La mythique histoire des 3 royaumes - Histoire de la Chine
Mes chers camarades, bien le bonjour !
Pour ceux d'entre vous qui ont beaucoup joué aux jeux vidéo, jadis, dans des temps lointain...quand
on avait encore le temps...C'était bien...Bref...pour beaucoup de joueurs,
le simple fait d'évoquer l'Histoire de la Chine vous fait replonger inévitablement dans la saga
Dynasty Warriors : un jeu de baston où tu incarnes un général et donc le but est principalement de
taper sur tout ce qui bouge en pleine période des trois royaumes, au 3eme siècle de notre ère !
D'ailleurs cette période a souvent servi de trame de fond pour d'autres jeux vidéo,
des séries et des films comme Falaise rouge de John Woo. Les Trois royaumes,
c'est aussi un roman de cape et d'épée du quatorzième siècle de Luo Guanzhong,
qui est à la littérature chinoise ce que les Trois mousquetaires sont à la française. Les
Trois royaumes, c'est encore d'innombrables expressions passées dans la langue courante.
Par exemple l'expression française « quand on parle du loup » se dit en chinois « quand
on parle de Cao Cao », du nom du protagoniste principal du future royaume du Nord, le Wei,
durant cette période. Les Trois royaumes, c'est enfin des cultes, rendus en divers endroits
du monde chinois, à plusieurs héros, dont Guan Yu et Zhang Fei, du royaume méridional du Shu.
C'est tout ça, mais c'est surtout une période historique, courte et intense,
à laquelle sont associés des personnages charismatiques qui sont passés, en presque
deux millénaires, de l'histoire à la légende. Je vous propose donc aujourd'hui une première
approche des Trois royaumes où l'on va découvrir le contexte général bien sûr,
mais aussi l'écriture et l'interprétation de cette période complexe ! C'est parti !
Avant de rentrer dans le dur du sujet, je vous propose de faire un petit point
sur les sources que l'on a à propos de la période des trois royaumes.
Aujourd'hui l'histoire officielle de la période est la Monographie des Trois royaumes,
écrite par Chen Shou à la fin du troisième siècle. Mais elle ne fut pas la seule,
et Chen Shou s'est sans doute inspiré d'autres histoires contemporaines,
bien que la plupart aient été perdues avec le temps. Comme les deux premières
histoires dynastiques chinoises que sont les Mémoires historiques de Sima Qian et le
Livre des Han de Ban Gu, la Monographie des Trois royaumes est une œuvre individuelle,
et cela nous permet de suivre la prose de l'auteur et ses interrogations au plus près.
Et ça c'est super important, parce que ça nous laisse une trace sans le vernis bureaucratique qui
va venir recouvrir beaucoup d'œuvres collectives qui seront issues du bureau de l'histoire,
une institution en charge de la compilation officielle des histoires dynastiques qui
sera mise en place au septième siècle. Une sorte de fabrique à Roman National quoi.
L'ouvrage est divisé en trois parties, chaque royaume se voyant accorder au
moins une quinzaine de chapitres, et Chen Shou fait une sorte d'inventaire de tous les
personnages de la période et des actions qu'ils peuvent faire. Mais le livre est
relativement court et sera complétée plus d'un siècle plus tard, sur initiative impériale,
par les commentaires de Pei Songzhi qui enrichissent et approfondissent le texte initial.
Et c'est cette forme là qui est parvenue
jusqu'à nous pour y voir plus clair ! Outre la production littéraire de certains
acteurs comme Cao Cao et ses fils Cao Pi et Cao Zhi qui étaient de grands poètes,
on bénéficie depuis une vingtaine d'année de la mise au jour d'archives administratives déposées
dans des puits, notamment à Changsha, une ville méridionale située dans la province actuelle du
Hunan, et qui était à l'époque entre les royaumes de Wu et de Shu. Des documents qui nous permettent
d'affiner notre compréhension de l'histoire de la période, notamment au niveau local.
L'autre truc paradoxal qu'on doit absolument dire pour comprendre un peu la période, c'est un truc
assez paradoxal. Les trois royaumes, c'est une période qui s'étale de la chute de la dynastie
des Han en 220 à la réunification éphémère par celle des Jin en 280. Pourtant, la plupart des
événements que l'on connait aujourd'hui des trois royaumes se sont déroulés avant, au cours des
trente années de la lente et douloureuse fin de règne des Han. Bizarre non ? Et bah oui et non !
En fait ça pose la question de la périodisation : Pour certains les
trois royaumes c'est tout autant la fin de l'Antiquité chinoise avec le
déclin de la dynastie de Han que le début des Six Dynasties, qui se déroule durant
le haut Moyen âge chinois que l'on fait aujourd'hui débuter avec la chute des Han,
et qui s'achève à la fin du sixième siècle avec la réunification impériale réalisée par les Sui.
En tout cas ce qui est sûr c'est que cette histoire des trois royaumes est écrite après coup,
à partir de 280, soit la date de la fin desdits royaumes. Et puis vous imaginez bien qu'on appelle
ça les « Trois Royaumes » mais que chaque royaume de l'époque se considérait chacun comme les seuls
restaurateurs de l'unité impériale. Ils étaient là pour gagner hein !
Tout ça pose aussi une autre question, d'où est écrite cette histoire ? Il est
assez évident que selon la cour dont dépendent les scribes et les historiens, on va légitimer
telle ou telle dynastie plutôt qu'une autre. Du coup même si on a l'impression d'avoir une
écriture en apparence factuelle d'événements, ce n'est pas tellement le cas ! Et d'ailleurs on
le détecte notamment quand certains souverains se font appeler par leur nom personnel au lieu
d'employer leur nom de temple, c'est à dire le titre honorifique qu'on leur donne après
leur mort. Généralement si vous lisez ça, c'est qu'il y a anguille sous roche dans le texte !
Voilà, on posé le cadre, maintenant on va enfin pouvoir rentrer dans le vif du sujet : la BASTON !
La première étincelle qui marque le déclin des Han est la Révolte des Turbans jaunes en
184. Une sorte de secte taoïste qui profite d'une grande crise agraire pour fédérer des centaines de milliers d'adeptes partout sur le territoire avant d'organiser un soulèvement contre l'empereur.
Le pouvoir parvient à mater ce mouvement en mobilisant plusieurs généraux et leurs troupes.
Problème : quand ils s'imposent par les armes, ces généraux ont souvent des idées derrière la tête…
C'est le cas de Dong Zhuo qui se rebelle à son tour et fait alors peser une menace terrible
sur le nord. En 189, les puissants eunuques de l'empereur sont assassinés à Luoyang,
la cour de la capitale des Han de l'Est, et la ville est ensuite mise
à feu et à sang sous l'action des troupes commandées par Dong Zhuo.
Cao Cao, un autre général ambitieux qui est également sorti victorieux de ses
combats contre les Turbans jaunes, a la présence d'esprit de ne pas se retourner contre l'empire,
et il prend au contraire la tête des forces loyalistes pour contenir le traitre Dong Zhuo. Une
dizaine d'années et de combats plus tard, Cao Cao finit par contrôler la cour et le Nord du pays,
mais il préfère ne pas déposer l'empereur, qui lui sert de symbole de légitimité.
Mais c'est vraiment pour la façade hein ! Derrière, c'est bien lui qui est aux manettes !
Dans le sud-est, la situation est différente. Suite à la mort soudaine de son frère ainé en 200,
Sun Quan , qui n'a que dix-huit ans, prend le pouvoir dans la zone du cours inférieur
du fleuve Bleu, le Yang-tzeu. Il doit à la fois faire face aux ambitions de
ses propres généraux et se prémunir face aux envies expansionnistes de
Cao Cao qui lorgne sur son territoire. Au prix de plusieurs succès militaires,
il consolide son pouvoir et organise son royaume à partir de l'actuelle ville de Nankin,
qui restera la capitale des autres États dits des Six dynasties, jusqu'au sixième siècle.
Au sud-ouest, Liu Bei contrôle à partir de l'épisode des Turbans jaunes une région
rayonnant autour de la province actuelle du Sichuan. Il bénéficie, dans ce qui ressemble
à une entreprise collective, de l'aide de ses fidèles amis et généraux Zhang Fei et Guan Yu,
ainsi que du conseiller Zhuge Liang qui le pousse à affirmer ses ambitions politiques.
En 208, les deux futurs royaumes méridionaux de Liu Bei et de Sun Quan s'allient après d'intenses
échanges pour combattre Cao Cao lors de la fameuse bataille de la falaise rouge.
Sans doute LA bataille qui m'a marqué dans tous les dynasty warriors.
Mais c'est pas une info qui apporte vraiment du contexte à l'épisode...donc euh...voilà.
La coalition remporte en tout cas la victoire et sera marqué à la fois par le génie stratégie
de Zhuge Liang et les prouesses intrépides des généraux du sud à la tête de quelques dizaines
de milliers de soldats, face à la puissance de feu et à l'assurance de Cao Cao, qui ne s'imaginait
pas perdre, surtout avec un contingent évalué par certaines sources à huit cent mille hommes ! La
défaite est dure à avaler pour les armées du nord et fige la répartition du territoire entre les
différents acteurs du conflit, privant Cao Cao de son rêve : réunifier les royaumes.
En 220, c'est paradoxalement la mort de Cao Cao qui marque la fin officielle des Han. En effet,
Cao Pi, le fils aîné de Cao Cao, profite de succéder à son père pour déposer le
dernier empereur des Han et fonde l'État de Wei, dont il prend la tête. La proclamation
du Wei en 220 est donc la date retenue pour faire débuter les Trois Royaumes.
Et évidemment tout le monde veut se placer au-dessus des autres.
Cao Pi se déclare empereur et récipiendaire du mandat céleste, il se considère comme le
souverain unique de tout ce que l'on trouve « Sous-le-Ciel », soit le monde connu. Liu
Bei lui emboîte le pas et se déclare empereur dans la foulée, en 221. Il tire quant à lui sa
légitimité d'une filiation avec le clan régnant des Han, dont le nom de famille était Liu et
dont il propose ainsi la continuation, bien que dans une région différente. L'année suivante,
c'est au tour de Sun Quan à l'est de se proclamer roi, avant de prendre le titre d'empereur, en 229.
On a donc à cette époque une partition de l'Empire chinois en trois. Mais à part ça,
est ce qu'il se passe beaucoup de choses au niveau social ou institutionnel ? Et bien
Oui et non : les différents souverains mettent en place certaines politiques agricoles relativement
efficaces, ils entretiennent et améliorent les infrastructures routières, mais les conflits
internes aux royaumes ont forcé de nombreuses migrations de populations en plus d'affaiblir
chacune de ces entités face aux menaces extérieures, principalement face aux populations
non chinoises du nord, qui contrôleront le nord du pays dans les siècles suivants.
Politiquement, la période est marquée par la montée en puissance au nord du clan des Sima,
qui vont faire au clan Cao du Wei, ce que ces mêmes Cao avaient fait aux Han. Cette période
transitoire s'achève en 280, lorsque le Wu succombe, après le Wei et le Shu,
aux mains des Jin, dont la prise de pouvoir s'inscrit dans la continuité impériale des Han.
Pour résumer, c'est une période brève mais qui, dans les siècles suivants,
a un impact politique et culturel assez important ! Mais pourquoi ? On pourrait
comparer ça à la crise qui parcourt l'empire romain au troisième siècle. Au final les Trois
royaumes c'est une longue crise qui ébranle l'empire chinois mais qui s'achève par la
restauration impériale des Jin en 280. Et les Jin, ça change pas beaucoup de Han en
réalité ! Le véritable changement a plus sûrement lieu au quatrième siècle avec la chute des Jin,
et le rééquilibrage spatial et économique de l'empire vers le sud-est de l'empire,
qui deviendra le centre de gravité du monde chinois jusqu'à aujourd'hui.
Politiquement, avec la fin de l'unité impériale des Han, on prend finalement conscience que la
division est possible, et la volonté de revenir à l'unité impériale va tarauder
tous les monarques suivants. Et quand l'unité se réalise de nouveau avec la réunification des Jin,
elle ne dure pas. Le célèbre roman des Trois Royaumes commence d'ailleurs par une phrase
devenue célèbre : « Ce qui fut longtemps divisé doit assurément, un jour, retrouver
son unité. Et ce qui, longtemps, fut uni, doit un jour, fatalement, se diviser à nouveau ».
Culturellement en tout cas, les batailles et les intrigues de la période des trois
royaumes nourrissent l'imaginaire des auteurs et de la population. On assiste à la naissance
de véritables super-héros, des archétypes, inspirés directement des personnages historiques.
On trouve le souverain brillant et féroce incarné par Cao Cao, le héros téméraire sous les traits
de Zhang Fei et Guan Yu, le stratège de génie avec Zhuge Liang. Au delà de ça,
si on a beaucoup insisté sur le côté guerrier de ces protagonistes,
ils ont également pu faire évoluer l'art. Il ne faut pas oublier que Cao Cao a aussi été un
immense poète ! La multiplication des peintures, des statues, des œuvres littéraires et finalement
même de cultes religieux consacrés aux généraux comme Guan Yu et Zhang Fei signale l'importance
grandissante à ce type de personnages, qui finissent par être tellement populaire
qu'ils finissent pas dépasser la figure de certains des souverains qu'ils servaient.
Le célèbre Guan Yu, c'est carrément devenu une figure divine qui en
Chine est célébré des policiers jusqu'aux malfrats. Quand même !
Ce qui est sûr c'est que la perception des trois royaumes, de nos jours,
est un peu faussée par les légendes qui entourent la période et par ce côté super héros qu'on a
donné aux différentes protagonistes de l'histoire. Liu Bei, qui était carré,
très martial, devient bienveillant mais faible ; Zhuge Liang, avait beaucoup de qualité mais
elles ont sans doute été exagérées avec le temps en partie parce qu'il a choisit de
rester à sa place de conseiller sans tenter de prendre le pouvoir. Enfin, l'importance réelle
de la bataille de la falaise rouge a éclipsé d'autres conflits, au moins aussi importants,
comme la bataille du mont Dingjun de 219 entre le Shu et le Wei. Mais quoi qu'on en dise,
les Trois Royaumes ont eu et continuent de tenir une place unique dans l'histoire chinoise.
Merci à tous d'avoir suivi cet épisode écrit avec Alexis Lycas, maître de conférences en histoire de
la Chine médiévale à l'école pratique des hautes études. Merci à Tianci Media une nouvelle fois
qui permet à cette série autour de l'Histoire de la Chine d'exister. N'oubliez pas de vous partager
et de commenter si ça vous a plu, de me suivre ici ou sur ma chaîne bonus Nota
Bonus sur laquelle vous pouvez retrouver plein de vidéos supplémentaires dont des entretiens
avec des historiens et des archéologues. On se revoit très vite par ici ! Ciao !