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Lettres de mon moulin (Alphonse Daudet, 1887), LA CHÈVRE DE M. SEGUIN

LA CHÈVRE DE M. SEGUIN

LA CHÈVRE DE M. SEGUIN À M. Pierre Gringoire, poète lyrique à Paris.

Tu seras bien toujours le même, mon pauvre Gringoire !

Comment ! on t'offre une place de chroniqueur dans un bon journal de Paris, et tu as l'aplomb de refuser… Mais regarde-toi, malheureux garçon ! Regarde ce pourpoint troué, ces chausses en déroute, cette face maigre qui crie la faim. Voilà pourtant où t'a conduit la passion des belles rimes ! Voilà ce que t'ont valu dix ans de loyaux services dans les pages du sire Apollo… Est-ce que tu n'as pas honte, à la fin ? Fais-toi donc chroniqueur, imbécile ! fais-toi chroniqueur ! Tu gagneras de beaux écus à la rose, tu auras ton couvert chez Brébant, et tu pourras te montrer les jours de première avec une plume neuve à ta barrette…

Non ? Tu ne veux pas ?… Tu prétends rester libre à ta guise jusqu'au bout… Eh bien, écoute un peu l'histoire de la chèvre de M. Seguin. Tu verras ce que l'on gagne à vouloir vivre libre. M. Seguin n'avait jamais eu de bonheur avec ses chèvres. Il les perdait toutes de la même façon : un beau matin, elles cassaient leur corde, s'en allaient dans la montagne, et là-haut le loup les mangeait. Ni les caresses de leur maître, ni la peur du loup, rien ne les retenait. C'était, paraît-il, des chèvres indépendantes, voulant à tout prix le grand air et la liberté. Le brave M. Seguin, qui ne comprenait rien au caractère de ses bêtes, était consterné. Il disait :

— C'est fini ; les chèvres s'ennuient chez moi, je n'en garderai pas une. Cependant il ne se découragea pas, et, après avoir perdu six chèvres de la même manière, il en acheta une septième ; seulement, cette fois, il eut soin de la prendre toute jeune, pour qu'elle s'habituât mieux à demeurer chez lui. Ah ! Gringoire, qu'elle était jolie la petite chèvre de M. Seguin ! qu'elle était jolie avec ses yeux doux, sa barbiche de sous-officier, ses sabots noirs et luisants, ses cornes zébrées et ses longs poils blancs qui lui faisaient une houppelande ! C'était presque aussi charmant que le cabri d'Esméralda, tu te rappelles, Gringoire ? — et puis, docile, caressante, se laissant traire sans bouger, sans mettre son pied dans l'écuelle. Un amour de petite chèvre…

M. Seguin avait derrière sa maison un clos entouré d'aubépines. C'est là qu'il mit sa nouvelle pensionnaire. Il l'attacha à un pieu, au plus bel endroit du pré, en ayant soin de lui laisser beaucoup de corde, et de temps en temps il venait voir si elle était bien. La chèvre se trouvait très heureuse et broutait l'herbe de si bon cœur que M. Seguin était ravi. — Enfin, pensait le pauvre homme, en voilà une qui ne s'ennuiera pas chez moi ! M. Seguin se trompait, sa chèvre s'ennuya. Un jour, elle se dit en regardant la montagne :

— Comme on doit être bien là-haut ! Quel plaisir de gambader dans la bruyère, sans cette maudite longe qui vous écorche le cou !… C'est bon pour l'âne ou pour le bœuf de brouter dans un clos !… Les chèvres, il leur faut du large. À partir de ce moment, l'herbe du clos lui parut fade. L'ennui lui vint. Elle maigrit, son lait se fit rare. C'était pitié de la voir tirer tout le jour sur sa longe, la tête tournée du côté de la montagne, la narine ouverte, en faisant Mê !… tristement. M. Seguin s'apercevait bien que sa chèvre avait quelque chose, mais il ne savait pas ce que c'était… Un matin, comme il achevait de la traire, la chèvre se retourna et lui dit dans son patois : — Écoutez, monsieur Seguin, je me languis chez vous, laissez-moi aller dans la montagne.

— Ah ! mon Dieu !… Elle aussi ! cria M. Seguin stupéfait, et du coup il laissa tomber son écuelle ; puis, s'asseyant dans l'herbe à côté de sa chèvre : — Comment Blanquette, tu veux me quitter !

Et Blanquette répondit :

— Oui, monsieur Seguin.

— Est-ce que l'herbe te manque ici ? — Oh ! non ! monsieur Seguin.

— Tu es peut-être attachée de trop court ; veux-tu que j'allonge la corde ! — Ce n'est pas la peine, monsieur Seguin. — Alors, qu'est-ce qu'il te faut ! qu'est-ce que tu veux ? — Je veux aller dans la montagne, monsieur Seguin.

— Mais, malheureuse, tu ne sais pas qu'il y a le loup dans la montagne… Que feras-tu quand il viendra ?… — Je lui donnerai des coups de corne, monsieur Seguin.

— Le loup se moque bien de tes cornes. Il m'a mangé des biques autrement encornées que toi… Tu sais bien, la pauvre vieille Renaude qui était ici l'an dernier ? une maîtresse chèvre, forte et méchante comme un bouc. Elle s'est battue avec le loup toute la nuit… puis, le matin, le loup l'a mangée. — Pécaïre ! Pauvre Renaude !… Ça ne fait rien, monsieur Seguin, laissez-moi aller dans la montagne.

— Bonté divine !… dit M. Seguin ; mais qu'est-ce qu'on leur fait donc à mes chèvres ? Encore une que le loup va me manger… Eh bien, non… je te sauverai malgré toi, coquine ! et de peur que tu ne rompes ta corde, je vais t'enfermer dans l'étable, et tu y resteras toujours. Là-dessus, M. Seguin emporta la chèvre dans une étable toute noire, dont il ferma la porte à double tour. Malheureusement, il avait oublié la fenêtre, et à peine eut-il le dos tourné, que la petite s'en alla… Tu ris, Gringoire ? Parbleu ! je crois bien ; tu es du parti des chèvres, toi, contre ce bon M. Seguin… Nous allons voir si tu riras tout à l'heure. Quand la chèvre blanche arriva dans la montagne, ce fut un ravissement général. Jamais les vieux sapins n'avaient rien vu d'aussi joli. On la reçut comme une petite reine. Les châtaigniers se baissaient jusqu'à terre pour la caresser du bout de leurs branches. Les genêts d'or s'ouvraient sur son passage, et sentaient bon tant qu'ils pouvaient. Toute la montagne lui fit fête.

Tu penses, Gringoire, si notre chèvre était heureuse ! Plus de corde, plus de pieu… rien qui l'empêchât de gambader, de brouter à sa guise… C'est là qu'il y en avait de l'herbe ! jusque par-dessus les cornes, mon cher !… Et quelle herbe ! Savoureuse, fine, dentelée, faite de mille plantes… C'était bien autre chose que le gazon du clos. Et les fleurs donc !… De grandes campanules bleues, des digitales de pourpre à longs calices, toute une forêt de fleurs sauvages débordant de sucs capiteux !…

La chèvre blanche, à moitié soûle, se vautrait là dedans les jambes en l'air et roulait le long des talus, pêle-mêle avec les feuilles tombées et les châtaignes… Puis, tout à coup, elle se redressait d'un bond sur ses pattes. Hop ! la voilà partie, la tête en avant, à travers les maquis et les buissières, tantôt sur un pic, tantôt au fond d'un ravin, là-haut, en bas, partout… On aurait dit qu'il y avait dix chèvres de M. Seguin dans la montagne. C'est qu'elle n'avait peur de rien la Blanquette. Elle franchissait d'un saut de grands torrents qui l'éclaboussaient au passage de poussière humide et d'écume. Alors, toute ruisselante, elle allait s'étendre sur quelque roche plate et se faisait sécher par le soleil… Une fois, s'avançant au bord d'un plateau, une fleur de cytise aux dents, elle aperçut en bas, tout en bas dans la plaine, la maison de M. Seguin avec le clos derrière. Cela la fit rire aux larmes.

— Que c'est petit ! dit-elle ; comment ai-je pu tenir là dedans ?

Pauvrette ! de se voir si haut perchée, elle se croyait au moins aussi grande que le monde…

En somme, ce fut une bonne journée pour la chèvre de M. Seguin. Vers le milieu du jour, en courant de droite et de gauche, elle tomba dans une troupe de chamois en train de croquer une lambrusque à belles dents. Notre petite coureuse en robe blanche fit sensation. On lui donna la meilleure place à la lambrusque, et tous ces messieurs furent très galants… Il paraît même, — ceci doit rester entre nous, Gringoire, — qu'un jeune chamois à pelage noir, eut la bonne fortune de plaire à Blanquette. Les deux amoureux s'égarèrent parmi le bois une heure ou deux, et si tu veux savoir ce qu'ils se dirent, va le demander aux sources bavardes qui courent invisibles dans la mousse. Tout à coup le vent fraîchit. La montagne devint violette ; c'était le soir… — Déjà ! dit la petite chèvre ; et elle s'arrêta fort étonnée. En bas, les champs étaient noyés de brume. Le clos de M. Seguin disparaissait dans le brouillard, et de la maisonnette on ne voyait plus que le toit avec un peu de fumée. Elle écouta les clochettes d'un troupeau qu'on ramenait, et se sentit l'âme toute triste… Un gerfaut, qui rentrait, la frôla de ses ailes en passant. Elle tressaillit… puis ce fut un hurlement dans la montagne :

— Hou ! hou !

Elle pensa au loup ; de tout le jour la folle n'y avait pas pensé… Au même moment une trompe sonna bien loin dans la vallée. C'était ce bon M. Seguin qui tentait un dernier effort. — Hou ! hou !… faisait le loup.

— Reviens ! reviens !… criait la trompe.

Blanquette eut envie de revenir ; mais en se rappelant le pieu, la corde, la haie du clos, elle pensa que maintenant elle ne pouvait plus se faire à cette vie, et qu'il valait mieux rester. La trompe ne sonnait plus…

La chèvre entendit derrière elle un bruit de feuilles. Elle se retourna et vit dans l'ombre deux oreilles courtes, toutes droites, avec deux yeux qui reluisaient… C'était le loup. Énorme, immobile, assis sur son train de derrière, il était là regardant la petite chèvre blanche et la dégustant par avance. Comme il savait bien qu'il la mangerait, le loup ne se pressait pas ; seulement, quand elle se retourna, il se mit à rire méchamment. — Ha ! ha ! la petite chèvre de M. Seguin ! et il passa sa grosse langue rouge sur ses babines d'amadou. Blanquette se sentit perdue… Un moment en se rappelant l'histoire de la vieille Renaude, qui s'était battue toute la nuit pour être mangée le matin, elle se dit qu'il vaudrait peut-être mieux se laisser manger tout de suite ; puis, s'étant ravisée, elle tomba en garde, la tête basse et la corne en avant, comme une brave chèvre de M. Seguin qu'elle était… Non pas qu'elle eût l'espoir de tuer le loup, — les chèvres ne tuent pas le loup, — mais seulement pour voir si elle pourrait tenir aussi longtemps que la Renaude… Alors le monstre s'avança, et les petites cornes entrèrent en danse. Ah ! la brave chevrette, comme elle y allait de bon cœur ! Plus de dix fois, je ne mens pas, Gringoire, elle força le loup à reculer pour reprendre haleine. Pendant ces trêves d'une minute, la gourmande cueillait en hâte encore un brin de sa chère herbe ; puis elle retournait au combat, la bouche pleine… Cela dura toute la nuit. De temps en temps la chèvre de M. Seguin regardait les étoiles danser dans le ciel clair, et elle se disait :

— Oh ! pourvu que je tienne jusqu'à l'aube… L'une après l'autre, les étoiles s'éteignirent. Blanquette redoubla de coups de cornes, le loup de coups de dents… Une lueur pâle parut dans l'horizon… Le chant d'un coq enroué monta d'une métairie. — Enfin ! dit la pauvre bête, qui n'attendait plus que le jour pour mourir ; et elle s'allongea par terre dans sa belle fourrure blanche toute tachée de sang… Alors le loup se jeta sur la petite chèvre et la mangea.

Adieu, Gringoire !

L'histoire que tu as entendue n'est pas un conte de mon invention. Si jamais tu viens en Provence, nos ménagers te parleront souvent de la cabro de moussu Seguin, que se battégue touto la neui emé lou loup, e piei lou matin lou loup la mangé. [1]

Tu m'entends bien, Gringoire : E piei lou matin lou loup la mangé. ↑ La chèvre de monsieur Seguin, qui se battit toute la nuit avec le loup, et puis, le matin, le loup la mangea.


LA CHÈVRE DE M. SEGUIN DIE ZIEGE DES M. SEGUIN MR. SEGUIN'S GOAT LA CABRA DEL SEÑOR SEGUIN DE GEIT VAN MENEER SEGUIN A CABRA DO SR. SEGUIN

LA CHÈVRE DE M. SEGUIN À M. Pierre Gringoire, poète lyrique à Paris. THE GOAT OF M. SEGUIN To M. Pierre Gringoire, lyric poet in Paris. LA CHÈVRE DE M. SEGUIN Aan de heer Pierre Gringoire, lyrisch dichter te Parijs.

Tu seras bien toujours le même, mon pauvre Gringoire ! You will always be the same, my poor Gringoire! Je zult altijd hetzelfde blijven, mijn arme Gringoire!

Comment ! How? 'Or' What ! on t'offre une place de chroniqueur dans un bon journal de Paris, et tu as l'aplomb de refuser… Mais regarde-toi, malheureux garçon ! je hebt een baan aangeboden gekregen als columnist in een goede Parijse krant, en je hebt het lef om het af te slaan... Maar kijk naar jezelf, jij ellendige jongen! Regarde ce pourpoint troué, ces chausses en déroute, cette face maigre qui crie la faim. Kijk naar dat slobberige wambuis, die verfomfaaide schoenen, dat magere gezicht dat honger schreeuwt. Voilà pourtant où t'a conduit la passion des belles rimes ! Voilà ce que t'ont valu dix ans de loyaux services dans les pages du sire Apollo… Est-ce que tu n'as pas honte, à la fin ? Dat is wat tien jaar trouwe dienst op de pagina's van Sire Apollo je heeft opgeleverd... Schaam je je niet? Fais-toi donc chroniqueur, imbécile ! Waarom word je geen columnist, idioot! fais-toi chroniqueur ! columnist worden! Tu gagneras de beaux écus à la rose, tu auras ton couvert chez Brébant, et tu pourras te montrer les jours de première avec une plume neuve à ta barrette… Je verdient een paar mooie ecu's bij de roos, je hebt je plek bij Brébant en je kunt op de openingsdag verschijnen met een nieuwe veer in je haarspeld...

Non ? Nee ? Tu ne veux pas ?… Tu prétends rester libre à ta guise jusqu'au bout… Eh bien, écoute un peu l'histoire de la chèvre de M. Seguin. Luister eens naar het verhaal van de geit van Mr Seguin. Tu verras ce que l'on gagne à vouloir vivre libre. Je zult zien wat het oplevert om vrij te willen leven. M. Seguin n'avait jamais eu de bonheur avec ses chèvres. Mr Seguin was nooit gelukkig geweest met zijn geiten. Il les perdait toutes de la même façon : un beau matin, elles cassaient leur corde, s'en allaient dans la montagne, et là-haut le loup les mangeait. Hij verloor ze allemaal op dezelfde manier: op een mooie ochtend braken ze hun touw, gingen de berg op en de wolf at ze daar op. Ni les caresses de leur maître, ni la peur du loup, rien ne les retenait. Noch de liefkozingen van hun meester, noch de angst voor de wolf konden hen tegenhouden. C'était, paraît-il, des chèvres indépendantes, voulant à tout prix le grand air et la liberté. Er werd gezegd dat het onafhankelijke geiten waren, wanhopig op zoek naar frisse lucht en vrijheid. Le brave M. Seguin, qui ne comprenait rien au caractère de ses bêtes, était consterné. De dappere Mr Seguin, die niets begreep van het karakter van zijn dieren, was ontzet. Il disait :

— C'est fini ; les chèvres s'ennuient chez moi, je n'en garderai pas une. - Het is voorbij; de geiten vervelen zich thuis, ik zal er geen houden. Cependant il ne se découragea pas, et, après avoir perdu six chèvres de la même manière, il en acheta une septième ; seulement, cette fois, il eut soin de la prendre toute jeune, pour qu'elle s'habituât mieux à demeurer chez lui. Hij liet zich echter niet ontmoedigen en nadat hij op dezelfde manier zes geiten had verloren, kocht hij een zevende, alleen zorgde hij er dit keer voor dat hij haar jongen meenam, zodat ze eraan zou wennen om bij hem te wonen. Ah ! Gringoire, qu'elle était jolie la petite chèvre de M. Seguin ! Gringoire, wat was dat geitje van Mr Seguin mooi! qu'elle était jolie avec ses yeux doux, sa barbiche de sous-officier, ses sabots noirs et luisants, ses cornes zébrées et ses longs poils blancs qui lui faisaient une houppelande ! hoe mooi ze was, met haar zachte ogen, haar onderofficierssikje, haar glanzende zwarte hoeven, haar zebrahoorns en haar lange witte haar dat haar op een vacht deed lijken! C'était presque aussi charmant que le cabri d'Esméralda, tu te rappelles, Gringoire ? — et puis, docile, caressante, se laissant traire sans bouger, sans mettre son pied dans l'écuelle. - en dan, volgzaam, strelend, zich laten melken zonder te bewegen, zonder haar voet in de kom te zetten. Un amour de petite chèvre… De liefde van een kleine geit...

M. Seguin avait derrière sa maison un clos entouré d'aubépines. Achter zijn huis had Mr Seguin een ommuurde tuin omringd door meidoornbomen. C'est là qu'il mit sa nouvelle pensionnaire. Hier heeft hij zijn nieuwe kostganger geplaatst. Il l'attacha à un pieu, au plus bel endroit du pré, en ayant soin de lui laisser beaucoup de corde, et de temps en temps il venait voir si elle était bien. Hij bond haar vast aan een paal op de mooiste plek in de wei, waarbij hij ervoor zorgde dat ze genoeg touw had, en van tijd tot tijd kwam hij bij haar kijken. La chèvre se trouvait très heureuse et broutait l'herbe de si bon cœur que M. Seguin était ravi. De geit was erg blij en graasde het gras zo rijkelijk dat Mr Seguin opgetogen was. — Enfin, pensait le pauvre homme, en voilà une qui ne s'ennuiera pas chez moi ! - Eindelijk, dacht de arme man, is hier iemand die zich bij mij thuis niet zal vervelen! M. Seguin se trompait, sa chèvre s'ennuya. Mr Seguin had het mis, zijn geit verveelde zich. Un jour, elle se dit en regardant la montagne : Op een dag keek ze omhoog naar de berg en zei tegen zichzelf:

— Comme on doit être bien là-haut ! - Wat moet het daar mooi zijn! Quel plaisir de gambader dans la bruyère, sans cette maudite longe qui vous écorche le cou !… C'est bon pour l'âne ou pour le bœuf de brouter dans un clos !… Les chèvres, il leur faut du large. Wat een genot is het om door de heide te zwerven, zonder dat verdomde koord dat in je nek krast!... Het is goed voor ezels en ossen om in een omheind gebied te grazen!... Geiten hebben een ruime ligplaats nodig. À partir de ce moment, l'herbe du clos lui parut fade. Vanaf dat moment leek het gras in de tuin saai. L'ennui lui vint. Hij raakte verveeld. Elle maigrit, son lait se fit rare. C'était pitié de la voir tirer tout le jour sur sa longe, la tête tournée du côté de la montagne, la narine ouverte, en faisant Mê !… tristement. Het was zielig om haar de hele dag te zien trekken aan haar koord, haar hoofd naar de berg gedraaid, haar neusgaten open, Mê!... zielig. M. Seguin s'apercevait bien que sa chèvre avait quelque chose, mais il ne savait pas ce que c'était… Un matin, comme il achevait de la traire, la chèvre se retourna et lui dit dans son patois : Mr Seguin kon zien dat er iets mis was met zijn geit, maar hij wist niet wat het was... Op een ochtend, toen hij klaar was met melken, draaide de geit zich om en zei tegen hem in zijn eigen dialect: — Écoutez, monsieur Seguin, je me languis chez vous, laissez-moi aller dans la montagne. - Luister, Mr Seguin, ik verlang ernaar om bij u te blijven, laat me naar de bergen gaan.

— Ah ! mon Dieu !… Elle aussi ! cria M. Seguin stupéfait, et du coup il laissa tomber son écuelle ; puis, s'asseyant dans l'herbe à côté de sa chèvre : Meneer Seguin schreeuwde van verbazing en liet meteen zijn kom vallen; toen ging hij naast zijn geit op het gras zitten en zei: — Comment Blanquette, tu veux me quitter !

Et Blanquette répondit :

— Oui, monsieur Seguin.

— Est-ce que l'herbe te manque ici ? - Mis je het gras hier? — Oh ! non ! monsieur Seguin.

— Tu es peut-être attachée de trop court ; veux-tu que j'allonge la corde ! - Misschien ben je te kort vastgebonden; wil je dat ik het touw langer maak! — Ce n'est pas la peine, monsieur Seguin. - Dat is niet nodig, Mr Seguin. — Alors, qu'est-ce qu'il te faut ! - Dus, wat heb je nodig! qu'est-ce que tu veux ? wat wil je? — Je veux aller dans la montagne, monsieur Seguin.

— Mais, malheureuse, tu ne sais pas qu'il y a le loup dans la montagne… Que feras-tu quand il viendra ?… - Maar, ongelukkig meisje, je weet niet dat er een wolf op de berg zit... Wat ga je doen als hij komt?... — Je lui donnerai des coups de corne, monsieur Seguin. - Ik schop hem met mijn hoorn, Mr Seguin.

— Le loup se moque bien de tes cornes. - De wolf geeft niets om je hoorns. Il m'a mangé des biques autrement encornées que toi… Tu sais bien, la pauvre vieille Renaude qui était ici l'an dernier ? Hij heeft meer gespierde lullen gegeten dan jij... Weet je, die arme Renaude die hier vorig jaar was? une maîtresse chèvre, forte et méchante comme un bouc. een geitenmeesteres, sterk en gemeen als een geit. Elle s'est battue avec le loup toute la nuit… puis, le matin, le loup l'a mangée. Ze vocht de hele nacht met de wolf... en 's ochtends at de wolf haar op. — Pécaïre ! - Pécaïre! Pauvre Renaude !… Ça ne fait rien, monsieur Seguin, laissez-moi aller dans la montagne. Arme Renaude! ... Laat maar, Mr Seguin, laat me naar de bergen gaan.

— Bonté divine !… dit M. Seguin ; mais qu'est-ce qu'on leur fait donc à mes chèvres ? - Lieve hemel!" zei Mr Seguin, "maar wat doen ze met mijn geiten? Encore une que le loup va me manger… Eh bien, non… je te sauverai malgré toi, coquine ! Weer iemand die de wolf gaat opeten... Nou, nee... Ik zal je redden, ondanks jezelf, deugniet! et de peur que tu ne rompes ta corde, je vais t'enfermer dans l'étable, et tu y resteras toujours. en opdat je je touw niet breekt, ga ik je opsluiten in de stal, en daar zul je voor altijd blijven. Là-dessus, M. Seguin emporta la chèvre dans une étable toute noire, dont il ferma la porte à double tour. Mr Seguin nam de geit mee naar een donkere stal en sloot de deur. Malheureusement, il avait oublié la fenêtre, et à peine eut-il le dos tourné, que la petite s'en alla… Helaas was hij het raam vergeten en zodra hij zich omdraaide, was het kleine meisje verdwenen... Tu ris, Gringoire ? Ben je aan het lachen, Gringoire? Parbleu ! Bij Jupiter! je crois bien ; tu es du parti des chèvres, toi, contre ce bon M. Seguin… Nous allons voir si tu riras tout à l'heure. Ik denk het wel; je staat aan de kant van de geiten, jij, tegen goede Mr Seguin... We zullen zien of je later lacht. Quand la chèvre blanche arriva dans la montagne, ce fut un ravissement général. Toen de witte geit op de berg aankwam, was iedereen opgetogen. Jamais les vieux sapins n'avaient rien vu d'aussi joli. De oude dennenbomen hadden nog nooit zoiets moois gezien. On la reçut comme une petite reine. Ze werd ontvangen als een kleine koningin. Les châtaigniers se baissaient jusqu'à terre pour la caresser du bout de leurs branches. De kastanjebomen bukten zich om haar met de toppen van hun takken te strelen. Les genêts d'or s'ouvraient sur son passage, et sentaient bon tant qu'ils pouvaient. De gouden bezems gingen open toen hij passeerde en roken zo zoet als maar kon. Toute la montagne lui fit fête. De hele berg vierde hem.

Tu penses, Gringoire, si notre chèvre était heureuse ! Denk je eens in, Gringoire, als onze geit gelukkig was! Plus de corde, plus de pieu… rien qui l'empêchât de gambader, de brouter à sa guise… C'est là qu'il y en avait de l'herbe ! Geen touw meer, geen staak... niets hield hem tegen om te stoeien, naar hartelust te grazen... Daar was het gras! jusque par-dessus les cornes, mon cher !… Et quelle herbe ! tot aan de hoorns, liefje!... En wat een gras! Savoureuse, fine, dentelée, faite de mille plantes… C'était bien autre chose que le gazon du clos. Lekker, fijn, gekarteld, gemaakt van duizend planten... Het was iets heel anders dan het gazon op de boerderij. Et les fleurs donc !… De grandes campanules bleues, des digitales de pourpre à longs calices, toute une forêt de fleurs sauvages débordant de sucs capiteux !… En de bloemen!... Grote blauwe klokjesbloemen, paarse vingerhoedskruidjes met lange bloemkelken, een hele bos wilde bloemen die overlopen van bedwelmende sappen!...

La chèvre blanche, à moitié soûle, se vautrait là dedans les jambes en l'air et roulait le long des talus, pêle-mêle avec les feuilles tombées et les châtaignes… Puis, tout à coup, elle se redressait d'un bond sur ses pattes. De witte geit, halfdronken, wentelde zich erin met haar poten in de lucht en rolde over de taluds, zich vermengend met de gevallen bladeren en kastanjes... Dan, plotseling, sprong ze overeind. Hop ! la voilà partie, la tête en avant, à travers les maquis et les buissières, tantôt sur un pic, tantôt au fond d'un ravin, là-haut, en bas, partout… On aurait dit qu'il y avait dix chèvres de M. Seguin dans la montagne. Daar ging ze, met haar hoofd vooruit, door het struikgewas en de struiken, soms op een piek, soms op de bodem van een ravijn, daarboven, daar beneden, overal... Het was alsof er tien geiten van meneer Seguin op de berg liepen. C'est qu'elle n'avait peur de rien la Blanquette. Blanquette was nergens bang voor. Elle franchissait d'un saut de grands torrents qui l'éclaboussaient au passage de poussière humide et d'écume. Ze sprong over grote rivieren en spatte nat stof en schuim terwijl ze ging. Alors, toute ruisselante, elle allait s'étendre sur quelque roche plate et se faisait sécher par le soleil… Une fois, s'avançant au bord d'un plateau, une fleur de cytise aux dents, elle aperçut en bas, tout en bas dans la plaine, la maison de M. Seguin avec le clos derrière. Op een keer, toen ze langs de rand van een plateau liep met een goudenregenbloem tussen haar tanden, zag ze het huis van meneer Seguin beneden, ver op de vlakte, met de ommuurde tuin erachter. Cela la fit rire aux larmes.

— Que c'est petit ! dit-elle ; comment ai-je pu tenir là dedans ?

Pauvrette ! de se voir si haut perchée, elle se croyait au moins aussi grande que le monde…

En somme, ce fut une bonne journée pour la chèvre de M. Seguin. Vers le milieu du jour, en courant de droite et de gauche, elle tomba dans une troupe de chamois en train de croquer une lambrusque à belles dents. Notre petite coureuse en robe blanche fit sensation. On lui donna la meilleure place à la lambrusque, et tous ces messieurs furent très galants… Il paraît même, — ceci doit rester entre nous, Gringoire, — qu'un jeune chamois à pelage noir, eut la bonne fortune de plaire à Blanquette. Les deux amoureux s'égarèrent parmi le bois une heure ou deux, et si tu veux savoir ce qu'ils se dirent, va le demander aux sources bavardes qui courent invisibles dans la mousse. Tout à coup le vent fraîchit. La montagne devint violette ; c'était le soir… — Déjà ! dit la petite chèvre ; et elle s'arrêta fort étonnée. En bas, les champs étaient noyés de brume. Le clos de M. Seguin disparaissait dans le brouillard, et de la maisonnette on ne voyait plus que le toit avec un peu de fumée. Elle écouta les clochettes d'un troupeau qu'on ramenait, et se sentit l'âme toute triste… Un gerfaut, qui rentrait, la frôla de ses ailes en passant. Elle tressaillit… puis ce fut un hurlement dans la montagne :

— Hou ! hou !

Elle pensa au loup ; de tout le jour la folle n'y avait pas pensé… Au même moment une trompe sonna bien loin dans la vallée. C'était ce bon M. Seguin qui tentait un dernier effort. — Hou ! hou !… faisait le loup.

— Reviens ! reviens !… criait la trompe.

Blanquette eut envie de revenir ; mais en se rappelant le pieu, la corde, la haie du clos, elle pensa que maintenant elle ne pouvait plus se faire à cette vie, et qu'il valait mieux rester. La trompe ne sonnait plus…

La chèvre entendit derrière elle un bruit de feuilles. Elle se retourna et vit dans l'ombre deux oreilles courtes, toutes droites, avec deux yeux qui reluisaient… C'était le loup. Énorme, immobile, assis sur son train de derrière, il était là regardant la petite chèvre blanche et la dégustant par avance. Comme il savait bien qu'il la mangerait, le loup ne se pressait pas ; seulement, quand elle se retourna, il se mit à rire méchamment. — Ha ! ha ! la petite chèvre de M. Seguin ! et il passa sa grosse langue rouge sur ses babines d'amadou. Blanquette se sentit perdue… Un moment en se rappelant l'histoire de la vieille Renaude, qui s'était battue toute la nuit pour être mangée le matin, elle se dit qu'il vaudrait peut-être mieux se laisser manger tout de suite ; puis, s'étant ravisée, elle tomba en garde, la tête basse et la corne en avant, comme une brave chèvre de M. Seguin qu'elle était… Non pas qu'elle eût l'espoir de tuer le loup, — les chèvres ne tuent pas le loup, — mais seulement pour voir si elle pourrait tenir aussi longtemps que la Renaude… Alors le monstre s'avança, et les petites cornes entrèrent en danse. Ah ! la brave chevrette, comme elle y allait de bon cœur ! Plus de dix fois, je ne mens pas, Gringoire, elle força le loup à reculer pour reprendre haleine. Pendant ces trêves d'une minute, la gourmande cueillait en hâte encore un brin de sa chère herbe ; puis elle retournait au combat, la bouche pleine… Cela dura toute la nuit. De temps en temps la chèvre de M. Seguin regardait les étoiles danser dans le ciel clair, et elle se disait :

— Oh ! pourvu que je tienne jusqu'à l'aube… L'une après l'autre, les étoiles s'éteignirent. Blanquette redoubla de coups de cornes, le loup de coups de dents… Une lueur pâle parut dans l'horizon… Le chant d'un coq enroué monta d'une métairie. — Enfin ! dit la pauvre bête, qui n'attendait plus que le jour pour mourir ; et elle s'allongea par terre dans sa belle fourrure blanche toute tachée de sang… Alors le loup se jeta sur la petite chèvre et la mangea. So the wolf threw himself on the little goat and ate it.

Adieu, Gringoire !

L'histoire que tu as entendue n'est pas un conte de mon invention. Si jamais tu viens en Provence, nos ménagers te parleront souvent de la cabro de moussu Seguin, que se battégue touto la neui emé lou loup, e piei lou matin lou loup la mangé. If you ever come to Provence, our housewives will often tell you about the cabro de moussu Seguin, que se battégue touto la neui emé lou loup, e piei lou morning lou loup la a manger. [1]

Tu m'entends bien, Gringoire : You can hear me well, Gringoire: E piei lou matin lou loup la mangé. E piei lou morning lou loup ate it. ↑ La chèvre de monsieur Seguin, qui se battit toute la nuit avec le loup, et puis, le matin, le loup la mangea. ↑ Monsieur Seguin's goat, which fought all night with the wolf, and then, in the morning, the wolf ate it.