Leçon 13 - Rencontres III
(Le Quartier latin à Paris. C'est une très belle matinée de printemps. Il est 11h. C'est le 29 mai. Il y a une grève d'étudiants, évidemment.
Robert, un jeune Américain, vient d'arriver à Paris. En ce moment, il est dans la cour de la Sorbonne. Il sourit à une jeune fille.
Mireille, une jeune Française, qui étudie l'histoire de l'art, est aussi dans la cour de la Sorbonne. Elle sourit à un jeune homme.
Un autre jeune homme traverse la place de la Sorbonne. Il a l'air de s'ennuyer. Il s'approche d'une jeune fille, et lui demande du feu. Tiens, mais c'est Jean-Pierre Bourdon!)
Jean-Pierre: Euh, pardon, Mademoiselle, est-ce que vous avez du feu, s'il vous plaît?
(La jeune fille le regarde sans répondre et s'en va.)
(Pendant ce temps-là, au deuxième étage de la Sorbonne, une dizaine d'étudiants attendent devant un bureau. Un jeune homme arrive. C'est Jean-Pierre Bourdon. Il examine la situation, et tout de suite se dirige vers la tête de la file. Il s'approche d'une jeune fille brune qui porte une robe violette.)
Jean-Pierre: Tiens, c'est vous? Qu'est-ce que vous faites là? Comment ça va depuis l'an dernier?
La jeune fille le regarde, étonnée.
Jean-Pierre: Comment, vous ne me reconnaissez pas? Mais si, voyons! Rappelez-vous: l'été dernier, à Saint-Tropez!
La jeune fille: Moi? A Saint-Tropez? Impossible! D'abord, j'ai horreur de Saint-Tropez. Les nanas, les fils à papa et les yachts, ce n'est vraiment pas mon genre! Et puis je déteste l'été. Je passe tous mes étés en Patagonie, parce que l'été, là-bas, c'est l'hiver! Élémentaire, mon cher Watson! Voyez, votre truc, avec moi, ça ne marche pas!
(Des voix dans la queue commencent à protester: “Eh là! Pas de resquille, hein! Oh, eh, le resquilleur, là!")
Jean-Pierre: Mais ça va; j'y vais, à la queue! Si on ne peut même plus draguer une fille en passant, maintenant, où va-t-on!
(Il va se placer au bout de la file. Il s'approche d'une jeune fille qui porte une robe verte.)
Jean-Pierre: Pardon, Mademoiselle, vous avez du feu?
La jeune fille: Non, je ne fume pas. Demandez à Jean-Luc.
Jean-Luc: Tiens, voilà!
(Et il tend son briquet Bic.)
Jean-Pierre: Merci. Je m'appelle Jean-Pierre Bourdon. Et toi?
Jean-Luc: Jean-Luc Marchand.
Jean-Pierre: Ah . . . euh . . . et vous?
(La jeune fille continue sa lecture sans faire attention à Jean-Pierre.)
Jean-Luc: Elle, c'est Annick. Son frère, Philippe; Nadia, Ousmane, des copains.
Jean-Pierre: Qu'est-ce que tu fais comme études?
Jean-Luc: Je fais de la sociologie et du droit.
Jean-Pierre: Ah, tu as raison! Le droit, ça mène à tout!
(Il se tourne vers Annick, qui continue à ne pas faire attention à lui.)
Jean-Pierre: Euh, et vous?
Jean-Luc: Elle, c'est une matheuse.
Jean-Pierre: Ah, ouais? Ça ne m'étonne pas. Aujourd'hui, toutes les filles font des maths: c'est la nouvelle mode. Moi, j'ai une copine qui vient d'entrer à l'X. C'est un cerveau! Elle veut se spécialiser en informatique. C'est un truc qui a de l'avenir, ça, l'informatique. La biologie aussi, ou l'astrophysique. Moi, je ne sais pas encore trop ce que je vais faire. Pour l'instant, je fais une maîtrise de psycho. Je vais peut-être faire médecine, ou alors, euh, psychanalyse. En tout cas, les psy font leur beurre, c'est sûr! Ou alors, peut-être que je vais faire HEC.
Jean-Luc: Tu n'as pas l'air très fixé.
Jean-Pierre: Ah, non, non, non! Je ne veux pas me décider trop jeune, c'est trop dangereux.
Jean-Luc: Et quel âge as-tu, au juste?
Jean-Pierre: Moi? J'ai 29 ans, pourquoi?
Jean-Luc: Non, rien; comme ça, pour savoir.
(Jean-Pierre s'approche de la fenêtre. Il regarde dans la cour et appelle Jean-Luc.)
Jean-Pierre: Hé, viens voir, viens voir! Une fille formidable, là-bas.
Jean-Luc: Quoi?
Jean-Pierre: Là, c'est la petite-fille de Greta Garbo!
Jean-Luc: Sans blague! Où ça?
Jean-Pierre: Là, dans la cour, là, à droite!
Jean-Luc: Laquelle? Celle avec le pantalon blanc, le chemisier bleu et vert, et le foulard?
Jean-Pierre: Mais, non, pas celle-là, l'autre, à côté!
Jean-Luc: Ah, la blonde?
Jean-Pierre: Mais non, pas celle avec le pull blanc et cette horrible jupe rouge de Prisunic, qui sourit d'un air imbécile! Non, la rousse avec le jean gris et la veste noire! Quoi, tu ne la vois pas, ou quoi?
Jean-Luc: Mais je la connais, la rousse! Elle fait du russe aux Langues-O. Mais ce n'est pas la petite-fille de Greta Garbo, hein! D'ailleurs, Greta Garbo n'a jamais eu d'enfants!
Jean-Pierre: En tout cas, elle est très bien quand même, hein! Tenez, il y a un drôle de type qui s'approche d'elle, un type avec un imper noir et un chapeau noir. Il va essayer de la draguer, c'est sûr. Ça y est; il lui demande du feu! C'est classique! C'est même un peu élémentaire!
Annick: Ça, oui, je crois qu'on peut le dire; ça ne doit pas marcher souvent, ce truc.
Jean-Luc: Et comment est-ce que tu fais, toi, pour engager la conversation?
Jean-Pierre: Oh, ben, je ne sais pas, moi, il y a plein de trucs. Ce ne sont pas les trucs qui manquent! Tenez, par exemple, vous dites: “Tiens, c'est vous? Qu'est-ce que vous faites là? Comment ça va, depuis l'an dernier?” Bon, la fille vous regarde, d'un air étonné. “Comment? Vous ne me reconnaissez pas? Vous ne vous souvenez pas de moi? Mais si, voyons! L'été dernier, à Saint-Tropez. Ou l'hiver dernier, à Courchevel, ou en Patagonie! Ou bien l'année dernière, à Marienbad? Comment? Vous n'êtes pas . . .” et vous dites un nom. (Catherine Deneuve, Greta Garbo, Jacqueline Dupont). N'importe quoi!) “Non? Ah, ben alors, là, c'est fou ce que vous lui ressemblez! Mais alors, où est-ce que vous passez vos vacances?” Enfin, voilà: ça, c'est un truc qui marche à tous les coups. Ou bien alors, je ne sais pas, moi, euh . . . Vous faites semblant de tomber devant elle dans un escalier. Ou bien—voilà—vous laissez tomber des papiers devant elle. Elle vous aide à les ramasser. Vous la remerciez. Et voilà; c'est parti!
Annick: Tout ça n'est pas bien neuf! On connaît! N'avez rien de mieux?
(Jean-Pierre ne répond pas à Annick. Et, il regarde sa montre.)
Jean-Pierre: Ah, ben, dites donc, ça ne va pas vite, hein! Ça fait longtemps que vous attendez?
Jean-Luc: Une bonne demi-heure.
Jean-Pierre: Ah, zut, alors! Je ne peux pas rester, moi. J'ai un rendez-vous avec une fille superbe à l'Escholier. Je me sauve!
(Il s'en va).
Annick: Ah, là, là, il est puant, ce mec! “Une fille superbe”! Non mais, on dirait qu'il parle d'un cheval! Pour qui se prend-il? Quel horrible dragueur! Il s'imagine que les filles ne sont là que pour lui tomber dans les bras, peut- être! Et il n'est même pas beau! Quelle tête d'idiot! Moi, ça me tue, des types comme ça.
Jean-Luc: Bof, il n'est pas bien malin, mais il est inoffensif!
Annick: Eh bien, c'est ça! Défends-le! Ah, vous êtes bien tous les mêmes, vous, les hommes! Tous aussi sexistes!
Jean-Luc: Tu t'es inscrite au MLF, toi, maintenant?
Annick: Quand je vois des types comme toi, j'ai bien envie de m'inscrire, tiens!