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Lettres de mon moulin (Alphonse Daudet, 1887), LE SECRET DE MAÎTRE CORNILLE

LE SECRET DE MAÎTRE CORNILLE

Francet Mamaï, un vieux joueur de fifre, qui vient de temps en temps faire la veillée chez moi, en buvant du vin cuit, m'a raconté l'autre soir un petit drame de village dont mon moulin a été témoin il y a quelque vingt ans. Le récit du bonhomme m'a touché, et je vais essayer de vous le redire tel que je l'ai entendu. Imaginez-vous pour un moment, chers lecteurs, que vous êtes assis devant un pot de vin tout parfumé, et que c'est un vieux joueur de fifre qui vous parle. Notre pays, mon bon monsieur, n'a pas toujours été un endroit mort et sans renom, comme il est aujourd'hui. Autre temps, il s'y faisait un grand commerce de meunerie, et, dix lieues à la ronde, les gens des mas nous apportaient leur blé à moudre… Tout autour du village, les collines étaient couvertes de moulins à vent. De droite et de gauche on ne voyait que des ailes qui viraient au mistral par-dessus les pins, des ribambelles de petits ânes chargés de sacs, montant et dévalant le long des chemins ; et toute la semaine c'était plaisir d'entendre sur la hauteur le bruit des fouets, le craquement de la toile et le Dia hue ! des aides-meuniers… Le dimanche nous allions aux moulins, par bandes. Là-haut, les meuniers payaient le muscat. Les meunières étaient belles comme des reines, avec leurs fichus de dentelles et leurs croix d'or. Moi, j'apportais mon fifre, et jusqu'à la noire nuit on dansait des farandoles. Ces moulins-là, voyez-vous, faisaient la joie et la richesse de notre pays.

Malheureusement, des Français de Paris eurent l'idée d'établir une minoterie à vapeur, sur la route de Tarascon. Tout beau, tout nouveau ! Les gens prirent l'habitude d'envoyer leurs blés aux minotiers, et les pauvres moulins à vent restèrent sans ouvrage. Pendant quelque temps ils essayèrent de lutter, mais la vapeur fut la plus forte, et l'un après l'autre, pécaïre ! ils furent tous obligés de fermer… On ne vit plus venir les petits ânes… Les belles meunières vendirent leurs croix d'or… Plus de muscat ! plus de farandole !… Le mistral avait beau souffler, les ailes restaient immobiles… Puis, un beau jour, la commune fit jeter toutes ces masures à bas, et l'on sema à leur place de la vigne et des oliviers. Pourtant, au milieu de la débâcle, un moulin avait tenu bon et continuait de virer courageusement sur sa butte, à la barbe des minotiers. C'était le moulin de maître Cornille, celui-là même où nous sommes en train de faire la veillée en ce moment. Maître Cornille était un vieux meunier, vivant depuis soixante ans dans la farine et enragé pour son état. L'installation des minoteries l'avait rendu comme fou. Pendant huit jours, on le vit courir par le village, ameutant le monde autour de lui et criant de toutes ses forces qu'on voulait empoisonner la Provence avec la farine des minotiers. « N'allez pas là-bas, disait-il ; ces brigands-là, pour faire le pain, se servent de la vapeur, qui est une invention du diable, tandis que moi je travaille avec le mistral et la tramontane, qui sont la respiration du bon Dieu… » Et il trouvait comme cela une foule de belles paroles à la louange des moulins à vent, mais personne ne les écoutait. Alors, de male rage, le vieux s'enferma dans son moulin et vécut tout seul comme une bête farouche. Il ne voulut pas même garder près de lui sa petite-fille Vivette, une enfant de quinze ans, qui, depuis la mort de ses parents, n'avait plus que son grand au monde. La pauvre petite fut obligée de gagner sa vie et de se louer un peu partout dans les mas, pour la moisson, les magnans ou les olivades. Et pourtant son grand-père avait l'air de bien l'aimer, cette enfant-là. Il lui arrivait souvent de faire ses quatre lieues à pied par le grand soleil pour aller la voir au mas où elle travaillait, et quand il était près d'elle, il passait des heures entières à la regarder en pleurant… Dans le pays on pensait que le vieux meunier, en renvoyant Vivette avait agi par avarice ; et cela ne lui faisait pas honneur de laisser sa petite-fille ainsi traîner d'une ferme à l'autre, exposée aux brutalités des baïles et à toutes les misères des jeunesses en condition. On trouvait très mal aussi qu'un homme du renom de maître Cornille, et qui, jusque-là, s'était respecté, s'en allât maintenant par les rues comme un vrai bohémien, pieds nus, le bonnet troué, la taillole en lambeaux… Le fait est que le dimanche, lorsque nous le voyions entrer à la messe, nous avions honte pour lui, nous autres les vieux ; et Cornille le sentait si bien qu'il n'osait plus venir s'asseoir sur le banc d'œuvre. Toujours il restait au fond de l'église, près du bénitier, avec les pauvres. Dans la vie de maître Cornille il y avait quelque chose qui n'était pas clair. Depuis longtemps personne, au village, ne lui portait plus de blé, et pourtant les ailes de son moulin allaient toujours leur train comme devant… Le soir, on rencontrait par les chemins le vieux meunier poussant devant lui son âne chargé de gros sacs de farine.

— Bonnes vêpres, maître Cornille ! lui criaient les paysans ; ça va donc toujours, la meunerie.

— Toujours, mes enfants, répondait le vieux d'un air gaillard. Dieu merci, ce n'est pas l'ouvrage qui nous manque. Alors, si on lui demandait d'où diable pouvait venir tant d'ouvrage, il se mettait un doigt sur les lèvres et répondait gravement : « Motus ! je travaille pour l'exportation… » Jamais on n'en put tirer davantage. Quant à mettre le nez dans son moulin, il n'y fallait pas songer. La petite Vivette elle-même n'y entrait pas… Lorsqu'on passait devant, on voyait la porte toujours fermée, les grosses ailes toujours en mouvement, le vieil âne broutant le gazon de la plate-forme, et un grand chat maigre qui prenait le soleil sur le rebord de la fenêtre et vous regardait d'un air méchant. Tout cela sentait le mystère et faisait beaucoup jaser le monde. Chacun expliquait à sa façon le secret de maître Cornille, mais le bruit général était qu'il y avait dans ce moulin-là encore plus de sacs d'écus que de sacs de farine. À la longue pourtant tout se découvrit ; voici comment :

En faisant danser la jeunesse avec mon fifre, je m'aperçus un beau jour que l'aîné de mes garçons et la petite Vivette s'étaient rendus amoureux l'un de l'autre. Au fond je n'en fus pas fâché, parce qu'après tout le nom de Cornille était en honneur chez nous, et puis ce joli petit passereau de Vivette m'aurait fait plaisir à voir trotter dans ma maison. Seulement, comme nos amoureux avaient souvent occasion d'être ensemble, je voulus, de peur d'accidents, régler l'affaire tout de suite, et je montai jusqu'au moulin pour en toucher deux mots au grand-père… Ah ! le vieux sorcier ! il faut voir de quelle manière il me reçut ! Impossible de lui faire ouvrir sa porte. Je lui expliquai mes raisons tant bien que mal, à travers le trou de la serrure ; et tout le temps que je parlais, il y avait ce coquin de chat maigre qui soufflait comme un diable au-dessus de ma tête.

Le vieux ne me donna pas le temps de finir, et me cria fort malhonnêtement de retourner à ma flûte ; que, si j'étais pressé de marier mon garçon, je pouvais bien aller chercher des filles à la minoterie… Pensez que le sang me montait d'entendre ces mauvaises paroles ; mais j'eus tout de même assez de sagesse pour me contenir, et, laissant ce vieux fou à sa meule, je revins annoncer aux enfants ma déconvenue… Ces pauvres agneaux ne pouvaient pas y croire ; ils me demandèrent comme une grâce de monter tous deux ensemble au moulin, pour parler au grand-père… Je n'eus pas le courage de refuser, et prrrt ! voilà mes amoureux partis.

Tout juste comme ils arrivaient là-haut, maître Cornille venait de sortir. La porte était fermée à double tour ; mais le vieux bonhomme, en partant, avait laissé son échelle dehors, et tout de suite l'idée vint aux enfants d'entrer par la fenêtre, voir un peu ce qu'il y avait dans ce fameux moulin… Chose singulière ! la chambre de la meule était vide… Pas un sac, pas un grain de blé ; pas la moindre farine aux murs ni sur les toiles d'araignée… On ne sentait pas même cette bonne odeur chaude de froment écrasé qui embaume dans les moulins… L'arbre de couche était couvert de poussière, et le grand chat maigre dormait dessus. La pièce du bas avait le même air de misère et d'abandon : — un mauvais lit, quelques guenilles, un morceau de pain sur une marche d'escalier, et puis dans un coin trois ou quatre sacs crevés d'où coulaient des gravats et de la terre blanche. C'était là le secret de maître Cornille ! C'était ce plâtras qu'il promenait le soir par les routes, pour sauver l'honneur du moulin et faire croire qu'on y faisait de la farine… Pauvre moulin ! Pauvre Cornille ! Depuis longtemps les minotiers leur avaient enlevé leur dernière pratique. Les ailes viraient toujours, mais la meule tournait à vide.

Les enfants revinrent tout en larmes, me conter ce qu'ils avaient vu. J'eus le cœur crevé de les entendre… Sans perdre une minute, je courus chez les voisins, je leur dis la chose en deux mots, et nous convînmes qu'il fallait, sur l'heure, porter au moulin Cornille tout ce qu'il y avait de froment dans les maisons… Sitôt dit, sitôt fait. Tout le village se met en route, et nous arrivons là-haut avec une procession d'ânes chargés de blé, — du vrai blé, celui-là ! Le moulin était grand ouvert… Devant la porte, maître Cornille, assis sur un sac de plâtre, pleurait, la tête dans ses mains. Il venait de s'apercevoir, en rentrant, que pendant son absence on avait pénétré chez lui et surpris son triste secret. — Pauvre de moi ! disait-il. Maintenant, je n'ai plus qu'à mourir… Le moulin est déshonoré. Et il sanglotait à fendre l'âme, appelant son moulin par toutes sortes de noms, lui parlant comme à une personne véritable. À ce moment, les ânes arrivent sur la plate-forme, et nous nous mettons tous à crier bien fort comme au beau temps des meuniers :

— Ohé ! du moulin !… Ohé ! maître Cornille !

Et voilà les sacs qui s'entassent devant la porte et le beau grain roux qui se répand par terre, de tous côtés… Maître Cornille ouvrait de grands yeux. Il avait pris du blé dans le creux de sa vieille main et il disait, riant et pleurant à la fois :

— C'est du blé !… Seigneur Dieu !… Du bon blé !… Laissez-moi, que je le regarde. Puis, se tournant vers nous :

— Ah ! je savais bien que vous me reviendriez… Tous ces minotiers sont des voleurs.

Nous voulions l'emporter en triomphe au village : — Non, non, mes enfants ; il faut avant tout que j'aille donner à manger à mon moulin… Pensez donc ! il y a si longtemps qu'il ne s'est rien mis sous la dent ! Et nous avions tous des larmes dans les yeux de voir le pauvre vieux se démener de droite et de gauche, éventrant les sacs, surveillant la meule, tandis que le grain s'écrasait et que la fine poussière de froment s'envolait au plafond. C'est une justice à nous rendre : à partir de ce jour-là, jamais nous ne laissâmes le vieux meunier manquer d'ouvrage. Puis, un matin, maître Cornille mourut, et les ailes de notre dernier moulin cessèrent de virer, pour toujours cette fois… Cornille mort, personne ne prit sa suite. Que voulez-vous, monsieur !… tout a une fin en ce monde, et il faut croire que le temps des moulins à vent était passé comme celui des coches sur le Rhône, des parlements et des jaquettes à grandes fleurs.


LE SECRET DE MAÎTRE CORNILLE

Francet Mamaï, un vieux joueur de fifre, qui vient de temps en temps faire la veillée chez moi, en buvant du vin cuit, m'a raconté l'autre soir un petit drame de village dont mon moulin a été témoin il y a quelque vingt ans. Francet Mamaï, an old fife player, who comes from time to time to keep an evening at my house, drinking stewed wine, told me the other evening of a little village drama that my mill witnessed some time ago. twenty years. Le récit du bonhomme m'a touché, et je vais essayer de vous le redire tel que je l'ai entendu. Imaginez-vous pour un moment, chers lecteurs, que vous êtes assis devant un pot de vin tout parfumé, et que c'est un vieux joueur de fifre qui vous parle. Imagine for a moment, dear readers, that you are sitting in front of a fragrant bribe, and that an old fife player is talking to you. Notre pays, mon bon monsieur, n'a pas toujours été un endroit mort et sans renom, comme il est aujourd'hui. Autre temps, il s'y faisait un grand commerce de meunerie, et, dix lieues à la ronde, les gens des mas nous apportaient leur blé à moudre… Tout autour du village, les collines étaient couvertes de moulins à vent. De droite et de gauche on ne voyait que des ailes qui viraient au mistral par-dessus les pins, des ribambelles de petits ânes chargés de sacs, montant et dévalant le long des chemins ; et toute la semaine c'était plaisir d'entendre sur la hauteur le bruit des fouets, le craquement de la toile et le Dia hue ! des aides-meuniers… Le dimanche nous allions aux moulins, par bandes. Là-haut, les meuniers payaient le muscat. Les meunières étaient belles comme des reines, avec leurs fichus de dentelles et leurs croix d'or. Moi, j'apportais mon fifre, et jusqu'à la noire nuit on dansait des farandoles. Ces moulins-là, voyez-vous, faisaient la joie et la richesse de notre pays.

Malheureusement, des Français de Paris eurent l'idée d'établir une minoterie à vapeur, sur la route de Tarascon. Tout beau, tout nouveau ! Les gens prirent l'habitude d'envoyer leurs blés aux minotiers, et les pauvres moulins à vent restèrent sans ouvrage. Pendant quelque temps ils essayèrent de lutter, mais la vapeur fut la plus forte, et l'un après l'autre, pécaïre ! ils furent tous obligés de fermer… On ne vit plus venir les petits ânes… Les belles meunières vendirent leurs croix d'or… Plus de muscat ! plus de farandole !… Le mistral avait beau souffler, les ailes restaient immobiles… Puis, un beau jour, la commune fit jeter toutes ces masures à bas, et l'on sema à leur place de la vigne et des oliviers. Pourtant, au milieu de la débâcle, un moulin avait tenu bon et continuait de virer courageusement sur sa butte, à la barbe des minotiers. C'était le moulin de maître Cornille, celui-là même où nous sommes en train de faire la veillée en ce moment. Maître Cornille était un vieux meunier, vivant depuis soixante ans dans la farine et enragé pour son état. L'installation des minoteries l'avait rendu comme fou. Pendant huit jours, on le vit courir par le village, ameutant le monde autour de lui et criant de toutes ses forces qu'on voulait empoisonner la Provence avec la farine des minotiers. « N'allez pas là-bas, disait-il ; ces brigands-là, pour faire le pain, se servent de la vapeur, qui est une invention du diable, tandis que moi je travaille avec le mistral et la tramontane, qui sont la respiration du bon Dieu… » Et il trouvait comme cela une foule de belles paroles à la louange des moulins à vent, mais personne ne les écoutait. Alors, de male rage, le vieux s'enferma dans son moulin et vécut tout seul comme une bête farouche. Il ne voulut pas même garder près de lui sa petite-fille Vivette, une enfant de quinze ans, qui, depuis la mort de ses parents, n'avait plus que son grand au monde. He did not even want to keep near him his granddaughter Vivette, a fifteen-year-old child, who, since the death of her parents, had only her grown-up in the world. La pauvre petite fut obligée de gagner sa vie et de se louer un peu partout dans les mas, pour la moisson, les magnans ou les olivades. The poor little one was obliged to earn a living and to rent herself a little everywhere in the farmhouses, for the harvest, the magnans or the olivades. Et pourtant son grand-père avait l'air de bien l'aimer, cette enfant-là. And yet her grandfather seemed to like her a lot, that child. Il lui arrivait souvent de faire ses quatre lieues à pied par le grand soleil pour aller la voir au mas où elle travaillait, et quand il était près d'elle, il passait des heures entières à la regarder en pleurant… It often happened that he walked four leagues in the bright sun to see her at the farmhouse where she worked, and when he was near her, he spent whole hours looking at her, crying ... Dans le pays on pensait que le vieux meunier, en renvoyant Vivette avait agi par avarice ; et cela ne lui faisait pas honneur de laisser sa petite-fille ainsi traîner d'une ferme à l'autre, exposée aux brutalités des baïles et à toutes les misères des jeunesses en condition. In the country it was believed that the old miller, in dismissing Vivette, had acted out of avarice; and it did him no honor to let his granddaughter thus hang around from one farm to another, exposed to the brutalities of the bales and to all the miseries of young people in condition. On trouvait très mal aussi qu'un homme du renom de maître Cornille, et qui, jusque-là, s'était respecté, s'en allât maintenant par les rues comme un vrai bohémien, pieds nus, le bonnet troué, la taillole en lambeaux… Le fait est que le dimanche, lorsque nous le voyions entrer à la messe, nous avions honte pour lui, nous autres les vieux ; et Cornille le sentait si bien qu'il n'osait plus venir s'asseoir sur le banc d'œuvre. It was also found very badly that a man of the renown of Master Cornille, and who until then had respected himself, would now go through the streets like a true gypsy, barefoot, his cap with holes in his cap, his waist in shreds… The fact is that on Sundays, when we saw him go to mass, we were ashamed for him, us old people; and Cornille felt it so well that he no longer dared to come and sit down on the bench. Toujours il restait au fond de l'église, près du bénitier, avec les pauvres. He always stayed at the back of the church, near the holy water font, with the poor. Dans la vie de maître Cornille il y avait quelque chose qui n'était pas clair. There was something in Master Cornille's life that was not clear. Depuis longtemps personne, au village, ne lui portait plus de blé, et pourtant les ailes de son moulin allaient toujours leur train comme devant… Le soir, on rencontrait par les chemins le vieux meunier poussant devant lui son âne chargé de gros sacs de farine. No one in the village had brought him wheat for a long time, and yet the wings of his mill were still going as they were before ... In the evening, we met the old miller along the roads pushing his donkey loaded with large sacks of flour in front of him. .

— Bonnes vêpres, maître Cornille ! - Good vespers, Master Cornille! lui criaient les paysans ; ça va donc toujours, la meunerie.

— Toujours, mes enfants, répondait le vieux d'un air gaillard. Dieu merci, ce n'est pas l'ouvrage qui nous manque. Thank goodness we are not lacking the book. Alors, si on lui demandait d'où diable pouvait venir tant d'ouvrage, il se mettait un doigt sur les lèvres et répondait gravement : « Motus ! So, if someone asked him where the devil could come from so much work, he would put a finger to his lips and answer gravely: "Motus!" je travaille pour l'exportation… » Jamais on n'en put tirer davantage. I work for export… ”We could never get more out of it. Quant à mettre le nez dans son moulin, il n'y fallait pas songer. As for sticking your nose into your mill, it was not to be thought of. La petite Vivette elle-même n'y entrait pas… Little Vivette herself did not enter ... Lorsqu'on passait devant, on voyait la porte toujours fermée, les grosses ailes toujours en mouvement, le vieil âne broutant le gazon de la plate-forme, et un grand chat maigre qui prenait le soleil sur le rebord de la fenêtre et vous regardait d'un air méchant. As we walked past, we saw the door still closed, the big wings still moving, the old donkey grazing the grass of the platform, and a tall, skinny cat sunning on the windowsill and looking at you. nastily. Tout cela sentait le mystère et faisait beaucoup jaser le monde. It all smacked of mystery and made the world talk a lot. Chacun expliquait à sa façon le secret de maître Cornille, mais le bruit général était qu'il y avait dans ce moulin-là encore plus de sacs d'écus que de sacs de farine. Each one explained in his own way the secret of Master Cornille, but the general rumor was that there were in this mill even more bags of crowns than bags of flour. À la longue pourtant tout se découvrit ; voici comment : In the long run, however, everything was discovered; here's how :

En faisant danser la jeunesse avec mon fifre, je m'aperçus un beau jour que l'aîné de mes garçons et la petite Vivette s'étaient rendus amoureux l'un de l'autre. While making the youth dance with my fife, I noticed one fine day that the eldest of my boys and little Vivette had fallen in love with each other. Au fond je n'en fus pas fâché, parce qu'après tout le nom de Cornille était en honneur chez nous, et puis ce joli petit passereau de Vivette m'aurait fait plaisir à voir trotter dans ma maison. Basically I was not sorry, because after all the name of Cornille was in honor with us, and then this pretty little sparrow of Vivette would have made me happy to see trotting in my house. Seulement, comme nos amoureux avaient souvent occasion d'être ensemble, je voulus, de peur d'accidents, régler l'affaire tout de suite, et je montai jusqu'au moulin pour en toucher deux mots au grand-père… Ah ! Only, as our lovers often had occasion to be together, I wanted, for fear of accidents, to settle the matter immediately, and I went up to the mill to say two words to the grandfather… Ah! le vieux sorcier ! il faut voir de quelle manière il me reçut ! you have to see how he received me! Impossible de lui faire ouvrir sa porte. Je lui expliquai mes raisons tant bien que mal, à travers le trou de la serrure ; et tout le temps que je parlais, il y avait ce coquin de chat maigre qui soufflait comme un diable au-dessus de ma tête. I explained my reasons as best I could, through the keyhole; and the whole time I was talking there was this skinny cat rascal hissing like hell above my head.

Le vieux ne me donna pas le temps de finir, et me cria fort malhonnêtement de retourner à ma flûte ; que, si j'étais pressé de marier mon garçon, je pouvais bien aller chercher des filles à la minoterie… Pensez que le sang me montait d'entendre ces mauvaises paroles ; mais j'eus tout de même assez de sagesse pour me contenir, et, laissant ce vieux fou à sa meule, je revins annoncer aux enfants ma déconvenue… Ces pauvres agneaux ne pouvaient pas y croire ; ils me demandèrent comme une grâce de monter tous deux ensemble au moulin, pour parler au grand-père… Je n'eus pas le courage de refuser, et prrrt ! The old man did not give me time to finish, and very dishonestly called me to return to my flute; that, if I was in a hurry to get my boy married, I could go and find girls at the flour mill ... Think that my blood rose to hear these bad words; but all the same I had enough wisdom to contain myself, and, leaving this old fool to his grindstone, I returned to tell the children my disappointment… These poor lambs could not believe it; they asked me as a grace to go up together to the mill, to speak to the grandfather… I did not have the courage to refuse, and ready! voilà mes amoureux partis.

Tout juste comme ils arrivaient là-haut, maître Cornille venait de sortir. Just as they got there, Maitre Cornille had just left. La porte était fermée à double tour ; mais le vieux bonhomme, en partant, avait laissé son échelle dehors, et tout de suite l'idée vint aux enfants d'entrer par la fenêtre, voir un peu ce qu'il y avait dans ce fameux moulin… The door was double locked; but the old fellow, when he left, had left his ladder outside, and immediately the children had the idea to enter through the window, to see what was in this famous mill ... Chose singulière ! la chambre de la meule était vide… Pas un sac, pas un grain de blé ; pas la moindre farine aux murs ni sur les toiles d'araignée… On ne sentait pas même cette bonne odeur chaude de froment écrasé qui embaume dans les moulins… L'arbre de couche était couvert de poussière, et le grand chat maigre dormait dessus. the chamber of the millstone was empty… Not a sack, not a grain of wheat; not the slightest flour on the walls or on the cobwebs… We did not even smell that good, warm smell of crushed wheat which smells in the mills… The couch tree was covered with dust, and the big, thin cat was sleeping on it. La pièce du bas avait le même air de misère et d'abandon : — un mauvais lit, quelques guenilles, un morceau de pain sur une marche d'escalier, et puis dans un coin trois ou quatre sacs crevés d'où coulaient des gravats et de la terre blanche. The lower room had the same air of misery and abandonment: - a bad bed, a few rags, a piece of bread on a staircase, and then in a corner three or four punctured sacks from which were flowing rubble and white earth. C'était là le secret de maître Cornille ! That was Master Cornille's secret! C'était ce plâtras qu'il promenait le soir par les routes, pour sauver l'honneur du moulin et faire croire qu'on y faisait de la farine… Pauvre moulin ! It was this plaster that he walked along the roads in the evening, to save the honor of the mill and make people believe that they were making flour there… Poor mill! Pauvre Cornille ! Depuis longtemps les minotiers leur avaient enlevé leur dernière pratique. For a long time the millers had deprived them of their last practice. Les ailes viraient toujours, mais la meule tournait à vide. The wings were still veering, but the grindstone was spinning empty.

Les enfants revinrent tout en larmes, me conter ce qu'ils avaient vu. The children came back in tears, telling me what they had seen. J'eus le cœur crevé de les entendre… Sans perdre une minute, je courus chez les voisins, je leur dis la chose en deux mots, et nous convînmes qu'il fallait, sur l'heure, porter au moulin Cornille tout ce qu'il y avait de froment dans les maisons… Sitôt dit, sitôt fait. My heart was broken to hear them ... Without wasting a minute, I ran to the neighbors, I told them the thing in two words, and we agreed that it was necessary, on the hour, to bring everything that we needed to the Cornille mill. 'there was wheat in the houses… As soon as said, immediately done. Tout le village se met en route, et nous arrivons là-haut avec une procession d'ânes chargés de blé, — du vrai blé, celui-là ! Le moulin était grand ouvert… Devant la porte, maître Cornille, assis sur un sac de plâtre, pleurait, la tête dans ses mains. The mill was wide open ... In front of the door, Maître Cornille, seated on a plaster bag, was crying, his head in his hands. Il venait de s'apercevoir, en rentrant, que pendant son absence on avait pénétré chez lui et surpris son triste secret. He had just noticed, on his return, that during his absence they had entered his home and discovered his sad secret. — Pauvre de moi ! disait-il. Maintenant, je n'ai plus qu'à mourir… Le moulin est déshonoré. Now I just have to die ... The mill is dishonored. Et il sanglotait à fendre l'âme, appelant son moulin par toutes sortes de noms, lui parlant comme à une personne véritable. And he was sobbing heartily, calling his mill by all kinds of names, speaking to him like a real person. À ce moment, les ânes arrivent sur la plate-forme, et nous nous mettons tous à crier bien fort comme au beau temps des meuniers : At this moment, the donkeys arrive on the platform, and we all start shouting very loudly as in fine weather of the millers:

— Ohé ! du moulin !… Ohé ! from the mill!… Hey! maître Cornille !

Et voilà les sacs qui s'entassent devant la porte et le beau grain roux qui se répand par terre, de tous côtés… And here are the bags piling up in front of the door and the beautiful red grain that spreads on the ground, on all sides ... Maître Cornille ouvrait de grands yeux. Il avait pris du blé dans le creux de sa vieille main et il disait, riant et pleurant à la fois :

— C'est du blé !… Seigneur Dieu !… Du bon blé !… Laissez-moi, que je le regarde. - It's wheat!… Lord God!… Good wheat!… Let me look at it. Puis, se tournant vers nous : Then, turning to us:

— Ah ! je savais bien que vous me reviendriez… Tous ces minotiers sont des voleurs. I knew you would come back to me… All these millers are thieves.

Nous voulions l'emporter en triomphe au village : We wanted to take it to the village in triumph: — Non, non, mes enfants ; il faut avant tout que j'aille donner à manger à mon moulin… Pensez donc ! - No, no, my children; I must first and foremost feed my mill… Think about it! il y a si longtemps qu'il ne s'est rien mis sous la dent ! Et nous avions tous des larmes dans les yeux de voir le pauvre vieux se démener de droite et de gauche, éventrant les sacs, surveillant la meule, tandis que le grain s'écrasait et que la fine poussière de froment s'envolait au plafond. And we all had tears in our eyes to see the poor old man scrambling to and fro, ripping open the sacks, watching the millstone, as the grain crashed and the fine wheat dust flew to the ceiling. C'est une justice à nous rendre : à partir de ce jour-là, jamais nous ne laissâmes le vieux meunier manquer d'ouvrage. It is justice to do us: from that day on, we never let the old miller run out of work. Puis, un matin, maître Cornille mourut, et les ailes de notre dernier moulin cessèrent de virer, pour toujours cette fois… Cornille mort, personne ne prit sa suite. Then, one morning, Master Cornille died, and the wings of our last mill stopped turning, this time forever ... Cornille dead, no one followed him. Que voulez-vous, monsieur !… tout a une fin en ce monde, et il faut croire que le temps des moulins à vent était passé comme celui des coches sur le Rhône, des parlements et des jaquettes à grandes fleurs. What do you want, sir!… Everything has an end in this world, and we have to believe that the time of windmills had passed like that of coaches on the Rhone, of parliaments and of jackets with large flowers.