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Vol de Nuit, VII

VII

Le radio navigant du courrier de Patagonie, une heure plus tard, se sentit soulevé doucement, comme par une épaule. Il regarda autour de lui : des nuages lourds éteignaient les étoiles. Il se pencha vers le sol : il cherchait les lumières des villages, pareilles à celles de vers luisants cachés dans l'herbe, mais rien ne brillait dans cette herbe noire.

Il se sentit maussade, entrevoyant une nuit difficile : marches, contremarches, territoires gagnés qu'il faut rendre. Il ne comprenait pas la tactique du pilote; il lui semblait que l'on se heurterait plus loin à l'épaisseur de la nuit comme à un mur.

Maintenant, il apercevait, en face d'eux, un miroitement imperceptible au ras de l'horizon : une lueur de forge. Le radio toucha l'épaule de Fabien, mais celui-ci ne bougea pas.

Les premiers remous de l'orage lointain attaquaient l'avion. Doucement soulevées, les masses métalliques pesaient contre la chair même du radio, puis semblaient s'évanouir, se fondre, et dans la nuit, pendant quelques secondes, il flotta seul. Alors il se cramponna des deux mains aux longerons d'acier.

Et comme il n'apercevait plus rien du monde que l'ampoule rouge de la carlingue, il frissonna de se sentir descendre au coeur de la nuit, sans secours, sous la seule protection d'une petite lampe de mineur. Il n'osa pas déranger le pilote pour connaître ce qu'il déciderait, et, les mains serrées sur l'acier, incliné en avant vers lui, il regardait cette nuque sombre.

* * *

Une tête et des épaules immobiles émergeaient seules de la faible clarté. Ce corps n'était qu'une masse sombre, appuyée un peu vers la gauche, le visage face à l'orage, lavé sans doute par chaque lueur. Mais le radio ne voyait rien de ce visage. Tout ce qui s'y pressait de sentiments pour affronter une tempête : cette moue, cette volonté, cette colère, tout ce qui s'échangeait d'essentiel, entre ce visage pâle et, là-bas, ces courtes lueurs, restait pour lui impénétrable.

Il devinait pourtant la puissance ramassée dans l'immobilité de cette ombre, et il l'aimait. Elle l'emportait sans doute vers l'orage, mais aussi elle le couvrait. Sans doute ces mains, fermées sur les commandes, pesaient déjà sur la tempête, comme sur la nuque d'une bête, mais les épaules pleines de force demeuraient immobiles, et l'on sentait là une profonde réserve.

Le radio pensa qu'après tout le pilote était responsable. Et maintenant il savourait, entraîné en croupe dans ce galop vers l'incendie, ce que cette forme sombre, là, devant lui, exprimait de matériel et de pesant, ce qu'elle exprimait de durable.

A gauche, faible comme un phare à éclipse, un foyer nouveau s'éclaira.

Le radio amorça un geste pour toucher l'épaule de Fabien, le prévenir, mais il le vit tourner lentement la tête, et tenir son visage, quelques secondes, face à ce nouvel ennemi, puis, lentement, reprendre sa position primitive. Ces épaules toujours immobiles, cette nuque appuyée au cuir.

VII VII VII VII VII VII VII

Le radio navigant du courrier de Patagonie, une heure plus tard, se sentit soulevé doucement, comme par une épaule. The radio navigator of the Patagonian mail, an hour later, felt himself lifted gently, as if by a shoulder. Il regarda autour de lui : des nuages lourds éteignaient les étoiles. He looked around: heavy clouds were extinguishing the stars. Il se pencha vers le sol : il cherchait les lumières des villages, pareilles à celles de vers luisants cachés dans l'herbe, mais rien ne brillait dans cette herbe noire. He leaned towards the ground: he looked for the lights of the villages, like those of glowworms hidden in the grass, but nothing shone in this black grass.

Il se sentit maussade, entrevoyant une nuit difficile : marches, contremarches, territoires gagnés qu'il faut rendre. He felt sullen, foreseeing a difficult night: marches, rises, territories won that must be returned. Se sentía sombrío, previendo una noche difícil por delante: pasos, subidas, territorio ganado que había que devolver. Il ne comprenait pas la tactique du pilote; il lui semblait que l'on se heurterait plus loin à l'épaisseur de la nuit comme à un mur. He did not understand the pilot's tactics; it seemed to him that one would come up against the thickness of the night further on, like a wall.

Maintenant, il apercevait, en face d'eux, un miroitement imperceptible au ras de l'horizon : une lueur de forge. Now he could see, in front of them, an imperceptible shimmer on the horizon: the light of a forge. Le radio toucha l'épaule de Fabien, mais celui-ci ne bougea pas. The radio touched Fabien's shoulder, but he didn't move.

Les premiers remous de l'orage lointain attaquaient l'avion. The first stirrings of the distant storm attacked the plane. Doucement soulevées, les masses métalliques pesaient contre la chair même du radio, puis semblaient s'évanouir, se fondre, et dans la nuit, pendant quelques secondes, il flotta seul. Gently raised, the metal masses weighed against the very flesh of the radio, then seemed to vanish, to melt, and in the night, for a few seconds, it floated alone. Alors il se cramponna des deux mains aux longerons d'acier. So he clung to the steel spars with both hands.

Et comme il n'apercevait plus rien du monde que l'ampoule rouge de la carlingue, il frissonna de se sentir descendre au coeur de la nuit, sans secours, sous la seule protection d'une petite lampe de mineur. And since he no longer saw anything in the world except the red light bulb in the cabin, he shuddered to feel himself descending in the heart of the night, without help, under the sole protection of a small miner's lamp. Il n'osa pas déranger le pilote pour connaître ce qu'il déciderait, et, les mains serrées sur l'acier, incliné en avant vers lui, il regardait cette nuque sombre. He didn't dare disturb the pilot to find out what he would decide, and with his hands clenched on the steel, leaning forward towards him, he stared at that dark neck.

* * *

Une tête et des épaules immobiles émergeaient seules de la faible clarté. A motionless head and shoulders emerged alone from the dim light. Ce corps n'était qu'une masse sombre, appuyée un peu vers la gauche, le visage face à l'orage, lavé sans doute par chaque lueur. This body was only a dark mass, leaning a little to the left, its face facing the storm, washed, no doubt, by each gleam. Mais le radio ne voyait rien de ce visage. But the radio could see nothing of this face. Tout ce qui s'y pressait de sentiments pour affronter une tempête : cette moue, cette volonté, cette colère, tout ce qui s'échangeait d'essentiel, entre ce visage pâle et, là-bas, ces courtes lueurs, restait pour lui impénétrable. All the feelings that were pressed into it to face a storm: that pout, that will, that anger, all the essentials that were exchanged between that pale face and those short glimmers of light there, remained impenetrable to him.

Il devinait pourtant la puissance ramassée dans l'immobilité de cette ombre, et il l'aimait. Yet he guessed the power concentrated in the immobility of this shadow, and he loved it. Elle l'emportait sans doute vers l'orage, mais aussi elle le couvrait. It undoubtedly carried him into the storm, but it also covered him. Sans doute ces mains, fermées sur les commandes, pesaient déjà sur la tempête, comme sur la nuque d'une bête, mais les épaules pleines de force demeuraient immobiles, et l'on sentait là une profonde réserve. No doubt those hands, closed on the controls, were already weighing down on the storm, like the nape of a beast's neck, but the shoulders, full of strength, remained motionless, and one sensed a deep reserve there.

Le radio pensa qu'après tout le pilote était responsable. The radio thought that after all the pilot was responsible. Et maintenant il savourait, entraîné en croupe dans ce galop vers l'incendie, ce que cette forme sombre, là, devant lui, exprimait de matériel et de pesant, ce qu'elle exprimait de durable. And now he savored, dragged behind in this gallop towards the fire, what this dark form, there, in front of him, expressed in material and heavy, what it expressed in durability. Y ahora estaba saboreando la materialidad y el peso de aquella forma oscura ante él, su durabilidad, mientras galopaba hacia el fuego.

A gauche, faible comme un phare à éclipse, un foyer nouveau s'éclaira. To the left, faint as a fading lighthouse, a new hearth lit up.

Le radio amorça un geste pour toucher l'épaule de Fabien, le prévenir, mais il le vit tourner lentement la tête, et tenir son visage, quelques secondes, face à ce nouvel ennemi, puis, lentement, reprendre sa position primitive. The radio began a gesture to touch Fabien's shoulder, warn him, but he saw him slowly turn his head and hold his face for a few seconds facing this new enemy, then slowly resume his original position. Ces épaules toujours immobiles, cette nuque appuyée au cuir. Those shoulders always motionless, that neck pressed against the leather.