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La Dame aux Camélias - Dumas Fils, Chapitre XV

Chapitre XV

Il y avait à peu près une heure que Joseph et moi nous préparions tout pour mon départ, lorsqu'on sonna violemment à ma porte.

– Faut-il ouvrir ? me dit Joseph.

– Ouvrez, lui dis-je, me demandant qui pouvait venir à pareille heure chez moi, et n'osant croire que ce fût Marguerite.

– Monsieur, me dit Joseph en rentrant, ce sont deux dames.

– C'est nous, Armand, me cria une voix que je reconnus pour celle de Prudence.

Je sortis de ma chambre.

Prudence, debout, regardait les quelques curiosités de mon salon ; Marguerite, assise sur le canapé, réfléchissait.

Quand j'entrai, j'allai à elle, je m'agenouillai, je lui pris les deux mains, et, tout ému, je lui dis : pardon.

Elle m'embrassa au front et me dit :

– Voilà déjà trois fois que je vous pardonne.

– J'allais partir demain.

– En quoi ma visite peut-elle changer votre résolution ? Je ne viens pas pour vous empêcher de quitter Paris. Je viens parce que je n'ai pas eu dans la journée le temps de vous répondre, et que je n'ai pas voulu vous laisser croire que je fusse fâchée contre vous. Encore Prudence ne voulait-elle pas que je vinsse ; elle disait que je vous dérangerais peut-être.

– Vous, me déranger, vous, Marguerite ! Et comment ?

– Dame ! Vous pouviez avoir une femme chez vous, répondit Prudence, et cela n'aurait pas été amusant pour elle d'en voir arriver deux.

Pendant cette observation de Prudence, Marguerite me regardait attentivement.

– Ma chère Prudence, répondis-je, vous ne savez pas ce que vous dites.

– C'est qu'il est très gentil votre appartement, répliqua Prudence ; peut-on voir la chambre à coucher !

– Oui.

Prudence passa dans ma chambre, moins pour la visiter que pour réparer la sottise qu'elle venait de dire, et nous laisser seuls, Marguerite et moi.

– Pourquoi avez-vous amené Prudence ? lui dis-je alors.

– Parce qu'elle était avec moi au spectacle, et qu'en partant d'ici je voulais avoir quelqu'un pour m'accompagner.

– N'étais-je pas là ?

– Oui ; mais outre que je ne voulais pas vous déranger, j'étais bien sûre qu'en venant jusqu'à ma porte, vous me demanderiez à monter chez moi, et, comme je ne pouvais pas vous l'accorder, je ne voulais pas que vous partissiez avec le droit de me reprocher un refus.

– Et pourquoi ne pouviez-vous pas me recevoir ?

– Parce que je suis très surveillée, et que le moindre soupçon pourrait me faire le plus grand tort.

– Est-ce bien la seule raison ?

– S'il y en avait une autre, je vous la dirais ; nous n'en sommes plus à avoir des secrets l'un pour l'autre.

– Voyons, Marguerite, je ne veux pas prendre plusieurs chemins pour en arriver à ce que je veux vous dire. Franchement, m'aimez-vous un peu ?

– Beaucoup.

– Alors, pourquoi m'avez-vous trompé ?

– Mon ami, si j'étais madame la duchesse telle ou telle, si j'avais deux cent mille livres de rente, que je fusse votre maîtresse et que j'eusse un autre amant que vous, vous auriez le droit de me demander pourquoi je vous trompe ; mais je suis mademoiselle Marguerite Gautier, j'ai quarante mille francs de dettes, pas un sou de fortune, et je dépense cent mille francs par an ; votre question devient oiseuse et ma réponse inutile.

– C'est juste, dis-je en laissant tomber ma tête sur les genoux de Marguerite ; mais moi je vous aime comme un fou.

– Eh bien, mon ami, il fallait m'aimer un peu moins ou me comprendre un peu mieux. Votre lettre m'a fait beaucoup de peine. Si j'avais été libre, d'abord je n'aurais pas reçu le comte avant-hier, ou, l'ayant reçu, je serais venue vous demander le pardon que vous me demandiez tout à l'heure, et je n'aurais pas à l'avenir d'autre amant que vous. J'ai cru un moment que je pourrais me donner ce bonheur-là pendant six mois ; vous ne l'avez pas voulu ; vous teniez à connaître les moyens, eh ! mon Dieu, les moyens étaient bien faciles à deviner. C'était un sacrifice plus grand que vous ne croyez que je faisais en les employant. J'aurais pu vous dire : j'ai besoin de vingt mille francs ; vous étiez amoureux de moi, vous les eussiez trouvés, au risque de me les reprocher plus tard. J'ai mieux aimé ne rien vous devoir ; vous n'avez pas compris cette délicatesse, car c'en est une. Nous autres, quand nous avons encore un peu de coeur, nous donnons aux mots et aux choses une extension et un développement inconnus aux autres femmes ; je vous répète donc que, de la part de Marguerite Gautier, le moyen qu'elle trouvait de payer ses dettes sans vous demander l'argent nécessaire pour cela était une délicatesse dont vous devriez profiter sans rien dire. Si vous ne m'aviez connue qu'aujourd'hui, vous seriez trop heureux de ce que je vous promettrais, et vous ne me demanderiez pas ce que j'ai fait avant-hier. Nous sommes quelquefois forcées d'acheter une satisfaction pour notre âme aux dépens de notre corps, et nous souffrons bien davantage quand, après, cette satisfaction nous échappe.

J'écoutais et je regardais Marguerite avec admiration. Quand je songeais que cette merveilleuse créature, dont j'eusse envié autrefois de baiser les pieds, consentait à me faire entrer pour quelque chose dans sa pensée, à me donner un rôle dans sa vie, et que je ne me contentais pas encore de ce qu'elle me donnait, je me demandais si le désir de l'homme a des bornes, quand, satisfait aussi promptement que le mien l'avait été, il tend encore à autre chose.

– C'est vrai, reprit-elle ; nous autres créatures du hasard, nous avons des désirs fantasques et des amours inconcevables. Nous nous donnons tantôt pour une chose, tantôt pour une autre. Il y a des gens qui se ruineraient sans rien obtenir de nous, il y en a d'autres qui nous ont avec un bouquet. Notre coeur a des caprices ; c'est sa seule distraction et sa seule excuse. Je me suis donnée à toi plus vite qu'à aucun homme, je te le jure ; pourquoi ? parce que me, voyant cracher le sang, tu m'as pris la main, parce que tu as pleuré, parce que tu es la seule créature humaine qui ait bien voulu me plaindre. Je vais te dire une folie, mais j'avais autrefois un petit chien qui me regardait d'un air tout triste quand je toussais ; c'est le seul être que j'aie aimé.

« Quand il est mort, j'ai plus pleuré qu'à la mort de ma mère. Il est vrai qu'elle m'avait battue pendant douze ans de sa vie. Eh bien, je t'ai aimé tout de suite autant que mon chien. Si les hommes savaient ce qu'on peut avoir avec une larme, ils seraient plus aimés et nous serions moins ruineuses.

« Ta lettre t'a démenti, elle m'a révélé que tu n'avais pas toutes les intelligences du coeur, elle t'a fait plus de tort dans l'amour que j'avais pour toi que tout ce que tu aurais pu me faire. C'était de la jalousie, il est vrai, mais de la jalousie ironique et impertinente. J'étais déjà triste, quand j'ai reçu cette lettre, je comptais te voir à midi, déjeuner avec toi, effacer par ta vue une incessante pensée que j'avais, et qu'avant de te connaître j'admettais sans effort.

« Puis, continua Marguerite, tu étais la seule personne devant laquelle j'avais cru comprendre tout de suite que je pouvais penser et parler librement. Tous ceux qui entourent les filles comme moi ont intérêt à scruter leurs moindres paroles, à tirer une conséquence de leurs plus insignifiantes actions. Nous n'avons naturellement pas d'amis. Nous avons des amants égoïstes qui dépensent leur fortune non pas pour nous, comme ils le disent, mais pour leur vanité.

« Pour ces gens-là, il faut que nous soyons gaies quand ils sont joyeux, bien portantes quand ils veulent souper, sceptiques comme ils le sont. Il nous est défendu d'avoir du coeur sous peine d'être huées et de ruiner notre crédit.

« Nous ne nous appartenons plus. Nous ne sommes plus des êtres, mais des choses. Nous sommes les premières dans leur amour-propre, les dernières dans leur estime. Nous avons des amies, mais ce sont des amies comme Prudence, des femmes jadis entretenues qui ont encore des goûts de dépense que leur âge ne leur permet plus. Alors elles deviennent nos amies ou plutôt nos commensales. Leur amitié va jusqu'à la servitude, jamais jusqu'au désintéressement. Jamais elles ne vous donneront qu'un conseil lucratif. Peu leur importe que nous ayons dix amants de plus, pourvu qu'elles y gagnent des robes ou un bracelet, et qu'elles puissent de temps en temps se promener dans notre voiture et venir au spectacle dans notre loge. Elles ont nos bouquets de la veille et nous empruntent nos cachemires. Elles ne nous rendent jamais un service, si petit qu'il soit, sans se le faire payer le double de ce qu'il vaut. Tu l'as vu toi-même le soir où Prudence m'a apporté six mille francs que je l'avais priée d'aller demander pour moi au duc, elle m'a emprunté cinq cents francs qu'elle ne me rendra jamais ou qu'elle me payera en chapeaux qui ne sortiront pas de leurs cartons.

« Nous ne pouvons donc avoir, ou plutôt je ne pouvais donc avoir qu'un bonheur, c'était, triste comme je le suis quelquefois, souffrante comme je le suis toujours, de trouver un homme assez supérieur pour ne pas me demander compte de ma vie, et pour être l'amant de mes impressions bien plus que de mon corps. Cet homme, je l'avais trouvé dans le duc, mais le duc est vieux, et la vieillesse ne protège ni ne console. J'avais cru pouvoir accepter la vie qu'il me faisait ; mais que veux-tu ? Je périssais d'ennui et pour faire tant que d'être consumée, autant se jeter dans un incendie que de s'asphyxier avec du charbon.

« Alors je t'ai rencontré, toi, jeune, ardent, heureux, et j'ai essayé de faire de toi l'homme que j'avais appelé au milieu de ma bruyante solitude. Ce que j'aimais en toi, ce n'était pas l'homme qui était, mais celui qui devait être. Tu n'acceptes pas ce rôle, tu le rejettes comme indigne de toi, tu es un amant vulgaire ; fais comme les autres, paie-moi et n'en parlons plus.

Marguerite, que cette longue confession avait fatiguée, se rejeta sur le dos du canapé, et pour éteindre un faible accès de toux, porta son mouchoir à ses lèvres et jusqu'à ses yeux.

– Pardon, pardon, murmurai-je, j'avais compris tout cela, mais je voulais te l'entendre dire, ma Marguerite adorée. Oublions le reste et ne nous souvenons que d'une chose : c'est que nous sommes l'un à l'autre, que nous sommes jeunes et que nous nous aimons.

« Marguerite, fais de moi tout ce que tu voudras, je suis ton esclave, ton chien ; mais, au nom du ciel, déchire la lettre que je t'ai écrite et ne me laisse pas partir demain ; j'en mourrais.

Marguerite tira ma lettre du corsage de sa robe et, me la remettant, me dit avec un sourire d'une douceur ineffable :

– Tiens, je te la rapportais.

Je déchirai la lettre et je baisai avec des larmes la main qui me la rendait.

En ce moment Prudence reparut.

– Dites donc, Prudence, savez-vous ce qu'il me demande ? fit Marguerite.

– Il vous demande pardon.

– Justement.

– Et vous pardonnez ?

– Il le faut bien, mais il veut encore autre chose.

– Quoi donc ?

– Il veut venir souper avec nous.

– Et vous y consentez ?

– Qu'en pensez-vous ?

– Je pense que vous êtes deux enfants, qui n'avez de tête ni l'un ni l'autre. Mais je pense aussi que j'ai très faim et que plus tôt vous consentirez, plus tôt nous souperons.

– Allons, dit Marguerite, nous tiendrons trois dans ma voiture. Tenez, ajouta-t-elle en se tournant vers moi, Nanine sera couchée, vous ouvrirez la porte, prenez ma clef, et tâchez de ne plus la perdre.

J'embrassai Marguerite à l'étouffer.

Joseph entra là-dessus.

– Monsieur, me dit-il de l'air d'un homme enchanté de lui, les malles sont faites.

– Entièrement ?

– Oui, monsieur.

– Eh bien, défaites-les : je ne pars pas.


Chapitre XV Kapitel XV Chapter XV Capítulo XV

Il y avait à peu près une heure que Joseph et moi nous préparions tout pour mon départ, lorsqu'on sonna violemment à ma porte.

– Faut-il ouvrir ? me dit Joseph.

– Ouvrez, lui dis-je, me demandant qui pouvait venir à pareille heure chez moi, et n'osant croire que ce fût Marguerite. “Open the door,” I said, wondering who could come to my house at such an hour, and not daring to believe it was Marguerite.

– Monsieur, me dit Joseph en rentrant, ce sont deux dames.

– C'est nous, Armand, me cria une voix que je reconnus pour celle de Prudence.

Je sortis de ma chambre.

Prudence, debout, regardait les quelques curiosités de mon salon ; Marguerite, assise sur le canapé, réfléchissait. Prudence, standing, looked at the few curiosities in my drawing-room; Marguerite, sitting on the sofa, was thinking.

Quand j'entrai, j'allai à elle, je m'agenouillai, je lui pris les deux mains, et, tout ému, je lui dis : pardon. When I entered, I went to her, I knelt down, I took both her hands, and, very moved, I said to her: pardon.

Elle m'embrassa au front et me dit : She kissed my forehead and said:

– Voilà déjà trois fois que je vous pardonne.

– J'allais partir demain.

– En quoi ma visite peut-elle changer votre résolution ? Je ne viens pas pour vous empêcher de quitter Paris. Je viens parce que je n'ai pas eu dans la journée le temps de vous répondre, et que je n'ai pas voulu vous laisser croire que je fusse fâchée contre vous. Encore Prudence ne voulait-elle pas que je vinsse ; elle disait que je vous dérangerais peut-être. Even Prudence did not want me to come; she said that I might bother you.

– Vous, me déranger, vous, Marguerite ! “You bother me, you, Marguerite! Et comment ?

– Dame ! Vous pouviez avoir une femme chez vous, répondit Prudence, et cela n'aurait pas été amusant pour elle d'en voir arriver deux. You could have a woman in your house, Prudence replied, and it wouldn't have been fun for her to have two come.

Pendant cette observation de Prudence, Marguerite me regardait attentivement.

– Ma chère Prudence, répondis-je, vous ne savez pas ce que vous dites. “My dear Prudence,” I replied, “you don't know what you're saying.

– C'est qu'il est très gentil votre appartement, répliqua Prudence ; peut-on voir la chambre à coucher ! "Your apartment is very nice," replied Prudence; can we see the bedroom!

– Oui.

Prudence passa dans ma chambre, moins pour la visiter que pour réparer la sottise qu'elle venait de dire, et nous laisser seuls, Marguerite et moi.

– Pourquoi avez-vous amené Prudence ? "Why did you bring Prudence?" lui dis-je alors.

– Parce qu'elle était avec moi au spectacle, et qu'en partant d'ici je voulais avoir quelqu'un pour m'accompagner.

– N'étais-je pas là ? – Was I not there?

– Oui ; mais outre que je ne voulais pas vous déranger, j'étais bien sûre qu'en venant jusqu'à ma porte, vous me demanderiez à monter chez moi, et, comme je ne pouvais pas vous l'accorder, je ne voulais pas que vous partissiez avec le droit de me reprocher un refus. - Yes ; but besides that I didn't want to disturb you, I was quite sure that when you came to my door you would ask me to come up to my house, and, as I couldn't grant it to you, I didn't want you to. you left with the right to reproach me for a refusal.

– Et pourquoi ne pouviez-vous pas me recevoir ?

– Parce que je suis très surveillée, et que le moindre soupçon pourrait me faire le plus grand tort. “Because I am closely watched, and the slightest suspicion could do me the greatest harm.

– Est-ce bien la seule raison ?

– S'il y en avait une autre, je vous la dirais ; nous n'en sommes plus à avoir des secrets l'un pour l'autre. “If there was another, I would tell you; we are no longer keeping secrets from each other.

– Voyons, Marguerite, je ne veux pas prendre plusieurs chemins pour en arriver à ce que je veux vous dire. – Come on, Marguerite, I don't want to take several roads to get to what I want to tell you. Franchement, m'aimez-vous un peu ?

– Beaucoup.

– Alors, pourquoi m'avez-vous trompé ?

– Mon ami, si j'étais madame la duchesse telle ou telle, si j'avais deux cent mille livres de rente, que je fusse votre maîtresse et que j'eusse un autre amant que vous, vous auriez le droit de me demander pourquoi je vous trompe ; mais je suis mademoiselle Marguerite Gautier, j'ai quarante mille francs de dettes, pas un sou de fortune, et je dépense cent mille francs par an ; votre question devient oiseuse et ma réponse inutile. “My friend, if I were Madame la Duchess such and such, if I had an income of two hundred thousand francs, if I were your mistress and had another lover than you, you would have the right to ask me why. I deceive you; but I am Mademoiselle Marguerite Gautier, I have forty thousand francs in debt, not a penny of fortune, and I spend a hundred thousand francs a year; your question becomes idle and my answer useless.

– C'est juste, dis-je en laissant tomber ma tête sur les genoux de Marguerite ; mais moi je vous aime comme un fou. "That's right," I said, letting my head fall on Marguerite's lap; but I love you like crazy.

– Eh bien, mon ami, il fallait m'aimer un peu moins ou me comprendre un peu mieux. – Well, my friend, you had to love me a little less or understand me a little better. Votre lettre m'a fait beaucoup de peine. Si j'avais été libre, d'abord je n'aurais pas reçu le comte avant-hier, ou, l'ayant reçu, je serais venue vous demander le pardon que vous me demandiez tout à l'heure, et je n'aurais pas à l'avenir d'autre amant que vous. If I had been free, in the first place I would not have received the Count the day before yesterday, or, having received him, I would have come to ask you for the pardon you asked me just now, and I would not have have no other lover in the future than you. J'ai cru un moment que je pourrais me donner ce bonheur-là pendant six mois ; vous ne l'avez pas voulu ; vous teniez à connaître les moyens, eh ! I thought for a moment that I could give myself that happiness for six months; you didn't want it; you insisted on knowing the means, eh! mon Dieu, les moyens étaient bien faciles à deviner. my God, the means were very easy to guess. C'était un sacrifice plus grand que vous ne croyez que je faisais en les employant. It was a greater sacrifice than you would think I was making by employing them. J'aurais pu vous dire : j'ai besoin de vingt mille francs ; vous étiez amoureux de moi, vous les eussiez trouvés, au risque de me les reprocher plus tard. I could have told you: I need twenty thousand francs; you were in love with me, you would have found them, at the risk of reproaching me for them later. J'ai mieux aimé ne rien vous devoir ; vous n'avez pas compris cette délicatesse, car c'en est une. I preferred to owe you nothing; you have not understood this delicacy, because it is. Nous autres, quand nous avons encore un peu de coeur, nous donnons aux mots et aux choses une extension et un développement inconnus aux autres femmes ; je vous répète donc que, de la part de Marguerite Gautier, le moyen qu'elle trouvait de payer ses dettes sans vous demander l'argent nécessaire pour cela était une délicatesse dont vous devriez profiter sans rien dire. We others, when we still have a little heart, we give to words and things an extension and a development unknown to other women; I therefore repeat to you that, on the part of Marguerite Gautier, the means she found of paying her debts without asking you for the money necessary for that was a delicacy which you should take advantage of without saying a word. Si vous ne m'aviez connue qu'aujourd'hui, vous seriez trop heureux de ce que je vous promettrais, et vous ne me demanderiez pas ce que j'ai fait avant-hier. If you had only known me today, you would be too happy with what I would promise you, and you would not ask me what I did the day before yesterday. Nous sommes quelquefois forcées d'acheter une satisfaction pour notre âme aux dépens de notre corps, et nous souffrons bien davantage quand, après, cette satisfaction nous échappe. We are sometimes forced to buy satisfaction for our soul at the expense of our body, and we suffer much more when afterwards this satisfaction escapes us.

J'écoutais et je regardais Marguerite avec admiration. Quand je songeais que cette merveilleuse créature, dont j'eusse envié autrefois de baiser les pieds, consentait à me faire entrer pour quelque chose dans sa pensée, à me donner un rôle dans sa vie, et que je ne me contentais pas encore de ce qu'elle me donnait, je me demandais si le désir de l'homme a des bornes, quand, satisfait aussi promptement que le mien l'avait été, il tend encore à autre chose. When I thought that this marvelous creature, whose feet I had once envied to kiss, consented to let me enter into her thoughts for something, to give me a role in her life, and that I was not yet satisfied with this she was giving me, I wondered if man's desire had any limits, when, satisfied as quickly as mine had been, he still tended towards something else.

– C'est vrai, reprit-elle ; nous autres créatures du hasard, nous avons des désirs fantasques et des amours inconcevables. Nous nous donnons tantôt pour une chose, tantôt pour une autre. Il y a des gens qui se ruineraient sans rien obtenir de nous, il y en a d'autres qui nous ont avec un bouquet. There are people who would ruin themselves without getting anything from us, there are others who have us with a bouquet. Notre coeur a des caprices ; c'est sa seule distraction et sa seule excuse. Our heart has caprices; it is his only distraction and his only excuse. Je me suis donnée à toi plus vite qu'à aucun homme, je te le jure ; pourquoi ? parce que me, voyant cracher le sang, tu m'as pris la main, parce que tu as pleuré, parce que tu es la seule créature humaine qui ait bien voulu me plaindre. weil du, als du mich Blut spucken sahst, meine Hand ergriffen hast, weil du geweint hast, weil du das einzige menschliche Geschöpf bist, das mich bemitleiden wollte. because, seeing me spitting blood, you took my hand, because you wept, because you are the only human creature who wanted to pity me. Je vais te dire une folie, mais j'avais autrefois un petit chien qui me regardait d'un air tout triste quand je toussais ; c'est le seul être que j'aie aimé. I'm going to tell you crazy, but I used to have a little dog who looked at me sadly when I coughed; he is the only being I have loved.

« Quand il est mort, j'ai plus pleuré qu'à la mort de ma mère. “When he died, I cried more than when my mother died. Il est vrai qu'elle m'avait battue pendant douze ans de sa vie. It is true that she had beaten me for twelve years of her life. Eh bien, je t'ai aimé tout de suite autant que mon chien. Well, I loved you right away as much as my dog. Si les hommes savaient ce qu'on peut avoir avec une larme, ils seraient plus aimés et nous serions moins ruineuses. If men knew what can be had with a tear, they would be more loved and we would be less ruinous.

« Ta lettre t'a démenti, elle m'a révélé que tu n'avais pas toutes les intelligences du coeur, elle t'a fait plus de tort dans l'amour que j'avais pour toi que tout ce que tu aurais pu me faire. C'était de la jalousie, il est vrai, mais de la jalousie ironique et impertinente. J'étais déjà triste, quand j'ai reçu cette lettre, je comptais te voir à midi, déjeuner avec toi, effacer par ta vue une incessante pensée que j'avais, et qu'avant de te connaître j'admettais sans effort. I was already sad when I received this letter, I counted on seeing you at noon, having lunch with you, obliterating by your sight an incessant thought that I had, and that before knowing you I accepted without effort.

« Puis, continua Marguerite, tu étais la seule personne devant laquelle j'avais cru comprendre tout de suite que je pouvais penser et parler librement. Tous ceux qui entourent les filles comme moi ont intérêt à scruter leurs moindres paroles, à tirer une conséquence de leurs plus insignifiantes actions. Everyone around girls like me has an interest in scrutinizing their every word, in drawing consequences from their most insignificant actions. Nous n'avons naturellement pas d'amis. Nous avons des amants égoïstes qui dépensent leur fortune non pas pour nous, comme ils le disent, mais pour leur vanité.

« Pour ces gens-là, il faut que nous soyons gaies quand ils sont joyeux, bien portantes quand ils veulent souper, sceptiques comme ils le sont. Il nous est défendu d'avoir du coeur sous peine d'être huées et de ruiner notre crédit.

« Nous ne nous appartenons plus. “We no longer belong to each other. Nous ne sommes plus des êtres, mais des choses. Nous sommes les premières dans leur amour-propre, les dernières dans leur estime. Nous avons des amies, mais ce sont des amies comme Prudence, des femmes jadis entretenues qui ont encore des goûts de dépense que leur âge ne leur permet plus. We have friends, but they are friends like Prudence, formerly kept women who still have spending tastes that their age no longer permits. Alors elles deviennent nos amies ou plutôt nos commensales. So they become our friends or rather our companions. Leur amitié va jusqu'à la servitude, jamais jusqu'au désintéressement. Jamais elles ne vous donneront qu'un conseil lucratif. Peu leur importe que nous ayons dix amants de plus, pourvu qu'elles y gagnent des robes ou un bracelet, et qu'elles puissent de temps en temps se promener dans notre voiture et venir au spectacle dans notre loge. Elles ont nos bouquets de la veille et nous empruntent nos cachemires. They have our bouquets from the day before and are borrowing our cashmeres. Elles ne nous rendent jamais un service, si petit qu'il soit, sans se le faire payer le double de ce qu'il vaut. Tu l'as vu toi-même le soir où Prudence m'a apporté six mille francs que je l'avais priée d'aller demander pour moi au duc, elle m'a emprunté cinq cents francs qu'elle ne me rendra jamais ou qu'elle me payera en chapeaux qui ne sortiront pas de leurs cartons. You saw it yourself the evening when Prudence brought me six thousand francs which I had asked her to go and ask for me from the duke, she borrowed five hundred francs from me which she will never give me back or that she'll pay me in hats that won't come out of their boxes.

« Nous ne pouvons donc avoir, ou plutôt je ne pouvais donc avoir qu'un bonheur, c'était, triste comme je le suis quelquefois, souffrante comme je le suis toujours, de trouver un homme assez supérieur pour ne pas me demander compte de ma vie, et pour être l'amant de mes impressions bien plus que de mon corps. "So we can only have, or rather I could only have one happiness, it was, sad as I am sometimes, suffering as I always am, to find a man superior enough not to ask me to account for my life, and to be the lover of my impressions much more than of my body. Cet homme, je l'avais trouvé dans le duc, mais le duc est vieux, et la vieillesse ne protège ni ne console. J'avais cru pouvoir accepter la vie qu'il me faisait ; mais que veux-tu ? Je périssais d'ennui et pour faire tant que d'être consumée, autant se jeter dans un incendie que de s'asphyxier avec du charbon. I was dying of boredom and to do as much as to be consumed, as much to throw myself into a fire as to asphyxiate myself with coal.

« Alors je t'ai rencontré, toi, jeune, ardent, heureux, et j'ai essayé de faire de toi l'homme que j'avais appelé au milieu de ma bruyante solitude. “So I met you, you, young, ardent, happy, and I tried to make you the man I had called for in the midst of my noisy loneliness. Ce que j'aimais en toi, ce n'était pas l'homme qui était, mais celui qui devait être. Tu n'acceptes pas ce rôle, tu le rejettes comme indigne de toi, tu es un amant vulgaire ; fais comme les autres, paie-moi et n'en parlons plus. You do not accept this role, you reject it as unworthy of you, you are a vulgar lover; do like the others, pay me and let's not talk about it anymore.

Marguerite, que cette longue confession avait fatiguée, se rejeta sur le dos du canapé, et pour éteindre un faible accès de toux, porta son mouchoir à ses lèvres et jusqu'à ses yeux.

– Pardon, pardon, murmurai-je, j'avais compris tout cela, mais je voulais te l'entendre dire, ma Marguerite adorée. Oublions le reste et ne nous souvenons que d'une chose : c'est que nous sommes l'un à l'autre, que nous sommes jeunes et que nous nous aimons.

« Marguerite, fais de moi tout ce que tu voudras, je suis ton esclave, ton chien ; mais, au nom du ciel, déchire la lettre que je t'ai écrite et ne me laisse pas partir demain ; j'en mourrais. “Marguerite, do with me whatever you want, I am your slave, your dog; but, in the name of Heaven, tear up the letter I wrote you and don't let me go tomorrow; I would die of it.

Marguerite tira ma lettre du corsage de sa robe et, me la remettant, me dit avec un sourire d'une douceur ineffable : Marguerite took my letter from the bodice of her dress and, handing it to me, said with a smile of ineffable sweetness:

– Tiens, je te la rapportais. - Here, I brought it back to you.

Je déchirai la lettre et je baisai avec des larmes la main qui me la rendait.

En ce moment Prudence reparut. At this moment Prudence reappeared.

– Dites donc, Prudence, savez-vous ce qu'il me demande ? "Hey, Prudence, do you know what he's asking me?" fit Marguerite.

– Il vous demande pardon.

– Justement.

– Et vous pardonnez ?

– Il le faut bien, mais il veut encore autre chose. - Das muss er auch, aber er will noch etwas anderes.

– Quoi donc ?

– Il veut venir souper avec nous.

– Et vous y consentez ?

– Qu'en pensez-vous ?

– Je pense que vous êtes deux enfants, qui n'avez de tête ni l'un ni l'autre. – I think you are two children, neither of whom has a head. Mais je pense aussi que j'ai très faim et que plus tôt vous consentirez, plus tôt nous souperons. But I also think I'm very hungry, and the sooner you agree, the sooner we'll have supper.

– Allons, dit Marguerite, nous tiendrons trois dans ma voiture. - Komm", sagte Marguerite, "wir passen zu dritt in meinen Wagen. “Come on,” said Marguerite, “we'll fit three in my carriage. Tenez, ajouta-t-elle en se tournant vers moi, Nanine sera couchée, vous ouvrirez la porte, prenez ma clef, et tâchez de ne plus la perdre. Here, she added, turning to me, Nanine will be in bed, you will open the door, take my key, and try not to lose it again.

J'embrassai Marguerite à l'étouffer. I kissed Marguerite until she was smothered.

Joseph entra là-dessus.

– Monsieur, me dit-il de l'air d'un homme enchanté de lui, les malles sont faites. “Monsieur,” he said to me with the air of a man delighted with him, “the trunks are packed.

– Entièrement ?

– Oui, monsieur.

– Eh bien, défaites-les : je ne pars pas.