Chapitre 3. Naissance de Bel-Ami
Deux mois plus tard, la fortune sur laquelle comptait Duroy met du temps à venir. Il se sent humilié parce que les portes du monde lui restent fermées. Il voudrait rencontrer des femmes et connaître leur intimité. Il sait pourtant que les femmes le trouvent sympathique. Il aimerait retourner chez Mme Forestier, mais il n'ose pas après sa dernière visite humiliante. Il se rappelle que Mme de Marelle l'a invité. Il se présente alors un après-midi chez elle, rue de Verneuil. Mme de Marelle l'accueille avec un grand sourire, apparemment contente de le voir :
— C'est gentil de venir me voir. Je croyais que vous m'aviez oubliée. Comme vous avez changé ! Paris vous fait du bien !
Ils bavardent comme de vieux amis, sentant naître en eux un sentiment de familiarité, d'intimité et d'affection. Elle dit :
— C'est drôle comme je suis avec vous. Il me semble que je vous connais depuis dix ans. Nous deviendrons de bons amis, voulez-vous ?
— Certainement.
Duroy trouve cette jeune femme tout à fait à son goût.
Tout à coup, on frappe tout doucement à la porte :
— Tu peux entrer, ma chérie.
Laurine apparaît. Elle se précipite pour saluer Duroy.
— Vous l'avez vraiment conquise l'autre soir, dit Clotilde.
Duroy discute alors avec l'enfant.
À trois heures, le journaliste s'en va :
— Revenez souvent, dit Mme de Marelle. Vous me ferez toujours plaisir.
Duroy est plein d'espoir.
Les jours suivants, il ne pense qu'à elle, il est obsédé par son image. Alors, quelques jours plus tard, il retourne rue de Verneuil. C'est Laurine qui l'accueille :
— Maman m'a demandé de rester avec vous pendant qu'elle se prépare.
— Très bien, jeune fille. Nous allons donc jouer !
Laurine rie de tout son coeur et quand Mme de Marelle voit sa fille ainsi, elle reste stupéfaite :
— Laurine qui joue ! Vous êtes un ensorceleur, Monsieur.
Puis, la mère ordonne à l'enfant de retourner dans sa chambre afin de rester seule avec Duroy :
— Je voulais vous inviter avec les Forestier samedi soir au restaurant, au Café Riche. Vous voulez bien ?
Évidemment, il accepte avec bonheur.
Au restaurant, Mme de Marelle veut faire la fête et commande du champagne. Les amis discutent de tout : politique, cancans, amour… À la fin du repas, Duroy propose à Mme de Marelle de la raccompagner chez elle. Installés dans un fiacre, il l'embrasse. Le lendemain, il va chez elle et lui dit son amour, mais Laurine accourt en criant :
— Bel-Ami !
— Tiens, Laurine vous a baptisé ! C'est un bon petit nom d'amitié pour vous ça. Moi aussi, je vous appellerai Bel-Ami, annonce Clotilde.
Mme de Marelle et Duroy deviennent tout de suite amants. Au bout de quelques semaines, la jeune femme trouve un appartement pour leur amour. Désormais, ils se retrouvent au 127 rue de Constantinople, dans un petit deux pièces, situé au rez-de-chaussée.
Mme de Marelle aime sortir le soir dans Paris, dans les lieux populaires. Mais Duroy n'a plus d'argent et a déjà de nombreuses dettes. Un soir, Clotilde souhaite sortir et devant le refus de son amant, elle se met en colère. Duroy finit par lui avouer la misère dans laquelle il vit :
— Je n'ai rien, pas même dix sous… pas de quoi payer un café… Tu me forces à confesser des choses honteuses.
— Oh, mon pauvre chéri ! Si j'avais su… Comment cela t'est-il arrivé ?
Duroy lui raconte un mensonge. Clotilde est émue et propose de lui prêter de l'argent. Il refuse, mais la jeune femme lui glisse des pièces dans ses poches à chacune de ses visites.
Un soir, aux Folies-Bergères, la soirée tourne mal quand Duroy rencontre Rachel. Mme de Marelle se met dans tous ses états :
— Misérable que tu es ! C'est avec mon argent que tu la paies !
Lui, ne sait pas trop comment se défendre :
— Je l'ai connue autrefois…
Mais, le mal est fait. Maintenant, Duroy est endetté et seul. Forestier le traite mal au bureau, aussi le jeune homme décide de se venger et de le faire cocu.
Aussitôt, il se rend chez Mme Forestier qui l'accueille :
— Bonjour Bel-Ami. J'ai vu Mme de Marelle qui m'a dit comment elle vous appelle…Vous la gâtez, mais moi, vous ne pensez jamais à venir me voir…
— Il valait mieux que je ne vienne pas.
— Comment ça ? Pourquoi ?
— Vous ne devinez pas ? C'est que… je suis amoureux de vous.
Madeleine ne paraît pas étonnée :
— Oh, vous pouvez venir tout de même. On n'est jamais amoureux de moi très longtemps.
— Pourquoi ?
— Parce que c'est inutile. Pour moi, un homme amoureux devient idiot et dangereux. Les gens qui m'aiment m'ennuient. Je ne serai jamais votre maîtresse, comprenez-vous. Nous pouvons être amis, si vous le voulez.
— Comme il vous plaira, Madame.
Il a trouvé une alliée. Elle lui donne un conseil :
— Allez voir Mme Walter. Elle vous apprécie. Vous trouverez auprès d'elle mieux qu'une histoire… Je connais votre position au journal… Faites-vous bien voir.
En quittant sa nouvelle amie, ce jour-là, il lui dit :
— Si vous devenez veuve, je m'inscris pour vous épouser…
Duroy réussit à se faire inviter chez Mme Walter, le samedi suivant. Les Walter habitent boulevard Malesherbes, dans un hôtel particulier. Virginie Walter est une femme modérée, sage, discrète et bonne. Pendant la soirée, les invités commentent l'actualité : Duroy parle peu, mais lance quelques répliques très justes.
La semaine suivante, il est nommé chef des Échos. Les Échos sont la moelle du journal, c'est par eux que l'on lance les nouvelles. L'homme qui les dirige doit toujours être en éveil et rusé. Duroy correspond à ce profil d'homme chic qui navigue à l'aise dans le monde politique. En effet, les véritables rédacteurs de La Vie Française sont des députés intéressés par toutes les opérations financières du marché. À la Chambre, on les appelle « la bande à Walter ». Duroy est heureux de sa nouvelle condition.
Un soir, chez les Walter, il rencontre M. Laroche-Mathieu et M. Firmin, députés rédacteurs anonymes à La Vie Française, très influents à la Chambre. Duroy découvre que Madeleine est intime avec ces hommes politiques et constate que Charles a beaucoup maigri et tousse sans cesse. Georges fait aussi la connaissance des deux filles de M. Walter : elles ont seize et dix-huit ans et sont respectivement une laide et l'autre jolie. Pendant que M. Walter montre à Duroy sa collection de peinture, Mme de Marelle arrive. Elle salue avec bienveillance Bel-Ami. Ce soir-là, Duroy comprend que leur amour recommence. Les amants se donnent rendez-vous.
Georges est content de retrouver sa maîtresse, Clotilde, qui l'invite chez elle avec son mari et les Forestier. Sur le moment, Bel-Ami n'est pas content de rencontrer le mari de sa maîtresse, puis la situation l'amuse. Par contre, la vision de Charles lui fait peur : il est très malade et doit partir pour Cannes dès le lendemain. Mme de Marelle dit :
— La situation est critique, mais Madeleine se remariera bien vite.
Duroy est troublé par cette phrase. Le lendemain, il va donc saluer le couple qui quitte Paris et son sale temps. Il dit à Mme Forestier :
— N'oubliez pas notre pacte. Nous sommes amis. Si vous avez besoin de moi, n'hésitez pas, je viendrai.