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LA MACHINE À EXPLORER LE TEMPS, CHAPITRE VII – UN COUP INATTENDU

CHAPITRE VII – UN COUP INATTENDU

« TANDIS que je méditais sur ce trop parfait triomphe de l'homme, la pleine lune, jaune et gibbeuse, surgit au nord-est, d'un débordement de lumière argentée. Les brillants petits êtres cessèrent de s'agiter au-dessous de moi, un hibou silencieux voltigea, et je frissonnai à l'air frais de la nuit. Je me décidai à descendre et à trouver un endroit où je pourrais dormir.

« Des yeux je cherchai l'édifice que je connaissais. Puis mon regard se prolongea jusqu'au Sphinx Blanc sur son piédestal de bronze, de plus en plus distinct à mesure que la lune montante devenait plus brillante. Je pouvais voir, tout auprès, le bouleau argenté. D'un côté, le fourré enchevêtré des rhododendrons, sombre dans la lumière pâle ; de l'autre, la petite pelouse. Un doute singulier glaça ma satisfaction.

« Non, me dis-je résolument, ce n'est pas la « pelouse. » « Mais c'était bien la pelouse, car la face lépreuse et blême du Sphinx était tournée de son côté. Imaginez-vous ce que je dus ressentir lorsque j'en eus la parfaite conviction. Mais vous ne le pourrez pas… La Machine avait disparu !

« À ce moment, comme un coup de fouet à travers la face, me vint à l'idée la possibilité de perdre ma propre époque, d'être laissé impuissant dans cet étrange nouveau monde. Cette seule pensée m'était une réelle angoisse physique. Je la sentais m'étreindre la gorge et me couper la respiration. Un instant après, j'étais en proie à un accès de folle crainte et je me mis à dévaler la colline, si bien que je m'étalai par terre de tout mon long et me fis cette coupure au visage. Je ne perdis pas un moment à étancher le sang, mais sautant de nouveau sur mes pieds, je me remis à courir avec, au long des joues et du menton, le petit ruissellement tiède du sang que je perdais. Pendant tout le temps que je courus, j'essayai de me tranquilliser :

« “Ils l'ont changée de place ; ils l'ont poussée sous les buissons, hors du chemin.”

« Néanmoins, je courais de toutes mes forces. Tout le temps, avec cette certitude qui suit parfois une terreur excessive, je savais qu'une pareille assurance était simple folie, je savais instinctivement que la Machine avait été transportée hors de mon atteinte. Je respirais avec peine. Je suppose avoir parcouru la distance entière de la crête de la colline à la petite pelouse, trois kilomètres environ, en dix minutes, et je ne suis plus un jeune homme. En courant, je maudissais tout haut la folle confiance qui m'avait fait abandonner la Machine, et je gaspillais ainsi mon souffle. Je criais de toutes mes forces et personne ne répondait. Aucune créature ne semblait remuer dans ce monde que seule éclairait la clarté lunaire.

« Quand je parvins à la pelouse, mes pires craintes se trouvèrent réalisées. Nulle trace de la Machine. Je me sentis défaillant et glacé lorsque je fus devant l'espace vide, parmi le sombre enchevêtrement des buissons. Courant furieusement, j'en fis le tour, comme si la Machine avait pu être cachée dans quelque coin, puis je m'arrêtai brusquement, m'étreignant la tête de mes mains. Au-dessus de moi, sur son piédestal de bronze, le Sphinx Blanc dominait, lépreux, luisant aux clartés de la lune qui montait. Il paraissait sourire et se railler de ma consternation.

« J'aurais pu me consoler en imaginant que les petits êtres avaient rangé la Machine sous quelque abri, si je n'avais pas été convaincu de leur imperfection physique et intellectuelle. C'est là ce qui me consternait : le sens de quelque pouvoir jusque-là insoupçonné, par l'intervention duquel mon invention avait disparu. Cependant j'étais certain d'une chose : à moins que quelque autre époque ait produit son exact duplicata, la Machine ne pouvait s'être mue dans le temps, les attaches des leviers empêchant, quand ceux-ci sont enlevés – je vous en montrerai tout à l'heure la méthode –, que quelqu'un expérimente d'une façon quelconque la Machine. On l'avait emportée et cachée seulement dans l'espace. Mais alors où pouvait-elle bien être ?

« Je crois que je dus être pris de quelque accès de frénésie ; je me rappelle avoir exploré à la clarté de la lune, en une précipitation violente, tous les buissons qui entouraient le Sphinx et avoir effrayé une espèce d'animal blanc, que, dans la clarté confuse, je pris pour un petit daim. Je me rappelle aussi, tard dans la nuit, avoir battu les fourrés avec mes poings fermés jusqu'à ce que, à force de casser les menues branches, mes jointures fussent tailladées et sanglantes. Puis, sanglotant et délirant dans mon angoisse, je descendis jusqu'au grand bâtiment de pierre. La grande salle était obscure, silencieuse et déserte. Je glissai sur le sol inégal et tombai sur l'une des tables de malachite, me brisant presque le tibia. J'allumai une allumette et pénétrai au-delà des rideaux poussiéreux dont je vous ai déjà parlé.

« Là, je trouvai une autre grande salle couverte de coussins, sur lesquels une vingtaine environ de petits êtres dormaient. Je suis sûr qu'ils trouvèrent ma seconde apparition assez étrange, surgissant tout à coup des ténèbres paisibles avec des bruits inarticulés et le craquement et la flamme soudaine d'une allumette. Car ils ne savaient plus ce que c'était que des allumettes.

« Où est la Machine ? » commençai-je, braillant comme un enfant en colère, les prenant et les secouant tour à tour.

« Cela dut leur sembler fort drôle. Quelques-uns rirent, la plupart semblaient douloureusement effrayés. Quand je les vis qui m'entouraient, il me vint à l'esprit que je faisais la pire sottise en essayant de faire revivre chez eux la sensation de peur. Car, raisonnant d'après leur façon d'être pendant le jour, je supposais qu'ils avaient oublié leurs frayeurs.

« Brusquement, je jetai l'allumette et, heurtant quelqu'un dans ma course, je sortis en courant à travers la grande salle à manger jusque dehors sous la clarté lunaire. J'entendis des cris de terreur et leurs petits pieds courir et trébucher de-ci, de-là. Je ne me rappelle pas tout ce que j'ai pu faire pendant que la lune parcourait le ciel. Je suppose que c'était la nature imprévue de ma perte qui m'affolait. Je me sentais sans espoir séparé de ceux de mon espèce – étrange animal dans un monde inconnu. Je dus sans doute errer en divaguant, criant et vociférant contre Dieu et le Destin. J'ai souvenir d'une horrible fatigue, tandis que la longue nuit de désespoir s'écoulait ; je me rappelle avoir cherché dans tel ou tel endroit impossible, tâtonné parmi les ruines et touché d'étranges créatures dans l'obscurité, et à la fin m'être étendu près du Sphinx et avoir pleuré misérablement, car même ma colère d'avoir eu la folie d'abandonner la Machine était partie avec mes forces. Il ne me restait rien que ma misère. Puis je m'endormis, lorsque je m'éveillai, il faisait jour et un couple de moineaux sautillait autour de moi sur le gazon, à portée de ma main.

« Je m'assis, essayant, dans la fraîcheur du matin, de me rappeler comment j'étais venu là et pourquoi j'avais une pareille sensation d'abandon et de désespoir. Alors les choses me revinrent claires à l'esprit. Avec la lumière distincte et raisonnable, je pouvais nettement envisager ma situation. Je compris la folle stupidité de ma frénésie de la veille et je pus me raisonner.

« Supposons le pire, disais-je. Supposons la Machine définitivement perdue, détruite peut-être ? Il m'est nécessaire d'être calme et patient ; d'apprendre les manières d'être de ces gens ; d'acquérir une idée nette de la façon dont ma perte s'était faite, et les moyens d'obtenir des matériaux et des outils, de façon à pouvoir peut-être, à la fin, faire une autre machine. Ce devait être là ma seule espérance, une pauvre espérance, sans doute, mais meilleure que le désespoir. Et après tout, c'était un monde curieux et splendide.

« Mais probablement la Machine n'avait été que soustraite. Encore fallait-il être calme et patient, trouver où elle avait été cachée, et la ravoir par ruse ou par force. Je me mis péniblement sur mes pieds et regardai tout autour de moi, me demandant où je pourrais procéder à ma toilette. Je me sentais fatigué, roide et sali par le voyage. La fraîcheur du matin me fit désirer une fraîcheur égale. J'avais épuisé mon émotion. À vrai dire, en cherchant ce qu'il me fallait, je fus surpris de mon excitation de la veille. J'examinai soigneusement le sol de la petite pelouse. Je perdis du temps en questions futiles, faites du mieux que je pus à ceux des petits êtres qui s'approchaient. Aucun ne parvint à comprendre mes gestes ; certains restèrent tout simplement stupides ; d'autres crurent à une plaisanterie et me rirent au nez. Ce fut pour moi la tâche la plus difficile au monde d'empêcher mes mains de gifler leurs jolies faces rieuses. C'était une impulsion absurde, mais le démon engendré par la crainte et la colère aveugle était mal contenu et toujours impatient de prendre avantage de ma perplexité. Le gazon me fut de meilleur conseil. Environ à moitié chemin du piédestal et des empreintes de pas qui signalaient l'endroit où, à mon arrivée, j'avais dû remettre debout la Machine, je trouvai une traînée dans le gazon. Il y avait, à côté, d'autres traces de transport avec d'étroites et bizarres marques de pas comme celles que j'aurais pu imaginer faites par un de ces curieux animaux qu'on appelle des paresseux. Cela ramena mon attention plus près du piédestal. Il était de bronze, comme je crois vous l'avoir dit. Ce n'était pas un simple bloc, mais il était fort bien décoré, sur chaque côté, de panneaux profondément encastrés. Je les frappai tour à tour. Le piédestal était creux. En examinant avec soin les panneaux, j'aperçus entre eux et les cadres un étroit intervalle. Il n'y avait ni poignées, ni serrures, mais peut-être que les panneaux, s'ils étaient des portes comme je le supposais, s'ouvraient en dedans. Une chose maintenant était assez claire à mon esprit, et il ne me fallut pas un grand effort mental pour inférer que ma Machine était dans ce piédestal. Mais comment elle y était entrée, c'était une autre question.

« Entre les buissons et sous les pommiers couverts de fleurs, j'aperçus les têtes de deux petites créatures drapées d'étoffes orange, venant vers moi. Je me tournai vers elles en leur souriant et leur faisant signe de s'approcher. Elles vinrent, et leur indiquant le piédestal de bronze, j'essayai de leur faire entendre que je désirais l'ouvrir. Mais dès mes premiers gestes, elles se comportèrent d'une façon très singulière. Je ne sais comment vous rendre leur expression. Supposez que vous fassiez à une dame respectable des gestes grossiers et malséants – elles avaient l'air qu'elle aurait pris. Elles s'éloignèrent comme si elles avaient reçu les pires injures. J'essayai ensuite l'effet de ma mimique sur un petit bonhomme vêtu de blanc et à l'air très doux : le résultat fut exactement le même. En un sens son attitude me rendit tout honteux. Mais vous comprenez, je voulais retrouver la Machine, et je recommençai ; quand je le vis tourner les talons comme les autres, ma mauvaise humeur eut le dessus. En trois enjambées, je l'eus rejoint, attrapé par la partie flottante de son vêtement autour du cou, et je le traînai du côté du Sphinx. Mais sa figure avait une telle expression d'horreur et de répugnance que je le lâchai.

« Cependant je ne voulais pas encore m'avouer battu ; je heurtai de mes poings les panneaux de bronze. Je crus entendre quelque agitation à l'intérieur – pour être plus clair, je crus distinguer des rires étouffés – mais je dus me tromper. Alors j'allai chercher au fleuve un gros caillou et me remis à marteler un panneau, jusqu'à ce que j'eusse aplati le relief d'une décoration et que le vert-de-gris fût tombé par plaques poudreuses. Les fragiles petits êtres durent m'entendre frapper à violentes reprises, jusqu'à quinze cents mètres ; mais ils ne se dérangèrent pas. Je pouvais les voir par groupes sur les pentes, jetant de mon côté des regards furtifs. Enfin, essoufflé et fatigué, je m'assis pour surveiller la place. Mais j'étais trop agité pour rester longtemps tranquille. Je suis trop occidental pour une longue faction. Je pourrais travailler au même problème pendant des années, mais rester inactif vingt-quatre heures – c'est une autre affaire.

« Au bout d'un instant je me levai et je me mis à marcher sans but à travers les fourrés et vers la colline.

« Patience, me disais-je, si tu veux avoir ta Machine, il te faut laisser le Sphinx tranquille. S'ils veulent la garder, il est inutile d'abîmer leurs panneaux de bronze, et s'ils ne veulent pas la garder, ils te la rendront aussitôt que tu pourras la leur réclamer. S'acharner, parmi toutes ces choses inconnues, sur une énigme comme celle-là est désespérant. C'est le chemin de la monomanie. Affronte ce monde nouveau. Apprends ses mœurs, observe-le, abstiens-toi de conclusion hâtive quant à ses intentions. À la fin tu trouveras le fil de tout cela. » « Alors je m'aperçus tout à coup du comique de la situation : la pensée des années que j'avais employées en études et en labeurs pour parvenir aux âges futurs, et maintenant l'ardente angoisse d'en sortir. Je m'étais fabriqué le traquenard le plus compliqué et le plus désespérant qu'un homme eût jamais imaginé. Bien que ce fût à mes propres dépens, je ne pouvais m'en empêcher : je riais aux éclats.

« Comme je traversais le grand palais, il me sembla que les petits êtres m'évitaient. Était-ce simple imagination de ma part ? ou l'effet de mes coups de pierre dans les portes de bronze ? Quoi qu'il en soit, j'étais à peu près sûr qu'ils me fuyaient. Je pris soin néanmoins de ne rien laisser paraître, et de m'abstenir de les poursuivre ; au bout de deux ou trois jours, les choses se remirent sur le même pied qu'auparavant. Je fis tous les progrès que je pus dans leur langage et de plus je poussai des explorations ici et là. À moins que je n'eusse pas aperçu quelque point subtil, leur langue était excessivement simple – presque exclusivement composée de substantifs concrets et de verbes. Il ne paraissait pas y avoir beaucoup – s'il y en avait – de termes abstraits, et ils employaient peu la langue figurée. Leurs phrases étaient habituellement très simples, composées de deux mots, et je ne pouvais leur faire entendre – et comprendre moi-même – que les plus simples propositions. Je me décidai à laisser l'idée de ma Machine et le mystère des portes de bronze autant que possible à l'écart, jusqu'à ce que mes connaissances augmentées pussent m'y ramener d'une façon naturelle. Cependant un certain sentiment, comme vous pouvez le comprendre, me retenait dans un cercle de quelques kilomètres autour du lieu de mon arrivée.


CHAPITRE VII – UN COUP INATTENDU CHAPTER VII - AN UNEXPECTED BLOW CAPÍTULO VII - UN GOLPE INESPERADO HOOFDSTUK VII - EEN ONVERWACHTE KLAP ГЛАВА VII - НЕОЖИДАННЫЙ УДАР

« TANDIS que je méditais sur ce trop parfait triomphe de l'homme, la pleine lune, jaune et gibbeuse, surgit au nord-est, d'un débordement de lumière argentée. “WHILE I meditated on this too perfect triumph of man, the full moon, yellow and gibbous, appeared in the northeast, with an overflow of silvery light. Les brillants petits êtres cessèrent de s'agiter au-dessous de moi, un hibou silencieux voltigea, et je frissonnai à l'air frais de la nuit. The bright little beings ceased to fidget below me, a silent owl hovered, and I shivered in the cool night air. Je me décidai à descendre et à trouver un endroit où je pourrais dormir.

« Des yeux je cherchai l'édifice que je connaissais. “I looked for the building I knew. Puis mon regard se prolongea jusqu'au Sphinx Blanc sur son piédestal de bronze, de plus en plus distinct à mesure que la lune montante devenait plus brillante. Then my gaze drifted to the White Sphinx on its bronze pedestal, more and more distinct as the rising moon grew brighter. Entonces mi mirada se desvió hacia la Esfinge Blanca en su pedestal de bronce, cada vez más nítida a medida que la luna creciente se hacía más brillante. Je pouvais voir, tout auprès, le bouleau argenté. Ich konnte die silberne Birke in der Nähe sehen. I could see the silver birch very close by. D'un côté, le fourré enchevêtré des rhododendrons, sombre dans la lumière pâle ; de l'autre, la petite pelouse. On one side, the tangled thicket of rhododendrons, dark in the pale light; on the other, the small lawn. Un doute singulier glaça ma satisfaction. A singular doubt froze my satisfaction.

« Non, me dis-je résolument, ce n'est pas la « pelouse. "No," I said to myself resolutely, "it's not the lawn." » « Mais c'était bien la pelouse, car la face lépreuse et blême du Sphinx était tournée de son côté. "Aber es war der Rasen, denn das lepröse, blasse Gesicht der Sphinx wurde auf die Seite gedreht." "But it was indeed the lawn, for the leprous and pale face of the Sphinx was turned towards its side. Imaginez-vous ce que je dus ressentir lorsque j'en eus la parfaite conviction. Stellen Sie sich vor, wie ich mich gefühlt haben muss, als ich die perfekte Überzeugung hatte. Imagine what I must have felt when I had the perfect conviction. Imagínate cómo me debí sentir cuando estaba tan convencido. Mais vous ne le pourrez pas… La Machine avait disparu ! But you won't be able to… The Machine had disappeared!

« À ce moment, comme un coup de fouet à travers la face, me vint à l'idée la possibilité de perdre ma propre époque, d'être laissé impuissant dans cet étrange nouveau monde. “At that moment, like a whiplash across the face, came to me the possibility of losing my own time, of being left helpless in this strange new world. Cette seule pensée m'était une réelle angoisse physique. This very thought was a real physical anguish to me. Je la sentais m'étreindre la gorge et me couper la respiration. I felt her clutching my throat and taking my breath away. Un instant après, j'étais en proie à un accès de folle crainte et je me mis à dévaler la colline, si bien que je m'étalai par terre de tout mon long et me fis cette coupure au visage. Einen Moment später wurde ich von einem Anfall wahnsinniger Angst erfasst und begann den Hügel hinunter zu rasen, so dass ich mich in voller Länge auf dem Boden ausbreitete und mir das Gesicht schnitt. A moment later I was in a fit of mad fear and I started rolling down the hill until I sprawled on the ground full length and got this cut on my face. Je ne perdis pas un moment à étancher le sang, mais sautant de nouveau sur mes pieds, je me remis à courir avec, au long des joues et du menton, le petit ruissellement tiède du sang que je perdais. I didn't waste a moment staunching the blood, but jumping back to my feet, I started running again with the warm little trickle of blood I was losing along my cheeks and chin. Pendant tout le temps que je courus, j'essayai de me tranquilliser : All the time I ran, I tried to calm myself:

« “Ils l'ont changée de place ; ils l'ont poussée sous les buissons, hors du chemin.” “'They moved her; they pushed her under the bushes, out of the way.”

« Néanmoins, je courais de toutes mes forces. “Nevertheless, I ran with all my might. Tout le temps, avec cette certitude qui suit parfois une terreur excessive, je savais qu'une pareille assurance était simple folie, je savais instinctivement que la Machine avait été transportée hors de mon atteinte. Mit dieser Gewissheit, die manchmal auf übermäßigen Terror folgt, wusste ich die ganze Zeit, dass eine solche Gewissheit bloße Torheit war. Ich wusste instinktiv, dass die Maschine außerhalb meiner Reichweite transportiert worden war. All the while, with that certainty that sometimes follows excessive terror, I knew such assurance was mere madness, I knew instinctively that the Machine had been transported beyond my reach. Je respirais avec peine. Je suppose avoir parcouru la distance entière de la crête de la colline à la petite pelouse, trois kilomètres environ, en dix minutes, et je ne suis plus un jeune homme. I suppose I covered the entire distance from the crest of the hill to the little lawn, about two miles, in ten minutes, and I am no longer a young man. En courant, je maudissais tout haut la folle confiance qui m'avait fait abandonner la Machine, et je gaspillais ainsi mon souffle. As I ran, I cursed aloud the foolish confidence that had made me abandon the Machine, and wasted my breath. Je criais de toutes mes forces et personne ne répondait. I was screaming with all my might and no one was responding. Grité con todas mis fuerzas y nadie respondió. Aucune créature ne semblait remuer dans ce monde que seule éclairait la clarté lunaire. No creature seemed to move in this world that only lit the moonlight.

« Quand je parvins à la pelouse, mes pires craintes se trouvèrent réalisées. „Als ich den Rasen erreichte, wurden meine schlimmsten Befürchtungen erkannt. “When I got to the lawn, my worst fears were realized. Nulle trace de la Machine. No trace of the Machine. Je me sentis défaillant et glacé lorsque je fus devant l'espace vide, parmi le sombre enchevêtrement des buissons. I felt weak and frozen when I stood in front of the empty space, among the dark tangle of bushes. Courant furieusement, j'en fis le tour, comme si la Machine avait pu être cachée dans quelque coin, puis je m'arrêtai brusquement, m'étreignant la tête de mes mains. Running furiously, I circled it, as if the Machine might have been hidden somewhere, then stopped abruptly, clutching my head in my hands. Au-dessus de moi, sur son piédestal de bronze, le Sphinx Blanc dominait, lépreux, luisant aux clartés de la lune qui montait. Above me, on its bronze pedestal, the White Sphinx towered, leprous, gleaming in the light of the rising moon. Il paraissait sourire et se railler de ma consternation. He seemed to smile and scoff at my dismay.

« J'aurais pu me consoler en imaginant que les petits êtres avaient rangé la Machine sous quelque abri, si je n'avais pas été convaincu de leur imperfection physique et intellectuelle. “I could have consoled myself by imagining that the little beings had put the Machine away under some shelter, if I had not been convinced of their physical and intellectual imperfection. C'est là ce qui me consternait : le sens de quelque pouvoir jusque-là insoupçonné, par l'intervention duquel mon invention avait disparu. This is what appalled me: the sense of some hitherto unsuspected power, through whose intervention my invention had disappeared. Cependant j'étais certain d'une chose : à moins que quelque autre époque ait produit son exact duplicata, la Machine ne pouvait s'être mue dans le temps, les attaches des leviers empêchant, quand ceux-ci sont enlevés – je vous en montrerai tout à l'heure la méthode –, que quelqu'un expérimente d'une façon quelconque la Machine. However, I was certain of one thing: unless some other era had produced its exact duplicate, the Machine could not have moved in time, the attachments of the levers preventing, when these are removed - I tell you I will presently show the method – that someone somehow experiments with the Machine. On l'avait emportée et cachée seulement dans l'espace. It had been taken and hidden only in space. Mais alors où pouvait-elle bien être ? But then where could she be?

« Je crois que je dus être pris de quelque accès de frénésie ; je me rappelle avoir exploré à la clarté de la lune, en une précipitation violente, tous les buissons qui entouraient le Sphinx et avoir effrayé une espèce d'animal blanc, que, dans la clarté confuse, je pris pour un petit daim. “I believe I must have been seized with some fit of frenzy; I remember having explored in the light of the moon, in a violent rush, all the bushes which surrounded the Sphinx and having frightened a species of white animal, which, in the confused light, I took for a small deer. Je me rappelle aussi, tard dans la nuit, avoir battu les fourrés avec mes poings fermés jusqu'à ce que, à force de casser les menues branches, mes jointures fussent tailladées et sanglantes. I also remember, late at night, beating the thickets with my clenched fists until, by dint of breaking the small branches, my knuckles were slashed and bloody. Puis, sanglotant et délirant dans mon angoisse, je descendis jusqu'au grand bâtiment de pierre. Then, sobbing and delirious in my anguish, I descended to the large stone building. La grande salle était obscure, silencieuse et déserte. The great hall was dark, silent and deserted. Je glissai sur le sol inégal et tombai sur l'une des tables de malachite, me brisant presque le tibia. I slipped on the uneven floor and fell on one of the malachite tables, nearly breaking my shin. J'allumai une allumette et pénétrai au-delà des rideaux poussiéreux dont je vous ai déjà parlé. I lit a match and entered beyond the dusty curtains I have already told you about.

« Là, je trouvai une autre grande salle couverte de coussins, sur lesquels une vingtaine environ de petits êtres dormaient. “There I found another large room covered with cushions, on which about twenty little beings slept. Je suis sûr qu'ils trouvèrent ma seconde apparition assez étrange, surgissant tout à coup des ténèbres paisibles avec des bruits inarticulés et le craquement et la flamme soudaine d'une allumette. I'm sure they found my second appearance quite strange, suddenly emerging from the peaceful darkness with inarticulate noises and the sudden crackle and flame of a match. Car ils ne savaient plus ce que c'était que des allumettes. Because they no longer knew what matches were.

« Où est la Machine ? “Where is the Machine? » commençai-je, braillant comme un enfant en colère, les prenant et les secouant tour à tour. I began, bawling like an angry child, picking them up and shaking them in turn.

« Cela dut leur sembler fort drôle. Quelques-uns rirent, la plupart semblaient douloureusement effrayés. A few laughed, most looked painfully frightened. Quand je les vis qui m'entouraient, il me vint à l'esprit que je faisais la pire sottise en essayant de faire revivre chez eux la sensation de peur. When I saw them around me, it occurred to me that I was doing the worst foolishness in trying to revive the feeling of fear in them. Car, raisonnant d'après leur façon d'être pendant le jour, je supposais qu'ils avaient oublié leurs frayeurs. For, reasoning according to their way of being during the day, I supposed that they had forgotten their fears.

« Brusquement, je jetai l'allumette et, heurtant quelqu'un dans ma course, je sortis en courant à travers la grande salle à manger jusque dehors sous la clarté lunaire. “Suddenly I threw the match and, bumping into someone in my running, I ran out through the large dining room and out into the moonlight. J'entendis des cris de terreur et leurs petits pieds courir et trébucher de-ci, de-là. I heard screams of terror and their little feet running and stumbling here and there. Je ne me rappelle pas tout ce que j'ai pu faire pendant que la lune parcourait le ciel. I don't remember all that I could have done while the moon was crossing the sky. Je suppose que c'était la nature imprévue de ma perte qui m'affolait. I guess it was the unforeseen nature of my loss that freaked me out. Supongo que fue lo inesperado de mi pérdida lo que me hizo entrar en pánico. Je me sentais sans espoir séparé de ceux de mon espèce – étrange animal dans un monde inconnu. I felt hopelessly separated from those of my kind – strange animal in an unknown world. Je dus sans doute errer en divaguant, criant et vociférant contre Dieu et le Destin. I must have wandered about, raving, shouting and vociferating against God and Destiny. J'ai souvenir d'une horrible fatigue, tandis que la longue nuit de désespoir s'écoulait ; je me rappelle avoir cherché dans tel ou tel endroit impossible, tâtonné parmi les ruines et touché d'étranges créatures dans l'obscurité, et à la fin m'être étendu près du Sphinx et avoir pleuré misérablement, car même ma colère d'avoir eu la folie d'abandonner la Machine était partie avec mes forces. I remember a horrible fatigue, while the long night of despair passed; I remember searching in such and such an impossible place, groping among the ruins and touching strange creatures in the dark, and at last lying down by the Sphinx and crying miserably, for even my anger at having had the folly to abandon the Machine had left with my forces. Recuerdo haber estado terriblemente cansado a medida que se prolongaba la larga noche de desesperación; recuerdo haber buscado en lugares imposibles, tanteando entre las ruinas y tocando extrañas criaturas en la oscuridad, y al final me tumbé junto a la Esfinge y lloré miserablemente, pues incluso mi rabia por haber sido tan tonto como para abandonar la Máquina se había ido con mis fuerzas. Il ne me restait rien que ma misère. Ich hatte nichts mehr als mein Elend. Puis je m'endormis, lorsque je m'éveillai, il faisait jour et un couple de moineaux sautillait autour de moi sur le gazon, à portée de ma main. Then I fell asleep, and when I woke up, it was daylight and a couple of sparrows were hopping around me on the grass, within reach of my hand.

« Je m'assis, essayant, dans la fraîcheur du matin, de me rappeler comment j'étais venu là et pourquoi j'avais une pareille sensation d'abandon et de désespoir. “I sat, trying in the cool of the morning to remember how I had come here and why I had such a feeling of helplessness and despair. Alors les choses me revinrent claires à l'esprit. Then things came back to me clearly. Avec la lumière distincte et raisonnable, je pouvais nettement envisager ma situation. With the distinct and reasonable light, I could clearly envision my situation. Con la luz clara y razonable, pude ver claramente mi situación. Je compris la folle stupidité de ma frénésie de la veille et je pus me raisonner. I understood the crazy stupidity of my frenzy the day before and I was able to reason with myself.

« Supposons le pire, disais-je. "Let's assume the worst," I said. Supposons la Machine définitivement perdue, détruite peut-être ? Suppose the Machine is definitely lost, perhaps destroyed? Il m'est nécessaire d'être calme et patient ; d'apprendre les manières d'être de ces gens ; d'acquérir une idée nette de la façon dont ma perte s'était faite, et les moyens d'obtenir des matériaux et des outils, de façon à pouvoir peut-être, à la fin, faire une autre machine. It is necessary for me to be calm and patient; to learn the ways of being of these people; to acquire a clear idea of how my loss had come about, and the means of obtaining materials and tools, so that perhaps in the end I could make another machine. Ce devait être là ma seule espérance, une pauvre espérance, sans doute, mais meilleure que le désespoir. That was to be my only hope, a poor hope, no doubt, but better than despair. Et après tout, c'était un monde curieux et splendide.

« Mais probablement la Machine n'avait été que soustraite. „Aber wahrscheinlich wurde die Maschine nur abgezogen. “But probably the Machine had only been subtracted. Encore fallait-il être calme et patient, trouver où elle avait été cachée, et la ravoir par ruse ou par force. Still it was necessary to be calm and patient, to find where it had been hidden, and to recover it by ruse or by force. Je me mis péniblement sur mes pieds et regardai tout autour de moi, me demandant où je pourrais procéder à ma toilette. I scrambled to my feet and looked around me, wondering where I could wash. Je me sentais fatigué, roide et sali par le voyage. I felt tired, stiff and dirty from the trip. La fraîcheur du matin me fit désirer une fraîcheur égale. The freshness of the morning made me desire an equal freshness. J'avais épuisé mon émotion. I had exhausted my emotion. À vrai dire, en cherchant ce qu'il me fallait, je fus surpris de mon excitation de la veille. Als ich nach dem suchte, was ich brauchte, war ich am Tag zuvor von meiner Aufregung überrascht. To tell the truth, while looking for what I needed, I was surprised at my excitement the night before. J'examinai soigneusement le sol de la petite pelouse. I carefully examined the ground of the small lawn. Je perdis du temps en questions futiles, faites du mieux que je pus à ceux des petits êtres qui s'approchaient. Ich verschwendete Zeit mit trivialen Fragen und gab den kleinen Wesen, die sich näherten, mein Bestes. I wasted time in futile questions, doing the best I could to those of the small beings who approached. Aucun ne parvint à comprendre mes gestes ; certains restèrent tout simplement stupides ; d'autres crurent à une plaisanterie et me rirent au nez. No one managed to understand my gestures; some simply remained stupid; others thought it was a joke and laughed at me. Ce fut pour moi la tâche la plus difficile au monde d'empêcher mes mains de gifler leurs jolies faces rieuses. It was for me the most difficult task in the world to prevent my hands from slapping their pretty laughing faces. C'était une impulsion absurde, mais le démon engendré par la crainte et la colère aveugle était mal contenu et toujours impatient de prendre avantage de ma perplexité. It was an absurd impulse, but the demon spawned by fear and blind anger was poorly contained and still eager to take advantage of my bewilderment. Le gazon me fut de meilleur conseil. Das Gras war der beste Rat für mich. The grass was my best advice. Environ à moitié chemin du piédestal et des empreintes de pas qui signalaient l'endroit où, à mon arrivée, j'avais dû remettre debout la Machine, je trouvai une traînée dans le gazon. About halfway to the pedestal and the footprints that marked the place where, on my arrival, I had to put the Machine back on its feet, I found a trail in the grass. Il y avait, à côté, d'autres traces de transport avec d'étroites et bizarres marques de pas comme celles que j'aurais pu imaginer faites par un de ces curieux animaux qu'on appelle des paresseux. Next to it were other carriage tracks with odd, narrow footprints like the ones I might have imagined made by one of those curious animals called sloths. Cela ramena mon attention plus près du piédestal. This brought my attention closer to the pedestal. Il était de bronze, comme je crois vous l'avoir dit. It was bronze, as I believe I told you. Ce n'était pas un simple bloc, mais il était fort bien décoré, sur chaque côté, de panneaux profondément encastrés. It was not a simple block, but it was very well decorated, on each side, with deeply recessed panels. Je les frappai tour à tour. I hit them in turn. Le piédestal était creux. The pedestal was hollow. En examinant avec soin les panneaux, j'aperçus entre eux et les cadres un étroit intervalle. On carefully examining the panels, I saw between them and the frames a narrow gap. Il n'y avait ni poignées, ni serrures, mais peut-être que les panneaux, s'ils étaient des portes comme je le supposais, s'ouvraient en dedans. There were no handles or locks, but perhaps the panels, if they were doors as I assumed, opened inwards. Une chose maintenant était assez claire à mon esprit, et il ne me fallut pas un grand effort mental pour inférer que ma Machine était dans ce piédestal. One thing now was pretty clear to my mind, and it didn't take much mental effort to infer that my Machine was on that pedestal. Mais comment elle y était entrée, c'était une autre question. Aber wie sie dorthin kam, war eine andere Frage. But how she got there was another question.

« Entre les buissons et sous les pommiers couverts de fleurs, j'aperçus les têtes de deux petites créatures drapées d'étoffes orange, venant vers moi. “Between the bushes and under the blossoming apple trees, I saw the heads of two small creatures draped in orange cloth, coming towards me. Je me tournai vers elles en leur souriant et leur faisant signe de s'approcher. I turned to them, smiling at them and motioning for them to come closer. Elles vinrent, et leur indiquant le piédestal de bronze, j'essayai de leur faire entendre que je désirais l'ouvrir. They came, and pointing to the bronze pedestal, I tried to make them understand that I wanted to open it. Mais dès mes premiers gestes, elles se comportèrent d'une façon très singulière. But from my first gestures, they behaved in a very singular way. Je ne sais comment vous rendre leur expression. I don't know how to give you their expression. Supposez que vous fassiez à une dame respectable des gestes grossiers et malséants – elles avaient l'air qu'elle aurait pris. Suppose you made rude and unseemly gestures to a respectable lady – they looked like she would have taken. Elles s'éloignèrent comme si elles avaient reçu les pires injures. They walked away as if they had received the worst insults. J'essayai ensuite l'effet de ma mimique sur un petit bonhomme vêtu de blanc et à l'air très doux : le résultat fut exactement le même. I then tried the effect of my mimicry on a little man dressed in white and looking very gentle: the result was exactly the same. En un sens son attitude me rendit tout honteux. In a way his attitude made me ashamed. Mais vous comprenez, je voulais retrouver la Machine, et je recommençai ; quand je le vis tourner les talons comme les autres, ma mauvaise humeur eut le dessus. But you understand, I wanted to find the Machine, and I started again; when I saw him turning on his heels like the others, my bad mood got the better of me. En trois enjambées, je l'eus rejoint, attrapé par la partie flottante de son vêtement autour du cou, et je le traînai du côté du Sphinx. In three strides, I had joined him, grabbed him by the loose part of his garment around his neck, and I dragged him towards the Sphinx. Mais sa figure avait une telle expression d'horreur et de répugnance que je le lâchai. But his face had such an expression of horror and repugnance that I let him go.

« Cependant je ne voulais pas encore m'avouer battu ; je heurtai de mes poings les panneaux de bronze. “However, I still didn't want to admit defeat; I banged my fists against the bronze panels. Je crus entendre quelque agitation à l'intérieur – pour être plus clair, je crus distinguer des rires étouffés – mais je dus me tromper. I thought I heard some commotion inside – to be clearer, I thought I could make out stifled laughter – but I must have been mistaken. Alors j'allai chercher au fleuve un gros caillou et me remis à marteler un panneau, jusqu'à ce que j'eusse aplati le relief d'une décoration et que le vert-de-gris fût tombé par plaques poudreuses. So I went to get a big pebble from the river and went back to hammering a panel until I had flattened the relief of a decoration and the verdigris had fallen off in powdery patches. Les fragiles petits êtres durent m'entendre frapper à violentes reprises, jusqu'à quinze cents mètres ; mais ils ne se dérangèrent pas. The fragile little beings must have heard me strike violently, up to fifteen hundred meters away; but they didn't bother. Je pouvais les voir par groupes sur les pentes, jetant de mon côté des regards furtifs. I could see them in groups on the slopes, casting furtive glances in my direction. Enfin, essoufflé et fatigué, je m'assis pour surveiller la place. Finally, out of breath and tired, I sat down to watch the square. Mais j'étais trop agité pour rester longtemps tranquille. Je suis trop occidental pour une longue faction. I'm too Western for a long faction. Je pourrais travailler au même problème pendant des années, mais rester inactif vingt-quatre heures – c'est une autre affaire. I could work on the same problem for years, but sit idle for twenty-four hours – that's another matter.

« Au bout d'un instant je me levai et je me mis à marcher sans but à travers les fourrés et vers la colline. “After a while I got up and started walking aimlessly through the thickets and up the hill.

« Patience, me disais-je, si tu veux avoir ta Machine, il te faut laisser le Sphinx tranquille. “Patience, I said to myself, if you want to have your Machine, you must leave the Sphinx alone. S'ils veulent la garder, il est inutile d'abîmer leurs panneaux de bronze, et s'ils ne veulent pas la garder, ils te la rendront aussitôt que tu pourras la leur réclamer. If they want to keep it, there's no need to damage their bronze panels, and if they don't want to keep it, they'll give it back to you as soon as you can claim it from them. S'acharner, parmi toutes ces choses inconnues, sur une énigme comme celle-là est désespérant. To persist, among all these unknown things, on an enigma like this is hopeless. C'est le chemin de la monomanie. This is the path of monomania. Este es el camino hacia la monomanía. Affronte ce monde nouveau. Face this new world. Apprends ses mœurs, observe-le, abstiens-toi de conclusion hâtive quant à ses intentions. Learn his ways, observe him, refrain from hasty conclusions as to his intentions. À la fin tu trouveras le fil de tout cela. In the end you will find the thread of it all. » « Alors je m'aperçus tout à coup du comique de la situation : la pensée des années que j'avais employées en études et en labeurs pour parvenir aux âges futurs, et maintenant l'ardente angoisse d'en sortir. “Then I suddenly realized the comedy of the situation: the thought of the years I had spent in studies and labors to arrive at future ages, and now the ardent anguish of getting out of them. Je m'étais fabriqué le traquenard le plus compliqué et le plus désespérant qu'un homme eût jamais imaginé. I had contrived the most complicated and hopeless trap a man had ever imagined. Bien que ce fût à mes propres dépens, je ne pouvais m'en empêcher : je riais aux éclats. Although it was at my own expense, I couldn't help myself: I laughed out loud.

« Comme je traversais le grand palais, il me sembla que les petits êtres m'évitaient. “As I was crossing the grand palace, it seemed to me that the little beings were avoiding me. Était-ce simple imagination de ma part ? ou l'effet de mes coups de pierre dans les portes de bronze ? Quoi qu'il en soit, j'étais à peu près sûr qu'ils me fuyaient. In any case, I was pretty sure they were running away from me. Je pris soin néanmoins de ne rien laisser paraître, et de m'abstenir de les poursuivre ; au bout de deux ou trois jours, les choses se remirent sur le même pied qu'auparavant. I took care, however, to let nothing appear, and to abstain from pursuing them; after two or three days, things got back on the same footing as before. Al cabo de dos o tres días, las cosas volvían a estar como antes. Je fis tous les progrès que je pus dans leur langage et de plus je poussai des explorations ici et là. I made all the progress I could in their language and also explored here and there. À moins que je n'eusse pas aperçu quelque point subtil, leur langue était excessivement simple – presque exclusivement composée de substantifs concrets et de verbes. Unless I had missed some subtle point, their language was exceedingly simple—almost exclusively composed of concrete nouns and verbs. Il ne paraissait pas y avoir beaucoup – s'il y en avait – de termes abstraits, et ils employaient peu la langue figurée. There didn't seem to be many – if any – abstract terms, and they used little figurative language. Leurs phrases étaient habituellement très simples, composées de deux mots, et je ne pouvais leur faire entendre – et comprendre moi-même – que les plus simples propositions. Their sentences were usually very simple, made up of two words, and I could only make them hear – and understand myself – the simplest propositions. Je me décidai à laisser l'idée de ma Machine et le mystère des portes de bronze autant que possible à l'écart, jusqu'à ce que mes connaissances augmentées pussent m'y ramener d'une façon naturelle. I decided to leave the idea of my Machine and the mystery of the bronze doors as much as possible out of the way, until my increased knowledge could bring me back to it in a natural way. Cependant un certain sentiment, comme vous pouvez le comprendre, me retenait dans un cercle de quelques kilomètres autour du lieu de mon arrivée. However, a certain feeling, as you can understand, kept me in a circle of a few kilometers around the place of my arrival.