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La Dame aux Camélias - Dumas Fils, Chapitre XXIII (2)

Chapitre XXIII (2)

Si elle était entrée à ce moment, mes résolutions de vengeance auraient disparu et je serais tombé à ses pieds.

– Du reste, reprit Prudence, je ne l'ai jamais vue comme elle est maintenant : elle ne dort presque plus, elle court les bals, elle soupe, elle se grise même. Dernièrement, après un souper, elle est restée huit jours au lit ; et quand le médecin lui a permis de se lever, elle a recommencé, au risque d'en mourir. Irez-vous la voir ?

– À quoi bon ? Je suis venu vous voir, vous, parce que vous avez été toujours charmante pour moi, et que je vous connaissais avant de connaître Marguerite. C'est à vous que je dois d'avoir été son amant, comme c'est à vous que je dois de ne plus l'être, n'est-ce pas ?

– Ah ! dame, j'ai fait tout ce que j'ai pu pour qu'elle vous quittât, et je crois que, plus tard, vous ne m'en voudrez pas.

– Je vous en ai une double reconnaissance, ajoutai-je en me levant, car j'avais du dégoût pour cette femme, à la voir prendre au sérieux tout ce que je lui disais.

– Vous vous en allez ?

– Oui.

J'en savais assez.

– Quand vous verra-t-on ?

– Bientôt. Adieu.

– Adieu.

Prudence me conduisit jusqu'à la porte, et je rentrai chez moi des larmes de rage dans les yeux et un besoin de vengeance dans le coeur.

Ainsi Marguerite était décidément une fille comme les autres ; ainsi, cet amour profond qu'elle avait pour moi n'avait pas lutté contre le désir de reprendre sa vie passée, et contre le besoin d'avoir une voiture et de faire des orgies.

Voilà ce que je me disais au milieu de mes insomnies, tandis que, si j'avais réfléchi aussi froidement que je l'affectais, j'aurais vu dans cette nouvelle existence bruyante de Marguerite l'espérance pour elle de faire taire une pensée continue, un souvenir incessant.

Malheureusement, la passion mauvaise dominait en moi, et je ne cherchai qu'un moyen de torturer cette pauvre créature.

Oh ! l'homme est bien petit et bien vil quand l'une de ses étroites passions est blessée.

Cette Olympe, avec qui je l'avais vue, était sinon l'amie de Marguerite, du moins celle qu'elle fréquentait le plus souvent depuis son retour à Paris. Elle allait donner un bal, et comme je supposais que Marguerite y serait, je cherchai à me faire donner une invitation et je l'obtins.

Quand, plein de mes douloureuses émotions, j'arrivai à ce bal, il était déjà fort animé. On dansait, on criait même, et, dans un des quadrilles, j'aperçus Marguerite dansant avec le comte de N…, lequel paraissait tout fier de la montrer, et semblait dire à tout le monde :

– Cette femme est à moi !

J'allai m'adosser à la cheminée, juste en face de Marguerite, et je la regardai danser. À peine m'eut-elle aperçu qu'elle se troubla. Je la vis et je la saluai distraitement de la main et des yeux.

Quand je songeais que après le bal, ce ne serait plus avec moi, mais avec ce riche imbécile qu'elle s'en irait, quand je me représentais ce qui vraisemblablement allait suivre leur retour chez elle, le sang me montait au visage, et le besoin me venait de troubler leurs amours.

Après la contredanse, j'allai saluer la maîtresse de la maison, qui étalait aux yeux des invités des épaules magnifiques et la moitié d'une gorge éblouissante.

Cette fille-là était belle, et, au point de vue de la forme, plus belle que Marguerite. Je le compris mieux encore à certains regards que celle-ci jeta sur Olympe pendant que je lui parlais. L'homme qui serait l'amant de cette femme pourrait être aussi fier que l'était M. de N…, et elle était assez belle pour inspirer une passion égale à celle que Marguerite m'avait inspirée.

Elle n'avait pas d'amant à cette époque. Il ne serait pas difficile de le devenir. Le tout était de montrer assez d'or pour se faire regarder.

Ma résolution fut prise. Cette femme serait ma maîtresse.

Je commençai mon rôle de postulant en dansant avec Olympe.

Une demi-heure après, Marguerite, pâle comme une morte, mettait sa pelisse et quittait le bal.


Chapitre XXIII (2) Kapitel XXIII (2) Chapter XXIII (2) Capítulo XXIII (2)

Si elle était entrée à ce moment, mes résolutions de vengeance auraient disparu et je serais tombé à ses pieds.

– Du reste, reprit Prudence, je ne l'ai jamais vue comme elle est maintenant : elle ne dort presque plus, elle court les bals, elle soupe, elle se grise même. - Sie schläft kaum noch, geht auf Bälle, isst, betrinkt sich sogar. “Besides,” continued Prudence, “I have never seen her as she is now: she hardly sleeps any more, she goes to balls, she sups, she even gets tipsy. Dernièrement, après un souper, elle est restée huit jours au lit ; et quand le médecin lui a permis de se lever, elle a recommencé, au risque d'en mourir. Lately, after a supper, she has been in bed for eight days; and when the doctor allowed her to get up, she started again, at the risk of dying. Irez-vous la voir ?

– À quoi bon ? Je suis venu vous voir, vous, parce que vous avez été toujours charmante pour moi, et que je vous connaissais avant de connaître Marguerite. C'est à vous que je dois d'avoir été son amant, comme c'est à vous que je dois de ne plus l'être, n'est-ce pas ?

– Ah ! dame, j'ai fait tout ce que j'ai pu pour qu'elle vous quittât, et je crois que, plus tard, vous ne m'en voudrez pas.

– Je vous en ai une double reconnaissance, ajoutai-je en me levant, car j'avais du dégoût pour cette femme, à la voir prendre au sérieux tout ce que je lui disais.

– Vous vous en allez ?

– Oui.

J'en savais assez. Ich wusste genug. I knew enough.

– Quand vous verra-t-on ? - Wann werden wir Sie sehen?

– Bientôt. Adieu.

– Adieu.

Prudence me conduisit jusqu'à la porte, et je rentrai chez moi des larmes de rage dans les yeux et un besoin de vengeance dans le coeur.

Ainsi Marguerite était décidément une fille comme les autres ; ainsi, cet amour profond qu'elle avait pour moi n'avait pas lutté contre le désir de reprendre sa vie passée, et contre le besoin d'avoir une voiture et de faire des orgies.

Voilà ce que je me disais au milieu de mes insomnies, tandis que, si j'avais réfléchi aussi froidement que je l'affectais, j'aurais vu dans cette nouvelle existence bruyante de Marguerite l'espérance pour elle de faire taire une pensée continue, un souvenir incessant. Das sagte ich mir inmitten meiner Schlaflosigkeit, während ich, wenn ich so kühl gedacht hätte, wie ich es tat, in Margaretes lärmender neuer Existenz die Hoffnung gesehen hätte, dass sie einen ständigen Gedanken und eine unaufhörliche Erinnerung zum Schweigen bringen würde.

Malheureusement, la passion mauvaise dominait en moi, et je ne cherchai qu'un moyen de torturer cette pauvre créature.

Oh ! l'homme est bien petit et bien vil quand l'une de ses étroites passions est blessée.

Cette Olympe, avec qui je l'avais vue, était sinon l'amie de Marguerite, du moins celle qu'elle fréquentait le plus souvent depuis son retour à Paris. Elle allait donner un bal, et comme je supposais que Marguerite y serait, je cherchai à me faire donner une invitation et je l'obtins.

Quand, plein de mes douloureuses émotions, j'arrivai à ce bal, il était déjà fort animé. On dansait, on criait même, et, dans un des quadrilles, j'aperçus Marguerite dansant avec le comte de N…, lequel paraissait tout fier de la montrer, et semblait dire à tout le monde :

– Cette femme est à moi !

J'allai m'adosser à la cheminée, juste en face de Marguerite, et je la regardai danser. À peine m'eut-elle aperçu qu'elle se troubla. Je la vis et je la saluai distraitement de la main et des yeux.

Quand je songeais que après le bal, ce ne serait plus avec moi, mais avec ce riche imbécile qu'elle s'en irait, quand je me représentais ce qui vraisemblablement allait suivre leur retour chez elle, le sang me montait au visage, et le besoin me venait de troubler leurs amours.

Après la contredanse, j'allai saluer la maîtresse de la maison, qui étalait aux yeux des invités des épaules magnifiques et la moitié d'une gorge éblouissante.

Cette fille-là était belle, et, au point de vue de la forme, plus belle que Marguerite. Dieses Mädchen war schön und von der Form her sogar schöner als Marguerite. Je le compris mieux encore à certains regards que celle-ci jeta sur Olympe pendant que je lui parlais. L'homme qui serait l'amant de cette femme pourrait être aussi fier que l'était M. de N…, et elle était assez belle pour inspirer une passion égale à celle que Marguerite m'avait inspirée.

Elle n'avait pas d'amant à cette époque. Il ne serait pas difficile de le devenir. Le tout était de montrer assez d'or pour se faire regarder.

Ma résolution fut prise. Cette femme serait ma maîtresse.

Je commençai mon rôle de postulant en dansant avec Olympe. Ich begann meine Rolle als Bewerberin, indem ich mit Olympe tanzte.

Une demi-heure après, Marguerite, pâle comme une morte, mettait sa pelisse et quittait le bal. Half an hour later, Marguerite, pale as death, put on her fur coat and left the ball.