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Chronique de Gérard Leclerc. 1., 02. La cage aux phobes

02. La cage aux phobes

Voilà un certain temps que je m'inquiète de l'étrange propension du débat public à tourner à ce qu'on pourrait appeler l'inquisition lexicale. Il s'agit, en effet, de prendre à tout prix en défaut celui dont la tête ne vous revient pas, pour ce qu'on considère être un dérapage verbal.

Le but est de le disqualifier, et plus encore de le mettre hors-jeu, en le faisant condamner par les tribunaux. Ce disant, je ne plaide évidemment pas pour la diffusion des discours de haine, pour l'apologie de ce qui est d'évidence insupportable. Je m'insurge contre une forme de police lexicale, qui finit par être dangereuse pour la liberté d'expression.

En ce sens, je me sens assez proche de la mentalité américaine, farouchement attachée à cette liberté, garantie par la Constitution dans son célèbre Premier amendement, qui date de 1791.

S'il y a excès et même faute, est-il absolument nécessaire de recourir aux tribunaux, dès lors qu'on a la faculté de répondre et d'expliquer franchement en quoi quelqu'un a dépassé la ligne jaune et peut être, pour cette raison, incriminé moralement ?

Mais il est un autre aspect de l'inquisition lexicale, qui met en danger la probité du débat : c'est la psychiatrisation de l'adversaire, que l'on veut absolument convaincre de « phobie ». L'abus extrême de l'incrimination pour phobie pollue le libre échange des idées.

Ainsi que l'avait déjà remarqué Philippe Muray, qui parlait d'une médicalisation systématique : « Il y a maintenant des phobes [phobies] pour tout, des homophobes, des gynophobes (appelés encore machistes ou sexistes), des europhobes, etc. Une phobie c'est une névrose : est-ce qu'on va discuter, débattre, avec un névrosé au dernier degré ! Non, on va l'envoyer se faire soigner, on va le fourrer à l'asile, on va le mettre en cage. Dans la cage aux phobes. » (Exorcismes spirituels III, Les Belles Lettres, 2002, p. 267).

La cage aux phobes, aujourd'hui, c'est souvent un tribunal. C'est sans doute préférable aux hôpitaux psychiatriques de l'Union soviétique, où l'on enfermait les délinquants politiques. Mais je ne suis pas bien sûr que ce soit l'endroit rêvé pour arbitrer nos différents de fond.

02. La cage aux phobes 02. القفص الرهابي 02. Der Robbenkäfig 02. La cage aux phobes 02. La jaula de sellado 02. la gabbia di tenuta 02. A gaiola de selagem 02. 恐惧笼 02. 恐懼籠

Voilà un certain temps que je m’inquiète de l’étrange propension du débat public à tourner à ce qu’on pourrait appeler l’inquisition lexicale. I've been worried for some time about the strange propensity of public debate to turn to what you might call the lexical inquisition. 一段時間以來,我一直擔心公共辯論會變成所謂的詞彙調查的奇怪傾向。 Il s’agit, en effet, de prendre à tout prix en défaut celui dont la tête ne vous revient pas, pour ce qu’on considère être un dérapage verbal. Es geht in der Tat darum, um jeden Preis denjenigen zu fangen, dessen Kopf nicht zu Ihnen zurückkommt, für das, was als verbales Ausrutschen angesehen wird. It is, indeed, to catch at all costs the one whose head does not come back to you, for what one considers to be a verbal slippage. 事實上,這是不惜一切代價指責那些頭腦不屬於你的人,因為我們認為這是口頭上的錯誤。

Le but est de le disqualifier, et plus encore de le mettre hors-jeu, en le faisant condamner par les tribunaux. The goal is to disqualify him, and even more to put him out of the game, by having him condemned by the courts. Ce disant, je ne plaide évidemment pas pour la diffusion des discours de haine, pour l’apologie de ce qui est d’évidence insupportable. In saying this, I obviously do not plead for the dissemination of hate speech, for the defense of what is obviously unbearable. Je m’insurge contre une forme de police lexicale, qui finit par être dangereuse pour la liberté d’expression. I protest against a form of lexical policing, which ends up being dangerous for freedom of expression.

En ce sens, je me sens assez proche de la mentalité américaine, farouchement attachée à cette liberté, garantie par la Constitution dans son célèbre Premier amendement, qui date de 1791. In this sense, I feel quite close to the American mentality, fiercely attached to this freedom, guaranteed by the Constitution in its famous First Amendment, which dates from 1791.

S’il y a excès et même faute, est-il absolument nécessaire de recourir aux tribunaux, dès lors qu’on a la faculté de répondre et d’expliquer franchement en quoi quelqu’un a dépassé la ligne jaune et peut être, pour cette raison, incriminé moralement ? If there is excess and even fault, is it absolutely necessary to have recourse to the courts, since one has the faculty to answer and to explain frankly why someone has crossed the yellow line and perhaps, for this reason, morally incriminated?

Mais il est un autre aspect de l’inquisition lexicale, qui met en danger la probité du débat : c’est la psychiatrisation de l’adversaire, que l’on veut absolument convaincre de « phobie ». But there is another aspect of the lexical inquisition, which endangers the probity of the debate: it is the psychiatrization of the adversary, whom we absolutely want to convince of "phobia". L’abus extrême de l’incrimination pour phobie pollue le libre échange des idées. The extreme abuse of the criminalization for phobia pollutes the free exchange of ideas.

Ainsi que l’avait déjà remarqué Philippe Muray, qui parlait d’une médicalisation systématique : « Il y a maintenant des phobes [phobies] pour tout, des homophobes, des gynophobes (appelés encore machistes ou sexistes), des europhobes, etc. As Philippe Muray, who spoke of systematic medicalization, had already noted: “There are now phobes [phobias] for everything, homophobes, gynophobes (still called chauvinists or sexists), Europhobes, etc. Ainsi que l'avait déjà remarqué Philippe Muray, qui parlait d'une médicalisation systématique : « Il y a maintenant des phobes [phobies] pour tout, des homophobes, des gynophobes (appelés encore machistes ou sexistes), des europhobes, etc. Une phobie c’est une névrose : est-ce qu’on va discuter, débattre, avec un névrosé au dernier degré ! A phobia is a neurosis: are we going to discuss, debate, with a neurotic to the last degree! Une phobie c'est une névrose : est-ce qu'on va discuter, débattre, avec un névrosé au dernier degré ! Non, on va l’envoyer se faire soigner, on va le fourrer à l’asile, on va le mettre en cage. No, we're going to send him for treatment, we're going to put him in the asylum, we're going to put him in a cage. Non, on va l'envoyer se faire soigner, on va le fourrer à l'asile, on va le mettre en cage. Dans la cage aux phobes. In the phobic cage. Dans la cage aux phobes. » (Exorcismes spirituels III, Les Belles Lettres, 2002, p. »(Spiritual exorcisms III, Les Belles Lettres, 2002, p. » (Exorcismes spirituels III, Les Belles Lettres, 2002, p. 267).

La cage aux phobes, aujourd’hui, c’est souvent un tribunal. The phobic cage today is often a court. C’est sans doute préférable aux hôpitaux psychiatriques de l’Union soviétique, où l’on enfermait les délinquants politiques. This is probably preferable to psychiatric hospitals in the Soviet Union, where political offenders were locked up. Mais je ne suis pas bien sûr que ce soit l’endroit rêvé pour arbitrer nos différents de fond. Aber ich bin mir nicht ganz sicher, ob dies der ideale Ort ist, um unsere inhaltlichen Differenzen zu schlichten. But I'm not sure this is the perfect place to arbitrate our substantive differences. Pero no estoy seguro de que sea el lugar ideal para arbitrar nuestras diferencias fundamentales.