(#2) Que fait la Chine en Afrique ? (Mappemonde Ep. 2) - YouTube
C'est l'histoire d'un continent
qui a longtemps été asservi et exploité par l'Occident.
Et qui désormais a choisi de tourner son regard vers l'Est.
60 ans après le début de la décolonisation africaine,
une nouvelle donne chinoise règne en Afrique.
La question est :
l'histoire peut-elle mieux se dérouler cette fois-ci ?
OK, pour commencer, remontons à 1955, à Bandung, en Indonésie.
C'est là que se réunissent pour la première fois 29 pays d'Afrique et d'Asie.
Parmi eux, il y a la Chine,
dont le Parti communiste vient de proclamer la République populaire en 1949,
mais aussi la Libye,
l'Éthiopie,
le Liberia,
le Soudan,
la Somalie
et la Côte-de-l'Or, l'actuel Ghana.
Tous ont vécu la colonisation d'une façon ou d'une autre,
et à Bandung, ils viennent affirmer deux choses.
Un,
l'existence des pays du « tiers-monde » sur la scène internationale,
par opposition aux deux grands blocs, occidental et soviétique.
Et deux,
la coopération entre ces pays du « tiers-monde » dans l'intérêt mutuel de chacun.
Cet esprit de Bandung,
la Chine va le mettre en œuvre sur un continent en particulier,
l'Afrique.
Dans les années 60,
alors que la décolonisation est en cours sur le continent africain,
elle noue des relations diplomatiques avec de nouvelles nations africaines,
soutient les mouvements d'indépendance dans les autres,
et offre même une ligne de chemin de fer
pour relier la Zambie à la Tanzanie
en 1965.
Mais cette bienveillance n'est pas totalement désintéressée.
Elle est en réalité le résultat d'un problème :
la Chine a désespérément besoin d'alliés.
Ça mérite que l'on s'y arrête un peu.
Voyez-vous, aujourd'hui encore, il y a deux Chine :
la République de Chine qui contrôlait le continent jusqu'en 1949,
mais qui aujourd'hui n'administre plus que l'île de Taïwan
et la République populaire de Chine qui, depuis 1949, contrôle le continent.
Bien sûr, les deux prétendent être la vraie Chine.
Et ça, ce n'est pas possible.
En 1971,
l'Assemblée générale des Nations unies doit donc voter
pour décider qui des deux représentera officiellement la Chine à l'ONU.
Et malgré les efforts des États-Unis, proches alliés de Taïwan,
Pékin est finalement admise à la place de Taipei
grâce, entre autres, au vote de 26 États africains.
Mais sa campagne ne s'est pas arrêtée là.
Entre 1971 et 2018,
le nombre de pays africains qui reconnaissent Pékin plutôt que Taïwan
passe de 20 à 53.
Le dernier en date, le Burkina Faso,
a fini par céder à la pression diplomatique et financière de Pékin
en mai 2018.
Désormais, un seul pays africain conserve des relations avec Taïwan,
Eswatini, l'ancien Swaziland.
Au passage,
cette façon d'utiliser les pays africains pour obtenir un vote favorable à l'ONU,
la France la connaît bien.
Dans les années 60,
c'est comme cela qu'elle a pu éviter les sanctions de l'ONU
pour la guerre en Algérie.
Mais revenons à cet esprit de Bandung.
L'idée, c'est donc que face à l'Occident,
la Chine et l'Afrique doivent se serrer les coudes.
Ce qui est frappant, c'est que 60 ans après la conférence,
ce discours n'a quasiment pas bougé.
La vérité, c'est que depuis Bandung,
les relations entre la Chine et l'Afrique ont bien changé.
La Chine est désormais la deuxième puissance économique du monde.
Résultat :
entre 1995 et 2017,
le montant des échanges commerciaux entre la Chine et l'Afrique
est passé de 3 à 143 milliards de dollars,
ce qui pour la Chine est peu, mais pour l'Afrique, beaucoup plus.
Dès 2009,
la Chine est devenue le premier partenaire commercial du continent
devant les États-Unis.
En Angola, en 2017,
elle représentait même 40 % des échanges commerciaux.
Dans certains pays,
la menace de dépendance commerciale est donc bien réelle.
Ce qui, encore une fois, n'est pas sans rappeler l'époque
où la présence était essentiellement occidentale.
Depuis quelques années,
ce ne sont toutefois pas ces échanges commerciaux qui interrogent,
mais l'argent déversé par les Chinois sur le continent.
Entre 2005 et 2017,
137 milliards de dollars ont été prêtés par la Chine à des pays africains.
Le but,
financer de vastes projets de construction d'infrastructures.
En Éthiopie par exemple,
la Chine a prêté 575 millions de dollars pour la construction d'un métro aérien en 2015.
Au Kenya,
ce sont 3,7 milliards de dollars qui ont été prêtés en 2017
pour la construction d'un nouveau train reliant Nairobi à Mombasa.
Des exemples comme ceux-là,
il en existe des centaines d'autres,
et surtout,
de plus en plus.
En quelques années à peine,
la Chine est devenue l'un des principaux créanciers du continent.
Le problème, c'est que le niveau de la dette dans certains pays africains
ne cesse de grimper.
Au Zimbabwe,
l'endettement est passé de 48 % du PIB en 2013
à 82 % en 2017.
Et au Mozambique, sur la même période,
il a doublé pour atteindre 102 % du PIB.
Au total, selon la Banque mondiale,
27 pays d'Afrique présentaient en 2017
une augmentation préoccupante du niveau de leur dette.
Le risque, c'est que ces pays ne parviennent plus à rembourser,
ce qui ne présage rien de bon.
Il y a des pays africains qui sont, de ce point de vue là, très endettés
et pour lesquels on peut éprouver un certain nombre d'inquiétudes.
Est-ce que l'on peut continuer à leur prêter comme ça ?
Pourtant, Chinois comme Africains n'en démordent pas :
la Chinafrique, c'est gagnant-gagnant.
Ce qu'il faut bien comprendre,
c'est que cette relation peut tout à fait être gagnant-gagnant.
Lorsque la Chine prête de l'argent,
ce n'est bien sûr pas par philanthropie.
Sur chacun des prêts qu'elle accorde, elle fait des bénéfices grâce aux intérêts.
Pour la Chine,
l'Afrique est donc un débouché pour les capacités de financement importantes
dont elle dispose.
Et pour l'Afrique,
l'argent chinois est une opportunité rare
de combler ses besoins énormes en infrastructures,
et donc de stimuler sa croissance et son développement.
Car, et c'est peut-être là le cœur de leurs relations,
sans la Chine, l'Afrique serait aujourd'hui bien démunie.
Encore une fois, ça mérite une explication.
Il y a en gros deux raisons
qui font que les prêts chinois sont essentiels pour l'Afrique.
La première,
c'est qu'ils sont particulièrement adaptés aux besoins de certains pays africains.
Contrairement à la Banque mondiale par exemple,
la Chine est peu regardante sur les situations politiques
des États qui empruntent.
Et surtout, ces prêts sont des sortes de produits « tout-en-un ».
Lorsque la Chine prête, elle apporte non seulement de l'argent,
mais elle vient aussi avec ses entreprises de construction,
son expertise technique,
et dans certains cas, sa propre main-d'œuvre.
Et la deuxième raison,
c'est qu'en dehors de la Chine,
l'argent se fait de plus en plus rare en Afrique.
Les autres bailleurs n'ont tout simplement pas la capacité de prêter autant que la Chine,
et surtout, désormais, ils refusent
de peur de ne jamais être remboursés.
Avec tout cela, une question demeure :
pourquoi la Chine accepte-t-elle de prendre ce risque
quand les autres pays refusent ?
Comme toujours avec la Chine,
la réponse est à la fois économique et politique.
Commençons par l'économique.
Pour protéger ses investissements financiers,
la Chine fait parfois signer à ses débiteurs ce que l'on appelle des clauses de sûreté.
Ce sont des garanties
qui stipulent qu'en cas de non-remboursement du prêt,
une sorte de troc s'opère à la place.
En gros,
plutôt que de rembourser en argent,
les débiteurs doivent rembourser en matières premières
ou même directement en infrastructures.
C'est ce qui est arrivé au Sri Lanka en 2015.
L'île fait partie du projet lancé en 2014 par le président chinois Xi Jinping,
les routes de la soie.
C'est un projet pharaonique qui consiste à relier la Chine à l'Europe,
tout en prêtant de l'argent pour financer des infrastructures sur cette route,
c'est-à-dire sensiblement ce que fait la Chine en Afrique.
En 2015,
la Chine a donc prêté plusieurs milliards de dollars au Sri Lanka
pour la construction d'un gigantesque port au sud de l'île.
Sauf que noyé dans ses dettes, le Sri Lanka ne peut plus rembourser.
Comme alternative au remboursement,
Pékin propose alors de prendre le contrôle du port
pendant 99 ans.
Résultat,
la Chine ne perd pas d'argent et elle devient souveraine sur un territoire
bordant l'une des routes maritimes les plus fréquentées du monde
pendant un siècle.
Mais les prêts chinois en Afrique pourraient avoir un autre objectif
plus politique.
Depuis l'arrivée de Xi Jinping au pouvoir en 2012,
l'ampleur des ambitions chinoises a été réaffirmée.
L'objectif à présent, c'est la création d'un nouvel ordre mondial
dans lequel la Chine sera la nouvelle puissance hégémonique.
Or, pour accomplir cela, comme pour écarter Taïwan en 1971,
l'appui du plus de pays africains possible est essentiel,
mais pas seulement.
Désormais, ce que veut la Chine, c'est aussi conquérir le cœur des Africains.
Et pour cela, elle utilise une technique familière :
le « soft power ».
Ces dernières années,
les Instituts Confucius,
des centres culturels qui font aussi office d'écoles de mandarin,
se multiplient sur le continent.
Il en existe aujourd'hui 54,
soit quasiment le nombre d'instituts culturels français en Afrique.
Mais s'il y a un endroit où l'influence culturelle chinoise
est particulièrement visible,
c'est le Kenya.
La culture chinoise est de plus en plus visible en Afrique,
plus particulièrement au Kenya,
où par exemple en 2005, s'est ouvert le premier Institut Confucius.
Également, la télévision nationale chinoise
vient d'ouvrir son tout premier bureau en Afrique, à Nairobi.
Aussi, le gouvernement kenyan vient de prendre la décision
que les enfants qui ont 10 ans pourront apprendre désormais le mandarin
à partir de 2020.
Dans cette quête des cœurs africains,
la Chine emprunte parfois certaines vieilles recettes américaines.
Tenez,
cette bande-annonce avec beaucoup d'explosions,
c'est Wolf Warrior 2,
l'un des films chinois les plus populaires jamais réalisés.
C'est l'histoire d'un soldat chinois qui vient à la rescousse de l'Afrique
grâce à ses capacités extraordinaires.
Mais contrairement aux Occidentaux,
la Chine n'a pas de passé colonial avec l'Afrique.
Et ça, elle n'hésite pas à s'en servir.
Dans les faits pourtant,
l'agenda politique de la Chine est de plus en plus visible.
En 2017,
elle crée la toute première base militaire chinoise à l'étranger,
à Djibouti.
Elle avait pourtant juré qu'elle ne le ferait jamais,
refusant de reproduire le comportement des Américains.
Or, à Djibouti, les bases militaires commencent à se bousculer.
Il y a une base américaine,
une française,
une italienne,
une japonaise,
et peut-être bientôt une indienne.
Être à Djibouti, c'est être dans la cour des grands.
Je suis à côté des autres, je fais comme les autres.
Sur ce point au moins,
l'attitude de la Chine en Afrique
ressemble de plus en plus à celle des autres grandes puissances
dans l'histoire du continent.
Merci d'avoir regardé ce deuxième épisode de la série « Mappemonde »
et merci surtout d'avoir choisi le sujet de cette vidéo.
Vous avez été plus de 20 000 à voter sur la page YouTube
et c'est ce sujet qui l'a assez largement emporté.
Pour les autres, on espère pouvoir les traiter assez vite.
En tout cas, sachez qu'on passe toujours beaucoup de temps à lire les commentaires,
donc si vous avez des retours ou d'autres idées de sujets,
surtout n'hésitez pas.