×

우리는 LingQ를 개선하기 위해서 쿠키를 사용합니다. 사이트를 방문함으로써 당신은 동의합니다 쿠키 정책.


image

Vol de Nuit, XI

XI

Rivière le reçoit :

— Vous m'avez fait une blague, à votre dernier courrier. Vous m'avez fait demi-tour quand les météos étaient bonnes : vous pouviez passer. Vous avez eu peur?

Le pilote surpris se tait. Il frotte l'une contre l'autre, lentement, ses mains. Puis il redresse la tête, et regarde Rivière bien en face :

— Oui.

Rivière a pitié, au fond de lui-même, de ce garçon si courageux qui a eu peur. Le pilote tente de s'excuser.

— Je ne voyais plus rien. Bien sûr, plus loin... peut-être... la T.S.F. disait... Mais ma lampe de bord a faibli, et je ne voyais plus mes mains. J'ai voulu allumer ma lampe de position pour au moins voir l'aile : je n'ai rien vu. Je me sentais au fond d'un grand trou dont il était difficile de remonter. Alors mon moteur s'est mis à vibrer.

— Non.

— Non?

— Non. Nous l'avons examiné depuis. Il est parfait. Mais on croit toujours qu'un moteur vibre quand on a peur.

— Qui n'aurait pas eu peur! Les montagnes me dominaient. Quand j'ai voulu prendre de l'altitude, j'ai rencontré de forts remous. Vous savez quand on ne voit rien... les remous... Au lieu de monter j'ai perdu cent mètres. Je ne voyais même plus le gyroscope, même plus les manomètres. Il me semblait que mon moteur baissait de régime, qu'il chauffait, que la pression d'huile tombait... Tout ça dans l'ombre, comme une maladie. J'ai été bien content de revoir une ville éclairée.

— Vous avez trop d'imagination. Allez.

Et le pilote sort.

* * *

Rivière s'enfonce dans son fauteuil et passe la main dans ses cheveux gris.

« C'est le plus courageux de mes hommes. Ce qu'il a réussi ce soir-là est très beau, mais je le sauve de la peur... »

Puis, comme une tentation de faiblesse lui revenait :

« Pour se faire aimer, il suffit de plaindre. Je ne plains guère ou je le cache. J'aimerais bien pourtant m'entourer de l'amitié et de la douceur humaines. Un médecin, dans son métier, les rencontre. Mais ce sont les événements que je sers. Il faut que je forge les hommes pour qu'ils les servent. Comme je la sens bien cette loi obscure, le soir, dans mon bureau, devant les feuilles de route. Si je me laisse aller, si je laisse les événements bien réglés suivre leur cours, alors, mystérieux, naissent les incidents. Comme si ma volonté seule empêchait l'avion de se rompre en vol, ou la tempête de retarder le courrier en marche. Je suis surpris, parfois, de mon pouvoir. »

Il réfléchit encore :

« C'est peut-être clair. Ainsi la lutte perpétuelle du jardinier sur sa pelouse. Le poids de sa simple main repousse dans la terre, qui la prépare éternellement, la forêt primitive. »

Il pense au pilote :

« Je le sauve de la peur. Ce n'est pas lui que j'attaquais, c'est, à travers lui, cette résistance qui paralyse les hommes devant l'inconnu. Si je l'écoute, si je le plains, si je prends au sérieux son aventure, il croira revenir d'un pays de mystère, et c'est du mystère seul que l'on a peur. Il faut que des hommes soient descendus dans ce puits sombre, et en remontent, et disent qu'ils n'ont rien rencontré. Il faut que cet homme descende au coeur le plus intime de la nuit, dans son épaisseur, et sans même cette petite lampe de mineur, qui n'éclaire que les mains ou l'aile, mais écarte d'une largeur d'épaules l'inconnu. »

* * *

Pourtant, dans cette lutte, une silencieuse fraternité liait, au fond d'eux-mêmes, Rivière et ses pilotes. C'étaient des hommes du même bord, qui éprouvaient le même désir de vaincre. Mais Rivière se souvient des autres batailles qu'il a livrées pour la conquête de la nuit.

On redoutait, dans les cercles officiels, comme une brousse inexplorée, ce territoire sombre. Lancer un équipage, à deux cents kilomètres à l'heure, vers les orages et les brumes et les obstacles matériels que la nuit contient sans les montrer, leur paraissait une aventure tolérable pour l'aviation militaire : on quitte un terrain par nuit claire, on bombarde, on revient au même terrain. Mais les services réguliers échoueraient la nuit. « C'est pour nous, avait répliqué Rivière, une question de vie ou de mort, puisque nous perdons, chaque nuit, l'avance gagnée, pendant le jour, sur les chemins de fer et les navires. »

Rivière avait écouté, avec ennui, parler de bilans, d'assurances, et surtout d'opinion publique : « L'opinion publique... ripostait-il, on la gouverne! » Il pensait : « Que de temps perdu! Il y a quelque chose... quelque chose qui prime tout cela. Ce qui est vivant bouscule tout pour vivre et crée, pour vivre, ses propres lois. C'est irrésistible. » Rivière ne savait pas quand ni comment l'aviation commerciale aborderait les vols de nuit, mais il fallait préparer cette solution inévitable.

Il se souvient des tapis verts, devant lesquels, le menton au poing, il avait écouté, avec un étrange sentiment de force, tant d'objections. Elles lui semblaient vaines, condamnées d'avance par la vie. Et il sentait sa propre force ramassée en lui comme un poids : « Mes raisons pèsent, je vaincrai, pensait Rivière. C'est la pente naturelle des événements. » Quand on lui réclamait des solutions parfaites, qui écarteraient tous les risques : « C'est l'expérience qui dégagera les lois, répondait-il, la connaissance des lois ne précède jamais l'expérience. »

Après une longue année de lutte, Rivière l'avait emporté. Les uns disaient : « à cause de sa foi », les autres : « à cause de sa ténacité, de sa puissance d'ours en marche », mais, selon lui, plus simplement, parce qu'il pesait dans la bonne direction.

Mais quelles précautions au début! Les avions ne partaient qu'une heure avant le jour, n'atterrissaient qu'une heure après le coucher du soleil. Quand Rivière se jugea plus sûr de son expérience, alors seulement il osa pousser les courriers dans les profondeurs de la nuit. A peine suivi, presque désavoué, il menait maintenant une lutte solitaire.

* * *

Rivière sonne pour connaître les derniers messages des avions en vol.

XI XI XI XI XI XI

Rivière le reçoit : Rivière receives him:

— Vous m'avez fait une blague, à votre dernier courrier. - You played a joke on me in your last letter. Vous m'avez fait demi-tour quand les météos étaient bonnes : vous pouviez passer. You turned me around when the weather was good: you could pass. Vous avez eu peur? You were afraid?

Le pilote surpris se tait. The surprised pilot is silent. Il frotte l'une contre l'autre, lentement, ses mains. He rubs his hands together slowly. Puis il redresse la tête, et regarde Rivière bien en face : Then he raises his head and looks Rivière straight in the face:

— Oui. - Yes.

Rivière a pitié, au fond de lui-même, de ce garçon si courageux qui a eu peur. Rivière feels pity, deep down, for this brave boy who was afraid. Le pilote tente de s'excuser. The pilot tries to apologize.

— Je ne voyais plus rien. “I couldn't see anything. Bien sûr, plus loin... peut-être... la T.S.F. Of course, further... maybe... the TSF disait... Mais ma lampe de bord a faibli, et je ne voyais plus mes mains. said... But my on-board lamp dimmed, and I couldn't see my hands anymore. J'ai voulu allumer ma lampe de position pour au moins voir l'aile : je n'ai rien vu. I tried to turn on my position light to at least see the wing: I saw nothing. Je me sentais au fond d'un grand trou dont il était difficile de remonter. I felt like I was at the bottom of a big hole that was hard to climb out of. Alors mon moteur s'est mis à vibrer. Then my engine started to vibrate.

— Non.

— Non? - No?

— Non. Nous l'avons examiné depuis. We have since examined it. Il est parfait. Mais on croit toujours qu'un moteur vibre quand on a peur. But we still believe that an engine vibrates when we are afraid.

— Qui n'aurait pas eu peur! "Who wouldn't have been afraid!" Les montagnes me dominaient. The mountains towered above me. Quand j'ai voulu prendre de l'altitude, j'ai rencontré de forts remous. When I tried to gain altitude, I ran into a lot of turbulence. Vous savez quand on ne voit rien... les remous... Au lieu de monter j'ai perdu cent mètres. You know when you can't see anything... the eddies... Instead of going up I lost a hundred meters. Je ne voyais même plus le gyroscope, même plus les manomètres. I couldn't even see the gyroscope or the pressure gauges. Il me semblait que mon moteur baissait de régime, qu'il chauffait, que la pression d'huile tombait... Tout ça dans l'ombre, comme une maladie. It seemed to me that my engine was running low, that it was getting hot, that the oil pressure was dropping... All in the shadows, like an illness. J'ai été bien content de revoir une ville éclairée. I was delighted to see the city lit up again.

— Vous avez trop d'imagination. - You've got too much imagination. Allez. Come on.

Et le pilote sort. And the pilot exits.

* * *

Rivière s'enfonce dans son fauteuil et passe la main dans ses cheveux gris. Rivière sinks into his armchair and runs a hand through his grey hair.

« C'est le plus courageux de mes hommes. "He's the bravest of my men. Ce qu'il a réussi ce soir-là est très beau, mais je le sauve de la peur... » What he achieved that night is very beautiful, but I save him from fear..."

Puis, comme une tentation de faiblesse lui revenait : Then, as a temptation to weakness returned to him:

« Pour se faire aimer, il suffit de plaindre. “To be loved, all you have to do is complain. Je ne plains guère ou je le cache. I hardly pity or hide it. J'aimerais bien pourtant m'entourer de l'amitié et de la douceur humaines. I'd still like to surround myself with human friendship and gentleness. Un médecin, dans son métier, les rencontre. A doctor, in his line of work, encounters them. Mais ce sont les événements que je sers. But these are the events that I serve. Il faut que je forge les hommes pour qu'ils les servent. I have to forge men to serve them. Comme je la sens bien cette loi obscure, le soir, dans mon bureau, devant les feuilles de route. How well I feel this obscure law, in the evening, in my office, in front of the roadmaps. Si je me laisse aller, si je laisse les événements bien réglés suivre leur cours, alors, mystérieux, naissent les incidents. If I let myself go, if I let well-regulated events take their course, then mysterious incidents arise. Comme si ma volonté seule empêchait l'avion de se rompre en vol, ou la tempête de retarder le courrier en marche. As if my will alone prevented the plane from breaking up in flight, or the storm from delaying the mail in transit. Je suis surpris, parfois, de mon pouvoir. Sometimes I'm surprised by my power. »

Il réfléchit encore : He thought again:

« C'est peut-être clair. "Maybe it's clear. Ainsi la lutte perpétuelle du jardinier sur sa pelouse. Like the perpetual struggle of the gardener on his lawn. Le poids de sa simple main repousse dans la terre, qui la prépare éternellement, la forêt primitive. The weight of his simple hand pushes back into the earth, which prepares it eternally, the primitive forest. »

Il pense au pilote : He thinks of the pilot:

« Je le sauve de la peur. "I save him from fear. Ce n'est pas lui que j'attaquais, c'est, à travers lui, cette résistance qui paralyse les hommes devant l'inconnu. It wasn't him I was attacking, it was, through him, the resistance that paralyzes men in the face of the unknown. Si je l'écoute, si je le plains, si je prends au sérieux son aventure, il croira revenir d'un pays de mystère, et c'est du mystère seul que l'on a peur. If I listen to him, if I pity him, if I take his adventure seriously, he'll think he's come back from a land of mystery, and it's mystery alone that we fear. Il faut que des hommes soient descendus dans ce puits sombre, et en remontent, et disent qu'ils n'ont rien rencontré. Men must have gone down that dark well, and come up, and say they've encountered nothing. Il faut que cet homme descende au coeur le plus intime de la nuit, dans son épaisseur, et sans même cette petite lampe de mineur, qui n'éclaire que les mains ou l'aile, mais écarte d'une largeur d'épaules l'inconnu. This man has to descend into the deepest heart of the night, into its thickness, and without even that little miner's lamp, which only illuminates the hands or the wing, but shrugs off the unknown. »

* * *

Pourtant, dans cette lutte, une silencieuse fraternité liait, au fond d'eux-mêmes, Rivière et ses pilotes. Yet in this struggle, Rivière and his pilots were bound together by a silent brotherhood. Y sin embargo, en esta lucha, una hermandad silenciosa unía a Rivière y a sus pilotos. C'étaient des hommes du même bord, qui éprouvaient le même désir de vaincre. They were men on the same side, with the same desire to win. Mais Rivière se souvient des autres batailles qu'il a livrées pour la conquête de la nuit. But Rivière remembers the other battles he fought to conquer the night.

On redoutait, dans les cercles officiels, comme une brousse inexplorée, ce territoire sombre. In official circles, people dreaded this dark territory, like uncharted bush. Lancer un équipage, à deux cents kilomètres à l'heure, vers les orages et les brumes et les obstacles matériels que la nuit contient sans les montrer, leur paraissait une aventure tolérable pour l'aviation militaire : on quitte un terrain par nuit claire, on bombarde, on revient au même terrain. Launching a crew, at two hundred kilometers an hour, into thunderstorms and mists and the material obstacles that night contains without showing, seemed to them a tolerable adventure for military aviation: you leave a field on a clear night, you bomb, you return to the same field. Mais les services réguliers échoueraient la nuit. But regular services would fail at night. « C'est pour nous, avait répliqué Rivière, une question de vie ou de mort, puisque nous perdons, chaque nuit, l'avance gagnée, pendant le jour, sur les chemins de fer et les navires. It's a matter of life and death for us," replied Rivière, "as we lose every night the lead we gained during the day over the railroads and ships. »

Rivière avait écouté, avec ennui, parler de bilans, d'assurances, et surtout d'opinion publique : « L'opinion publique... ripostait-il, on la gouverne! Rivière had listened with boredom to talk of balance sheets, insurance, and above all public opinion: "Public opinion..." he retorted, "we govern it! » Il pensait : « Que de temps perdu! "He thought: "What a waste of time! Il y a quelque chose... quelque chose qui prime tout cela. There is something... something that overrides all of this. Ce qui est vivant bouscule tout pour vivre et crée, pour vivre, ses propres lois. What is alive overturns everything in order to live, and creates its own laws in order to live. C'est irrésistible. It's irresistible. » Rivière ne savait pas quand ni comment l'aviation commerciale aborderait les vols de nuit, mais il fallait préparer cette solution inévitable. "Rivière didn't know when or how commercial aviation would approach night flights, but it was necessary to prepare for this inevitable solution.

Il se souvient des tapis verts, devant lesquels, le menton au poing, il avait écouté, avec un étrange sentiment de force, tant d'objections. He remembers the green carpets, in front of which, chin in fist, he had listened, with a strange feeling of strength, to so many objections. Elles lui semblaient vaines, condamnées d'avance par la vie. They seemed to him vain, condemned in advance by life. Et il sentait sa propre force ramassée en lui comme un poids : « Mes raisons pèsent, je vaincrai, pensait Rivière. And he felt his own strength gathered up inside him like a weight: "My reasons weigh, I'll win, thought Rivière. C'est la pente naturelle des événements. This is the natural slope of events. » Quand on lui réclamait des solutions parfaites, qui écarteraient tous les risques : « C'est l'expérience qui dégagera les lois, répondait-il, la connaissance des lois ne précède jamais l'expérience. "When people asked him for perfect solutions that would eliminate all risks, he replied: "It's experience that will bring out the laws; knowledge of laws never precedes experience. "Cuando la gente le pedía soluciones perfectas que eliminaran todos los riesgos, él respondía: "Es la experiencia la que revelará las leyes. »

Après une longue année de lutte, Rivière l'avait emporté. After a long year of struggle, Rivière won. Tras un largo año de lucha, Rivière ganó. Les uns disaient : « à cause de sa foi », les autres : « à cause de sa ténacité, de sa puissance d'ours en marche », mais, selon lui, plus simplement, parce qu'il pesait dans la bonne direction. Some said: "because of his faith", others: "because of his tenacity, his power as a bear on the move", but, according to him, more simply, because he was moving in the right direction.

Mais quelles précautions au début! But what precautions in the beginning! Les avions ne partaient qu'une heure avant le jour, n'atterrissaient qu'une heure après le coucher du soleil. Planes didn't leave until an hour before daylight, and didn't land until an hour after sunset. Quand Rivière se jugea plus sûr de son expérience, alors seulement il osa pousser les courriers dans les profondeurs de la nuit. Only when Rivière felt more sure of his experience did he dare to push the couriers into the depths of the night. A peine suivi, presque désavoué, il menait maintenant une lutte solitaire. Barely followed, almost disavowed, he was now waging a solitary struggle.

* * *

Rivière sonne pour connaître les derniers messages des avions en vol. Rivière rings to find out the latest messages from planes in flight. Rivière llama para conocer los últimos mensajes de los aviones en vuelo.