depuis le paléolithique,

autant vous dire qu'il y a énormément de choses à raconter,  mais aujourd'hui on va revenir d'une façon un peu plus particulière

sur l'histoire d'un de ses monuments : l'abbaye !

Durant le Moyen Âge, l'abbaye de Corbie  se fait une place d'honneur grâce à

l'intervention d'une femme qui fait rarement  les choses à moitié, déjà connue pour sa lutte

active contre l'esclavage : Bathilde, reine  des Francs ! De simple servante du Palais,

elle s'est élevée jusqu'à la royauté en épousant  Clovis II. Son sens de la politique et sa grande

piété la poussent à fonder au 7e siècle l'abbaye  royale de Corbie, qui marquera l'histoire

de France. Bathilde veut à la fois convertir les païens de la région,

confirmer le pouvoir royal sur place, enfin structurer et administrer tout le pays.

Elle nomme alors un abbé au pouvoir démesuré : il possède 22.000 hectares de terre

où se répartissent 250 vassaux armés. Sur ce domaine, il est seul maître après Dieu,

ne payant aucune taxe ni aucun impôt. D'ailleurs, bien que liée à la règle

de Saint Benoît, l'abbaye n'est  contrôlée par aucun vicaire ou prélat

L'abbé fait justice, guerre, péage et monnaie...de  belles pièces sonnantes et trébuchantes,

parfois plus recherchées que  celles des rois des Francs !

A cette époque, les abbés sont donc de  véritables princes, parfois guerriers,

à l'image de Francon d'Amiens qui, au 10e  siècle, fortifie toute la région, creuse des

fossés et des canaux entre les rivières afin de  structurer ce qui sera la future ville d'Amiens.

Et vu que maintenant l'abbé Francon est protégé,

il peut à loisir poutrer du Viking à l'aide  de son armée. Un vrai guerrier qu'on a dit !

Bien sûr, le fait que l'abbé aie autant  de pouvoirs à une utilité pour le royaume.

Corbie sert particulièrement bien les rois  de France. Son domaine est une une tête

de pont royale face aux adversaires de la  Guerre de Cent Ans : les Flandres au Nord,

et la Bourgogne à l'Est. Elle est aussi à la  tête du réseau d'abbayes carolingiennes qui

modernisèrent la langue et l'écriture,  notamment en inventant pour l'empire de

Charlemagne la minuscule caroline, une écriture  encore utilisée de nos jours dans toute l'Europe.

Si vous voulez en savoir plus sur ce type  d'abbaye médiévale, Saint Riquier connaît

un développement similaire non loin de là.  Et ça tombe bien, puisqu'on a déjà sorti un

épisode à ce propos sur la chaîne, il ne tient  qu'à vous d'aller le voir pour en savoir plus !

Si la période du Moyen Âge est très  important pour l'abbaye de Corbie,

on ne va donc pas s'attarder dessus car ce qui  m'intéresse aujourd'hui, c'est de vous montrer

comme Corbie va connaître un second “âge  d'or” durant la Renaissance, indirectement

grâce à un souverain pas comme  les autres : François Ier...

En 1515, le roi François Ier est un jeune  roi auréolé par sa victoire de Marignan : il

profite de sa position de force pour finaliser la  politique religieuse des rois de France. En effet,

cela fait bien longtemps que les rois  Philippe Auguste, Saint Louis et Philippe

le Bel jouent une diplomatie complexe avec  l'Eglise : ils veulent rester catholiques,

mais sans avoir à obéir au pape. C'est ce qu'on  appelle le gallicanisme. Et c'est cette politique

que François Ier va parvenir à achever en  1516 : il signe le concordat de Bologne,

qui lui donne le pouvoir unique de gérer  le clergé et l'église au sein du royaume.

Je sais pas si vous vous rendez compte de la  petite révolution que ça représente ! Pour Corbie,

qui était déjà une abbaye de poids  directement liée à la famille royale,

cela signifie un accroissement  significatif de son pouvoir

politique. Son influence locale va désormais  devenir nationale, voire internationale.

En effet, le temps de la Renaissance est à  l'Humanisme : les arts et les écrits vantent

la grandeur du génie humain, quitte à amoindrir  le pouvoir divin. On questionne les dogmes,

et on cherche à moderniser l'Eglise. Des  figures comme Jean Calvin et Martin Luther

désirent accélérer le mouvement de cette réforme  déjà en marche ce qui donnera d'ailleurs le

protestantisme. Certains s'impatientent,  comme le roi d'Angleterre Henri VIII,

qui va s'inspirer du gallicanisme  Français pour fonder l'Anglicanisme.

Bon, à la base le type veut juste  divorcer pour prendre une autre femme,

ce qui va lui arriver un certain nombre  de fois, mais vu que l'église veut pas,

il fait scission. C'est un  peu radical mais ça marche !

En tout cas, la tension religieuse  de la Réforme devient vite politique

et militaire : la guerre menace l'Europe.  Et c'est là que Corbie entre en scène.

Depuis le Moyen Âge, l'abbaye n'a cessé de  gagner en puissance. Elle est désormais immense,

et plusieurs cloîtres et cours connectent entre  eux les bâtiments : dortoir, salle d'étude,

archive, réfectoire, salle du chapitre, cuisine,  infirmerie, mais aussi un tribunal et une prison,

puisque l'abbé rend justice ! Sans compter  les magasins de fourrages et autres bâtiments

d'artisanat et d'agriculture, où des centaines de  religieux, de laïcs et de serviteurs s'activent

sans cesse. On connaît assez bien les dimensions  du bâtiment Est du cloître principal : 7m de

large, 66m de long, plusieurs étages, il avait 13  portes qui donnaient directement sur le cloître.

Avec toute cette richesse récoltée sur le  pays alentour, les abbés décident d'ailleurs

de reconstruire l'église abbatiale en  1501. Les plans dessinent à l'époque

un des plus grands temples de France  : un sanctuaire pour l'autel, autour

duquel il y a 7 chapelles rayonnantes. Chacune  contient de riches reliques. Sainte Bathilde,

fondatrice de l'abbaye, est bien sûr mise  à l'honneur. Mais le vrai trésor, celui des

Corps Saints, a été rapporté de la 4e croisade  à Constantinople : couronne d'Épine du Christ,

bois de la Sainte Croix, et une Sainte Face, qu'on  disait alors peinte par un évangéliste, et devant

laquelle Richelieu adorait se recueillir.  Il y a tant de merveilles que Corbie est

surnommée “la deuxième Rome”. Et ce n'est que le  sanctuaire : ajoutez une longue nef de 115 mètres,

on prévoyait encore 20 chapelles supplémentaires.  A la croisée du transept, s'élève une immense tour

lanterne de 90m de haut, à laquelle se joignent  deux tours de 55m en façade de l'édifice.

En fait l'église de l'abbé peut  largement rivaliser avec n'importe

quelle cathédrale ! Enfin, sur le papier.  Car le concordat et les privilèges royaux

ont une contrepartie, un véritable fléau  pour l'abbaye, qui fait que cette église

mettra plus de 270 ans à être achevée !  Ce fléau, c'est le régime de la commende,

qui à la fois ralentit les travaux locaux de  l'abbaye et la projette sur la scène politique.

La commende, c'est lorsqu'on nomme un  commendataire, qui perçoit le bénéfice

de l'abbaye, ses revenus. Mais la petite  subtilité, c'est que cet “abbé” en titre peut

être quelqu'un qui n'est pas du tout religieux  : il ne gère pas la vie quotidienne des moines,

ni l'application de la règle monastique. Et  dans ce cas-là, c'est le prieur sur place

qui gère la vie de l'abbaye. Les rois de France  vont soumettre Corbie à ce régime, et donc la

confier à toutes sortes d'hommes politiques  ou de cardinaux, afin de les récompenser

de leurs services. Par exemple Mazarin,  ministre des rois Louis XIII et Louis XIV,

a été deux fois abbé commendataire de Corbie. La  plupart des autres abbés seront des princes de la

maison de Bourbon. Et c'est cela qui place Corbie  au milieu d'un conflit sanglant : les nouveaux

abbés, selon leur position sur l'échiquier  politique, entre catholicisme et protestantisme,

font participer Corbie aux Guerres de Religion  qui vont embraser la France et l'Europe.

De 1562 à 1598, en seulement 36 ans, la France  connaîtra 8 guerres de religion successives.

Les trêves ne durent jamais, car la peur  compromet toujours la paix. Par exemple,

en 1567, la première guerre de religion  est terminée. Mais l'Espagne catholique

attaque les Flandres protestantes. Leur armée  longe alors la frontière française non loin de

Corbie. Pour prévenir une agression espagnole,  on arme la province. Mais les protestants

Français craignent une nouvelle agression  contre eux, ce qui va alimenter la peur,

et concourir à faire éclater une  deuxième guerre de religion en France !

Alors qu'à la base...le but était  au contraire de se prémunir de toute

attaque des catholiques espagnols  ! On peut dire que c'est loupé !

L'élite au pouvoir est divisée  entre catholiques et protestants,

et le roi indécis ne sait plus où donner de la  tête. En 1573, le gouverneur de la Picardie -qui

contrôle donc militairement la zone frontalière  de la Somme et de Corbie- est un protestant,

Henri Ier de Bourbon-Condé, dit  “Condé”. Son influence est trop grande,

et en 1577 un vassal de l'abbaye de Corbie  s'oppose à lui en fondant la Ligue Picarde,

un rassemblement catholique. Il y eu plusieurs  ligues dans tout le royaume, mais c'est bien

cette Ligue, née à Corbie, qui sera l'embryon de  la Sainte Ligue Catholique, dirigée par le duc

Henri de Guise. En 1588, l'abbaye elle-même  adhère officiellement à la Ligue. Ça y est,

le roi est coincé : il y a deux grands partis en  France : Condé et ses protestant, Guise et ses

catholiques. La guerre civile se poursuit sans  relâche, le royaume se déchire. Cette situation

dégénère même jusqu'au régicide : Henri III fait  assassiner le duc de Guise en décembre 1588 et,

accusé de trahir le catholicisme, il est à son  tour tué en 1589 par un certain Jacques Clément.

Corbie, à fond dans la Ligue, se  réjouit de la mort du roi. Plus

que ça, elle nomme son propre abbé  commendataire, Charles de Bourbon,

nouveau roi de France ! Ouais... ils y vont à fond  ! Mais ce dernier meurt quelques mois plus tard.

Finalement, c'est Henri IV qui monte  sur le trône. Les guerres de religion,

débutées dans le nordique pays Corbéen par  deux hommes que tout opposait, Condé et Guise,

s'atténuent finalement grâce à un prince venu  du Sud, un Protestant baptisé Catholique.

Mais l'aventure est loin d'être finie pour  l'abbaye : si les armes de fer se taisent,

les armes spirituelles les remplacent.  C'est le début de la contre-réforme.

En 1545, débute le Concile de Trente : pendant  25 ans l'Eglise va se réunir pour répondre aux

objections de Jean Calvin et de Martin Luther.  Il faut “mettre aux normes” tout ce que le Moyen

Âge chrétien a apporté de diversités de cultes,  d'usages et de coutumes. Le concile répond donc

à certaines attentes, mais en rejette d'autres. Il  définit, en fin de compte, ce qui est catholique

et ce qui ne l'est pas. Bien sûr, cela définit  deux camps qui s'accusent mutuellement d'être

hérétiques, d'avoir une bible incomplète,  etc. Pour mener cette lutte idéologique,

l'Eglise va fonder de nouvelles congrégations, de  véritables “troupes d'élites intellectuelles”. Ce

sont les Jésuites en 1540, puis la congrégation  de Saint-Maur en 1618. Ces mouvements sont très

attractifs : ils ont le prestige de combattre  pour la “vraie foi”, ils sont réformateurs,

à la pointe de la nouvelle doctrine. De  plus, ils fondent leur évangélisation sur

une connaissance encyclopédique du monde, de la  religion, de la philosophie, de la théologie,

de la politique et de l'histoire. Et  Corbie fait son choix : après 1.000 ans

d'une relative autonomie, l'abbaye adhère à la  congrégation de Saint-Maur dès sa fondation.

D'ailleurs, une petite parenthèse à propos  de cette congrégation : en voulant fonder

une critique historique de la bible et du  christianisme, Saint-Maur a dû définir une

approche des sources historiques, une  méthode d'analyse, une façon de lire

les textes antiques : c'est ce qu'on appelle  la paléographie. En agissant pour l'Eglise,

la congrégation a paradoxalement fini par faire  considérablement avancer...la science historique !

Avec 700 ouvrages fondamentaux, des  dictionnaires, des chronologies,

des chroniques, etc., les 220 auteurs de  la congrégation ont permis, par la suite,

de bien connaître l'histoire de l'Antiquité et  du Moyen Âge. Encore aujourd'hui ces ouvrages

sont utilisés par les historiens, on les  reconnaît facilement puisqu'ils sont écrits

par des religieux, des “Dom quelque-chose” :  Dom Mabillon, Dom Devic, Dom Vaissète, etc.

Pour nous, c'est une bonne chose mais pour les  moines de Corbie de l'époque, c'était quand-même

un peu plus difficile : après des siècles de  laxisme et d'absence des abbés commendataires,

il a fallu tout à coup revenir à une nouvelle  règle, une discipline, des études...et ça s'est

plutôt mal passé : tous les vieux moines  n'étaient pas prêt à ce changement radical.

De nombreux conflits ont eu lieu entre  l'abbaye et la ville, car qui change la règle,

change aussi la gestion économique  du territoire. Il y a même eu des

affrontements entre les moines et leur propre  prieur, voire leur propre abbé ! Et on peut

le comprendre : l'abbé commendataire qui  a imposé la règle de Saint-Maur s'appelle

Louis de Lorraine, un homme puissant qui  est commendataire dans...5 autres abbayes !

Dans le genre cumul des mandats, “je  suis pas là, mais je ramasse le pognon”,

Louis touchait plutôt sa bille donc,  et on peut supposer qu'il n'était pas

très présent ni très soucieux du  quotidien des moines de Corbie…

On finit cependant par trouver une solution  rigolote : les nouveaux arrivants devaient

être formés à la nouvelle et stricte règle,  tandis que les plus âgés pouvaient continuer

de vivre selon l'ancienne coutume, jusqu'à  leur mort. C'est pas l'idéal si on est pressé,

mais cette petite astuce a permis de  restaurer la paix entre les murs de

l'abbaye… et il était temps, car à l'extérieur  de ses murs, la guerre menace à nouveau !

En effet, si les guerres de religion se calment  plus ou moins en France, ce n'est pas le cas dans

l'Empire : la guerre de Trente Ans démarre en  1618. Ce conflit fut particulièrement meurtrier

car il divisait les princes, le clergé, et les  petites gens. Entre ravages de mercenaires,

sièges, épidémies et famines, on prétend  que l'Europe centrale aurait perdu presque

la moitié de sa population. Le cardinal français  Richelieu se frotte les mains : pour affaiblir la

puissance des Habsbourg catholiques, il n'hésite  pas à aider les protestants rebelles...alors que

dans le même temps, il lutte pour affaiblir  les protestants dans son propre pays !

C'est un peu tordu, mais il ne faut pas  oublier qu'à cette époque la France est

prise en tenaille par l'Espagne et le  Saint-Empire. Mais en fin de compte,

Richelieu doit payer l'addition  puisqu'en 1635, c'est la guerre.

Les troupes espagnoles redescendent des Flandres  et assiègent Corbie en 1636. Le gouverneur de la

ville, Maximilien de la Belleferrière,  se rend avant même le premier assaut,

après seulement 13 jours de siège. Il faut  dire que la ville subit un sacré bombardement,

et que l'abbaye en souffre énormément.  Pendant un temps, on croit même que ce

sont les moines de Corbie eux-mêmes qui  ont demandé à Maximilien de rendre les

armes. Quoi qu'il en soit, c'est un drame,  à la fois pour la France et pour l'abbaye.

La panique est totale : la Somme est la frontière  de l'époque, et Corbie était la dernière vraie

place forte pour protéger Paris. Le peuple de  la capitale tremble, l'urgence est maximale,

et on lève une armée de renfort en toute  hâte pour reprendre Corbie. Les Espagnols

sont indélogeables : leurs réserves de grain  sont immenses, la ville est bien fortifiée,

et ils ont pris position dans l'abbaye.  Le cloître est un bivouac, le chapitre et

le réfectoire sont des magasins de vivres et  des arsenaux - des réserves de poudres : une

étincelle, et on peut dire adieu à l'abbaye  ! Heureusement, quelques pêcheurs Corbéens

connaissent bien le pays : de nuit, par voie  d'eau, ils indiquent la route aux Français. Une

opération commando est lancée sur les moulins,  qui sont incendiés. Les modestes pêcheurs sont

remerciés : ils sont exonérés de taxes à vie,  et leurs maisons sont reconstruites à neuf

par le trésor royal. Pendant ce temps, privés de  vivres, les Espagnols sont obligés de se rendre.

Franchement, l'état a vraiment  été cool avec ces pêcheurs,

moi aussi j'aimerai bien que ma maison  soit reconstruite à neuf par l'état.

Le pire est donc passé. D'ailleurs, pour faire  bonne mesure, la troupe d'élite du roi et du

cardinal, les fameux “Grands Mousquetaires”,  ou “Mousquetaires Gris”, est envoyée dans la

région. A leur tête, le célèbre Charles de Batz  de Castelmore. Ce nom ne vous dit peut-être rien,

mais vous le connaissez : on l'appelle  plus couramment d'Artagnan ! D'Artagnan,

au service du nouveau ministre Mazarin,  sécurise les places, inspecte la frontière,

et fortifie les villes. Il multiplie  les aller-retours entre Paris et Corbie,

qui aura l'honneur de recevoir sa visite, ainsi  que celle du roi, et de la reine ! C'est qu'il est

hors de question de perdre à nouveau la Somme : on  fait donc tout pour la conserver, jusqu'en 1659,

où la partie est gagnée : la frontière  française avance considérablement au Nord,

ce qui permet d'ailleurs à d'Artagnan de gagner  une promotion : il devient gouverneur de Lille.

Ça y est, Corbie est enfin en  sécurité. Et c'est pas trop tôt,

car l'abbaye a énormément souffert de ces  années de conflit et de bombardement !

En plus d'un cloître transformé en camp retranché,

la grande bibliothèque de l'abbaye, celle  qui participa à la grandeur de Charlemagne,

est dépouillée. L'évêque croyait la protéger  en apposant son sceau sur chacune des portes.

Mais des petits malins passèrent par les  fenêtres arrières qui avaient été oubliées.

N'ayant brisé aucun sceau, ils commettent  alors un “vol légal” de 400 ouvrages qui

sont alors déplacés vers Paris pour être  mis en sécurité à Saint-Germain-des-Prés.

Les grands-prieurs commencent alors d'importantes  restaurations : de 1662 à 1678, le cloître,

ses colonnes, voûtes et vitraux sont  refaits à neuf. Puis au 18e siècle,

l'abbatiale connaît ses derniers  aménagements intérieurs : les orgues

et le baldaquin. L'abbatiale débutée en  1501 est enfin achevée en 1775. Depuis la

fin de la Guerre de 30 ans et le traité  de Westphalie de 1648, la paix règne.

La paix, vraiment ? Mais que contient ce  fameux traité, qui est censé avoir plus ou

moins mis un terme aux guerres de religion  en Europe ? Un concept tout nouveau, bête

comme chou : puisque les Protestants et les  Catholiques sont incapables de s'entendre,

on décrète que chaque prince décide de la  religion de son État. Un roi, un peuple,

une foi, une loi. C'est la base de la  monarchie absolue, née de l'Humanisme.

Mais cette forme politique ne dure qu'un  temps : après l'Humanisme, viennent les

idées des Lumières, d'une monarchie éclairée, et,  finalement, d'une Révolution. En 1792, Corbie est

entraînée dans la tourmente. Abandonnée, pillée,  elle perd ses 300 derniers ouvrages manuscrits

et ses 10.000 autres livres, qui sont stockés  à la bibliothèque d'Amiens encore aujourd'hui.

Ses bâtiments faiblissent, ses toitures tombent.  Elle ne s'en relèvera pas. En 1815 finalement,

il faut trancher, et au sens littéral du  terme, puisqu'on tronque la grande église

abbatiale : elle passe de 115m à 35m, coupée en  deux par un mur aveugle. Tout le reste est rasé.

Tout ce que vous voyez aujourd'hui  ne représente que 5% de l'ancienne

abbaye ! Mais c'est suffisant ! Il reste  déjà beaucoup de belles choses à voir !

La splendide porte monumentale de 1750, qui est  désormais intégrée à la Place de la République, et

l'abbatiale elle-même, qui reste impressionnante.  Le plus fou, c'est la reconstitution en réalité

virtuelle qui a été créée par la communauté de  communes du Val de Somme : vive le 21e siècle,

qui nous permet d'arpenter à nouveau les  bâtisses et les cloîtres aujourd'hui disparus.

Ce genre de technologies, en plus de mettre  en valeur de patrimoine, réserve souvent de

belles surprises : les drones utilisés pour la  photogrammétrie de l'abbatiale, par exemple,

ont découvert tout au sommet de l'abbatiale  Saint-Pierre des statues parfaitement inconnues

jusqu'ici, car invisibles à l'œil nu ! De là-haut,  Bathilde et ses sœurs veillent encore sur la

ville. Bathilde, c'est la grosse cloche de 1,8  tonne qui continue de mettre l'ambiance à Corbie.

Alors je vous invite vraiment à découvrir  cette visite virtuelle assez extraordinaire,

et n'hésitez pas à profiter du code  promo que je vous mets en description,

afin de bénéficier d'un petit  tarif préférentiel pour cette

visite. Je remercie Somme Tourisme et Val  de Somme Tourisme grâce à qui nous avons pu

faire cet épisode, notamment en me fournissant  une quantité d'informations hallucinante,

puisque vous voyez, on a à peine eu le temps  de parler des 16e et 18e siècles. Autant vous

dire dire qu'il vous reste des choses à découvrir  sur place ! A très bientôt sur Nota Bene. Ciao !