Pourquoi il y a toujours des travaux sur les lignes de train ? (2)
à cheval ou à pied reste difficile. On tente alors de trouver une solution à cette déconnexion
des réseaux en construisant le chemin de fer de la Petite Ceinture. Entre 1852 et 1869,
les travaux battent leur plein mais là encore, le réseau est rapidement saturé et force l'ouverture
d'une seconde ligne périphérique : le chemin de fer de la Grande Ceinture. A
partir de ce moment là, un véritable bras de fer s'engage entre l'État et la ville de Paris pour
le contrôle du développement du territoire : L'état souhaite faire passer dans la ville
une ligne de chemin de fer à haute capacité ; la ville de Paris, elle, se méfie des grandes
compagnies et souhaite privilégier le transport des personnes plutôt que des marchandises.
On construit alors tout un tas de gares dans Paris, ce qui concorde avec le grand projet
du baron Haussmann de remodeler le tissu et la voirie urbaine de Paris. Ce même baron qui fait
de Paris cette si belle ville facilement accessible aux armées de l'Empereur…
A vrai dire à ce moment là, on peut se poser une question d'ailleurs : Si toutes les lignes
convergent à Paris, est-ce pour que Paris contrôle l'ensemble du territoire français
ou est-ce plutôt pour que l'ensemble du territoire français contrôle Paris ? Vous
pouvez toujours me dire ce que vous en pensez ! La seconde phase de développement du réseau a
lieu sous la Troisième République, entre 1870 et 1940. Le nombre de lignes ferroviaires va
considérablement augmenter, tout comme le trafic des voyageurs. Et pour cause, les villes et les
industries se développent à vitesse grand V et elles ont besoin de ces infrastructures. À
cette époque, beaucoup de campagnards se dirigent vers les villes pour y trouver du travail dans les
ateliers et les manufactures. Les chemins de fer sont construits par ces ruraux qui affluent vers
les villes. Paris et son agglomération voient ainsi la population s'accroître de plus en plus
rapidement, tandis que les activités industrielles et logistiques se développent autour des gares.
La capitale se modernise, et surtout, s'étend. Et si vous êtes français et que vous faites un
peu de généalogie, il y a fort à parier que vous avez des ancêtres qui ont participé à ce genre de
chantier, d'après mes recherches c'est mon cas ! Les conditions de travail sont plutôt pénibles.
Au XIXe siècle, les machines-outils comme les excavatrices ou les bulldozers, c'est encore de
la science-fiction. Les travaux de terrassement et d'excavation se font à la pelle et à la pioche ;
la terre et la roche sont évacuées à dos d'hommes ou grâce à des animaux de traits.
L'emploi d'explosifs dans les régions montagneuses — en particulier dans le
perçage des tunnels provoquent régulièrement des accidents mortels. Mais malgré tout,
le réseau de fer français s'étend rapidement. Et à cette époque là, les travaux sont facilités
par un truc tout simple : il n'y a rien si ce n'est des champs, des parcs ou des grands
domaines. Aucun bâtiment, aucune infrastructure ne sont à démonter ou à contourner. Pas besoin
de se casser la tête avec plusieurs mois de travaux préparatoires comme aujourd'hui avec
toutes les zones urbaines et industrielles qui nécessitent qu'on prenne du temps !
En même temps que le chemin de fer évolue, il faut aussi changer les mentalités ;
les campagnes sortent de leur isolement alors que les besoins croissants des marchés urbains
accélèrent le mouvement. Grâce au train, les Parisiens peuvent ainsi consommer des
produits frais venus de toute la France, car le transport rapide permet de vendre des produits
périssables là où c'était impossible auparavant. Sous la Troisième République, les habitants font
l'expérience du chemin de fer depuis plus d'une génération. Cette technologie et ce
mode de transport sont entièrement intégrés dans le quotidien des cultivateurs et des
villageois français. Et puisqu'ils y sont habitués, les campagnards réclament une
plus forte présence du réseau et une desserte plus fine des villes moyennes et des bourgs.
En parallèle, l'appui des campagnards au pouvoir impérial sous le Second Empire
suit le développement du rail. En effet, Louis-Napoléon Bonaparte s'est fait élire
à la présidence de la Seconde République majoritairement par un électorat rural.
Le neveu de l'Empereur Napoléon 1er l'a bien compris, le chemin de fer lui permet de faire
littéralement campagne, du coup il n'hésite pas à sillonner le pays à bord de son train.
Ce sont aussi les campagnes qui confirmeront par plébiscite le coup d'État du 18 Brumaire
(2 décembre 1851) et l'avènement du Second Empire. La répression violente des poches
de résistances républicaines se fera grâce à l'armée et les forces de l'ordre qui peuvent
désormais déplacer leurs troupes facilement sur l'ensemble du territoire grâce au chemin de fer.
Pratique le train hein ? L'unité nationale sous la Troisième République
se structure aussi à travers l'extension et la densification du réseau de chemin de fer. En 1879,
le pouvoir républicain met en place le plan Freycinet, une politique de grands travaux
publics pour rallier à la République les campagnes qui demeurent puissantes sur le plan électoral,
mais parfois encore réticent au nouveau régime. C'est environ 150 nouvelles lignes qui sont
construites afin de raccorder presque toutes les sous-préfectures de France.
Une série de lois (1865, 1880 et 1913) définissent les chemins de fer,
les tramways voyageurs et les lignes vouées aux transports des marchandises comme d'intérêt
local et on distingue alors ces lignes des lignes secondaires contrôlées par les grandes compagnies.
Ces lignes d'intérêt local participent là encore au projet de désenclavement des campagnes ;
elles participent aussi à la diffusion de l'idée de service public. Grâce à ces
petites lignes qu'on va surnommer les lignes « électorales », parce que le trafic y est
insignifiant, des régions auparavant isolées se trouvent reliées facilement aux grands troncs
ferroviaires et au reste du territoire national. En Île-de-France aussi, le train désenclave une
région qu'il faut imaginer bien plus rurale que de nos jours. C'est justement parce qu'un dense
réseau de trains vient relier Paris à ses environs que les Parisiens, principalement les plus aisés,
peuvent désormais prendre l'air, pour la journée ou plus longtemps, dans des villes
qui se développent ainsi autour de leur gares, offrant hôtels, restaurants, puis logements. Le
rapport au territoire évolue alors totalement, et le rail devient un service public essentiel.
Pour résumer, le chemin de fer se rend presque partout et on en a besoin pour
tout ! Ce qui va profondément marquer les esprits et la société du début du XXe siècle.
On l'a dit tout à l'heure, un conflit éclate entre l'état et la ville de Paris
dans les années 1860 : l'état veut un réseau de grosses gares, gérés par les grandes compagnies,
qui transportent à la fois des marchandises et voyageurs tandis que la ville de Paris s'oppose
farouchement au contrôle des grandes compagnies et souhaite construire un réseau desservant
uniquement les intérêts locaux et le transit à l'intérieur du territoire parisien : le métro.
Ce débat se recoupe en fait autour des fractures politiques entre la gauche et la droite : la
banlieue dans les années 1870 et 1880 est essentiellement habitée par une bourgeoisie
résidant plus ou moins en permanence dans des villas alors que le centre-ville est peuplée
d'ouvriers vivant dans des appartements. En donnant le contrôle aux compagnies, c'est tout
l'enjeu du développement urbain qui est posé. Est-ce qu'on doit privilégier, sur le modèle de
ce qui se développe à Londres, des sortes de cités dortoirs avec les mouvements de va et vient entre
espace d'habitation et lieux de travail, ce qui va forcément entraîner une ségrégation sociale ou est
ce que l'on doit plutôt privilégier un aménagement où espace de vie et manufacture co-habiteraient ?
L'ingénieur fouriériste Louis Léger Vauthier écrit en 1872 :
« Pendant vingt ans […] l'Empire, a travaillé à refouler les familles ouvrières du centre vers
la circonférence. L'annexion de la zone suburbaine a été un des moyens de cette action […]. La voie
projetée [de métro sur les boulevards extérieurs] [...] va donner à la ville un cachet spécial et
une physionomie nouvelle. […] [L]a puissante attraction de la vapeur va former comme une zone
de centres secondaires, vivant d'une vie propre, et groupée autour du foyer principal qui n'en
conservera pas moins sa prédominance[3]. » L'apparition de cette « zone de centres
secondaires » située à l'intérieur de la ville serait donc rendue possible grâce à une ligne
sur les boulevards extérieurs. A ce débat d'idée, s'ajoute un constat plus pragmatique
sur l'importance des travaux. En effet, ce qui deviendra le réseau de métro est un réseau qui a
des caractéristiques bien plus simples à mettre en œuvre que sur le réseau français. En effet,
sur des mêmes lignes transitent des trains qui ont des activités diverses. Aujourd'hui encore,
cohabitent le Rer en journée, le TGV et les intercités le weekend,
le fret la nuit...autant de diversité qui implique une gestion minutieuse du trafic, afin d'éviter
des effets domino sur toute la France [ex : un rer D bloqué en gare de Villeneuve-Saint-Georges
peut perturber tout le trafic Paris-Lyon]. Cela implique également des travaux de modernisation
beaucoup plus complexes aujourd'hui pour s'adapter aux différentes machines qui parcourent le rail,
ce qui était dans une moindre mesure aussi le cas à l'époque. Ce trafic quasi continu constitue un
vrai casse-tête aujourd'hui pour planifier les travaux de modernisation. D'autant que
le nombre de voyageurs franciliens a fortement progressé (environ 3,5 millions en 2019) et que
le besoin de travaux pour adapter le réseau à la Région Île-de-France, devenue mégapole, est
énorme. Chaque perturbation ou coupure touche des centaines de milliers de personnes. Les travaux
doivent donc s'insérer dans les créneaux les moins impactants en tenant compte des différents
types de trains et d'usage : les déplacements du quotidien à l'intérieur de la capitale, flux de
travailleurs, matins et soirs, de leur logement en périphérie vers le centre, déplacements de
plus longue distance qui peuvent correspondre à la fois à du tourisme et à des migrations...
La vision de Vauthier va donc se réaliser avec l'inauguration du métro en 1900. Ces travaux
étaient déjà prévus, mais le chantier est accéléré par les Jeux Olympiques de Paris et l'Exposition
universelle de 1900. Ces deux événements vont clairement faciliter le règlement du conflit
entre les compagnies, l'État conservateur et la Ville de Paris gouverné à gauche.
Au bout du compte, il faut bien le dire, c'est la Ville de Paris qui remporte la victoire !
En 1896, les autorités acceptent le projet de l'ingénieur Fulgence Bienvenüe qui prévoit la
construction de six lignes avec la possibilité d'en ajouter trois autres. En octobre 1898, le
premier coup de pelle est donné. La première ligne relie la Porte de Vincennes à la Porte-Maillot ;
elle est inaugurée en juillet 1900 juste à temps pour desservir le site des Jeux olympiques.
Le rail sous-terrain métropolitain parisien entièrement électrifié et dédié au transport
des voyageurs est finalement inauguré, quatre décennies après celui de Londres, quatre ans
après ceux de Glasgow et de Budapest, mais quatre ans avant celui de New York et 66 ans avant celui
de Montréal, où là aussi, le métro est construit à la suite des inaugurations imminentes de jeux
olympiques et d'une exposition internationale. Rien de tel qu'un petit coup de pression
pour faire avancer un dossier ! À la veille de la Première Guerre mondiale,
le réseau de chemin de fer français a donc une densité impressionnante,
notamment dans les régions industrielles du Nord et de l'Est. Si le rail a souffert des hostilités,
il est bien vite remis en état et le réseau français continue sa grande expansion.
Dans une comparaison un poil foireuse, on pourrait presque dire que le chemin de fer est
un démiurge : un dieu, un créateur d'univers. Il permet de faire sortir de terre des villes
entières. Un bon exemple est la gare de Juvisy sur Orge, dans l'Essonne. Construite sur la
ligne Paris-Orléans dès les années 1840, elle est devenue un point essentiel pour l'arrivée
des marchandises et voyageurs venant du sud de la capitale, puisqu'elle a ensuite desservi
les lignes de Lyon et Marseille, puis celle de la Grande ceinture. Une grande gare de triage