Lettres de mon moulin (Alphonse Daudet, 1887), LA LÉGENDE DE L’HOMME À LA CERVELLE D’OR

LA LÉGENDE DE L'HOMME À LA CERVELLE D'OR

LA LÉGENDE DE L'HOMME À LA CERVELLE D'OR. à la dame qui demande des histoires gaies.

En lisant votre lettre, madame, j'ai eu comme un remords. Je m'en suis voulu de la couleur un peu trop demi-deuil de mes historiettes, et je m'étais promis de vous offrir aujourd'hui quelque chose de joyeux, de follement joyeux. Pourquoi serais-je triste, après tout ? Je vis à mille lieues des brouillards parisiens, sur une colline lumineuse, dans le pays des tambourins et du vin muscat. Autour de chez moi tout n'est que soleil et musique ; j'ai des orchestres de culs-blancs, des orphéons de mésanges ; le matin, les courlis qui font : « Coureli ! coureli ! » à midi, les cigales, puis les pâtres qui jouent du fifre, et les belles filles brunes qu'on entend rire dans les vignes… En vérité, l'endroit est mal choisi pour broyer du noir ; je devrais plutôt expédier aux dames des poèmes couleur de rose et des pleins paniers de contes galants. Eh bien, non ! je suis encore trop près de Paris. Tous les jours, jusque dans mes pins, il m'envoie les éclaboussures de ses tristesses… À l'heure même où j'écris ces lignes, je viens d'apprendre la mort misérable du pauvre Charles Barbara ; et mon moulin en est tout en deuil. Adieu les courlis et les cigales ! Je n'ai plus le cœur à rien de gai… Voilà pourquoi, madame, au lieu du joli conte badin que je m'étais promis de vous faire, vous n'aurez encore aujourd'hui qu'une légende mélancolique. Il était une fois un homme qui avait une cervelle d'or ; oui, madame, une cervelle toute en or. Lorsqu'il vint au monde, les médecins pensaient que cet enfant ne vivrait pas, tant sa tête était lourde et son crâne démesuré. Il vécut cependant et grandit au soleil comme un beau plant d'olivier ; seulement sa grosse tête l'entraînait toujours, et c'était pitié de le voir se cogner à tous les meubles en marchant… Il tombait souvent. Un jour, il roula du haut d'un perron et vint donner du front contre un degré de marbre, où son crâne sonna comme un lingot. On le crut mort ; mais, en le relevant, on ne lui trouva qu'une légère blessure, avec deux ou trois gouttelettes d'or caillées dans ses cheveux blonds. C'est ainsi que les parents apprirent que l'enfant avait une cervelle en or. La chose fut tenue secrète ; le pauvre petit lui-même ne se douta de rien. De temps en temps, il demandait pourquoi on ne le laissait plus courir devant la porte avec les garçonnets de la rue.

— On vous volerait, mon beau trésor ! lui répondait sa mère…

Alors le petit avait grand'peur d'être volé ; il retournait jouer tout seul, sans rien dire, et se trimbalait lourdement d'une salle à l'autre… À dix-huit ans seulement, ses parents lui révélèrent le don monstrueux qu'il tenait du destin ; et, comme ils l'avaient élevé et nourri jusque-là, ils lui demandèrent en retour un peu de son or. L'enfant n'hésita pas ; sur l'heure même, — comment ? par quels moyens ? la légende ne l'a pas dit, — il s'arracha du crâne un morceau d'or massif, un morceau gros comme une noix, qu'il jeta fièrement sur les genoux de sa mère… Puis tout ébloui des richesses qu'il portait dans la tête, fou de désirs, ivre de sa puissance, il quitta la maison paternelle et s'en alla par le monde en gaspillant son trésor. Du train dont il menait sa vie, royalement, et semant l'or sans compter, on aurait dit que sa cervelle était inépuisable… Elle s'épuisait cependant, et à mesure on pouvait voir les yeux s'éteindre, la joue devenir plus creuse. Un jour enfin, au matin d'une débauche folle, le malheureux, resté seul parmi les débris du festin et les lustres qui pâlissaient, s'épouvanta de l'énorme brèche qu'il avait déjà faite à son lingot ; il était temps de s'arrêter. Dès lors, ce fut une existence nouvelle. L'homme à la cervelle d'or s'en alla vivre, à l'écart, du travail de ses mains, soupçonneux et craintif comme un avare, fuyant les tentations, tâchant d'oublier lui-même ces fatales richesses auxquelles il ne voulait plus toucher… Par malheur, un ami l'avait suivi dans sa solitude, et cet ami connaissait son secret. Une nuit, le pauvre homme fut réveillé en sursaut par une douleur à la tête, une effroyable douleur ; il se dressa éperdu, et vit, dans un rayon de lune, l'ami qui fuyait en cachant quelque chose sous son manteau… Encore un peu de cervelle qu'on lui emportait !… À quelque temps de là, l'homme à la cervelle d'or devint amoureux, et cette fois tout fut fini… Il aimait du meilleur de son âme une petite femme blonde, qui l'aimait bien aussi, mais qui préférait encore les pompons, les plumes blanches et les jolis glands mordorés battant le long des bottines. Entre les mains de cette mignonne créature, — moitié oiseau, moitié poupée, — les piécettes d'or fondaient que c'était un plaisir. Elle avait tous les caprices ; et lui ne savait jamais dire non ; même, de peur de la peiner, il lui cacha jusqu'au bout le triste secret de sa fortune. — Nous sommes donc bien riches ? disait-elle.

Le pauvre homme répondait :

— Oh ! oui… bien riches !

Et il souriait avec amour au petit oiseau bleu qui lui mangeait le crâne innocemment. Quelquefois cependant la peur le prenait, il avait des envies d'être avare ; mais alors la petite femme venait vers lui en sautillant, et lui disait : — Mon mari, qui êtes si riche ! achetez-moi quelque chose de bien cher…

Et il lui achetait quelque chose de bien cher.

Cela dura ainsi pendant deux ans ; puis, un matin, la petite femme mourut, sans qu'on sût pourquoi, comme un oiseau… Le trésor touchait à sa fin ; avec ce qui lui en restait, le veuf fit faire à sa chère morte un bel enterrement. Cloches à toute volée, lourds carrosses tendus de noir, chevaux empanachés, larmes d'argent dans le velours, rien ne lui parut trop beau. Que lui importait son or maintenant ?… Il en donna pour l'église, pour les porteurs, pour les revendeuses d'immortelles ; il en donna partout, sans marchander… Aussi, en sortant du cimetière, il ne lui restait presque plus rien de cette cervelle merveilleuse, à peine quelques parcelles aux parois du crâne. Alors on le vit s'en aller dans les rues, l'air égaré, les mains en avant, trébuchant comme un homme ivre. Le soir, à l'heure où les bazars s'illuminent, il s'arrêta devant une large vitrine dans laquelle tout un fouillis d'étoffes et de parures reluisait aux lumières, et resta là longtemps à regarder deux bottines de satin bleu bordées de duvet de cygne. « Je sais quelqu'un à qui ces bottines feraient bien plaisir, » se disait-il en souriant ; et, ne se souvenant déjà plus que la petite femme était morte, il entra pour les acheter. Du fond de son arrière-boutique, la marchande entendit un grand cri ; elle accourut et recula de peur en voyant un homme debout, qui s'accotait au comptoir et la regardait douloureusement d'un air hébété. Il tenait d'une main les bottines bleues à bordure de cygne, et présentait l'autre main toute sanglante, avec des raclures d'or au bout des ongles. Telle est, madame, la légende de l'homme à la cervelle d'or. Malgré ses airs de conte fantastique, cette légende est vraie d'un bout à l'autre… Il y a par le monde de pauvres gens qui sont condamnés à vivre de leur cerveau, et payent en bel or fin, avec leur moelle et leur substance, les moindres choses de la vie. C'est pour eux une douleur de chaque jour ; et puis, quand ils sont las de souffrir…

LA LÉGENDE DE L’HOMME À LA CERVELLE D’OR THE|LEGEND|OF|THE MAN|WITH|THE|BRAIN|OF GOLD LA LEYENDA DEL HOMBRE DEL CEREBRO DE ORO LEGENDA O CZŁOWIEKU ZE ZŁOTYM MÓZGIEM 金脑男传奇 THE LEGEND OF THE MAN WITH THE GOLDEN BRAIN

En lisant votre lettre, madame, j'ai eu comme un remords. In|reading|your|letter|madam|I have|had|like|a|remorse While reading your letter, madam, I felt a sort of remorse. Je m'en suis voulu de la couleur un peu trop demi-deuil de mes historiettes, et je m'étais promis de vous offrir aujourd'hui quelque chose de joyeux, de follement joyeux. I|to myself|I am|wanted|of|the|color|a|little|too||mourning|of|my|little stories|and|I|I had been|promised|to|you|to offer|today|something|thing|of|joyful|of|wildly|joyful I regretted the somewhat half-mourning color of my little stories, and I had promised myself to offer you something joyful today, something wildly joyful. Pourquoi serais-je triste, après tout ? Why|||sad|after|all Why should I be sad, after all? Je vis à mille lieues des brouillards parisiens, sur une colline lumineuse, dans le pays des tambourins et du vin muscat. I|I live|at|thousand|leagues|of the|fogs|Parisian|on|a|hill|bright|in|the|land|of the|tambourines|and|of the|wine|Muscat I live a thousand leagues away from the Parisian fogs, on a bright hill, in the land of tambourines and muscat wine. Autour de chez moi tout n'est que soleil et musique ; j'ai des orchestres de culs-blancs, des orphéons de mésanges ; le matin, les courlis qui font : « Coureli ! Around|of|home|me|all|it is|only|sun|and|music|I have|some|orchestras|of|butts||some|choirs|of|tits|the|morning|the|curlews|who|they make|Coureli Around my home, there is nothing but sunshine and music; I have orchestras of white butts, choirs of tits; in the morning, the curlews call out: "Courel!" coureli ! let's run coureli ! » à midi, les cigales, puis les pâtres qui jouent du fifre, et les belles filles brunes qu'on entend rire dans les vignes… En vérité, l'endroit est mal choisi pour broyer du noir ; je devrais plutôt expédier aux dames des poèmes couleur de rose et des pleins paniers de contes galants. at|noon|the|cicadas|then|the|shepherds|who|they play|the|fife|and|the|beautiful|girls|brown-haired|that we|we hear|to laugh|in|the|vineyards|In|truth|the place|it is|badly|chosen|to|to brood|of|gloom|I|I should|rather|to send|to the|ladies|some|poems|color|of|pink|and|some|full|baskets|of|tales|gallant " at noon, the cicadas, then the shepherds playing the fife, and the beautiful brown girls we hear laughing in the vineyards... In truth, the place is poorly chosen for brooding; I should rather send the ladies rose-colored poems and full baskets of romantic tales. Eh bien, non ! Well|good|no Well, no! je suis encore trop près de Paris. I|I am|still|too|close|to|Paris I am still too close to Paris. Tous les jours, jusque dans mes pins, il m'envoie les éclaboussures de ses tristesses… À l'heure même où j'écris ces lignes, je viens d'apprendre la mort misérable du pauvre Charles Barbara ; et mon moulin en est tout en deuil. All|the|days|until|in|my|pines|he|he sends me|the|splashes|of|his|sorrows|At|the hour|even|when|I write|these|lines|I|I come|to learn|the|death|miserable|of the|poor|Charles|Barbara|and|my|mill|in|it is|all|in|mourning Every day, even into my pines, he sends me the splashes of his sorrows... At the very moment I write these lines, I have just learned of the miserable death of poor Charles Barbara; and my mill is in mourning. Adieu les courlis et les cigales ! Goodbye|the|curlews|and|the|cicadas Farewell to the curlews and the cicadas! Je n'ai plus le cœur à rien de gai… Voilà pourquoi, madame, au lieu du joli conte badin que je m'étais promis de vous faire, vous n'aurez encore aujourd'hui qu'une légende mélancolique. I|I have|anymore|the||to|anything|of|cheerful|Here is|why|madam|instead of|of|the|pretty|tale|light-hearted|that|I|I had|promised|to|you|to tell|you|you will have|still|today|only a|legend|melancholic I no longer have the heart for anything cheerful... That is why, madam, instead of the pretty light-hearted tale I had promised to tell you, you will again today receive only a melancholic legend. Il était une fois un homme qui avait une cervelle d'or ; oui, madame, une cervelle toute en or. It|it was|a|once|a|man|who|he had|a|brain|of gold|yes|madam|a|brain|all|in|gold Once upon a time, there was a man who had a brain of gold; yes, madam, a brain entirely made of gold. Lorsqu'il vint au monde, les médecins pensaient que cet enfant ne vivrait pas, tant sa tête était lourde et son crâne démesuré. When he|he came|to the|world|the|doctors|they thought|that|this|child|not|he would live|not|so|his|head|it was|heavy|and|his|skull|oversized When he came into the world, the doctors thought that this child would not live, so heavy was his head and so oversized was his skull. Il vécut cependant et grandit au soleil comme un beau plant d'olivier ; seulement sa grosse tête l'entraînait toujours, et c'était pitié de le voir se cogner à tous les meubles en marchant… Il tombait souvent. He|he lived|however|and|he grew|in the|sun|like|a|beautiful|plant|||his|big|head|it dragged him|always|and|it was|pity|to|him|to see|himself|to bump|against|all|the|furniture|while|||he fell|often However, he lived and grew in the sun like a beautiful olive tree; only his big head always led him astray, and it was a pity to see him bump into all the furniture while walking... He often fell. Un jour, il roula du haut d'un perron et vint donner du front contre un degré de marbre, où son crâne sonna comme un lingot. One|day|he|he rolled|from the|top|of a|porch|and|he came|to hit|with the|forehead|against|a|step|of|marble|where|his|skull|it sounded|like|a|ingot One day, he rolled down from the top of a porch and hit his forehead against a marble step, where his skull sounded like a bar of gold. On le crut mort ; mais, en le relevant, on ne lui trouva qu'une légère blessure, avec deux ou trois gouttelettes d'or caillées dans ses cheveux blonds. They|him|they believed|||in|him|lifting|we|not|to him|we found|only a|slight|injury|with|two|or|three|droplets|of gold|clotted|in|his|hair|blond They thought he was dead; but when they picked him up, they found only a slight injury, with two or three droplets of gold congealed in his blond hair. C'est ainsi que les parents apprirent que l'enfant avait une cervelle en or. It's|thus|that|the|parents|they learned|that|the child|he had|a|brain|in|gold This is how the parents learned that the child had a brain of gold. La chose fut tenue secrète ; le pauvre petit lui-même ne se douta de rien. The|thing|it was|kept|secret|the|poor|little|||not|himself|he suspected|of|anything The matter was kept secret; the poor little one himself suspected nothing. De temps en temps, il demandait pourquoi on ne le laissait plus courir devant la porte avec les garçonnets de la rue. From|time|in|time|he|he asked|why|we|not|him|we let|anymore|to run|in front of|the|door|with|the|little boys|of|the|street From time to time, he would ask why he was no longer allowed to run in front of the door with the boys from the street.

Alors le petit avait grand'peur d'être volé ; il retournait jouer tout seul, sans rien dire, et se trimbalait lourdement d'une salle à l'autre… So|the|little|he had|great fear|of being|stolen|he|he was going back|to play|all|alone|without|anything|to say|and|himself|he was dragging|heavily|from one|room|to|the other So the little one was very afraid of being stolen; he went back to play alone, without saying anything, and trudged heavily from one room to another… À dix-huit ans seulement, ses parents lui révélèrent le don monstrueux qu'il tenait du destin ; et, comme ils l'avaient élevé et nourri jusque-là, ils lui demandèrent en retour un peu de son or. At|||years|only|his|parents|to him|they revealed|the|gift|monstrous|that he|he held|from the|destiny|and|as|they|they had|raised|and|fed|||they|to him|they asked|in|return|a|little|of|his|gold Only at eighteen did his parents reveal to him the monstrous gift he had from fate; and, as they had raised and fed him until then, they asked him in return for a bit of his gold. L'enfant n'hésita pas ; sur l'heure même, — comment ? The child|he did not hesitate|not|on|the hour|even|how The child did not hesitate; at that very moment, — how? par quels moyens ? by|what|means by what means? la légende ne l'a pas dit, — il s'arracha du crâne un morceau d'or massif, un morceau gros comme une noix, qu'il jeta fièrement sur les genoux de sa mère… Puis tout ébloui des richesses qu'il portait dans la tête, fou de désirs, ivre de sa puissance, il quitta la maison paternelle et s'en alla par le monde en gaspillant son trésor. the|legend|not|it has||said|he|he tore himself away|from the|skull|a|piece|of gold|solid|||big|as|a|nut|that he|he threw|proudly|on|the|knees|of|his|mother|then|all|dazzled|by the|riches|that he|he was carrying|in|the|head|mad|with|desires|drunk|with|his|power|he|he left|the|house|paternal|and|himself|he went|through|the|world|while|wasting|his|treasure the legend did not say, — he tore a piece of solid gold from his skull, a piece as big as a walnut, which he proudly threw onto his mother's lap… Then, dazzled by the riches he carried in his head, mad with desires, drunk with his power, he left his parental home and wandered the world, wasting his treasure. Du train dont il menait sa vie, royalement, et semant l'or sans compter, on aurait dit que sa cervelle était inépuisable… Elle s'épuisait cependant, et à mesure on pouvait voir les yeux s'éteindre, la joue devenir plus creuse. From the|way|in which|he|he was leading|his|life|royally|and|sowing|gold|without|counting|one|we would have|said|that|his|brain|it was|inexhaustible|It|it was exhausting itself|however|and|as|measure|we|we could|see|the|eyes|extinguishing|the|cheek|becoming|more|hollow From the way he led his life, royally, and scattering gold without counting, one would have thought that his brain was inexhaustible… It was exhausting, however, and gradually one could see his eyes dimming, his cheek becoming more hollow. Un jour enfin, au matin d'une débauche folle, le malheureux, resté seul parmi les débris du festin et les lustres qui pâlissaient, s'épouvanta de l'énorme brèche qu'il avait déjà faite à son lingot ; il était temps de s'arrêter. A|day|finally|in the|morning|of a|debauchery|crazy|the|unfortunate|having remained|alone|among|the|debris|of the|feast|and|the|chandeliers|which|were fading|he was horrified|by|the enormous|breach|that he|he had|already|made|to|his|ingot|it|it was|time|to|to stop One day finally, in the morning after a wild debauchery, the unfortunate man, left alone among the debris of the feast and the fading chandeliers, was horrified by the enormous breach he had already made in his ingot; it was time to stop. Dès lors, ce fut une existence nouvelle. From|then|this|it was|a|existence|new From then on, it was a new existence. L'homme à la cervelle d'or s'en alla vivre, à l'écart, du travail de ses mains, soupçonneux et craintif comme un avare, fuyant les tentations, tâchant d'oublier lui-même ces fatales richesses auxquelles il ne voulait plus toucher… Par malheur, un ami l'avait suivi dans sa solitude, et cet ami connaissait son secret. The man|with|the|brain|of gold|himself|he went|to live|in|seclusion|of|work|of|his|hands|suspicious|and|fearful|like|a|miser|fleeing|the|temptations|trying|to forget|||those|fatal|riches|to which|he|not|he wanted|anymore|to touch|By|misfortune|a|friend|he had|followed|in|his|solitude|and|that|friend|he knew|his|secret The man with the golden brain went to live, apart, from the work of his hands, suspicious and fearful like a miser, fleeing temptations, trying to forget himself those fatal riches he no longer wanted to touch… Unfortunately, a friend had followed him into his solitude, and this friend knew his secret. Une nuit, le pauvre homme fut réveillé en sursaut par une douleur à la tête, une effroyable douleur ; il se dressa éperdu, et vit, dans un rayon de lune, l'ami qui fuyait en cachant quelque chose sous son manteau… A|night|the|poor|man|he was|awakened|in|start|by|a|pain|in|the|head|a|dreadful|pain|he|himself|he sat up|distraught|and|he saw|in|a|ray|of|moon|the friend|who|he was fleeing|while|hiding|something|thing|under|his|coat One night, the poor man was jolted awake by a pain in his head, a dreadful pain; he sat up in a panic and saw, in a moonbeam, the friend fleeing while hiding something under his coat… Encore un peu de cervelle qu'on lui emportait !… Still|a|little|of|brain|that one|to him|they were taking away Just a little more brain that was being taken from him!… À quelque temps de là, l'homme à la cervelle d'or devint amoureux, et cette fois tout fut fini… Il aimait du meilleur de son âme une petite femme blonde, qui l'aimait bien aussi, mais qui préférait encore les pompons, les plumes blanches et les jolis glands mordorés battant le long des bottines. At|some|time|of|there|the man|with|the|brain|of gold|he became|in love|and|this|time|all|it was|finished|He|he loved|with|best|of|his|soul|a|small|woman|blonde|who|she loved him|well|also|but|who|she preferred|still|the|pompons|the|feathers|white|and|the|pretty|tassels|golden|beating|the|along|of|ankle boots Some time later, the man with the golden brain fell in love, and this time it was all over... He loved with all his soul a little blonde woman, who loved him back, but who still preferred pom-poms, white feathers, and pretty gilded tassels fluttering along her boots. Entre les mains de cette mignonne créature, — moitié oiseau, moitié poupée, — les piécettes d'or fondaient que c'était un plaisir. Between|the|hands|of|this|cute|creature|half|bird|half|doll|the|coins|of gold|they melted|that|it was|a|pleasure In the hands of this cute creature, — half bird, half doll, — the gold coins melted away like it was a pleasure. Elle avait tous les caprices ; et lui ne savait jamais dire non ; même, de peur de la peiner, il lui cacha jusqu'au bout le triste secret de sa fortune. She|she had|all|the|whims|and|him|not|he knew|ever|to say|no|even|to|fear|of|her|to hurt|he|to her|he hid|until the|end|the|sad|secret|of|his|fortune She had all the whims; and he never knew how to say no; even, out of fear of hurting her, he hid from her until the end the sad secret of his fortune. — Nous sommes donc bien riches ? We|we are|therefore|very|rich — So we are very rich? disait-elle. she said.

Le pauvre homme répondait : The|poor|man|he was responding The poor man replied:

— Oh ! Oh — Oh! oui… bien riches ! yes|very|rich yes... very rich!

Et il souriait avec amour au petit oiseau bleu qui lui mangeait le crâne innocemment. And|he|he was smiling|with|love|to the|small|bird|blue|that|to him|it was eating|the|skull|innocently And he smiled lovingly at the little blue bird that was innocently pecking at his skull. Quelquefois cependant la peur le prenait, il avait des envies d'être avare ; mais alors la petite femme venait vers lui en sautillant, et lui disait : Sometimes|however|the|fear|it|it took|he|he had|some|desires|to be|greedy|but|then|the|small|woman|she came|towards|him|while|hopping|and|to him|she said Sometimes, however, fear would take hold of him, and he had urges to be greedy; but then the little woman would come to him hopping and say: — Mon mari, qui êtes si riche ! My|husband|who|you are|so|rich — My husband, who is so rich! achetez-moi quelque chose de bien cher… ||something||of|very|expensive buy me something very expensive...

Cela dura ainsi pendant deux ans ; puis, un matin, la petite femme mourut, sans qu'on sût pourquoi, comme un oiseau… Le trésor touchait à sa fin ; avec ce qui lui en restait, le veuf fit faire à sa chère morte un bel enterrement. It|it lasted|so|for|two|years|then|a|morning|the|little|woman|she died|without|that one|we knew|why|like|a|bird|The|treasure|it was running|to|its|end|with|that|which|to him|of it|it was left|the|widower|he had|to have|to|his|dear|dead|a|beautiful|burial This went on for two years; then, one morning, the little woman died, without anyone knowing why, like a bird... The treasure was coming to an end; with what was left, the widower arranged a beautiful funeral for his dear deceased. Cloches à toute volée, lourds carrosses tendus de noir, chevaux empanachés, larmes d'argent dans le velours, rien ne lui parut trop beau. Bells|at|all|toll|heavy|carriages|draped|in|black|horses|plumed|tears|of silver|in|the|velvet|nothing|not|to him|it seemed|too|beautiful Bells ringing loudly, heavy carriages draped in black, plumed horses, silver tears in the velvet, nothing seemed too beautiful for him. Que lui importait son or maintenant ?… Il en donna pour l'église, pour les porteurs, pour les revendeuses d'immortelles ; il en donna partout, sans marchander… Aussi, en sortant du cimetière, il ne lui restait presque plus rien de cette cervelle merveilleuse, à peine quelques parcelles aux parois du crâne. What|to him|it mattered|his|gold|now|He|of it|he gave|for|the church|for|the|bearers|for|the|sellers|of everlasting flowers|he|of it|he gave|everywhere|without|bargaining|So|in|coming out|from the|cemetery|he|not|to him|it was left|almost|more|anything|of|this|brain|wonderful|in|barely|a few|particles|in the|walls|of the|skull What did he care for his gold now?… He gave it for the church, for the bearers, for the sellers of immortelles; he gave it everywhere, without bargaining... Thus, when leaving the cemetery, he had almost nothing left of that wonderful brain, barely a few fragments on the walls of the skull. Alors on le vit s'en aller dans les rues, l'air égaré, les mains en avant, trébuchant comme un homme ivre. So|we|him|we saw|away|to go|in|the|streets|the look|lost|the|hands|in|front|stumbling|like|a|man|drunk So he was seen walking through the streets, looking lost, hands outstretched, stumbling like a drunk man. Le soir, à l'heure où les bazars s'illuminent, il s'arrêta devant une large vitrine dans laquelle tout un fouillis d'étoffes et de parures reluisait aux lumières, et resta là longtemps à regarder deux bottines de satin bleu bordées de duvet de cygne. The|evening|at|the hour|when|the|bazaars|they light up|he|he stopped|in front of|a|large|window|in|which|all|a|jumble|of fabrics|and|of|ornaments|it shone|in the|lights|and|he stayed|there|a long time|to|to look at|two|booties|of|satin|blue|bordered|with|down|of|swan In the evening, at the hour when the bazaars light up, he stopped in front of a large display window where a whole jumble of fabrics and adornments shone in the lights, and he stood there for a long time looking at two pairs of blue satin booties trimmed with swan down. « Je sais quelqu'un à qui ces bottines feraient bien plaisir, » se disait-il en souriant ; et, ne se souvenant déjà plus que la petite femme était morte, il entra pour les acheter. I|I know|someone|to|whom|these|booties|they would make|very|pleasure|himself|he was saying|he||||||||||||||||he entered|to|them|to buy "I know someone who would really like these booties," he thought to himself with a smile; and, already forgetting that the little woman was dead, he went in to buy them. Du fond de son arrière-boutique, la marchande entendit un grand cri ; elle accourut et recula de peur en voyant un homme debout, qui s'accotait au comptoir et la regardait douloureusement d'un air hébété. From|the back|of|his|||the|shopkeeper|she heard|a|loud|cry|she|she ran|and|she stepped back|with|fear|in|seeing|a|man|standing|who|he was leaning|on the|counter|and|her|he was looking at|painfully|with a|look|dazed From the back of her shop, the saleswoman heard a loud cry; she rushed over and stepped back in fear upon seeing a man standing there, leaning against the counter and looking at her painfully with a dazed expression. Il tenait d'une main les bottines bleues à bordure de cygne, et présentait l'autre main toute sanglante, avec des raclures d'or au bout des ongles. It|he was holding|with one|hand|the|booties|blue|with|border|of|swan|and|he was presenting|the other|hand|all|bloody|with|some|scraps|of gold|at the|tip|of|nails He held in one hand the blue booties with a swan border, and presented the other hand all bloody, with gold shavings at the tips of his nails. Telle est, madame, la légende de l'homme à la cervelle d'or. Such|it is|madam|the|legend|of|the man|with|the|brain|of gold Such is, madam, the legend of the man with the golden brain. Malgré ses airs de conte fantastique, cette légende est vraie d'un bout à l'autre… Il y a par le monde de pauvres gens qui sont condamnés à vivre de leur cerveau, et payent en bel or fin, avec leur moelle et leur substance, les moindres choses de la vie. Despite|its|airs|of|tale|fantastic|this|legend|it is|true|from one|end|to|the other|It|there|there is|in|the|world|of|poor|people|who|they are|condemned|to|live|on|their|brain|and|they pay|in|fine|gold|pure|with|their|marrow|and|their|substance|the|slightest|things|of|the|life Despite its fantastical air, this legend is true from beginning to end… There are poor people in the world who are condemned to live by their brains, and they pay in fine gold, with their marrow and their substance, for the slightest things in life. C'est pour eux une douleur de chaque jour ; et puis, quand ils sont las de souffrir… It is|for|them|a|pain|of|every|day|and|then|when|they|they are|tired|of|to suffer It is a daily pain for them; and then, when they are tired of suffering…

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