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La Dame aux Camélias - Dumas Fils, Chapitre XVII (1)

Chapitre XVII (1)

Le lendemain, Marguerite me congédia de bonne heure, me disant que le duc devait venir de grand matin, et me promettant de m'écrire dès qu'il serait parti, pour me donner le rendez-vous de chaque soir.

En effet, dans la journée, je reçus ce mot :

« Je vais à Bougival avec le duc ; soyez chez Prudence, ce soir, à huit heures. »

À l'heure indiquée, Marguerite était de retour, et venait me rejoindre chez madame Duvernoy.

– Et bien, tout est arrangé, dit-elle en entrant.

– La maison est louée ? demanda Prudence.

– Oui ; il a consenti tout de suite.

Je ne connaissais pas le duc, mais j'avais honte de le tromper comme je le faisais.

– Mais, ce n'est pas tout ! reprit Marguerite.

– Quoi donc encore ?

– Je me suis inquiétée du logement d'Armand.

– Dans la même maison ? demanda Prudence en riant.

– Non, mais au Point-du-Jour, où nous avons déjeuné, le duc et moi. Pendant qu'il regardait la vue, j'ai demandé à madame Arnould, car c'est madame Arnould qu'elle s'appelle, n'est-ce pas ? je lui ai demandé si elle avait un appartement convenable. Elle en a justement un, avec salon, antichambre et chambre à coucher. C'est tout ce qu'il faut, je pense. Soixante francs par mois. Le tout meublé de façon à distraire un hypocondriaque. J'ai retenu le logement. Ai-je bien fait ?

Je sautai au cou de Marguerite.

– Ce sera charmant, continua-t-elle, vous avez une clef de la petite porte, et j'ai promis au duc une clef de la grille qu'il ne prendra pas, puisqu'il ne viendra que dans le jour, quand il viendra. Je crois, entre nous, qu'il est enchanté de ce caprice qui m'éloigne de Paris pendant quelque temps, et fera taire un peu sa famille. Cependant, il m'a demandé comment moi, qui aime tant Paris, je pouvais me décider à m'enterrer dans cette campagne ; je lui ai répondu que j'étais souffrante et que c'était pour me reposer. Il n'a paru me croire que très imparfaitement. Ce pauvre vieux est toujours aux abois. Nous prendrons donc beaucoup de précautions, mon cher Armand ; car il me ferait surveiller là-bas, et ce n'est pas le tout qu'il me loue une maison, il faut encore qu'il paye mes dettes, et j'en ai malheureusement quelques-unes. Tout cela vous convient-il ?

– Oui, répondis-je en essayant de faire taire tous les scrupules que cette façon de vivre réveillait de temps en temps en moi.

– Nous avons visité la maison dans tous ses détails, nous y serons à merveille. Le duc s'inquiétait de tout. Ah ! mon cher, ajouta la folle en m'embrassant, vous n'êtes pas malheureux, c'est un millionnaire qui fait votre lit.

– Et quand emménagez-vous ? demanda Prudence.

– Le plus tôt possible.

– Vous emmenez votre voiture et vos chevaux ?

– J'emmènerai toute ma maison. Vous vous chargerez de mon appartement pendant mon absence.

Huit jours après, Marguerite avait pris possession de la maison de campagne, et moi j'étais installé au Point-du-Jour.

Alors commença une existence que j'aurais bien de la peine à vous décrire.

Dans les commencements de son séjour à Bougival, Marguerite ne put rompre tout à fait avec ses habitudes, et comme la maison était toujours en fête, toutes ses amies venaient la voir ; pendant un mois, il ne se passa pas de jour que Marguerite n'eût huit ou dix personnes à sa table. Prudence amenait de son côté tous les gens qu'elle connaissait, et leur faisait tous les honneurs de la maison, comme si cette maison lui eût appartenu.

L'argent du duc payait tout cela, comme vous le pensez bien, et cependant il arriva de temps en temps à Prudence de me demander un billet de mille francs, soi-disant au nom de Marguerite. Vous savez que j'avais fait quelque gain au jeu ; je m'empressai donc de remettre à Prudence ce que Marguerite me faisait demander par elle, et dans la crainte qu'elle n'eût besoin de plus que je n'avais, je vins emprunter à Paris une somme égale à celle que j'avais déjà empruntée autrefois, et que j'avais rendue très exactement.

Je me trouvai donc de nouveau riche d'une dizaine de mille francs, sans compter ma pension.

Cependant le plaisir qu'éprouvait Marguerite à recevoir ses amies se calma un peu devant les dépenses auxquelles ce plaisir l'entraînait, et surtout devant la nécessité où elle était quelquefois de me demander de l'argent. Le duc, qui avait loué cette maison pour que Marguerite s'y reposât, n'y paraissait plus, craignant toujours d'y rencontrer une joyeuse et nombreuse compagnie de laquelle il ne voulait pas être vu. Cela tenait surtout à ce que, venant un jour pour dîner en tête-à-tête avec Marguerite, il était tombé au milieu d'un déjeuner de quinze personnes qui n'était pas encore fini à l'heure où il comptait se mettre à table pour dîner. Quand, ne se doutant de rien, il avait ouvert la porte de la salle à manger, un rire général avait accueilli son entrée, et il avait été forcé de se retirer brusquement devant l'impertinente gaieté des filles qui se trouvaient là.

Marguerite s'était levée de table, avait été retrouver le duc dans la chambre voisine, et avait essayé, autant que possible, de lui faire oublier cette aventure ; mais le vieillard, blessé dans son amour-propre, avait gardé rancune : il avait dit assez cruellement à la pauvre fille qu'il était las de payer les folies d'une femme qui ne savait même pas le faire respecter chez elle, et il était parti fort courroucé.

Depuis ce jour on n'avait plus entendu parler de lui. Marguerite avait eu beau congédier ses convives, changer ses habitudes, le duc n'avait plus donné de ses nouvelles. J'y avais gagné que ma maîtresse m'appartenait plus complètement, et que mon rêve se réalisait enfin. Marguerite ne pouvait plus se passer de moi. Sans s'inquiéter de ce qui en résulterait, elle affichait publiquement notre liaison, et j'en étais arrivé à ne plus sortir de chez elle. Les domestiques m'appelaient monsieur, et me regardaient officiellement comme leur maître.

Prudence avait bien fait, à propos de cette nouvelle vie, force morale à Marguerite ; mais celle-ci avait répondu qu'elle m'aimait, qu'elle ne pouvait vivre sans moi, et quoi qu'il en dût advenir, elle ne renoncerait pas au bonheur de m'avoir sans cesse auprès d'elle, ajoutant que tous ceux à qui cela ne plairait pas étaient libres de ne pas revenir.

Voilà ce que j'avais entendu un jour où Prudence avait dit à Marguerite qu'elle avait quelque chose de très important à lui communiquer, et où j'avais écouté à la porte de la chambre où elles s'étaient renfermées.

Quelque temps après Prudence revint.

J'étais au fond du jardin quand elle entra ; elle ne me vit pas. Je me doutais, à la façon dont Marguerite était venue au-devant d'elle, qu'une conversation pareille à celle que j'avais déjà surprise allait avoir lieu de nouveau et je voulus l'entendre comme l'autre.

Les deux femmes se renfermèrent dans un boudoir et je me mis aux écoutes.

– Eh bien ? demanda Marguerite.

– Eh bien ! j'ai vu le duc.

– Que vous a-t-il dit ?

– Qu'il vous pardonnait volontiers la première scène, mais qu'il avait appris que vous viviez publiquement avec M. Armand Duval, et que cela il ne vous le pardonnait pas. Que Marguerite quitte ce jeune homme, m'a-t-il dit, et comme par le passé je lui donnerai tout ce qu'elle voudra, sinon, elle devra renoncer à me demander quoi que ce soit.

– Vous avez répondu ?

– Que je vous communiquerais sa décision, et je lui ai promis de vous faire entendre raison. Réfléchissez, ma chère enfant, à la position que vous perdez et que ne pourra jamais vous rendre Armand. Il vous aime de toute son âme, mais il n'a pas assez de fortune pour subvenir à tous vos besoins, et il faudra bien un jour vous quitter, quand il sera trop tard et que le duc ne voudra plus rien faire pour vous. Voulez-vous que je parle à Armand ?

Marguerite paraissait réfléchir, car elle ne répondit pas. Le coeur me battait violemment en attendant sa réponse.

– Non, reprit-elle, je ne quitterai pas Armand, et je ne me cacherai pas pour vivre avec lui. C'est peut-être une folie, mais je l'aime ! que voulez-vous ? Et puis, maintenant il a pris l'habitude de m'aimer sans obstacle ; il souffrirait trop d'être forcé de me quitter ne fût-ce qu'une heure par jour. D'ailleurs, je n'ai pas tant de temps à vivre pour me rendre malheureuse et faire les volontés d'un vieillard dont la vue seule me fait vieillir. Qu'il garde son argent ; je m'en passerai.

– Mais comment ferez-vous ?

– Je n'en sais rien.

Prudence allait sans doute répondre quelque chose, mais j'entrai brusquement et je courus me jeter aux pieds de Marguerite, couvrant ses mains des larmes que me faisait verser la joie d'être aimé ainsi.

– Ma vie est à toi, Marguerite, tu n'as plus besoin de cet homme, ne suis-je pas là ? T'abandonnerais-je jamais et pourrais-je payer assez le bonheur que tu me donnes ? Plus de contrainte, ma Marguerite, nous nous aimons ! Que nous importe le reste ?

– Oh ! oui, je t'aime, mon Armand ! murmura-t-elle en enlaçant ses deux bras autour de mon cou, je t'aime comme je n'aurais pas cru pouvoir aimer. Nous serons heureux, nous vivrons tranquilles, et je dirai un éternel adieu à cette vie dont je rougis maintenant. Jamais tu ne me reprocheras le passé, n'est-ce pas ?

Les larmes voilaient ma voix. Je ne pus répondre qu'en pressant Marguerite contre mon coeur.

– Allons, dit-elle en se retournant vers Prudence et d'une voix émue, vous rapporterez cette scène au duc, et vous ajouterez que nous n'avons pas besoin de lui.

À partir de ce jour il ne fut plus question du duc. Marguerite n'était plus la fille que j'avais connue. Elle évitait tout ce qui aurait pu me rappeler la vie au milieu de laquelle je l'avais rencontrée. Jamais femme, jamais soeur n'eut pour son époux ou son frère l'amour et les soins qu'elle avait pour moi. Cette nature maladive était prête à toutes les impressions, accessible à tous les sentiments. Elle avait rompu avec ses amies comme avec ses habitudes, avec son langage comme avec les dépenses d'autrefois. Quand on nous voyait sortir de la maison pour aller faire une promenade dans un charmant petit bateau que j'avais acheté, on n'eût jamais cru que cette femme vêtue d'une robe blanche, couverte d'un grand chapeau de paille, et portant sur son bras la simple pelisse de soie qui devait la garantir de la fraîcheur de l'eau, était cette Marguerite Gautier qui, quatre mois auparavant, faisait bruit de son luxe et de ses scandales.

Hélas ! nous nous hâtions d'être heureux, comme si nous avions deviné que nous ne pouvions pas l'être longtemps.

Depuis deux mois nous n'étions même pas allés à Paris. Personne n'était venu nous voir, excepté Prudence, et cette Julie Duprat dont je vous ai parlé, et à qui Marguerite devait remettre plus tard le touchant récit que j'ai là.

Je passais des journées entières aux pieds de ma maîtresse. Nous ouvrions les fenêtres qui donnaient sur le jardin, et regardant l'été s'abattre joyeusement dans les fleurs qu'il fait éclore et sous l'ombre des arbres, nous respirions à côté l'un de l'autre cette vie véritable que ni Marguerite ni moi n'avions comprise jusqu'alors.

Cette femme avait des étonnements d'enfant pour les moindres choses. Il y avait des jours où elle courait dans le jardin, comme une fille de dix ans, après un papillon ou une demoiselle. Cette courtisane, qui avait fait dépenser en bouquets plus d'argent qu'il n'en faudrait pour faire vivre dans la joie une famille entière, s'asseyait quelquefois sur la pelouse, pendant une heure, pour examiner la simple fleur dont elle portait le nom.

Ce fut pendant ce temps-là qu'elle lut si souvent Manon Lescaut. Je la surpris bien des fois annotant ce livre : et elle me disait toujours que lorsqu'une femme aime, elle ne peut pas faire ce que faisait Manon.


Chapitre XVII (1) Kapitel XVII (1) Chapter XVII (1) Capítulo XVII (1)

Le lendemain, Marguerite me congédia de bonne heure, me disant que le duc devait venir de grand matin, et me promettant de m'écrire dès qu'il serait parti, pour me donner le rendez-vous de chaque soir. The next day, Marguerite dismissed me early, telling me that the duke was to come very early in the morning, and promising to write to me as soon as he left, to give me the appointment for each evening.

En effet, dans la journée, je reçus ce mot : Indeed, during the day, I received this note:

« Je vais à Bougival avec le duc ; soyez chez Prudence, ce soir, à huit heures. »

À l'heure indiquée, Marguerite était de retour, et venait me rejoindre chez madame Duvernoy.

– Et bien, tout est arrangé, dit-elle en entrant.

– La maison est louée ? demanda Prudence.

– Oui ; il a consenti tout de suite.

Je ne connaissais pas le duc, mais j'avais honte de le tromper comme je le faisais. I didn't know the duke, but I was ashamed to deceive him as I did.

– Mais, ce n'est pas tout ! - But that's not all ! reprit Marguerite.

– Quoi donc encore ?

– Je me suis inquiétée du logement d'Armand.

– Dans la même maison ? demanda Prudence en riant.

– Non, mais au Point-du-Jour, où nous avons déjeuné, le duc et moi. “No, but at Point-du-Jour, where the duke and I had lunch. Pendant qu'il regardait la vue, j'ai demandé à madame Arnould, car c'est madame Arnould qu'elle s'appelle, n'est-ce pas ? While he was looking at the view, I asked Madame Arnould, because it's Madame Arnould that her name is, isn't it? je lui ai demandé si elle avait un appartement convenable. I asked her if she had a suitable apartment. Elle en a justement un, avec salon, antichambre et chambre à coucher. She has just one, with living room, antechamber and bedroom. C'est tout ce qu'il faut, je pense. That's all it takes, I think. Soixante francs par mois. Sixty francs a month. Le tout meublé de façon à distraire un hypocondriaque. J'ai retenu le logement. Ai-je bien fait ?

Je sautai au cou de Marguerite.

– Ce sera charmant, continua-t-elle, vous avez une clef de la petite porte, et j'ai promis au duc une clef de la grille qu'il ne prendra pas, puisqu'il ne viendra que dans le jour, quand il viendra. "That will be charming," she continued, "you have a key to the little door, and I have promised the duke a key to the gate, which he will not take, since he will only come during the day, when he will come. Je crois, entre nous, qu'il est enchanté de ce caprice qui m'éloigne de Paris pendant quelque temps, et fera taire un peu sa famille. I believe, between us, that he is delighted with this caprice which keeps me away from Paris for a while, and will silence his family a little. Cependant, il m'a demandé comment moi, qui aime tant Paris, je pouvais me décider à m'enterrer dans cette campagne ; je lui ai répondu que j'étais souffrante et que c'était pour me reposer. Il n'a paru me croire que très imparfaitement. He seemed to believe me only very imperfectly. Ce pauvre vieux est toujours aux abois. Der arme alte Mann ist immer auf der Flucht. Nous prendrons donc beaucoup de précautions, mon cher Armand ; car il me ferait surveiller là-bas, et ce n'est pas le tout qu'il me loue une maison, il faut encore qu'il paye mes dettes, et j'en ai malheureusement quelques-unes. We will therefore take many precautions, my dear Armand; for he would have me watched over there, and it is not the only thing that he rents me a house, he still has to pay my debts, and unfortunately I have some of them. Tout cela vous convient-il ? Does all this suit you?

– Oui, répondis-je en essayant de faire taire tous les scrupules que cette façon de vivre réveillait de temps en temps en moi. - Yes, I replied, trying to silence all the scruples that this way of life aroused from time to time in me.

– Nous avons visité la maison dans tous ses détails, nous y serons à merveille. – We visited the house in all its details, we will be there wonderfully. Le duc s'inquiétait de tout. The duke worried about everything. Ah ! mon cher, ajouta la folle en m'embrassant, vous n'êtes pas malheureux, c'est un millionnaire qui fait votre lit. my dear, added the madwoman, embracing me, you are not unhappy, it is a millionaire who makes your bed.

– Et quand emménagez-vous ? demanda Prudence.

– Le plus tôt possible.

– Vous emmenez votre voiture et vos chevaux ?

– J'emmènerai toute ma maison. Vous vous chargerez de mon appartement pendant mon absence.

Huit jours après, Marguerite avait pris possession de la maison de campagne, et moi j'étais installé au Point-du-Jour. Eight days later, Marguerite had taken possession of the country house, and I was installed at Point-du-Jour.

Alors commença une existence que j'aurais bien de la peine à vous décrire. Dann begann ein Leben, das ich Ihnen nur schwer beschreiben kann.

Dans les commencements de son séjour à Bougival, Marguerite ne put rompre tout à fait avec ses habitudes, et comme la maison était toujours en fête, toutes ses amies venaient la voir ; pendant un mois, il ne se passa pas de jour que Marguerite n'eût huit ou dix personnes à sa table. Prudence amenait de son côté tous les gens qu'elle connaissait, et leur faisait tous les honneurs de la maison, comme si cette maison lui eût appartenu. Prudence brought along all the people she knew, and did them all the honors of the house, as if the house had belonged to her.

L'argent du duc payait tout cela, comme vous le pensez bien, et cependant il arriva de temps en temps à Prudence de me demander un billet de mille francs, soi-disant au nom de Marguerite. The duke's money paid for all that, as you can well imagine, and yet it happened from time to time that Prudence asked me for a thousand-franc note, supposedly in the name of Marguerite. Vous savez que j'avais fait quelque gain au jeu ; je m'empressai donc de remettre à Prudence ce que Marguerite me faisait demander par elle, et dans la crainte qu'elle n'eût besoin de plus que je n'avais, je vins emprunter à Paris une somme égale à celle que j'avais déjà empruntée autrefois, et que j'avais rendue très exactement. You know that I had made some gain at play; I therefore hastened to deliver to Prudence what Marguerite made me ask for through her, and fearing that she would need more than I had, I went to Paris to borrow a sum equal to that which I had already borrowed before, and which I had returned very exactly.

Je me trouvai donc de nouveau riche d'une dizaine de mille francs, sans compter ma pension. So I found myself again rich with about ten thousand francs, without counting my pension.

Cependant le plaisir qu'éprouvait Marguerite à recevoir ses amies se calma un peu devant les dépenses auxquelles ce plaisir l'entraînait, et surtout devant la nécessité où elle était quelquefois de me demander de l'argent. However, Marguerite's pleasure in receiving her friends calmed down a little before the expense to which this pleasure entailed her, and especially before the necessity she sometimes felt of asking me for money. Le duc, qui avait loué cette maison pour que Marguerite s'y reposât, n'y paraissait plus, craignant toujours d'y rencontrer une joyeuse et nombreuse compagnie de laquelle il ne voulait pas être vu. The duke, who had rented this house for Marguerite to rest there, no longer appeared there, always fearing to meet there a merry and numerous company of which he did not wish to be seen. Cela tenait surtout à ce que, venant un jour pour dîner en tête-à-tête avec Marguerite, il était tombé au milieu d'un déjeuner de quinze personnes qui n'était pas encore fini à l'heure où il comptait se mettre à table pour dîner. This was due above all to the fact that, coming one day to dine alone with Marguerite, he had fallen into the middle of a luncheon for fifteen people which had not yet finished when he intended to start. table for dinner. Quand, ne se doutant de rien, il avait ouvert la porte de la salle à manger, un rire général avait accueilli son entrée, et il avait été forcé de se retirer brusquement devant l'impertinente gaieté des filles qui se trouvaient là. When, suspecting nothing, he had opened the dining-room door, a general laughter had greeted his entry, and he had been forced to withdraw abruptly before the impertinent gaiety of the girls who were there.

Marguerite s'était levée de table, avait été retrouver le duc dans la chambre voisine, et avait essayé, autant que possible, de lui faire oublier cette aventure ; mais le vieillard, blessé dans son amour-propre, avait gardé rancune : il avait dit assez cruellement à la pauvre fille qu'il était las de payer les folies d'une femme qui ne savait même pas le faire respecter chez elle, et il était parti fort courroucé. Marguerite had risen from the table, had gone to find the duke in the adjoining room, and had tried, as much as possible, to make him forget this adventure; but the old man, hurt in his self-esteem, had harbored a grudge: he had told the poor girl rather cruelly that he was tired of paying for the follies of a woman who did not even know how to make him respected in her house, and he left very angry.

Depuis ce jour on n'avait plus entendu parler de lui. Since that day we had not heard from him. Marguerite avait eu beau congédier ses convives, changer ses habitudes, le duc n'avait plus donné de ses nouvelles. In vain did Marguerite dismiss her guests, change her habits, but the duke had given no further news of her. J'y avais gagné que ma maîtresse m'appartenait plus complètement, et que mon rêve se réalisait enfin. I had won that my mistress belonged to me more completely, and that my dream was finally coming true. Marguerite ne pouvait plus se passer de moi. Marguerite could no longer do without me. Sans s'inquiéter de ce qui en résulterait, elle affichait publiquement notre liaison, et j'en étais arrivé à ne plus sortir de chez elle. Without worrying about what would result from it, she publicly displayed our affair, and I had come to not leave her house. Les domestiques m'appelaient monsieur, et me regardaient officiellement comme leur maître. The servants called me sir, and officially regarded me as their master.

Prudence avait bien fait, à propos de cette nouvelle vie, force morale à Marguerite ; mais celle-ci avait répondu qu'elle m'aimait, qu'elle ne pouvait vivre sans moi, et quoi qu'il en dût advenir, elle ne renoncerait pas au bonheur de m'avoir sans cesse auprès d'elle, ajoutant que tous ceux à qui cela ne plairait pas étaient libres de ne pas revenir. Prudence had done well, in connection with this new life, moral strength to Marguerite; but she replied that she loved me, that she could not live without me, and whatever happened, she would not give up the happiness of having me constantly near her, adding that anyone who did not like it was free not to return.

Voilà ce que j'avais entendu un jour où Prudence avait dit à Marguerite qu'elle avait quelque chose de très important à lui communiquer, et où j'avais écouté à la porte de la chambre où elles s'étaient renfermées. This is what I had heard one day when Prudence had told Marguerite that she had something very important to communicate to her, and when I had listened at the door of the room where they had shut themselves up.

Quelque temps après Prudence revint.

J'étais au fond du jardin quand elle entra ; elle ne me vit pas. Je me doutais, à la façon dont Marguerite était venue au-devant d'elle, qu'une conversation pareille à celle que j'avais déjà surprise allait avoir lieu de nouveau et je voulus l'entendre comme l'autre.

Les deux femmes se renfermèrent dans un boudoir et je me mis aux écoutes.

– Eh bien ? demanda Marguerite.

– Eh bien ! j'ai vu le duc.

– Que vous a-t-il dit ?

– Qu'il vous pardonnait volontiers la première scène, mais qu'il avait appris que vous viviez publiquement avec M. Armand Duval, et que cela il ne vous le pardonnait pas. Que Marguerite quitte ce jeune homme, m'a-t-il dit, et comme par le passé je lui donnerai tout ce qu'elle voudra, sinon, elle devra renoncer à me demander quoi que ce soit.

– Vous avez répondu ?

– Que je vous communiquerais sa décision, et je lui ai promis de vous faire entendre raison. Réfléchissez, ma chère enfant, à la position que vous perdez et que ne pourra jamais vous rendre Armand. Reflect, my dear child, on the position you are losing and which Armand will never be able to restore to you. Il vous aime de toute son âme, mais il n'a pas assez de fortune pour subvenir à tous vos besoins, et il faudra bien un jour vous quitter, quand il sera trop tard et que le duc ne voudra plus rien faire pour vous. Voulez-vous que je parle à Armand ?

Marguerite paraissait réfléchir, car elle ne répondit pas. Le coeur me battait violemment en attendant sa réponse.

– Non, reprit-elle, je ne quitterai pas Armand, et je ne me cacherai pas pour vivre avec lui. C'est peut-être une folie, mais je l'aime ! que voulez-vous ? Et puis, maintenant il a pris l'habitude de m'aimer sans obstacle ; il souffrirait trop d'être forcé de me quitter ne fût-ce qu'une heure par jour. And then, now he got into the habit of loving me without obstacle; he would suffer too much to be forced to leave me even for an hour a day. D'ailleurs, je n'ai pas tant de temps à vivre pour me rendre malheureuse et faire les volontés d'un vieillard dont la vue seule me fait vieillir. Besides, I don't have so long to live to make myself unhappy and do the wishes of an old man whose mere sight makes me grow old. Qu'il garde son argent ; je m'en passerai. Let him keep his money; I will do without.

– Mais comment ferez-vous ?

– Je n'en sais rien.

Prudence allait sans doute répondre quelque chose, mais j'entrai brusquement et je courus me jeter aux pieds de Marguerite, couvrant ses mains des larmes que me faisait verser la joie d'être aimé ainsi.

– Ma vie est à toi, Marguerite, tu n'as plus besoin de cet homme, ne suis-je pas là ? T'abandonnerais-je jamais et pourrais-je payer assez le bonheur que tu me donnes ? Plus de contrainte, ma Marguerite, nous nous aimons ! Kein Zwang mehr, meine Marguerite, wir lieben uns! No more constraint, my Marguerite, we love each other! Que nous importe le reste ?

– Oh ! oui, je t'aime, mon Armand ! murmura-t-elle en enlaçant ses deux bras autour de mon cou, je t'aime comme je n'aurais pas cru pouvoir aimer. Nous serons heureux, nous vivrons tranquilles, et je dirai un éternel adieu à cette vie dont je rougis maintenant. Jamais tu ne me reprocheras le passé, n'est-ce pas ?

Les larmes voilaient ma voix. Je ne pus répondre qu'en pressant Marguerite contre mon coeur.

– Allons, dit-elle en se retournant vers Prudence et d'une voix émue, vous rapporterez cette scène au duc, et vous ajouterez que nous n'avons pas besoin de lui.

À partir de ce jour il ne fut plus question du duc. Marguerite n'était plus la fille que j'avais connue. Elle évitait tout ce qui aurait pu me rappeler la vie au milieu de laquelle je l'avais rencontrée. Jamais femme, jamais soeur n'eut pour son époux ou son frère l'amour et les soins qu'elle avait pour moi. Never wife, never sister had for her husband or her brother the love and the care that she had for me. Cette nature maladive était prête à toutes les impressions, accessible à tous les sentiments. Diese kränkliche Natur war für alle Eindrücke bereit und für alle Gefühle zugänglich. This sickly nature was ready for all impressions, accessible to all feelings. Elle avait rompu avec ses amies comme avec ses habitudes, avec son langage comme avec les dépenses d'autrefois. She had broken with her friends as with her habits, with her language as with the expenses of the past. Quand on nous voyait sortir de la maison pour aller faire une promenade dans un charmant petit bateau que j'avais acheté, on n'eût jamais cru que cette femme vêtue d'une robe blanche, couverte d'un grand chapeau de paille, et portant sur son bras la simple pelisse de soie qui devait la garantir de la fraîcheur de l'eau, était cette Marguerite Gautier qui, quatre mois auparavant, faisait bruit de son luxe et de ses scandales. When we were seen leaving the house to go for a walk in a charming little boat that I had bought, we would never have believed that this woman dressed in a white dress, covered with a large straw hat, and Carrying on her arm the simple silk cloak which was to protect her from the coolness of the water, was that Marguerite Gautier who, four months previously, had made noise with her luxury and her scandals.

Hélas ! nous nous hâtions d'être heureux, comme si nous avions deviné que nous ne pouvions pas l'être longtemps. we hastened to be happy, as if we had guessed that we could not be happy for long.

Depuis deux mois nous n'étions même pas allés à Paris. For two months we had not even been to Paris. Personne n'était venu nous voir, excepté Prudence, et cette Julie Duprat dont je vous ai parlé, et à qui Marguerite devait remettre plus tard le touchant récit que j'ai là. Nobody had come to see us, except Prudence, and that Julie Duprat of whom I spoke to you, and to whom Marguerite was later to give the touching story which I have here.

Je passais des journées entières aux pieds de ma maîtresse. Nous ouvrions les fenêtres qui donnaient sur le jardin, et regardant l'été s'abattre joyeusement dans les fleurs qu'il fait éclore et sous l'ombre des arbres, nous respirions à côté l'un de l'autre cette vie véritable que ni Marguerite ni moi n'avions comprise jusqu'alors. We opened the windows which gave on to the garden, and watching the summer descend joyfully in the flowers which it makes hatch and under the shade of the trees, we breathed side by side that true life which neither Marguerite nor I had understood until then.

Cette femme avait des étonnements d'enfant pour les moindres choses. This woman had childish astonishment at the smallest things. Il y avait des jours où elle courait dans le jardin, comme une fille de dix ans, après un papillon ou une demoiselle. There were days when she ran in the garden, like a ten-year-old girl, after a butterfly or a damsel. Cette courtisane, qui avait fait dépenser en bouquets plus d'argent qu'il n'en faudrait pour faire vivre dans la joie une famille entière, s'asseyait quelquefois sur la pelouse, pendant une heure, pour examiner la simple fleur dont elle portait le nom. This courtesan, who had spent more money on bouquets than would be needed to support an entire family in joy, sometimes sat down on the lawn for an hour to examine the single flower she was wearing. the name.

Ce fut pendant ce temps-là qu'elle lut si souvent Manon Lescaut. It was during this time that she read Manon Lescaut so often. Je la surpris bien des fois annotant ce livre : et elle me disait toujours que lorsqu'une femme aime, elle ne peut pas faire ce que faisait Manon. Ich erwischte sie oft dabei, wie sie dieses Buch kommentierte: Und sie sagte mir immer, dass eine Frau, die liebt, nicht das tun kann, was Manon tat. I surprised her many times annotating this book: and she always told me that when a woman loves, she cannot do what Manon was doing.