Lettres de mon moulin (Alphonse Daudet, 1887), L’ARLÉSIENNE

L'ARLÉSIENNE

L'ARLÉSIENNE Pour aller au village, en descendant de mon moulin, on passe devant un mas bâti près de la route au fond d'une grande cour plantée de micocouliers. C'est la vraie maison du ménager de Provence, avec ses tuiles rouges, sa large façade brune irrégulièrement percée, puis tout en haut la girouette du grenier, la poulie pour hisser les meules, et quelques touffes de foin brun qui dépassent… Pourquoi cette maison m'avait-elle frappé ? Pourquoi ce portail fermé me serrait-il le cœur ? Je n'aurais pas pu le dire, et pourtant ce logis me faisait froid. Il y avait trop de silence autour… Quand on passait, les chiens n'aboyaient pas, les pintades s'enfuyaient sans crier… À l'intérieur, pas une voix ! Rien, pas même un grelot de mule… Sans les rideaux blancs des fenêtres et la fumée qui montait des toits, on aurait cru l'endroit inhabité. Hier, sur le coup de midi, je revenais du village, et, pour éviter le soleil, je longeais les murs de la ferme, dans l'ombre des micocouliers… Sur la route, devant le mas, des valets silencieux achevaient de charger une charrette de foin… Le portail était resté ouvert. Je jetai un regard en passant, et je vis, au fond de la cour, accoudé, — la tête dans ses mains, — sur une large table de pierre, un grand vieux tout blanc, avec une veste trop courte et des culottes en lambeaux… Je m'arrêtai. Un des hommes me dit tout bas :

— Chut ! c'est le maître… Il est comme ça depuis le malheur de son fils. À ce moment une femme et un petit garçon, vêtus de noir, passèrent près de nous avec de gros paroissiens dorés, et entrèrent à la ferme.

L'homme ajouta : — … La maîtresse et Cadet qui reviennent de la messe. Ils y vont tous les jours, depuis que l'enfant s'est tué… Ah ! monsieur, quelle désolation !… Le père porte encore les habits du mort ; on ne peut pas les lui faire quitter… Dia ! hue ! la bête !

La charrette s'ébranla pour partir. Moi, qui voulais en savoir plus long, je demandai au voiturier de monter à côté de lui, et c'est là-haut, dans le foin, que j'appris toute cette navrante histoire… Il s'appelait Jan. C'était un admirable paysan de vingt ans, sage comme une fille, solide et le visage ouvert. Comme il était très beau, les femmes le regardaient ; mais lui n'en avait qu'une en tête, — une petite Arlésienne, toute en velours et en dentelles, qu'il avait rencontrée sur la Lice d'Arles, une fois. — Au mas, on ne vit pas d'abord cette liaison avec plaisir. La fille passait pour coquette, et ses parents n'étaient pas du pays. Mais Jan voulait son Arlésienne à toute force. Il disait :

— Je mourrai si on ne me la donne pas.

Il fallut en passer par là. On décida de les marier après la moisson.

Donc, un dimanche soir, dans la cour du mas, la famille achevait de dîner. C'était presque un repas de noces. La fiancée n'y assistait pas, mais on avait bu en son honneur tout le temps… Un homme se présente à la porte, et, d'une voix qui tremble, demande à parler à maître Estève, à lui seul. Estève se lève et sort sur la route.

— Maître, lui dit l'homme, vous allez marier votre enfant à une coquine, qui a été ma maîtresse pendant deux ans. Ce que j'avance, je le prouve : voici des lettres !… Les parents savent tout et me l'avaient promise ; mais, depuis que votre fils la recherche, ni eux ni la belle ne veulent plus de moi… J'aurais cru pourtant qu'après ça elle ne pouvait pas être la femme d'un autre. — C'est bien ! dit maître Estève quand il eut regardé les lettres ; entrez boire un verre de muscat.

L'homme répond : — Merci ! j'ai plus de chagrin que de soif. Et il s'en va. Le père rentre, impassible ; il reprend sa place à table ; et le repas s'achève gaiement… Ce soir-là, maître Estève et son fils s'en allèrent ensemble dans les champs. Ils restèrent longtemps dehors ; quand ils revinrent, la mère les attendait encore.

— Femme, dit le ménager, en lui amenant son fils, embrasse-le ! il est malheureux…

Jan ne parla plus de l'Arlésienne. Il l'aimait toujours cependant, et même plus que jamais, depuis qu'on la lui avait montrée dans les bras d'un autre. Seulement il était trop fier pour rien dire ; c'est ce qui le tua, le pauvre enfant !… Quelquefois il passait des journées entières seul dans un coin, sans bouger. D'autres jours, il se mettait à la terre avec rage et abattait à lui seul le travail de dix journaliers… Le soir venu, il prenait la route d'Arles et marchait devant lui jusqu'à ce qu'il vît monter dans le couchant les clochers grêles de la ville. Alors il revenait. Jamais il n'alla plus loin. De le voir ainsi, toujours triste et seul, les gens du mas ne savaient plus que faire. On redoutait un malheur… Une fois, à table, sa mère, en le regardant avec des yeux pleins de larmes, lui dit :

— Eh bien ! écoute, Jan, si tu la veux tout de même, nous te la donnerons…

Le père, rouge de honte, baissait la tête…

Jan fit signe que non, et il sortit…

À partir de ce jour, il changea sa façon de vivre, affectant d'être toujours gai, pour rassurer ses parents. On le revit au bal, au cabaret, dans les ferrades. À la vote de Fonvieille, c'est lui qui mena la farandole. Le père disait : « Il est guéri. » La mère, elle, avait toujours des craintes et plus que jamais surveillait son enfant… Jan couchait avec Cadet, tout près de la magnanerie ; la pauvre vieille se fit dresser un lit à côté de leur chambre… Les magnans pouvaient avoir besoin d'elle, dans la nuit. Vint la fête de saint Éloi, patron des ménagers.

Grande joie au mas… Il y eut du châteauneuf pour tout le monde et du vin cuit comme s'il en pleuvait. Puis des pétards, des feux sur l'aire, des lanternes de couleur plein les micocouliers… Vive saint Éloi ! On farandola à mort. Cadet brûla sa blouse neuve… Jan lui-même avait l'air content ; il voulut faire danser sa mère ; la pauvre femme en pleurait de bonheur. À minuit, on alla se coucher. Tout le monde avait besoin de dormir… Jan ne dormit pas, lui. Cadet a raconté depuis que toute la nuit il avait sangloté… Ah ! je vous réponds qu'il était bien mordu, celui-là… Le lendemain, à l'aube, la mère entendit quelqu'un traverser sa chambre en courant. Elle eut comme un pressentiment :

— Jan, c'est toi ? Jan ne répond pas ; il est déjà dans l'escalier. Vite, vite la mère se lève :

— Jan, où vas-tu ?

Il monte au grenier ; elle monte derrière lui :

— Mon fils, au nom du ciel !

Il ferme la porte et tire le verrou.

— Jan, mon Janet, réponds-moi. Que vas-tu faire ?

À tâtons, de ses vieilles mains qui tremblent, elle cherche le loquet… Une fenêtre qui s'ouvre, le bruit d'un corps sur les dalles de la cour, et c'est tout… Il s'était dit, le pauvre enfant : « Je l'aime trop… Je m'en vais… » Ah ! misérables cœurs que nous sommes ! C'est un peu fort pourtant que le mépris ne puisse pas tuer l'amour !… Ce matin-là, les gens du village se demandèrent qui pouvait crier ainsi, là-bas, du côté du mas d'Estève… C'était, dans la cour, devant la table de pierre couverte de rosée et de sang, la mère toute nue qui se lamentait, avec son enfant mort sur ses bras.

L’ARLÉSIENNE Die Arlesianerin the Arlésienne L'ARLÉSIENNE L'ARLÉSIENNE THE ARLÉSIENNE

L'ARLÉSIENNE the Arlésienne THE ARLÉSIENNE Pour aller au village, en descendant de mon moulin, on passe devant un mas bâti près de la route au fond d'une grande cour plantée de micocouliers. ||||||||||||||||||||hinten||||mit Micocouliers bepflanzt||Mischbaumarten to|to go|to the|village|by|descending|from|my|mill|we|we pass|in front of|a|farmhouse|built|near|of|the|road|at|bottom|of a|large|courtyard|planted|with|mulberry trees To go to the village, when coming down from my mill, you pass in front of a farmhouse built near the road at the end of a large courtyard planted with mulberry trees. C'est la vraie maison du ménager de Provence, avec ses tuiles rouges, sa large façade brune irrégulièrement percée, puis tout en haut la girouette du grenier, la poulie pour hisser les meules, et quelques touffes de foin brun qui dépassent… ||||||||||||||||unregelmäßig|||||||Wetterfahne||||Seilzug||hissen||Heuballen|||Haufen||||| it is|the|true|house|of the|householder|of|Provence|with|its|tiles|red|its|large|facade|brown|irregularly|pierced|then|all|in|top|the|weather vane|of the|attic|the|pulley|to|hoist|the|bales|and|some|tufts|of|hay|brown|that|stick out It is the true house of a Provençal farmer, with its red tiles, its wide brown facade irregularly pierced, then at the very top the weather vane of the attic, the pulley to hoist the millstones, and some tufts of brown hay sticking out... Pourquoi cette maison m'avait-elle frappé ? why|this|house|||struck Why had this house struck me? Pourquoi ce portail fermé me serrait-il le cœur ? why|this|portal|closed|me|||the| Why did this closed gate squeeze my heart? Je n'aurais pas pu le dire, et pourtant ce logis me faisait froid. I|I would not have|not|been able to|it|to say|and|yet|this|lodging|me|it was making|cold I couldn't have said, and yet this dwelling made me feel cold. Il y avait trop de silence autour… Quand on passait, les chiens n'aboyaient pas, les pintades s'enfuyaient sans crier… À l'intérieur, pas une voix ! ||||||||||||bellten||||sich davonmachten||||||| there|there|there was|too much|of|silence|around|when|we|we passed|the|dogs|they were not barking|not|the|guinea fowls|they were fleeing|without|to shout|In|the inside|not|a|voice There was too much silence around... When passing by, the dogs did not bark, the guineafowl ran away without a sound... Inside, not a single voice! Rien, pas même un grelot de mule… Sans les rideaux blancs des fenêtres et la fumée qui montait des toits, on aurait cru l'endroit inhabité. ||||||Esel|||Vorhänge||||||||||||||| nothing|not|even|a|bell|of|mule|Without|the|curtains|white|of|windows|and|the|smoke|that|was rising|from|roofs|one|it would have|believed|the place|uninhabited Nothing, not even a mule's bell... Without the white curtains of the windows and the smoke rising from the roofs, one would have thought the place uninhabited. Hier, sur le coup de midi, je revenais du village, et, pour éviter le soleil, je longeais les murs de la ferme, dans l'ombre des micocouliers… Sur la route, devant le mas, des valets silencieux achevaient de charger une charrette de foin… Le portail était resté ouvert. ||||||||||||||||schlenderte entlang|||||||||||||||||||beendeten|||||||||||offen yesterday|on|the|stroke|of|noon|I|I was coming back|from the|village|and|to|avoid|the|sun|I|I was walking along|the|walls|of|the|farm|in|the shadow|some|mulberry trees|On|the|road|in front of|the|farmhouse|some|servants|silent|they were finishing|to|to load|a|cart|of|hay|The|gate|it was|left|open Yesterday, around noon, I was returning from the village, and to avoid the sun, I was walking along the walls of the farm, in the shade of the hackberry trees... On the road, in front of the farmhouse, silent servants were finishing loading a cart with hay... The gate had been left open. Je jetai un regard en passant, et je vis, au fond de la cour, accoudé, — la tête dans ses mains, — sur une large table de pierre, un grand vieux tout blanc, avec une veste trop courte et des culottes en lambeaux… Je m'arrêtai. |ich war|||||||||||||aufgestützt||||||||||||||||||||||||Hosen||||ich hielt an I|I threw|a|look|in|passing|and|I|I saw|at|bottom|of|the|courtyard|leaning|the|head|in|his|hands|on|a|large|table|of|stone|a|big|old|all|white|with|a|jacket|too|short|and|some|trousers|in|tatters|I|I stopped I glanced as I passed by, and I saw, at the back of the courtyard, leaning — his head in his hands — on a large stone table, a big old man all in white, with a jacket that was too short and tattered trousers... I stopped. Un des hommes me dit tout bas : one|some|men|me|he says|all|quietly One of the men whispered to me:

— Chut ! hush — Shh! c'est le maître… Il est comme ça depuis le malheur de son fils. it is|the|master|he|he is|like|that|since|the|misfortune|of|his|son it's the master... He has been like this since the misfortune of his son. À ce moment une femme et un petit garçon, vêtus de noir, passèrent près de nous avec de gros paroissiens dorés, et entrèrent à la ferme. at|this|moment|a|woman|and|a|small|boy|dressed|in|black|they passed|near|of|us|with|some|big|parishioners|golden|and|they entered|at|the|farm Op dat moment liepen een vrouw en een kleine jongen, in het zwart gekleed, met grote gouden parochianen langs ons en gingen de boerderij binnen. At that moment, a woman and a little boy, dressed in black, passed by us with large golden parishioners, and entered the farm.

La charrette s'ébranla pour partir. ||setzte sich in Bewegung|| the|cart|it started to move|to|to leave The cart began to move. Moi, qui voulais en savoir plus long, je demandai au voiturier de monter à côté de lui, et c'est là-haut, dans le foin, que j'appris toute cette navrante histoire… ||||||||||Parkplatzwächter|||||||||||||||erfuhr|||traurige| me|who||in|to know|more|long|I|I asked|to the|driver|to|to get in|next to|side|of|him|and|it is|||in|the|hay|that|I learned|all|this|distressing|story I, wanting to know more, asked the carter to let me sit next to him, and it was up there, in the hay, that I learned this heartbreaking story… Il s'appelait Jan. he|he was called|Jan His name was Jan. C'était un admirable paysan de vingt ans, sage comme une fille, solide et le visage ouvert. it was|a|admirable|peasant|of|twenty|years|wise|as|a|girl|solid|and|the|face|open He was an admirable peasant of twenty years, wise as a girl, sturdy and with an open face. Comme il était très beau, les femmes le regardaient ; mais lui n'en avait qu'une en tête, — une petite Arlésienne, toute en velours et en dentelles, qu'il avait rencontrée sur la Lice d'Arles, une fois. ||||||||||||||||||Arlésienne||||||||||||||| as|he|he was|very|handsome|the|women|him|they looked at him|but|he|he had only one|he had|only one|in|mind|a|little|Arlesian|all|in|velvet|and|in|lace|that he|he had|met|on|the|Lice|of Arles|once|time As he was very handsome, women looked at him; but he had only one in mind — a little Arlesian, all in velvet and lace, whom he had met on the Lice of Arles, once. — Au mas, on ne vit pas d'abord cette liaison avec plaisir. at the|farm|we|not|we live|not|at first|this|connection|with|pleasure At the farm, this relationship was not initially viewed with pleasure. La fille passait pour coquette, et ses parents n'étaient pas du pays. the|girl|she was passing|for|flirtatious|and|her|parents|they were not|not|from|country The girl was considered flirtatious, and her parents were not from the area. Mais Jan voulait son Arlésienne à toute force. but|Jan|he wanted|his|Arlésienne|at|all|force But Jan wanted his Arlésienne at all costs. Il disait : he|he was saying He said:

— Je mourrai si on ne me la donne pas. I|I will die|if|we|not|to me|it|he/she gives|not — I will die if I am not given her.

Donc, un dimanche soir, dans la cour du mas, la famille achevait de dîner. so|a|Sunday|evening|in|the|courtyard|of the|farmhouse|the|family|was finishing|to|dinner So, one Sunday evening, in the courtyard of the farmhouse, the family was finishing dinner. C'était presque un repas de noces. it was|almost|a|meal|of|weddings It was almost a wedding feast. La fiancée n'y assistait pas, mais on avait bu en son honneur tout le temps… Un homme se présente à la porte, et, d'une voix qui tremble, demande à parler à maître Estève, à lui seul. |||||||||seiner|||||||||||||||||||||||Meister Estève||| the|fiancée|not there|she was attending|not|but|we|we had|drunk|in|her|honor|all|the|time|a|man|himself|he presents|at|the|door|and|in a|voice|who|trembles|he asks|to|to speak|to|master|Estève|to|him|alone The bride was not present, but they had been drinking in her honor the whole time... A man appears at the door and, in a trembling voice, asks to speak to Master Estève, alone. Estève se lève et sort sur la route. Estève|himself|he gets up|and|he goes out|on|the|road Estève gets up and goes out onto the road.

— Maître, lui dit l'homme, vous allez marier votre enfant à une coquine, qui a été ma maîtresse pendant deux ans. master|to him|he said|the man|you|you are going to|to marry|your|child|to|a|naughty girl|who|has been|been|my|mistress|for|two|years — Master, the man said to him, you are going to marry your child to a hussy, who was my mistress for two years. Ce que j'avance, je le prouve : voici des lettres !… Les parents savent tout et me l'avaient promise ; mais, depuis que votre fils la recherche, ni eux ni la belle ne veulent plus de moi… J'aurais cru pourtant qu'après ça elle ne pouvait pas être la femme d'un autre. ||ich behaupte||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| what|that|I advance|I|it|I prove|here are|some|letters|The|parents|they know|everything|and|to me|they had|promised|but|since|that|your|son|her|he searches|neither|them|nor|the|beautiful|not|they want|anymore|of|me|I would have|believed|however|that after|that|she|not|she could|not|to be|the|wife|of a|another What I claim, I prove it: here are the letters!… The parents know everything and had promised me; but, since your son is pursuing her, neither they nor the beauty want me anymore… I would have thought that after that she could not be the wife of another. — C'est bien ! it's|good — That's enough! dit maître Estève quand il eut regardé les lettres ; entrez boire un verre de muscat. said|master|Estève|when|he|he had|looked|the|letters|enter|to drink|a|glass|of|muscat said Master Estève when he had looked at the letters; come in for a glass of muscat.

L'homme répond : the man|he responds The man replies: — Merci ! thank you — Thank you! j'ai plus de chagrin que de soif. I have|more|of|sorrow|than|of|thirst I have more sorrow than thirst. Et il s'en va. and|he|he goes away|he goes And he leaves. Le père rentre, impassible ; il reprend sa place à table ; et le repas s'achève gaiement… the|father|he returns|impassive|he|he takes back|his|place|at|table|and|the|meal|it ends|cheerfully The father returns, impassive; he takes his place at the table; and the meal ends cheerfully… Ce soir-là, maître Estève et son fils s'en allèrent ensemble dans les champs. that|||master|Estève|and|his|son|they went|they went|together|in|the|fields That evening, Master Estève and his son went out together into the fields. Ils restèrent longtemps dehors ; quand ils revinrent, la mère les attendait encore. they|they stayed|a long time|outside|when|they|they returned|the|mother|them|she was waiting|still They stayed outside for a long time; when they returned, the mother was still waiting for them.

— Femme, dit le ménager, en lui amenant son fils, embrasse-le ! woman|says|the|housekeeper|by|him|bringing|his|son|| — Woman, said the housekeeper, bringing her son to her, kiss him! il est malheureux… he|is|unhappy he is unhappy…

Jan ne parla plus de l'Arlésienne. Jan|not|he/she spoke|more|of|the Arlésienne Jan no longer spoke of the Arlésienne. Il l'aimait toujours cependant, et même plus que jamais, depuis qu'on la lui avait montrée dans les bras d'un autre. he|he loved her|always|however|and|even|more|than|ever|since|that one|her|to him|had|shown|in|the|arms|of a|another He still loved her, however, and even more than ever, since he had seen her in the arms of another. Seulement il était trop fier pour rien dire ; c'est ce qui le tua, le pauvre enfant !… Quelquefois il passait des journées entières seul dans un coin, sans bouger. only|he|he was|too|proud|for|nothing|to say|it's|that|which|him|it killed|the|poor|child|Sometimes|he|he spent|some|days|entire|alone|in|a|corner|without|to move Only he was too proud to say anything; that is what killed him, the poor child!… Sometimes he would spend whole days alone in a corner, without moving. D'autres jours, il se mettait à la terre avec rage et abattait à lui seul le travail de dix journaliers… Le soir venu, il prenait la route d'Arles et marchait devant lui jusqu'à ce qu'il vît monter dans le couchant les clochers grêles de la ville. |||||||||||verrigte||||||||||||||||||ging||||||sah||||||die schlanken Türme|||| other|days|he|himself|he would put|to|the|earth|with|rage|and|he would bring down|at|him|alone|the|work|of|ten|day laborers|The|evening|having come|he|he would take|the|road|of Arles|and|he would walk|in front|him|until|that|he|he saw|to rise|in|the|sunset|the|bell towers|slender|of|the|city On other days, he would work the land with rage and single-handedly do the work of ten laborers… When evening came, he would take the road to Arles and walk ahead until he saw the slender steeples of the city rise in the sunset. Alors il revenait. so|he|he was coming back Then he would return. Jamais il n'alla plus loin. ||ging|| never|he|he went|more|far He never went any further. De le voir ainsi, toujours triste et seul, les gens du mas ne savaient plus que faire. of|him|to see|thus|always|sad|and|alone|the|people|of the|farm|not|they knew|more|what|to do Seeing him like this, always sad and alone, the people of the farmhouse no longer knew what to do. On redoutait un malheur… Une fois, à table, sa mère, en le regardant avec des yeux pleins de larmes, lui dit : |fürchtete||||||||||||||||||| we|we feared|a|misfortune|one|time|at|table|his|mother|while|him|looking|with|some|eyes|full|of|tears|to him|she said They feared a misfortune... Once, at the table, his mother, looking at him with tear-filled eyes, said to him:

— Eh bien ! well| — Well! écoute, Jan, si tu la veux tout de même, nous te la donnerons… listen|Jan|if|you|her|you want|all|of|still|we|we will give you|her|we will give Listen, Jan, if you still want her, we will give her to you...

Le père, rouge de honte, baissait la tête… |||||senkte|| the|father|red|of|shame|he was lowering|the|head The father, red with shame, lowered his head…

À partir de ce jour, il changea sa façon de vivre, affectant d'être toujours gai, pour rassurer ses parents. from|to start|of|this|day|he|he changed|his|way|of|to live|affecting|to be|always|cheerful|to|to reassure|his|parents From that day on, he changed his way of living, pretending to always be cheerful, to reassure his parents. On le revit au bal, au cabaret, dans les ferrades. ||sehen|||||||Ferraden we|him|we see again|at the|ball|at the|cabaret|in|the|ferrades He was seen again at the ball, at the cabaret, in the ferrades. À la vote de Fonvieille, c'est lui qui mena la farandole. ||||Fonvieille (1)|||||| at|the|vote|of|Fonvieille|it's|him|who|he led|the|farandole At the vote of Fonvieille, it was he who led the farandole. Le père disait : « Il est guéri. the|father|he was saying|he|he is|healed The father said: "He is healed." » La mère, elle, avait toujours des craintes et plus que jamais surveillait son enfant… Jan couchait avec Cadet, tout près de la magnanerie ; la pauvre vieille se fit dresser un lit à côté de leur chambre… Les magnans pouvaient avoir besoin d'elle, dans la nuit. |||||||||||beobachtete|||||||||||Seidenraupenzucht|||||||ein||||||||||||||| the|mother|she|she had|always|some|fears|and|more|than|ever|she watched|her|child|Jan|he was sleeping|with|Cadet|very|near|of|the|silk farm|the|poor|old woman|herself|she had|to set up|a|bed|next to|side|of|their|room|the|silkworms|they could|to have|need|of her|in|the|night The mother, however, always had fears and more than ever watched over her child... Jan slept with Cadet, right next to the silk farm; the poor old woman had a bed set up next to their room... The silkworms might need her during the night. Vint la fête de saint Éloi, patron des ménagers. Am|||||Eloi||| came|the|feast|of|Saint|Eloi|patron|of|housekeepers Then came the feast of Saint Eloi, patron of the householders.

Grande joie au mas… Il y eut du châteauneuf pour tout le monde et du vin cuit comme s'il en pleuvait. |große Freude|||||||Châteauneuf|||||||||||| great|joy|at the|farmhouse|there|||some|Châteauneuf|for|everyone|the|world|and|some|wine|cooked|as|as if|it|it was raining Great joy at the farmhouse... There was Châteauneuf for everyone and cooked wine as if it were raining. Puis des pétards, des feux sur l'aire, des lanternes de couleur plein les micocouliers… Vive saint Éloi ! ||Knaller||||Platz||Laternen|||||||| then|some|firecrackers|some|fires|on|the area|some|lanterns|of|color|full|the|mulberry trees|long live|Saint|Eloi Then firecrackers, fires in the yard, colored lanterns all over the hackberry trees... Long live Saint Eloi! On farandola à mort. |Farandola bis zum Tod|| we|farandole|at|death They danced the farandole to the max. Cadet brûla sa blouse neuve… Jan lui-même avait l'air content ; il voulut faire danser sa mère ; la pauvre femme en pleurait de bonheur. |brennt|||||||||||||||||||||| cadet|he burned|his|blouse|new|Jan|||he had|the look|happy|he|he wanted|to make|to dance|his|mother|the|poor|woman|she was|she was crying|of|happiness Cadet burned his new blouse... Jan himself looked happy; he wanted to make his mother dance; the poor woman was crying tears of joy. À minuit, on alla se coucher. at|midnight|we|we went|to|to bed At midnight, we went to bed. Tout le monde avait besoin de dormir… Jan ne dormit pas, lui. everyone|the|world|had|need|to|to sleep|Jan|not|he slept|no|him Everyone needed to sleep... Jan did not sleep, though. Cadet a raconté depuis que toute la nuit il avait sangloté… Ah ! ||||||||||geschluchzt| Cadet|has|told|since|that|all|the|night|he|he had|sobbed|Ah Cadet has since said that he had been sobbing all night... Ah! je vous réponds qu'il était bien mordu, celui-là… I|you|I respond|that he|he was|well|bitten|| I can tell you that he was really bitten, that one... Le lendemain, à l'aube, la mère entendit quelqu'un traverser sa chambre en courant. the|next day|at|dawn|the|mother|she heard|someone|to cross|her|room|in|running The next day, at dawn, the mother heard someone running through her room. Elle eut comme un pressentiment : ||||Vorahnung she|she had|like|a|premonition She had a feeling of foreboding:

— Jan, où vas-tu ? Jan|where|| — Jan, where are you going?

Il ferme la porte et tire le verrou. er|||||||Riegel he|he closes|the|door|and|he pulls|the|lock He closes the door and pulls the bolt.

— Jan, mon Janet, réponds-moi. Jan|my|Janet|| — Jan, my Janet, answer me. Que vas-tu faire ? what|you go|you|to do What are you going to do?

À tâtons, de ses vieilles mains qui tremblent, elle cherche le loquet… Une fenêtre qui s'ouvre, le bruit d'un corps sur les dalles de la cour, et c'est tout… |||||||zittern|||||||||||||||Platten|||||| at|gropingly|of|her|old|hands|that|tremble|she|she searches|the|latch|a|window|that|opens|the|noise|of a|body|on|the|tiles|of|the|courtyard|and|it's|all Groping with her old trembling hands, she searches for the latch… A window opening, the sound of a body on the tiles of the courtyard, and that's all… Il s'était dit, le pauvre enfant : « Je l'aime trop… Je m'en vais… » Ah ! |||||||||ich||| he|he had said|said|the|poor|child|I|I love her|too much|I|I am going|I go|Ah He had told himself, the poor child: "I love her too much... I'm leaving..." Ah! misérables cœurs que nous sommes ! miserable||that|we|we are miserable hearts that we are! C'est un peu fort pourtant que le mépris ne puisse pas tuer l'amour !… it is|a|a little|strong|yet|that|the|contempt|not|it can|not|to kill|love It is a bit strong though that contempt cannot kill love!... Ce matin-là, les gens du village se demandèrent qui pouvait crier ainsi, là-bas, du côté du mas d'Estève… |||||||||||||||||||des Esteve that|||the|people|of the|village|themselves|they asked|who|could|to shout|like that|||from the|side|of the|farmhouse|of Estève That morning, the villagers wondered who could be shouting like that, over there, by the Estève farmhouse... C'était, dans la cour, devant la table de pierre couverte de rosée et de sang, la mère toute nue qui se lamentait, avec son enfant mort sur ses bras. |||||||||||||||||||||weinte||||||| it was|in|the|courtyard|in front of|the|table|of|stone|covered|with|dew|and|of|blood|the|mother|completely|naked|who|herself|she lamented|with|her|child|dead|on|her|arms It was, in the courtyard, in front of the stone table covered with dew and blood, the mother completely naked who lamented, with her dead child in her arms.

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