Les épées magiques et légendaires (Excalibur, Durendal, Narsil…) (2)
de faire cette vidéo, je le savais pas ! Excalibur, est une arme directement issue
de l'autre monde.
Geoffroy de Monmouth, qui est sans doute le premier à évoquer cette lame merveilleuse
au début du XIIe siècle, affirme qu'elle aurait été forgé en Avalon.
Elle est peut-être l'évocation d'une épée apparaissant dans des récits mythologiques
plus anciens.
Il faut dire que son nom gallois, Caledfwlch (Calaideuvôlr), que Geoffroy a latinisé
en Caliburnus, renvoie peut-être l'épée Caladbolg des mythes celtiques.
On connaît d'Excalibur sa découverte par le jeune roi sur les conseils de Merlin au
milieu d'un lac tandis qu'elle est tenue hors de l'eau par une main féerique.
Certains connaissent aussi le fait que bien des années plus tard, le souverain, devenu
vieux, après l'ultime bataille face à Mordred, ordonne à l'un de ses chevaliers
qu'il la jette à nouveau à l'eau.
Ces récits là, qu'on associe le plus souvent à Excalibur, sont en fait des inventions
tardives datant du XIIIe siècle.
C'est le renvoie de l'épée dans les profondeurs qui, chronologiquement, apparaît
le premier dans La mort le roi Artu, (cycle dit de la Vulgate) composé en vers en 1230,
sans au passage que l'auteur précise à qui appartient la mystérieuse main qui émerge
pour récupérer la lame.
La découverte merveilleuse de l'épée au milieu du lac est quant à elle été imaginée
quelques années plus tard dans Le roman de Merlin en prose (cycle dit de La Post-Vulgate).
Ces épisodes ont une fonction simple : celle d'affirmer le caractère exceptionnel du
règne d'Arthur marqué par la possession d'une épée venu de l'autre monde qui
disparaît lorsque le roi est en train de rendre son dernier souffle.
Et ça, c'est pas nouveau du tout !
Dans le texte épique Ronsasvals composée durant la seconde moitié du XIIe siècle,
l'épée « jumelle » de Durendal est tirée de l'océan.
Plus tard dans le récit, Charlemagne, en découvrant le corps de Roland après la bataille,
fait jeter Durendal dans un lac.
Nulle autre que ce chevalier exceptionnel, explique le texte, ne pourra ainsi porter
cette arme hors du commun.
L'épée merveilleuse, normalement indestructible (Roland, tente d'ailleurs plusieurs fois
de briser Durendal sans succès dans la Chanson de Roland), disparaît en même temps que
son porteur.
Une fin qui marque à la fois celle d'une arme et d'une noble lignée, toutes deux
dotées d'une longue histoire.
Et ce récit là, quelle que soit son origine, a exercé une influence durable, y compris
en dehors de l'Occident.
Dans ses mémoires écrites à la fin du XVe siècle, le serbe Constantin Mihailovic, qui
servit pendant plusieurs années l'Empire ottoman dans le corps des janissaires, explique
qu'il se raconte parmi eux que, quand Ali « vit que son heure était venue, il fit
jeter son épée [Zulfikar] au fond de la mer.
Les Païens [les musulmans.
NdA] racontent qu'à l'endroit où elle fut jetée, la mer se souleva et tourbillonna
pendant trois jours pour pleurer Ali. »
Ici les janissaires, composés exclusivement d'esclaves d'origine chrétienne convertis
à l'islam, ont sans doute importé des motifs tirés soit de la légende de Charlemagne,
soit de celle d'Arthur pour la coller aux mythes associés à Ali.
C'est peut-être aussi par ce biais que l'on retrouve l'évocation d'une épée
jetée dans un lac dans les mythes Ossètes du Caucase, peuple vivant dans les marges
nord de l'Empire ottoman comprenant des chrétiens et musulmans.
Certains de ces récits oraux, récoltés et mis par écrit pour la première fois par
des folkloristes au XIXe siècle, racontent en effet qu'au temps des Nartes, peuples
antiques mystérieux, le héros Batradz, géant virtuellement indestructible, finit par consentir
de mourir à la seule condition que son épée soit jetée à la mer.
Mais celle-ci était trop grande pour que les Nartes puissent la soulever.
Aussi décident-ils de mentir à son possesseur, affirmant que l'arme a bien été engloutit
dans les flots.
Mais le géant, loin d'être né de la dernière pluie, sniffe l'embrouille.
Voilà comment le texte raconte la suite :
« “Quels prodiges avez-vous vus quand mon épée est tombée dans l'eau de la mer ?”
leur demande alors Batradz “Aucun”, répondirent.
Les Nartes tout penauds.
“C'est donc que mon épée n'est pas jetée à la mer ; autrement vous auriez
vu des prodiges.”
Les Nartes durent se résigner : ils déployèrent toutes leurs forces, attelèrent plusieurs
milliers d'animaux ; à la fin, ils réussirent à traîner l'épée de Batradz jusqu'à
la côte et la jetèrent dans la mer.
Aussitôt s'élevèrent vagues et ouragans, la mer bouillonna, puis devint couleur de
sang. »
Cet épisode associant la mort du héros mythique du peuple ossète et la disparition sous les
flots de son épée ressemble évidemment à celui d'Ali et peut-être même encore
plus à celui de la fin d'Arthur.
Dans la légende de la Table ronde, l'homme que le roi de Camelot charge de la mission
de jeter Excalibur dans le lac lui ment une première fois en lançant à sa place sa
propre arme.
Comme il n'a pas aperçu de main sortant de l'eau pour la récupérer, Arthur comprend
qu'il ne lui a pas dit la vérité et lui ordonne de lui obéir.
Alors peut-être qu'à ce moment de l'épisode vous vous dites que je radote.
“Oui c'est bon Ben, on a compris l'histoire, ça fait trois fois que tu nous la raconte…”.
Oui ! Mais ce que prouves le fait qu'il y ai autant de similitude entre entre les
textes arthuriens, les récits des janissaires et les mythes ossètes, c'est que même
à la fin du Moyen âge, les motifs légendaires voyagent à travers les frontières des empires.
Et ça, ça valait le coup d'insister là dessus pour le dire !
Si on revient à l'épisode de l'épée dans le rocher, c'est lui aussi une invention
tardive.
On trouve d'ailleurs des évocations d'une image similaire dans des sagas nordiques.
Dans la Volsunga Saga compilée au XIIIe siècle, l'un des héros, Sigmund, tire l'épée
Gram du tronc d'un arbre où elle aurait été mise par le dieu Odin.
Ce texte a peut-être influencé l'auteur du roman Merlin en prose (qui n'est pas
le même que celui cité plus haut) rédigé au tout début du XIIIe siècle et attribué
à Robert de Boron.
Les différences sont quand même assez grandes puisque dans le récit arthurien, le fait
de tirer l'épée ne prouve pas la valeur guerrière du héros, mais donne accès à
la royauté.
Et en plus, il n'est fait aucune référence à l'autre monde féérique.
L'arme, fichée sur un bloc de pierre surmonté d'une enclume, apparaît ainsi en pleine
fête chrétienne de Noël dans la cathédrale.
Sur sa lame, on peut voir une inscription sur laquelle il est dit que quiconque la tirera
deviendra le roi d'Angleterre.
Et c'est un ecclésiastique, l'archevêque de Logres, qui préside à la cérémonie
qui voit le jeune Arthur tirer l'épée qui fait de lui le souverain du royaume.
Et pas Merlin comme on le pense souvent qui n'apparaît déjà plus à ce moment du
récit.
Les enluminures consacrées à cet épisode montrent d'ailleurs le jeune monarque être
entouré de hauts prélats, des dignitaires de l'église, alors que lui-même, à genou,
semble être en prière, comme on le voit bien sur ces images tirées d'un manuscrit
de la fin du XIIIe siècle réalisé dans le nord de la France.
Une fois l'épée retirée, Arthur la met sur un autel d'église alors que l'archevêque
lui pose sur la tête le couronne royale.
Et là encore, cette représentation ne doit rien au hasard !
Le texte de Robert de Boron a été rédigé au moment où l'Église affirme totalement
sa supériorité sur la société à travers notamment des grands conciles comme celui
de Latran en 1215.
Érigée en intermédiaire entre Dieu et le reste de la population, elle prétend alors
régir le comportement des rois et des chevaliers.
En retirant l'épée de l'enclume, Arthur est non seulement désigné comme l'élu
de Dieu, mais affirme en même temps sa soumission à l'Église.
Cette idée est également présente dans un passage de la Vulgate, écrit quelques
années après le récit de Robert de Boron, où c'est Galaad qui tire l'épée d'un
bloc de marbre vermeil flottant sur une rivière sous les yeux de son père, Lancelot, et d'Arthur.
À travers cet épisode qui mêle l'imagerie de l'épée dans le lac et celle de l'épée
dans la pierre, le jeune chevalier élevé dans un couvent de nonnes, symbole de pureté
élu par Dieu, est ainsi désigné comme l'un des rares qui accomplira la très chrétienne
quête du Graal jusqu'à son terme . Et au même titre que les précédentes épées
et légendes que nous avons vu, la mythologie développée autour de l'épée dans le
rocher et d'Excalibur auront eux aussi des effets sur le réel.
Soucieux de renforcer le prestige de sa dynastie, le roi d'Angleterre Richard Coeur de Lion,
après avoir découvert très opportunément en 1191 une tombe attribuée au roi Arthur
à l'abbaye de Glastonbury, prétend posséder Excalibur, arme qu'il offre très rapidement
au roi de Sicile Tancrède de Lecce afin que celui-ci l'aide dans son projet de croisade.
Il s'agissait sans doute aussi de renforcer à l'aide d'un cadeau les fiançailles
de la fille de Tancrède avec le propre neveu de Richard baptisé, ce n'est pas un hasard,
Arthur.
Plus tard, le frère de Richard, Jean sans Terre affirme quant à lui posséder l'épée
du chevalier Tristan.
Comme d'habitude, c'est la course à l'échalote pour savoir qui a la plus grosse quoi.
Et vous imaginez bien que si c'est le cas dans la vie réelle, ça va l'être encore
plus dans un genre que vous êtes nombreux à apprécier comme moi, un genre qui s'inspire
largement des récits épiques médiévaux, un genre qui fourmille d'épées célèbres
et magiques : la fantasy ! Dans l'univers légendaire de J.R.R.
Tolkien, les épées merveilleuses, comme dans les chansons de geste, sont réservés
aux hommes hors du commun et agissent comme une preuve de leur valeur.
Leur perte, ou leur destruction est le signe de la mort du héros, voire de la fin d'une
dynastie, tel Narsil, l'arme du roi Elendil brisée par Sauron.
Forgée de nouveau et renommée Andúril, elle permet à Aragorn d'affirmer son pouvoir
et de récupérer le trône de Gondor.
Túrin Turambar, un autre personnage de Tolkien, est appelé « Mormegil » (« l'Épée
noire » en langue elfique) parce qu'il a hérité de la lame de jais Anglachel — forgée
à partir d'une météorite — grâce à laquelle il finira par occire le dragon Glaurung.
Même si, chez Tolkien, les épées sont des objets ambigus, on peut noter que comme dans
les récits apocalyptiques chiites, l'auteur du Seigneur des Anneaux fait revenir Túrin
à la fin des temps.
Lors de l'ultime bataille contre les forces du mal, que l'on appelle Dagor Dagorath,
Tùrin abattra Melkor avec l'aide de son épée.
L'épée est absolument partout dans la fantasy et elle est très souvent liée à
la magie.
Elle est devenu, un peu comme on l'expliquait dans l'épisode sur les dragons, un élément
de décor qui est là pour rappeler au lecteur, ou au spectateur, qu'il est dans un monde
merveilleux, préindustriel et médiévalisé.
Un monde, bien différent du nôtre.
On peut la voir dans Harry Potter par exemple, à travers l'épée de Godric Gryffondor.
Une épée que Harry sera digne de manipuler quand il devra vaincre le basilic dans le
deuxième tome.
Ce qui n'est pas vraiment un hasard quand on sait tous les parallèles qu'il y a à
faire entre Harry Potter et le roi Arthur d'ailleurs, je vous renvoie à mon épisode
sur le sorcier préféré des anglais pour en savoir plus.
L'épée est tellement partout qu'elle a même servi à l'auteur Fritz Leiber pour
désigner le genre sous l'appellation de « sword and sorcery » (« épée et
sorcellerie »). Star Wars ne serait pas un univers de fantasy directement inspiré
de Tolkien, comme l'a expliqué George Lucas, sans la présence de sabres laser qui renvoient
non seulement à la mythologie des samouraïs, mais aussi à une imagerie proche des textes
arthuriens médiévaux.
Le nom anglais, « lightsaber » fait ainsi référence à la lumière, élément