×

Nós usamos os cookies para ajudar a melhorar o LingQ. Ao visitar o site, você concorda com a nossa política de cookies.


image

Bernadette, Sœur Marie-Bernard (Henri Lasserre), Livre 3 – La Vie Cachée et la Mort (4)

Livre 3 – La Vie Cachée et la Mort (4)

Après son entrée à Saint-Gildard comme auparavant, l'aspect de Bernadette et l'accent de sa parole suffisaient en effet pour convaincre; et il n'est point étonnant que Mgr Dupanloup ait subi une telle impression.

— Ce rayonnement qui avait éclairé et captivé l'Évéque d'Orléans, remarquait l'une des Mères de la communauté, ce charme qui nous entraîne toutes vers elle, frappe surtout les enfants. Les enfants courent à Bernadette et Bernadette court aux enfants. On dirait que ce sont des âmes jumelles dont l'innocence fraternelle se reconnait du premier regard. Et c'est à propos d'une enfant qu'il me revient en l'esprit une petite anecdote qui ne sortira jamais de ma mémoire.

La soeur de l'une de nos Religieuses arriva un jour ici, accompagnée de sa petite fille, âgée d'environ six à sept ans. C'était du temps de notre Révérende Mère Joséphine Imbert. Cette dame (elle se nommait Mme Darfeuille), avait un immense désir de voir Bernadette, alors malade et alitée; mais la Mère générale qui respectait avec tant de sollicitude chez notre bien aimée Soeur l'amour profond de la retraite, ne crut point devoir accorder la permission demandée. Grand chagrin de Mme Darfeuille. Notre bonne Supérieure en eut pitié.

« — Eh bien, lui dit-elle, pour vous consoler un peu, je permets à votre chère fillette d'aller la visiter un instant. »

Et voilà la petite Madeleine montant, conduite par moi, l'escalier de l'Infirmerie.

L'enfant, apercevant Bernadette dans son lit, s'arrête sur le seuil toute charmée et joint les mains comme devant l'autel ou l'image des Saints, immobile, recueillie, les yeux dans la joie.

La soeur Marie-Bernard l'appelle aussitôt, et la fait s'approcher du lit. Puis elle lui met la main sur la tête, et la caresse affectueusement.

La petite fille, après avoir embrassé Bernadette, croise de nouveau ses doigts dans l'attitude de la contemplation et s'enhardit à lui parler:

— Ma soeur, vous avez vu la sainte Vierge?

— Oui.

— Et était-elle bien belle?

Le rayon du souvenir a illuminé le visage de notre Soeur.

— Si belle, a-t-elle répondu à voix basse et d'un accent indéfinissable dont je suis encore tout émue en me le rappelant, si belle que, quand on l'a vue une fois, il tarde de mourir pour la revoir encore!...

L'enfant, gardant constamment ses mains jointes avec ferveur, à repris après un moment de silence:

— Ma soeur, je voudrais bien que vous la priiez pour moi.

— Très volontiers, chère petite! mais vous, à votre tour, vous la prierez pour moi.

La petite fille ne s'en allait point.

— Ma soeur, maman aussi voudrait beaucoup que vous priiez pour elle.

— Eh bien, je prierai aussi pour votre maman, a répondu Bernadette touchée.

Et la jeune Madeleine est alors sortie, mais toujours les mains jointes, et marchant à reculons pour voir notre Soeur plus longtemps.

— Sous cent formes diverses la même histoire s'est reproduite, remarquait une autre Soeur. Plus d'une fois je suis allée avec Bernadette à notre Salle d'Asile, où les enfants ignoraient entièrement que ce fût là la Voyante de Lourdes. Que se passait-il cependant?

Quand au-dessus d'un amas d'aiguilles à coudre, on promène une pierre d'aimant, voilà que toutes les aiguilles s'agitent, s'efforcent, se heurtent, se soulèvent et finissent par se pendre en grappe ou en faisceau contre l'aimant irrésistible. Telle, soeur Marie-Bernard arrivant dans la Salle d'asile. A peine étions-nous entrées que c'était une agitation extraordinaire dans tout ce petit monde, qui quittait l'un après l'autre ses jeux, et qui venait s'attacher à sa robe et faire essaim autour d'elle.

Elle-même d'ailleurs fut toujours une enfant, aimant à jouer, à plaisanter, à courir.

Par un hasard singulier elle était la plus petite de la Communauté. Et elle en était aussi la plus alerte et la plus vive.

La plus grande s'étant trouvée à côté d'elle à la récréation, il leur prit envie de lutter à la course. Et les voilà toutes deux s'élançant dans l'allée qui conduit à la fontaine de Notre-Dame des Eaux. L'une faisait des enjambées immenses; mais les pieds de Bernadette avaient des ailes et elle était arrivée au but que sa compagne était à peine à moitié chemin...

Hélas! mais en même temps son coeur palpitait violemment et elle crachait le sang!

Sa santé, en effet, était des plus fragiles et sa poitrine très-faible. Son asthme s'était développé, et elle toussait beaucoup... Elle était frêle, délicate, incapable par conséquent de tout travail fatigant.

Successivement elle fut chargée des fonctions d'infirmière et de sacristine. Elle était Marthe et Marie. A la sacristie, elle instruisait les enfants de choeur, veillait au linge et aux fleurs des autels. A l'infirmerie, elle excellait a soigner ses compagnes malades, à panser leur corps, à réconforter leur âme, à les égayer, à les charmer. C'était, dans la salle de douleurs, un perpétuel rayon du Ciel.

Devenue fort habile dans la connaissance des remèdes et dans l'art de les appliquer, elle était pour le Docteur un coopérateur des plus intelligents, des plus dévoués, des plus précieux.

Pendant ce temps-là la Libre Pensée, stupéfaite et exaspérée du mouvement immense qui se produisait vers Notre-Dame de Lourdes, diffamait l'humble Religieuse et imprimait audacieusement qu'elle était enfermée comme folle. Et il advint même que, voulant savoir à quoi s'en tenir, un homme de science, M. le docteur Damoiseau, président de la Société des médecins du département de l'Orne, écrivit à son éminent collègue, M. le docteur Robert Saint-Cyr, président de la Société des médécins de la Nièvre, pour le prier de s'informer soigneusement de la vérité sur ce point et de lui transmettre un renseignement positif. Il reçut la réponse suivante:

Nevers, 5 septembre 1872

Mon cher Confrère,

Vous ne pouviez mieux vous adresser pour avoir sur la jeune fille de Lourdes, aujourd'hui soeur Marie-Bernard, les renseignements que vous désirez.

Médecin de la communauté, j'ai donné des soins pendant longtemps à cette jeune Soeur, dont la santé très délicate nous a causé de vives inquiétudes.

Aujourd'hui cet état s'est amélioré; et, de malade, elle est devenue mon infirmière, s'acquittant dans la perfection de sa besogne.

Petite, d'apparence chétive, elle a vingt-huit ans. Nature calme et douce, elle soigne ses malades avec beaucoup d'intelligence, et sans rien omettre des prescriptions faites; aussi jouit-elle sur elles d'une grande autorité, et de ma part d'une grande confiance.

Vous voyez, mon cher Confrère, que cette jeune Soeur est bien loin d'être aliénée. Je dirai mieux: sa nature calme, simple et douce ne la dispose pas le moins du monde à glisser de ce côté.

Je suis heureux, mon cher Confrère, de cette occasion de causer avec vous et de vous être agréable, en vous fournissant les renseignements demandés, etc.

Signé: Robert Saint-Cyr

Président de la Société des médecins de la Nièvre.

Tantôt à l'infirmerie pour le soin des malades, tantôt à la chapelle pour le service du culte divin, Bernadette réalisait donc tour à tour, sous ces deux formes, le grand commandement de la loi: « Vous aimerez le Seigneur votre Dieu de tout votre coeur, de toutes vos forces, de toute votre âme, et votre prochain comme vous-même. »

Tout près de la sacristie est un petit parterre où croissent les fleurs destinées aux autels. Bernadette les soignait avec amour.

Parfois on la voyait passer, revenant de la fontaine et portant, comme Rebecca ou Rachel, un vase d'eau fraîche et pure dont elle arrosait autour d'elle la terre sèche et les fleurs altérées. Symbolique travail et rustique labeur dans lequel soeur Marie-Bernard était vraiment la saisissante image d'elle-même.

Quelle avait été en effet et quelle était sa vie? Aujourd'hui, à'Saint-Gildard et dans l'ombre du cloître, elle employait une part de ses jours à puiser, dans la divine source du Tabernacle, les trésors de la grâce et de la vérité; et puis, au chevet des malades et dans tout l'enclos du jardin fermé, elle les répandait autour d'elle. Et jadis à Lourdes, dans la lumière du monde, aux Roches de Massabielle, n'avait-elle pas puisé aussi les mêmes trésors limpides, et fait couler ensuite sur les âmes affligées et parmi nos plaines arides des flots de rafraîchissement, de consolation et de paix?... Allez, allez, ô Bernadette, vous êtes bien l'image de vous-même lorsque vous passez de la sorte, apportant à la terre qui a soif la Source qui désaltère, et tenant en vos mains le vase d'eau fraîche et pure, ainsi que Rachel et Rébecca!... Tous le disent de vous et vous êtes la seule à ne pas l'entendre. Tous le pensent, tous le savent, tous le voient et vous êtes la seule à l'ignorer!

Chaque jour, sans exception, à moins d'être malade, Bernadette faisait dans la chapelle l'exercice du Chemin de la Croix. Elle restait souvent très longtemps prosternée devant l'autel de la Sainte Vierge, autel qu'elle aimait particulièrement à orner de fleurs et à parer avec une filiale sollicitude.

Elle priait... Pour elle-même? Oui, sans doute, et avec tremblement, car plus que personne elle croyait avoir besoin du secours et du pardon divin : ce coeur innocent et juste, avait l'humilité du Publicain. Mais ayant imploré pour elle-même, elle priait ardemment et sans cesse, pour tous ceux qui ont failli, pour tous ceux qui sont, hélas! hors de la voie et de la vie.

Depuis que les lèvres immaculées de Marie lui avaient donné cet ordre: « Priez pour les pécheurs, » elle n'avait cessé de consacrer à la conversion des âmes égarées toutes ses supplications à Dieu, et le mérite, quel qu'il fût, de ses souffrances et de toutes ses oeuvres. Le salut des pécheurs était sa grande et quotidienne préoccupation.

« — Assurément, disait-elle, je m'intéresse aux âmes du Purgatoire. Mais enfin, elles sont sûres de leur bonheur, de la possession de Dieu. Ce n'est pour elles qu'une question de temps. Tandis que les pécheurs, ceux qui vivent en état de péché mortel, sont abolument sur le bord de l'abîme, et peuvent périr à jamais... Ce sont ceux-là qui sont en danger et qui ont besoin d'assistance, surtout aux heures de l'agonie, quand tout va devenir irrévocable. »

Lorsque le voile qui nous cache toutes choses sera écarté et que se lèvera la clarté du Jugement universel, combien parmi les Elus qui seront à la droite après avoir vécu longtemps à la gauche, combien s'apercevront peut-être qu'ils n'ont dû leur salut qu'aux mystérieux effets de telle prière, murmurée dans le secret de sa cellule, par une humble Religieuse qu'ils ne connurent jamais. Quelle gratitude montera alors dans les coeurs pour ce bienfait infini dont l'auteur sera ainsi révélé pour la première fois!... Et en ce moment, sans doute, nous en avons l'espérance, Bernadette resplendira d'un éclat nouveau.


Livre 3 – La Vie Cachée et la Mort (4) Buch 3 - Das verborgene Leben und der Tod (4)

Après son entrée à Saint-Gildard comme auparavant, l'aspect de Bernadette et l'accent de sa parole suffisaient en effet pour convaincre; et il n'est point étonnant que Mgr Dupanloup ait subi une telle impression.

— Ce rayonnement qui avait éclairé et captivé l'Évéque d'Orléans, remarquait l'une des Mères de la communauté, ce charme qui nous entraîne toutes vers elle, frappe surtout les enfants. Les enfants courent à Bernadette et Bernadette court aux enfants. On dirait que ce sont des âmes jumelles dont l'innocence fraternelle se reconnait du premier regard. Et c'est à propos d'une enfant qu'il me revient en l'esprit une petite anecdote qui ne sortira jamais de ma mémoire.

La soeur de l'une de nos Religieuses arriva un jour ici, accompagnée de sa petite fille, âgée d'environ six à sept ans. C'était du temps de notre Révérende Mère Joséphine Imbert. Cette dame (elle se nommait Mme Darfeuille), avait un immense désir de voir Bernadette, alors malade et alitée; mais la Mère générale qui respectait avec tant de sollicitude chez notre bien aimée Soeur l'amour profond de la retraite, ne crut point devoir accorder la permission demandée. Grand chagrin de Mme Darfeuille. Notre bonne Supérieure en eut pitié.

« — Eh bien, lui dit-elle, pour vous consoler un peu, je permets à votre chère fillette d'aller la visiter un instant. »

Et voilà la petite Madeleine montant, conduite par moi, l'escalier de l'Infirmerie.

L'enfant, apercevant Bernadette dans son lit, s'arrête sur le seuil toute charmée et joint les mains comme devant l'autel ou l'image des Saints, immobile, recueillie, les yeux dans la joie.

La soeur Marie-Bernard l'appelle aussitôt, et la fait s'approcher du lit. Puis elle lui met la main sur la tête, et la caresse affectueusement.

La petite fille, après avoir embrassé Bernadette, croise de nouveau ses doigts dans l'attitude de la contemplation et s'enhardit à lui parler:

— Ma soeur, vous avez vu la sainte Vierge?

— Oui.

— Et était-elle bien belle?

Le rayon du souvenir a illuminé le visage de notre Soeur.

— Si belle, a-t-elle répondu à voix basse et d'un accent indéfinissable dont je suis encore tout émue en me le rappelant, si belle que, quand on l'a vue une fois, il tarde de mourir pour la revoir encore!...

L'enfant, gardant constamment ses mains jointes avec ferveur, à repris après un moment de silence:

— Ma soeur, je voudrais bien que vous la priiez pour moi.

— Très volontiers, chère petite! mais vous, à votre tour, vous la prierez pour moi.

La petite fille ne s'en allait point.

— Ma soeur, maman aussi voudrait beaucoup que vous priiez pour elle.

— Eh bien, je prierai aussi pour votre maman, a répondu Bernadette touchée.

Et la jeune Madeleine est alors sortie, mais toujours les mains jointes, et marchant à reculons pour voir notre Soeur plus longtemps.

— Sous cent formes diverses la même histoire s'est reproduite, remarquait une autre Soeur. Plus d'une fois je suis allée avec Bernadette à notre Salle d'Asile, où les enfants ignoraient entièrement que ce fût là la Voyante de Lourdes. Que se passait-il cependant?

Quand au-dessus d'un amas d'aiguilles à coudre, on promène une pierre d'aimant, voilà que toutes les aiguilles s'agitent, s'efforcent, se heurtent, se soulèvent et finissent par se pendre en grappe ou en faisceau contre l'aimant irrésistible. Telle, soeur Marie-Bernard arrivant dans la Salle d'asile. A peine étions-nous entrées que c'était une agitation extraordinaire dans tout ce petit monde, qui quittait l'un après l'autre ses jeux, et qui venait s'attacher à sa robe et faire essaim autour d'elle.

Elle-même d'ailleurs fut toujours une enfant, aimant à jouer, à plaisanter, à courir.

Par un hasard singulier elle était la plus petite de la Communauté. Et elle en était aussi la plus alerte et la plus vive.

La plus grande s'étant trouvée à côté d'elle à la récréation, il leur prit envie de lutter à la course. Et les voilà toutes deux s'élançant dans l'allée qui conduit à la fontaine de Notre-Dame des Eaux. L'une faisait des enjambées immenses; mais les pieds de Bernadette avaient des ailes et elle était arrivée au but que sa compagne était à peine à moitié chemin...

Hélas! mais en même temps son coeur palpitait violemment et elle crachait le sang!

Sa santé, en effet, était des plus fragiles et sa poitrine très-faible. Son asthme s'était développé, et elle toussait beaucoup... Elle était frêle, délicate, incapable par conséquent de tout travail fatigant.

Successivement elle fut chargée des fonctions d'infirmière et de sacristine. Elle était Marthe et Marie. A la sacristie, elle instruisait les enfants de choeur, veillait au linge et aux fleurs des autels. A l'infirmerie, elle excellait a soigner ses compagnes malades, à panser leur corps, à réconforter leur âme, à les égayer, à les charmer. C'était, dans la salle de douleurs, un perpétuel rayon du Ciel.

Devenue fort habile dans la connaissance des remèdes et dans l'art de les appliquer, elle était pour le Docteur un coopérateur des plus intelligents, des plus dévoués, des plus précieux.

Pendant ce temps-là la Libre Pensée, stupéfaite et exaspérée du mouvement immense qui se produisait vers Notre-Dame de Lourdes, diffamait l'humble Religieuse et imprimait audacieusement qu'elle était enfermée comme folle. Et il advint même que, voulant savoir à quoi s'en tenir, un homme de science, M. le docteur Damoiseau, président de la Société des médecins du département de l'Orne, écrivit à son éminent collègue, M. le docteur Robert Saint-Cyr, président de la Société des médécins de la Nièvre, pour le prier de s'informer soigneusement de la vérité sur ce point et de lui transmettre un renseignement positif. Il reçut la réponse suivante:

Nevers, 5 septembre 1872

Mon cher Confrère,

Vous ne pouviez mieux vous adresser pour avoir sur la jeune fille de Lourdes, aujourd'hui soeur Marie-Bernard, les renseignements que vous désirez.

Médecin de la communauté, j'ai donné des soins pendant longtemps à cette jeune Soeur, dont la santé très délicate nous a causé de vives inquiétudes.

Aujourd'hui cet état s'est amélioré; et, de malade, elle est devenue mon infirmière, s'acquittant dans la perfection de sa besogne.

Petite, d'apparence chétive, elle a vingt-huit ans. Nature calme et douce, elle soigne ses malades avec beaucoup d'intelligence, et sans rien omettre des prescriptions faites; aussi jouit-elle sur elles d'une grande autorité, et de ma part d'une grande confiance.

Vous voyez, mon cher Confrère, que cette jeune Soeur est bien loin d'être aliénée. Je dirai mieux: sa nature calme, simple et douce ne la dispose pas le moins du monde à glisser de ce côté.

Je suis heureux, mon cher Confrère, de cette occasion de causer avec vous et de vous être agréable, en vous fournissant les renseignements demandés, etc.

Signé: Robert Saint-Cyr

Président de la Société des médecins de la Nièvre.

Tantôt à l'infirmerie pour le soin des malades, tantôt à la chapelle pour le service du culte divin, Bernadette réalisait donc tour à tour, sous ces deux formes, le grand commandement de la loi: « Vous aimerez le Seigneur votre Dieu de tout votre coeur, de toutes vos forces, de toute votre âme, et votre prochain comme vous-même. »

Tout près de la sacristie est un petit parterre où croissent les fleurs destinées aux autels. Bernadette les soignait avec amour.

Parfois on la voyait passer, revenant de la fontaine et portant, comme Rebecca ou Rachel, un vase d'eau fraîche et pure dont elle arrosait autour d'elle la terre sèche et les fleurs altérées. Symbolique travail et rustique labeur dans lequel soeur Marie-Bernard était vraiment la saisissante image d'elle-même.

Quelle avait été en effet et quelle était sa vie? Aujourd'hui, à'Saint-Gildard et dans l'ombre du cloître, elle employait une part de ses jours à puiser, dans la divine source du Tabernacle, les trésors de la grâce et de la vérité; et puis, au chevet des malades et dans tout l'enclos du jardin fermé, elle les répandait autour d'elle. Et jadis à Lourdes, dans la lumière du monde, aux Roches de Massabielle, n'avait-elle pas puisé aussi les mêmes trésors limpides, et fait couler ensuite sur les âmes affligées et parmi nos plaines arides des flots de rafraîchissement, de consolation et de paix?... Allez, allez, ô Bernadette, vous êtes bien l'image de vous-même lorsque vous passez de la sorte, apportant à la terre qui a soif la Source qui désaltère, et tenant en vos mains le vase d'eau fraîche et pure, ainsi que Rachel et Rébecca!... Tous le disent de vous et vous êtes la seule à ne pas l'entendre. Tous le pensent, tous le savent, tous le voient et vous êtes la seule à l'ignorer!

Chaque jour, sans exception, à moins d'être malade, Bernadette faisait dans la chapelle l'exercice du Chemin de la Croix. Elle restait souvent très longtemps prosternée devant l'autel de la Sainte Vierge, autel qu'elle aimait particulièrement à orner de fleurs et à parer avec une filiale sollicitude.

Elle priait... Pour elle-même? Oui, sans doute, et avec tremblement, car plus que personne elle croyait avoir besoin du secours et du pardon divin : ce coeur innocent et juste, avait l'humilité du Publicain. Mais ayant imploré pour elle-même, elle priait ardemment et sans cesse, pour tous ceux qui ont failli, pour tous ceux qui sont, hélas! hors de la voie et de la vie.

Depuis que les lèvres immaculées de Marie lui avaient donné cet ordre: « __Priez pour les pécheurs__, » elle n'avait cessé de consacrer à la conversion des âmes égarées toutes ses supplications à Dieu, et le mérite, quel qu'il fût, de ses souffrances et de toutes ses oeuvres. Le salut des pécheurs était sa grande et quotidienne préoccupation.

« — Assurément, disait-elle, je m'intéresse aux âmes du Purgatoire. Mais enfin, elles sont sûres de leur bonheur, de la possession de Dieu. Ce n'est pour elles qu'une question de temps. Tandis que les pécheurs, ceux qui vivent en état de péché mortel, sont abolument sur le bord de l'abîme, et peuvent périr à jamais... Ce sont ceux-là qui sont en danger et qui ont besoin d'assistance, surtout aux heures de l'agonie, quand tout va devenir irrévocable. »

Lorsque le voile qui nous cache toutes choses sera écarté et que se lèvera la clarté du Jugement universel, combien parmi les Elus qui seront à la droite après avoir vécu longtemps à la gauche, combien s'apercevront peut-être qu'ils n'ont dû leur salut qu'aux mystérieux effets de telle prière, murmurée dans le secret de sa cellule, par une humble Religieuse qu'ils ne connurent jamais. Quelle gratitude montera alors dans les coeurs pour ce bienfait infini dont l'auteur sera ainsi révélé pour la première fois!... Et en ce moment, sans doute, nous en avons l'espérance, Bernadette resplendira d'un éclat nouveau.