Robespierre était-il méchant ? (2)
jusqu'au bout pour éviter de se couper des modérés. Ces 75 députés survivent,
mais ne sont pas spécialement reconnaissants à Robespierre pour cela : revenus à la Convention
après sa mort, ils sont de ceux qui salissent avec acharnement sa mémoire.
Quoi qu'il en soit, à l'été 1793, les Montagnards sont désormais au pouvoir à
la Convention, même s'ils doivent à leur tour gérer un mouvement populaire bien plus
radical. Robespierre et les autres députés montagnards sont en effet bien loin d'être
des communistes. Oui, Robespierre s'intéresse au sort des plus démunis, mais il ne croit
pas du tout à l'égalité des biens, qu'il voit comme une illusion ; ni au partage équitable
des propriétés, la fameuse « loi agraire », qu'il voit comme un outil contre-révolutionnaire.
Bref, Robespierre n'est pas communiste, tout l'inverse ; A la rigueur il peut considérer
que la propriété doit trouver des limites lorsqu'elle nuit à la liberté d'autrui.
Et c'est pour ça qu'il s'oppose à l'esclavage et accepte l'idée de contrôler
le prix de certains produits essentiels (ce qui donnera lieu à une loi sur le maximum
général des prix, destinée à éviter la famine aux parisiens).
Pour Robespierre, comme pour bien d'autres députés, il est hors de question de répondre
aux exigences des plus radicaux, comme le prêtre Jacques Roux, leader de ceux qu'on
appelait alors les « Enragés », contre qui Robespierre n'a pas de mots assez durs.
Tout l'enjeu pour la Convention est donc de donner assez de gages au mouvement populaire
pour ne pas être renversée, sans pour autant aller trop loin.
Et on peut dire que c'est comme ça qu'il faut voir beaucoup d'exécutions de 1793,
que ce soit celle de Marie-Antoinette, de Brissot, du duc d'Orléans et de pas mal
d'autres : il s'agit alors de donner aux Parisiens suffisamment de sang pour éviter
qu'ils n'en réclament encore plus. Comme l'a expliqué Danton : « Il nous faut être
terribles pour éviter au peuple de l'être ». C'est également dans ce contexte que
la Convention envoie des armées de sans-culottes réprimer, parfois très violemment, et avec
des ordres volontairement vagues, la Vendée. Bah oui, ça permettait de les éloigner de
Paris donc d'une pierre deux coups ! D'ailleurs je vous mets un lien vers mon épisode sur
la Vendée en description si vous voulez en savoir plus sur cet épisode sanglant et très
complexe de la révolution. Mais Robespierre, dans tout cela, quelle est
sa responsabilité personnelle ? Eh bien, c'est difficile à dire.
À partir de l'été 1793, et pendant un an, jusqu'à sa mort, il est membre du Comité
de salut public, l'un des comités de la Convention, le plus important : celui qui,
pour schématiser, gère la conduite de la guerre intérieure et extérieure jusqu'à
la paix. Pour faire simple, ce comité est responsable d'à peu près tout dans la
gestion du pays, même si son pouvoir est en permanence soumis à l'approbation de
la Convention. Robespierre est un membre parmi les douze. Certainement l'un des plus influents,
avec Barère, mais il doit malgré tout composer avec d'autres grandes personnalités ; certains
sont relativement proches de lui, comme Saint Just et Couthon ; d'autres sont plus radicaux,
comme Billaud Varenne et Collot d'Herbois, d'autres au contraire plus modérés, comme
Carnot. Les débats font donc rage, et si Robespierre est sans nul doute la figure la
plus emblématique, il est loin de tout contrôler. D'autant que certaines initiatives le dépassent.
C'est le cas des déchristianisateurs qui, fin 1793, désacralisent les Églises et luttent
contre l'emprise de la religion. Dans l'esprit des gens, aujourd'hui, Robespierre
est associé à ce combat athée ; mais rien n'est plus faux, car, au contraire, Robespierre
juge l'athéisme contre-révolutionnaire et fait tout pour mettre fin à cette déchristianisation
en combattant leurs auteurs. Il y parviendra d'ailleurs et plusieurs passeront à la
guillotine en mars-avril 1794. De la même manière, Robespierre est souvent
assimilé aux violences des députés envoyés en province, les fameux « représentants
en mission » comme Carrier, l'auteur des noyades de Nantes. Or, Robespierre était
au contraire totalement opposé à ces dynamiques, et plusieurs représentants en mission violents
(Carrier, Fouché, Tallien) causeront sa chute pour éviter de rendre compte de leurs exactions.
Finalement, Robespierre est très associé à l'exécution de plusieurs ennemis politiques,
notamment Danton, en avril 1794. Il faut pourtant revenir sur le contexte de cette exécution
: la lutte des factions. Début 1794, le Comité de salut public tente d'éliminer deux dangers
: les ultra-révolutionnaires et les contre-révolutionnaires (bref, les extrémistes et les trop modérés),
tous accusés de causer la perte de la Révolution. Les « ultras » sont les premiers à être
éliminés en mars, notamment avec l'exécution d'Hébert et de certains de ses amis. Robespierre
n'est pas le seul à vouloir cette exécution : tout le comité l'approuve, de même que
la Convention, et les députés dits « Indulgents » comme Danton. Mais, justement, ce dernier
a aussi des ennemis, et désormais, la gauche du comité (Billaud, Collot) veulent aussi
voir les « Indulgents » disparaître. C'est dans ce contexte qu'après avoir élagué
à sa gauche, le comité élague à sa droite. Mais là aussi, Robespierre n'est pas seul,
puisqu'à part Robert Lindet (et Hérault de Séchelles qui fait partie des exécutés),
tout le comité approuve l'idée, toutes tendances confondues.
Vous l'aurez donc compris, il ne s'agit pas de la folie d'un Robespierre tyrannique,
mais bien de calculs politiques plus large dans le cadre d'une vaste lutte entre factions.
Le souci est qu'après la mort de Danton, Robespierre se trouve être la grande figure
encore vivante, qui fait légitimement de plus en plus peur à ses ennemis. En juin
se tient ainsi la fête de l'Être suprême, très attendue par Robespierre qui y voit
une tentative pour réconcilier le pays autour de valeurs religieuses assez vagues. Mais
le rôle central qu'il y occupe renforce l'impression qu'il est, désormais, trop
puissant. À la même époque, son ami Couthon prépare la « loi de prairial », qui centralise
les exécutions à Paris et les rend les condamnations plus rapides. Le but de Robespierre, qui a
participé à la préparation de la loi, était sûrement de limiter les exécutions en les
plaçant toutes sous le contrôle du comité ; mais dans les faits, celles-ci se multiplient
en juin et juillet, notamment sous l'action de certains de ses ennemis comme Barère et
surtout Vadier, l'homme fort du comité de sûreté générale, un comité rival chargé
des opérations de police. Ces exécutions sont attribuées dès cette époque à Robespierre,
qui perd en popularité, alors que lui-même n'a rien à voir et les dénonce même dans
ses discours, n'étant pas dupe de la manœuvre. Durant le plus gros du mois de juillet, Robespierre
cesse d'ailleurs de paraître au comité, sentant que les divisions sont trop fortes,
tandis que ses ennemis usent de nombreuses méthodes pour salir sa réputation.
Finalement, à la fin du mois de juillet, les tensions entre Robespierre et ses ennemis
au sein du comité, notamment Collot et Billaud, à sa gauche, sont trop fortes. S'ajoutent
des députés qui craignent d'être les prochaines cibles d'exécutions, notamment
les fameux représentants en mission violents que sont Fouché, Carrier et Tallien. Tous
sont conscients que, pour survivre, ils doivent éliminer Robespierre. Le 8 Thermidor (26
juillet), Robespierre fait un discours remarqué à la Convention puis aux Jacobins dans lequel
il dénonce sans les nommer tous ceux qu'il voit comme des ennemis de la Révolution.
Dès la nuit suivante, ceux-ci préparent sa chute. Le lendemain, Robespierre et ses
quelques soutiens ne peuvent s'exprimer, et sont arrêtés. Sûr de son bon droit,
Robespierre attend de se défendre mais, pour une raison mystérieuse, les geôliers du
palais du Luxembourg refusent de l'emprisonner. Il se retrouve donc, cette nuit du 9 Thermidor,
libre mais hors la loi. Lui et ses soutiens se retrouvent à l'hôtel de ville de Paris
où la Commune lui est favorable, face à la Convention et à ses troupes, qui peuvent
désormais le faire exécuter sans procès. On envisage l'insurrection, mais la confusion
est totale, et Robespierre est réticent à violer la légalité. Finalement, l'hôtel
de Ville est investi dans la nuit, et dès le 10 Thermidor, Robespierre, son frère Augustin,
et plusieurs de leurs proches dont Couthon et Saint-Just sont exécutés.
Dès le 11, 70 autres personnes les suivent sur l'échafaud : la plus grande fournée
de guillotinés de la période n'est donc pas le fait de Robespierre… qui en est même
la victime ! Très vite, ses ennemis contribuent à fabriquer
son image, et celle d'une période, la Terreur, à laquelle ils auraient mis fin. Fouché
(le mitrailleur de Lyon) et Tallien (qui avait fait régner la terreur à Bordeaux) rejettent
toutes les violences sur Robespierre, désormais mort et accusé de tous les torts. Très vite,
des légendes apparaissent : il aurait voulu devenir roi, il était obsédé sexuel (ou
au contraire bien trop peu intéressé par le sexe pour être normal), il aurait conçu
des guillotines à sept fenêtres et porté des vêtements en peaux humaines. Bref, petit
à petit, Robespierre a été érigé en bourreau absolu : bien pratique pour permettre à tout
un tas de gens qui avaient les mains sales de passer pour innocents. Fouché, par exemple,
aura une belle carrière sous Napoléon, et sera même un temps ministre de Louis XVIII
! Alors, qui était Robespierre ? Certainement
pas le protocommuniste que certains voient en lui : en réalité, ses idées politiques
sont souvent difficiles à définir, tant elles ont fluctué avec le temps et les enjeux.
Il n'est pas non plus un buveur de sang, ce qui n'en fait pas pour autant un innocent
total : comme tous les acteurs de la Révolution, il a accepté cette violence et y a participé,
mais certainement moins que beaucoup d'autres oubliés ou glorifiés aujourd'hui. Comme
le souligne Jean-Clément Martin, il a joué à la perfection le rôle de bouc émissaire.
Ces dernières années, beaucoup d'ouvrages universitaires tentent de remettre Robespierre
à sa juste place. L'ouvrage collectif Robespierre, Portraits croisés dirigé par Michel Biard
et Philippe Bourdin essaie ainsi de revenir sur de nombreux aspects du personnage : ses
idées sociales, son rapport à la peine de mort, à l'éducation, à l'esclavage,
à la politique. Hervé Leuwers a également produit récemment une excellente biographie,
de même que Jean-Clément Martin. Ce dernier a pour intérêt de replacer Robespierre dans
son contexte, de montrer qu'il n'était qu'un acteur parmi d'autres qui s'est
rarement mis dans une position d'exception. Sortir Robespierre de son piédestal pour
mieux le comprendre, c'est peut-être ça, la meilleure justice qu'on puisse lui rendre
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