La cité interdite - Histoire de la Chine (1)
Mes Chers Camarades, Bien le bonjour !
Si je vous demande de nommer un monument célèbre en Chine, il y a de fortes chances pour que la
« Cité Interdite » soit dans votre top 3. Après tout c'est le site le plus visité au monde,
avec une explosion du nombre de touristes en 2019 (14 millions rien que ça). Alors,
après la Grande Muraille, et l'armée en terre cuite, c'est le moment de s'y intéresser !
Située au cœur de Pékin et construite au tout début du XV ème siècle,
la cité interdite est la capitale impériale qui a le mieux survécu aux aléas du temps,
des guerres et des incendies. Devenu résidence des empereurs des deux dernières dynasties impériales,
les Ming puis les Qing, cette « ville dans la ville » est le symbole de la Chine. Avec
ces palais d'or et de jade, ses cours de marbres et ces lions de bronze dorés,
impossible de faire une impasse en Asie sans aller visiter ce qui, paradoxalement,
était auparavant réservé à l'Empereur, à sa famille et aux fonctionnaires impériaux.
Etudier la Cité interdite, est un véritable challenge car l'édifice
est complexe et on peut l'envisager sous bien des manières : à travers son histoire,
sa symbolique ou encore son architecture. Mais commençons par nous intéresser à Pékin, qui à
la base n'a jamais été destinée à devenir une capitale chinoise, situé si près de la steppe.
Il faut bien comprendre que le cœur historique et culturel de la chine se situe en vérité entre le
Fleuve Jaune, la Huai et le Fleuve Bleu. C'est là que les centres du pouvoir royal et impérial
émergent, et que l'on trouve la plupart des capitales chinoises, comme Chang'an ou Luoyang.
Et c'est assez logique que le pouvoir se concentre ici parce que nous sommes
pile sur un axe commercial bien pratique qui permet de relier
la côte maritime aux routes vers l'Asie centrale, et vers les contrées du sud.
Les ressources en bois, thé, riz, graines, céramiques, textiles,
et autres marchandises sont toujours plus simples à acquérir en étant au
centre de cet immense territoire. Et surtout, on est loin du grand nord,
car dans la pensée chinoise, c'est de cette direction que tous les ennuis surviennent.
Par exemple, pour illustrer les points cardinaux, on utilise le Phoenix pour marquer le Sud,
le tigre prend l'Ouest, le dragon l'Est, bref des animaux plutôt cool ! Hors,
on associe au Nord la tortue noire, le serpent ou encore le guerrier sombre. Et cela se comprend.
C'est de là que viennent la plupart des invasions, depuis la steppe Mongole et la Mandchourienne !
C'est donc tout naturel donc que Pékin, situé au cœur du Hebei, au Nord-Est de la Chine,
ait longtemps été une ville contrôlée par des puissances politiques du nord,
et surtout non-chinoises. En 1153, les Jurchen, un peuple de la Mandchourie,
en font leur capitale politique sous le nom de Zhongdu (la capitale du centre).
La ville sera ensuite ravagée par les armées de Genghis Khan en 1259. Son petit-fils,
Kubilai Khan s'y installe en 1271 en tant qu'empereur de la nouvelle dynastie
des Yuan. La ville est alors nommée « Dadu » (Grande capitale), ou encore
« Khanbalik » (Cité du Khan) qui deviendra « Cambaluc » dans le livre de Marco Polo.
Ce voyageur vénitien nous donne d'ailleurs une description très détaillée de ce à quoi pouvait
correspondre la demeure impériale, située au cœur de ville Tartare.
Et non, le tartare ce n'est pas une marque de fromage,
mais un terme généralement utilisé pour désigner la ville Mongol. Bref, Marco polo nous dit :
« C'est le plus vaste palais qui soit au monde. […] Son toit est très haut. Les murs des salles et
des chambres sont tous couverts d'or et d'argent, et décorés de peintures figurant des dragons,
des bêtes, des oiseaux, des chevaliers, des statues et bien d'autres motifs encore. […] Le
palais est si vaste qu'au moins six mille convives pourraient y manger, et il a tant de chambres que
c'est merveille. Nul ne saurait imaginer palais plus parfait, tant il est vaste et magnifique. »
Notez en passant les nombreuses références aux dragons et aux peintures…difficile
d'imaginer qu'on ait affaire à un palais occupé par un Mongol ! Et pourtant,
Kubilai Khan deviendra vite un passionné des arts du lettré (calligraphie, peinture…), et ce sera
celui qui développera la production des fameuses porcelaines Bleues et Blancs, rien que ça.
Enfin, quand on sait à quoi ressemblait Venise au XIII ème siècle, ça devait tout
de même avoir de la gueule ce palais ! Dommage qu'il soit détruit ! Et oui ! Car comme le veut
la sympathique tradition chinoise : quand on conquiert, on détruit ! Ce palais est donc
entièrement rasé en 1369 lors de l'avènement de la nouvelle dynastie, cette fois-ci chinoise,
des Ming. Et c'est bien ce qui étonne avec la Cité Interdite au vu des Chinois actuels,
les palais en bois des capitales impériales ne survivaient pas aux renversements du pouvoir.
Alors pourquoi ici c'est le cas ? On va y revenir mais je vous propose de vous intéresser d'abord au
troisième empereur de cette nouvelle dynastie, Ming Yongle, le fondateur de la Cité Interdite.
Dès l'avènement du premier empereur, Hongwu (1368-1399), le centre du
pouvoir de la nouvelle dynastie chinoise, va s'installer bien au Sud, loin de la steppe,
à Nanjing ou Nankin, “la Capitale du Sud”, situé en amont du delta du fleuve bleu !
C'est là qu'il y bâti son palais, dont le modèle inspirera en partie celui de la Cité Interdite.
A sa mort en 1399, son petit-fils Jianwen règne. Mais étant très jeune, son oncle, Zhu Di va très
gentiment se proposer de prendre de plus en plus de place dans les décisions impériales.
Oui, c'est du sarcasme. Il dispose d'une forte armée qui vient du nord et qui lui est fidèle,
il renverse le trône, prend Nanjing et devient l'Empereur Ming Yongle. Et on ne
saura jamais vraiment ce que deviendra son neveu..exilé ou découpé en deux,
je vous laisse imaginer le meilleur scénario !
Craignant le retour des puissances mongoles, Yongle va rapidement considérer Nankin comme
étant trop éloigné de la steppe. Il rebaptise alors Beiping « paix du
nord » en « Beijing » (capitale du Nord) le 4 février 1403. Et à partir de cette date,
des dépenses faramineuses sont engagées pour faire de Pékin la capitale impériale,
ce qu'elle deviendra au passage de la nouvelle année en 1421.
Et bien sûr, au cœur de cette nouvelle ville chinoise, la Cité Interdite,
après plus de 14 années de travaux (1406-1420), devient la résidence officielle des empereurs.
Avant d'aller plus loin je trouve assez intéressant de vous faire un petit point
d'étymologie. Parce que cela définit pas mal de choses pour la suite vous allez le voir.
Si de nos jours, les chinois tendent plutôt à parler de gugong pour désigner « l'ancien palais »
et où se trouve le musée impérial qui abrite une collection d'œuvres antiques sans pareille,
ce vaste palais impérial est plus connu sous le nom de Zijin Cheng que nous traduisons bien
sûr par « Cité pourpre interdite ». - Cheng que l'on retrouve dans le
mot Grande Muraille, désigne la cité fortifiée et aussi la cité politique ;
- Zi « pourpre », est sans doute le mot le plus important car il est une référence
à l'étoile Polaire, immobile, et que les chinois désignent sous le nom de Ziwei Xing (la « petite
étoile violette »). Placée dans l'axe de la Terre, cette étoile est considérée comme étant au centre
du Ciel autour duquel s'organisent les autres constellations. L'Empereur, étant considéré comme
au centre de tout, s'associe pleinement avec cette étoile. Voilà pourquoi le pourpre sera la couleur
des centaines et centaines de murs et remparts qui cloisonnent les espaces au sein de la cité.
- enfin, jin se traduit par « interdit », mot que les voyageurs Européens utilisent
lors de leurs visites de Pékin afin de mettre en évidence qu'à la différence de Versailles,
simplement protégé par une grille, personne ne peut avoir une vue sur ce qui se passe
à l'intérieur de la Cité interdite. On est donc déjà sur quelque chose de
très symbolique, mais ce n'est pas fini ! Après les invasions venues du nord,
qui ont un impact terrible sur le déracinement de la culture Han (ou chinoise), Yongle entend
faire de la Cité Interdite le symbole de la pensée rituelle, qui va être ancrée dans des
traditions chinoises anciennes. C'est donc un espace ultra ritualisé qui est basé sur une
série de manuels anciens, que les architectes ont suivi à la lettre et on va les découvrir ensemble.
Le Liji ou le “Livre des Rites” est un ancien texte qui remonte au VIIe voir VIII ème siècle
avant notre ère. Il régit à peu près tout ce qui se passe dans la construction des édifices publics
et religieux. Dans l'ancienne cosmologie chinoise, le ciel est imaginé comme rond et la terre comme
carré. Les oppositions sont particulièrement mises en valeur dans l'espace humain. Les
cités impériales doivent respecter cet ordre, avec l'orientation, la pureté géométrique des formes,
et une symétrie qui répond à l'alternance du jour et de la nuit, des hivers et des étés.
La Cité Interdite ne manque pas à ces règles, car le plan général est censé plaire aux Dieux du Ciel
qui voient le palais d'en haut. L'ensemble du site s'organise autour d'un axe central Sud-Nord
qui va petit à petit en réduction. La Cité est protégée par de solides remparts mesurant 8 m
de hauteur sur 3,6 km de long, et défendue par une douve de 50 m de large. Les murailles sont
percées de quatre portes, afin de retrouver le principe des quatre éléments de l'Univers. Enfin,
au cœur de la Cité, se trouve le Palais de la pureté céleste de base carrée (la terre),
et disposant d'un toit unique dont le pinacle doré brille étonnamment au soleil : le ciel.
L'ensemble du site, de la décoration intérieure à la forme des toitures,
repose sur la base des principes du Feng Shui (littéralement « vent » et « eau »),
dont on trouve l'origine aussi dans le livre des rites.
Le Feng Shui vous connaissez peut-être parce que c'est à la mode de temps à autre,
c'est un art qui vous recommande de ne pas avoir votre dos à la fenêtre, ou d'avoir des
plantes dans les coins ! Cet« art d'habiter la terre », qu'on appelle aussi la géomancie,
sert à agencer les pièces, les bâtiments, les architectures,
les mobiliers afin d'obtenir une harmonie dans l'équilibre des forces négatives et positives.
Là où se trouvait l'ancien palais mongol, se dresse donc désormais une colline artificielle
qui protège l'Empereur des menaces du Nord. Au Sud, juste après la première porte centrale,
une rivière aux eaux d'or est un canal artificiel qui doit évacuer les impuretés
néfastes en coulant du Nord-ouest vers le Sud-Est. Et tous les palais s'ouvrent au Sud.
Oui, tout ça est conditionné par un bouquin ! Mais il n'y a pas que ça !
Si je vous dis le Yijing, ou « Livre des Mutations », à première vue ça ne vous dit rien.
Si maintenant j'ajoute les mots « Yin-Yang », là tout de suite cela commence à faire tilt !
Faisant partie de l'un des classiques confucéens, ce texte apporte les clés pour comprendre comment
fonctionnent tous les aspects de la vie sur terre. C'est l'association constante entre deux forces :
nord-sud, masculin-féminin, ciel-terre, et pourquoi pas : jedi-sith parce qu'après
tout on sait l'attachement de Georges Lucas pour la philosophie asiatique. Évidemment,
le plan de la cité interdite va s'organiser par rapport à cette association symbolique.
Sur l'axe central: - La force Yang correspond
aux trois premiers Palais. Ce sont les bâtiments publics, associés aux cérémonies officielles et
où l'Empereur (lié au dragon) gouverne. - La force Yin correspond aux trois
derniers Palais où vit l'Empereur et l'Impératrice (lié au phénix).
Et ça va même plus loin puisqu'on pousse le vice jusqu'à suivre la symbolique des chiffres !
- Le 9 symbolise le Grand Yang, donc le pouvoir est associé à l'Empereur. Les toitures des palais
les plus importants sont soutenus par 9 piliers et la Cité est censée compter 9999 pièces, et non