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Vol de Nuit, III

III

Le son de ce moteur lointain devenait de plus en plus dense. Il mûrissait. On donna les feux. Les lampes rouges du balisage dessinèrent un hangar, des pylônes de T.S.F., un terrain carré. On dressait une fête.

— Le voilà!

L'avion roulait déjà dans le faisceau des phares. Si brillant qu'il en semblait neuf. Mais, quand il eut stoppé enfin devant le hangar, tandis que les mécaniciens et les manoeuvres se pressaient pour décharger la poste, le pilote Pellerin ne bougea pas.

— Eh bien? qu'attendez-vous pour descendre?

Le pilote, occupé à quelque mystérieuse besogne, ne daigna pas répondre. Probablement il écoutait encore tout le bruit du vol passer en lui. Il hochait lentement la tête, et, penché en avant, manipulait on ne sait quoi. Enfin il se retourna vers les chefs et les camarades, et les considéra gravement, comme sa propriété. Il semblait les compter et les mesurer et les peser, et il pensait qu'il les avait bien gagnés, et aussi ce hangar de fête et ce ciment solide et, plus loin, cette ville avec son mouvement, ses femmes et sa chaleur. Il tenait ce peuple dans ses larges mains, comme des sujets, puisqu'il pouvait les toucher, les entendre et les insulter. Il pensa d'abord les insulter d'être là tranquilles, sûrs de vivre, admirant la lune, mais il fut débonnaire :

— ... Paierez à boire!

Et il descendit.

Il voulut raconter son voyage :

— Si vous saviez!...

Jugeant sans doute en avoir assez dit, il s'en fut retirer son cuir.

* * *

Quand la voiture l'emporta vers Buenos Aires en compagnie d'un inspecteur morne et de Rivière silencieux, il devint triste : c'est beau de se tirer d'affaire, et de lâcher avec santé, en reprenant pied, de bonnes injures. Quelle joie puissante! Mais ensuite, quand on se souvient, on doute on ne sait de quoi.

La lutte dans le cyclone, ça, au moins, c'est réel, c'est franc. Mais non le visage des choses, ce visage qu'elles prennent quand elles se croient seules. Il pensait :

« C'est tout à fait pareil à une révolte : des visages qui pâlissent à peine, mais changent tellement! »

Il fit un effort pour se souvenir.

Il franchissait, paisible, la Cordillère des Andes. Les neiges de l'hiver pesaient sur elle de toute leur paix. Les neiges de l'hiver avaient fait la paix dans cette masse, comme les siècles dans les châteaux morts. Sur deux cents kilomètres d'épaisseur, plus un homme, plus un souffle de vie, plus un effort. Mais des arêtes verticales, qu'à six mille d'altitude on frôle, mais des manteaux de pierre qui tombent droit, mais une formidable tranquillité.

Ce fut aux environs du Pic Tupungato...

Il réfléchit. Oui, c'est bien là qu'il fut le témoin d'un miracle.

Car il n'avait d'abord rien vu, mais s'était simplement senti gêné, semblable à quelqu'un qui se croyait seul, qui n'est plus seul, que l'on regarde. Il s'était senti, trop tard et sans bien comprendre comment, entouré par de la colère. Voilà. D'où venait cette colère?

A quoi devinait-il qu'elle suintait des pierres, qu'elle suintait de la neige? Car rien ne semblait venir à lui, aucune tempête sombre n'était en marche. Mais un monde à peine différent, sur place, sortait de l'autre. Pellerin regardait, avec un serrement de coeur inexplicable, ces pics innocents, ces arêtes, ces crêtes de neige, à peine plus gris, et qui pourtant commençaient à vivre — comme un peuple.

Sans avoir à lutter, il serrait les mains sur les commandes. Quelque chose se préparait qu'il ne comprenait pas. Il bandait ses muscles, telle une bête qui va sauter, mais il ne voyait rien qui ne fût calme. Oui, calme, mais chargé d'un étrange pouvoir.

Puis tout s'était aiguisé. Ces arêtes, ces pics, tout devenait aigu : on les sentait pénétrer, comme des étraves, le vent dur. Et puis il lui sembla qu'elles viraient et dérivaient autour de lui, à la façon de navires géants qui s'installent pour le combat. Et puis il y eut, mêlée à l'air, une poussière : elle montait, flottant doucement, comme un voile, le long des neiges. Alors, pour chercher une issue en cas de retraite nécessaire, il se retourna et trembla : toute la Cordillère, en arrière, semblait fermenter.

— Je suis perdu.

D'un pic, à l'avant, jaillit la neige : un volcan de neige. Puis d'un second pic, un peu à droite. Et tous les pics, ainsi, l'un après l'autre s'enflammèrent, comme successivement touchés par quelque invisible coureur. C'est alors qu'avec les premiers remous de l'air les montagnes autour du pilote oscillèrent.

L'action violente laisse peu de traces : il ne retrouvait plus en lui le souvenir des grands remous qui l'avaient roulé. Il se rappelait seulement s'être débattu, avec rage, dans ces flammes grises.

Il réfléchit.

« Le cyclone, ce n'est rien. On sauve sa peau. Mais auparavant! Mais cette rencontre que l'on fait! »

Il pensait reconnaître, entre mille, un certain visage, et pourtant il l'avait déjà oublié.

III III III III III III III III

Le son de ce moteur lointain devenait de plus en plus dense. The sound of that distant engine grew denser and denser. Звук віддаленого двигуна ставав все гучнішим і гучнішим. Il mûrissait. He was maturing. Він дорослішав. On donna les feux. The lights were on. Les lampes rouges du balisage dessinèrent un hangar, des pylônes de T.S.F., un terrain carré. The red beacon lamps outlined a hangar, wireless pylons, a square plot. Красные огни системы радиомаяков нарисовали ангар, пилоны T.S.F. и квадратный участок земли. On dressait une fête. We were having a party. Se organizó una fiesta. У нас была вечеринка.

— Le voilà! - Here it is!

L'avion roulait déjà dans le faisceau des phares. The plane was already taxiing in the beam of the headlights. Si brillant qu'il en semblait neuf. So shiny it looked like new. Mais, quand il eut stoppé enfin devant le hangar, tandis que les mécaniciens et les manoeuvres se pressaient pour décharger la poste, le pilote Pellerin ne bougea pas. But, when he had finally stopped in front of the hangar, while the mechanics and the laborers were hurrying to unload the mail, the pilot Pellerin did not move.

— Eh bien? - Well? qu'attendez-vous pour descendre? what are you waiting for to get off?

Le pilote, occupé à quelque mystérieuse besogne, ne daigna pas répondre. The pilot, busy with some mysterious task, did not deign to reply. Probablement il écoutait encore tout le bruit du vol passer en lui. Probably he was still listening to all the noise of the flight pass through him. Il hochait lentement la tête, et, penché en avant, manipulait on ne sait quoi. He nodded slowly, and, leaning forward, manipulated who knows what. Он медленно кивнул и наклонился вперед, возившись неизвестно с чем. Enfin il se retourna vers les chefs et les camarades, et les considéra gravement, comme sa propriété. Finally he turned to the chiefs and the comrades, and regarded them gravely as his property. Il semblait les compter et les mesurer et les peser, et il pensait qu'il les avait bien gagnés, et aussi ce hangar de fête et ce ciment solide et, plus loin, cette ville avec son mouvement, ses femmes et sa chaleur. He seemed to be counting them and measuring them and weighing them, and he thought he had earned them well, and also that party shed and that solid cement and, beyond that, that city with its bustle and its women and its warmth. Ему казалось, что он их считает, измеряет и взвешивает, и он думал, что заслужил их, а также этот сарай, этот прочный цемент и, далее, этот город с его движением, его женщинами и его теплом. Il tenait ce peuple dans ses larges mains, comme des sujets, puisqu'il pouvait les toucher, les entendre et les insulter. He held these people in his large hands, like subjects, since he could touch them, hear them and insult them. Он держал этих людей в своих широких руках, как подданных, потому что мог прикасаться к ним, слышать их и оскорблять. Il pensa d'abord les insulter d'être là tranquilles, sûrs de vivre, admirant la lune, mais il fut débonnaire : At first he thought of insulting them for being there quietly, sure of living, admiring the moon, but he was good-natured: Сначала он подумал, не оскорбить ли их за то, что они спокойно стоят, уверенные в своей жизни, и любуются луной, но он был дебоширом:

— ... Paierez à boire! "... Pay for a drink!" - ... Заплати за выпивку!

Et il descendit. And he went down.

Il voulut raconter son voyage : He wanted to tell his journey: Он хотел рассказать о своем путешествии:

— Si vous saviez!... - If you knew!... - Если бы вы только знали!

Jugeant sans doute en avoir assez dit, il s'en fut retirer son cuir. No doubt judging that he had said enough, he took off his leather. Несомненно, решив, что сказал достаточно, он убрал свою кожу.

* * * * * *

Quand la voiture l'emporta vers Buenos Aires en compagnie d'un inspecteur morne et de Rivière silencieux, il devint triste : c'est beau de se tirer d'affaire, et de lâcher avec santé, en reprenant pied, de bonnes injures. When the car took him to Buenos Aires in the company of a gloomy inspector and silent Riviere, he became sad: it's nice to get out of trouble, and to let loose good insults when you get back on your feet. Когда машина доставила его в Буэнос-Айрес в компании угрюмого инспектора и молчаливого Ривьера, он погрустнел: приятно выпутаться из неприятностей и, вновь обретя опору, отпустить добрые обиды с пользой для здоровья. Quelle joie puissante! What mighty joy! Mais ensuite, quand on se souvient, on doute on ne sait de quoi. But then, when we remember, we doubt we don't know what.

La lutte dans le cyclone, ça, au moins, c'est réel, c'est franc. The struggle in the cyclone, that, at least, is real, it's frank. Бой в циклоне, по крайней мере, настоящий и откровенный. Mais non le visage des choses, ce visage qu'elles prennent quand elles se croient seules. But not the face of things, the face they take on when they think they are alone. Но это не лицо вещей, а лицо, которое они принимают, когда думают, что они одни. Il pensait : He was thinking :

« C'est tout à fait pareil à une révolte : des visages qui pâlissent à peine, mais changent tellement! “It's exactly like a revolt: faces that barely turn pale, but change so much! "Это похоже на восстание: лица, которые едва бледнеют, но так сильно меняются! » "

Il fit un effort pour se souvenir. He made an effort to remember.

Il franchissait, paisible, la Cordillère des Andes. He crossed, peacefully, the Cordillera of the Andes. Он спокойно пересек Анды. Les neiges de l'hiver pesaient sur elle de toute leur paix. The winter snows weighed on her with all their peace. Les neiges de l'hiver avaient fait la paix dans cette masse, comme les siècles dans les châteaux morts. The snows of winter had made peace in this mass, like centuries in dead castles. Зимние снега установили в этой массе покой, как столетия в мертвых замках. Sur deux cents kilomètres d'épaisseur, plus un homme, plus un souffle de vie, plus un effort. Two hundred kilometers thick, plus a man, plus a breath of life, plus an effort. Mais des arêtes verticales, qu'à six mille d'altitude on frôle, mais des manteaux de pierre qui tombent droit, mais une formidable tranquillité. But vertical ridges, which at an altitude of six miles one grazes, but stone coats which fall straight down, but a formidable tranquillity. Но здесь есть вертикальные хребты, о которые можно удариться на высоте шести тысяч метров, каменные мантии, которые падают прямо вниз, и грозное спокойствие.

Ce fut aux environs du Pic Tupungato... It was around the Tupungato Peak...

Il réfléchit. He thinks. Oui, c'est bien là qu'il fut le témoin d'un miracle. Yes, it was there that he witnessed a miracle. Да, именно там он стал свидетелем чуда.

Car il n'avait d'abord rien vu, mais s'était simplement senti gêné, semblable à quelqu'un qui se croyait seul, qui n'est plus seul, que l'on regarde. For he hadn't seen anything at first, but had simply felt embarrassed, like someone who thought he was alone, who is no longer alone, being watched. Потому что сначала он ничего не видел, а просто чувствовал себя неловко, как человек, который думал, что он один, но уже не один, и за ним наблюдают. Il s'était senti, trop tard et sans bien comprendre comment, entouré par de la colère. He had felt, too late and without quite understanding how, surrounded by anger. Слишком поздно, сам не понимая как, он почувствовал, что его охватывает гнев. Voilà. That's it. D'où venait cette colère? Where did this anger come from?

A quoi devinait-il qu'elle suintait des pierres, qu'elle suintait de la neige? How could he tell that it was oozing from the stones, that it was oozing from the snow? Как он мог определить, что это сочащиеся камни и снег? Car rien ne semblait venir à lui, aucune tempête sombre n'était en marche. For nothing seemed to come to him, no dark storm was on the way. Казалось, ничто не приближалось к нему, не надвигалась темная буря. Mais un monde à peine différent, sur place, sortait de l'autre. But a barely different world, on the spot, was emerging from the other. Pellerin regardait, avec un serrement de coeur inexplicable, ces pics innocents, ces arêtes, ces crêtes de neige, à peine plus gris, et qui pourtant commençaient à vivre — comme un peuple. Pellerin looked, with an inexplicable tightness of heart, at these innocent peaks, these ridges, these crests of snow, hardly greyer, and yet beginning to live - as a people. Пеллерин с необъяснимой тяжестью в сердце смотрел на эти невинные вершины, эти хребты, эти гребни снега, едва посеревшие, но уже начинающие жить - как народ.

Sans avoir à lutter, il serrait les mains sur les commandes. Without struggling, he clenched his hands on the controls. Quelque chose se préparait qu'il ne comprenait pas. Something was brewing that he didn't understand. Что-то происходило, чего он не понимал. Il bandait ses muscles, telle une bête qui va sauter, mais il ne voyait rien qui ne fût calme. He was flexing his muscles, like a beast about to jump, but he couldn't see anything that wasn't calm. Он напрягал мускулы, как животное, готовящееся к прыжку, но не видел ничего спокойного. Oui, calme, mais chargé d'un étrange pouvoir. Yes, calm, but charged with a strange power. Да, спокойный, но заряженный странной силой.

Puis tout s'était aiguisé. Then everything had sharpened. Затем все стало более четким. Ces arêtes, ces pics, tout devenait aigu : on les sentait pénétrer, comme des étraves, le vent dur. These ridges, these peaks, everything became sharp: you could feel them penetrating, like bows, the hard wind. Et puis il lui sembla qu'elles viraient et dérivaient autour de lui, à la façon de navires géants qui s'installent pour le combat. And then it seemed to him that they were turning and drifting around him, like giant ships setting up for battle. Et puis il y eut, mêlée à l'air, une poussière : elle montait, flottant doucement, comme un voile, le long des neiges. And then there was, mixed with the air, a dust: it rose, floating gently, like a veil, along the snow. Alors, pour chercher une issue en cas de retraite nécessaire, il se retourna et trembla : toute la Cordillère, en arrière, semblait fermenter. Then, to look for an exit in case of necessary retreat, he turned around and trembled: all the Cordillera, behind, seemed to ferment. Затем, ища выход, если придется отступать, он обернулся и вздрогнул: вся Кордильера позади него, казалось, бродила.

— Je suis perdu. - I am lost.

D'un pic, à l'avant, jaillit la neige : un volcan de neige. From a peak at the front, snow springs up: a snow volcano. Puis d'un second pic, un peu à droite. Then a second peak, a little to the right. Et tous les pics, ainsi, l'un après l'autre s'enflammèrent, comme successivement touchés par quelque invisible coureur. And all the peaks, thus, one after the other ignited, as successively touched by some invisible runner. C'est alors qu'avec les premiers remous de l'air les montagnes autour du pilote oscillèrent. It was then that with the first eddies of the air the mountains around the pilot swayed.

L'action violente laisse peu de traces : il ne retrouvait plus en lui le souvenir des grands remous qui l'avaient roulé. Violent action leaves few traces: he no longer found in himself the memory of the great upheavals that had rolled over him. Il se rappelait seulement s'être débattu, avec rage, dans ces flammes grises. He only remembered struggling, angrily, in those gray flames. Он помнил только, как яростно боролся в этом сером пламени.

Il réfléchit. He thinks.

« Le cyclone, ce n'est rien. "The cyclone is nothing. On sauve sa peau. We save his skin. Мы спасаем свои шкуры. Mais auparavant! But first! Mais cette rencontre que l'on fait! But this meeting that we do! Но эта наша встреча! » "

Il pensait reconnaître, entre mille, un certain visage, et pourtant il l'avait déjà oublié. He thought he recognized a certain face among a thousand, and yet he had already forgotten it. Ему казалось, что он узнает одно лицо из тысячи, но он уже забыл его.