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La Dame aux Camélias - Dumas Fils, Chapitre III

Chapitre III

Le 16, à une heure, je me rendis rue d'Antin.

De la porte cochère on entendait crier les commissaires-priseurs.

L'appartement était plein de curieux.

Il y avait là toutes les célébrités du vice élégant, sournoisement examinées par quelques grandes dames qui avaient pris encore une fois le prétexte de la vente, pour avoir le droit de voir de près des femmes avec qui elles n'auraient jamais eu occasion de se retrouver, et dont elles enviaient peut-être en secret les faciles plaisirs.

Madame la duchesse de F… coudoyait Mademoiselle A…, une des plus tristes épreuves de nos courtisanes modernes ; madame la marquise de T… hésitait pour acheter un meuble sur lequel enchérissait madame D…, la femme adultère la plus élégante et la plus connue de notre époque ; le duc d'Y… qui passe à Madrid pour se ruiner à Paris, à Paris pour se ruiner à Madrid, et qui, somme toute, ne dépense même pas son revenu, tout en causant avec madame M…, une de nos plus spirituelles conteuses qui veut bien de temps en temps écrire ce qu'elle dit et signer ce qu'elle écrit, échangeait des regards confidentiels avec madame de N…, cette belle promeneuse des Champs-Élysées, presque toujours vêtue de rose ou de bleu et qui fait traîner sa voiture par deux grands chevaux noirs, que Tony lui a vendus dix mille francs et… qu'elle lui a payés ; enfin mademoiselle R… qui se fait avec son seul talent le double de ce que les femmes du monde se font avec leur dot, et le triple de ce que les autres se font avec leurs amours, était, malgré le froid, venue faire quelques emplettes, et ce n'était pas elle qu'on regardait le moins.

Nous pourrions citer encore les initiales de bien des gens réunis dans ce salon, et bien étonnés de se trouver ensemble ; mais nous craindrions de lasser le lecteur.

Disons seulement que tout le monde était d'une gaieté folle, et que parmi toutes celles qui se trouvaient là beaucoup avaient connu la morte, et ne paraissaient pas s'en souvenir.

On riait fort ; les commissaires criaient à tue-tête ; les marchands qui avaient envahi les bancs disposés devant les tables de vente essayaient en vain d'imposer silence, pour faire leurs affaires tranquillement. Jamais réunion ne fut plus variée, plus bruyante.

Je me glissai humblement au milieu de ce tumulte attristant, quand je songeais qu'il avait lieu près de la chambre où avait expiré la pauvre créature dont on vendait les meubles pour payer les dettes. Venu pour examiner plus que pour acheter, je regardais les figures des fournisseurs qui faisaient vendre, et dont les traits s'épanouissaient chaque fois qu'un objet arrivait à un prix qu'ils n'eussent pas espéré.

Honnêtes gens qui avaient spéculé sur la prostitution de cette femme, qui avaient gagné cent pour cent sur elle, qui avaient poursuivi de papiers timbrés les derniers moments de sa vie, et qui venaient après sa mort recueillir les fruits de leurs honorables calculs en même temps que les intérêts de leur honteux crédit.

Combien avaient raison les anciens qui n'avaient qu'un même dieu pour les marchands et pour les voleurs !

Robes, cachemires, bijoux se vendaient avec une rapidité incroyable. Rien de tout cela ne me convenait, et j'attendais toujours.

Tout à coup j'entendis crier :

– Un volume, parfaitement relié, doré sur tranche, intitulé : Manon Lescaut. Il y a quelque chose d'écrit sur la première page :

dix francs.

– Douze, dit une voix après un silence assez long.

– Quinze, dis-je.

Pourquoi ? Je n'en savais rien. Sans doute pour ce quelque chose d'écrit.

– Quinze, répéta le commissaire-priseur.

– Trente, fit le premier enchérisseur d'un ton qui semblait défier qu'on mît davantage.

Cela devenait une lutte.

– Trente-cinq ! Criai-je alors du même ton.

– Quarante.

– Cinquante.

– Soixante.

– Cent.

J'avoue que si j'avais voulu faire de l'effet, j'aurais complètement réussi, car à cette enchère un grand silence se fit, et l'on me regarda pour savoir quel était ce monsieur qui paraissait si résolu à posséder ce volume.

Il paraît que l'accent donné à mon dernier mot avait convaincu mon antagoniste : il préféra donc abandonner un combat qui n'eût servi qu'à me faire payer ce volume dix fois sa valeur, et, s'inclinant, il me dit fort gracieusement, quoique un peu tard :

– Je cède, monsieur.

Personne n'ayant plus rien dit, le livre me fut adjugé.

Comme je redoutais un nouvel entêtement que mon amour-propre eût peut-être soutenu, mais dont ma bourse se fût certainement trouvée très mal, je fis inscrire mon nom, mettre de côté le volume, et je descendis. Je dus donner beaucoup à penser aux gens qui, témoins de cette scène, se demandèrent sans doute dans quel but j'étais venu payer cent francs un livre que je pouvais avoir partout pour dix ou quinze francs au plus.

Une heure après j'avais envoyé chercher mon achat.

Sur la première page était écrite à la plume, et d'une écriture élégante, la dédicace du donataire de ce livre. Cette dédicace portait ces seuls mots :

MANON À MARGUERITE,

HUMILITÉ.

Elle était signée : Armand Duval.

Que voulait dire ce mot : humilité ?

Manon reconnaissait-elle dans Marguerite, par l'opinion de ce M. Armand Duval, une supériorité de débauche ou de coeur ?

La seconde interprétation était la plus vraisemblable, car la première n'eût été qu'une impertinente franchise que n'eût pas acceptée Marguerite, malgré son opinion sur elle-même.

Je sortis de nouveau et je ne m'occupai plus de ce livre que le soir lorsque je me couchai.

Certes, Manon Lescaut est une touchante histoire dont pas un détail ne m'est inconnu, et cependant lorsque je trouve ce volume sous ma main, ma sympathie pour lui m'attire toujours, je l'ouvre et pour la centième fois je revis avec l'héroïne de l'abbé Prévost. Or, cette héroïne est tellement vraie, qu'il me semble l'avoir connue. Dans ces circonstances nouvelles, l'espèce de comparaison faite entre elle et Marguerite donnait pour moi un attrait inattendu à cette lecture, et mon indulgence s'augmenta de pitié, presque d'amour pour la pauvre fille à l'héritage de laquelle je devais ce volume. Manon était morte dans un désert, il est vrai, mais dans les bras de l'homme qui l'aimait avec toutes les énergies de l'âme, qui, morte, lui creusa une fosse, l'arrosa de ses larmes et y ensevelit son coeur ; tandis que Marguerite, pécheresse comme Manon, et peut-être convertie comme elle, était morte au sein d'un luxe somptueux, s'il fallait en croire ce que j'avais vu, dans le lit de son passé, mais aussi au milieu de ce désert du coeur, bien plus aride, bien plus vaste, bien plus impitoyable que celui dans lequel avait été enterrée Manon.

Marguerite, en effet, comme je l'avais appris de quelques amis informés des dernières circonstances de sa vie, n'avait pas vu s'asseoir une réelle consolation à son chevet, pendant les deux mois qu'avait duré sa lente et douloureuse agonie.

Puis de Manon et de Marguerite ma pensée se reportait sur celles que je connaissais et que je voyais s'acheminer en chantant vers une mort presque toujours invariable.

Pauvres créatures ! Si c'est un tort de les aimer, c'est bien le moins qu'on les plaigne. Vous plaignez l'aveugle qui n'a jamais vu les rayons du jour, le sourd qui n'a jamais entendu les accords de la nature, le muet qui n'a jamais pu rendre la voix de son âme, et, sous un faux prétexte de pudeur, vous ne voulez pas plaindre cette cécité du coeur, cette surdité de l'âme, ce mutisme de la conscience qui rendent folle la malheureuse affligée et qui la font malgré elle incapable de voir le bien, d'entendre le Seigneur et de parler la langue pure de l'amour et de la foi.

Hugo a fait Marion Delorme, Musset a fait Bernerette, Alexandre Dumas a fait Fernande, les penseurs et les poètes de tous les temps ont apporté à la courtisane l'offrande de leur miséricorde, et quelquefois un grand homme les a réhabilitées de son amour et même de son nom. Si j'insiste ainsi sur ce point, c'est que, parmi ceux qui vont me lire, beaucoup peut-être sont déjà prêts à rejeter ce livre, dans lequel ils craignent de ne voir qu'une apologie du vice et de la prostitution, et l'âge de l'auteur contribue sans doute encore à motiver cette crainte. Que ceux qui penseraient ainsi se détrompent, et qu'ils continuent, si cette crainte seule les retenait.

Je suis tout simplement convaincu d'un principe qui est que : pour la femme à qui l'éducation n'a pas enseigné le bien, Dieu ouvre presque toujours deux sentiers qui l'y ramènent ; ces sentiers sont la douleur et l'amour. Ils sont difficiles ; celles qui s'y engagent s'y ensanglantent les pieds, s'y déchirent les mains, mais elles laissent en même temps aux ronces de la route les parures du vice et arrivent au but avec cette nudité dont on ne rougit pas devant le Seigneur.

Ceux qui rencontrent ces voyageuses hardies doivent les soutenir et dire à tous qu'ils les ont rencontrées, car, en le publiant ils montrent la voie.

Il ne s'agit pas de mettre tout bonnement à l'entrée de la vie deux poteaux, portant l'un cette inscription : Route du bien, l'autre cet avertissement : Route du mal, et de dire à ceux qui se présentent : Choisissez ; il faut, comme le Christ, montrer des chemins qui ramènent de la seconde route à la première ceux qui s'étaient laissé tenter par les abords ; et il ne faut pas surtout que le commencement de ces chemins soit trop douloureux, ni paraisse trop impénétrable.

Le christianisme est là avec sa merveilleuse parabole de l'enfant prodigue pour nous conseiller l'indulgence et le pardon. Jésus était plein d'amour pour ces âmes blessées par les passions des hommes, et dont il aimait à panser les plaies en tirant le baume qui devait les guérir des plaies elles-mêmes. Ainsi, il disait à Madeleine : « Il te sera beaucoup remis parce que tu as beaucoup aimé », sublime pardon qui devait éveiller une foi sublime.

Pourquoi nous ferions-nous plus rigides que le Christ ? Pourquoi, nous en tenant obstinément aux opinions de ce monde qui se fait dur pour qu'on le croie fort, rejetterions-nous avec lui des âmes saignantes souvent de blessures par où, comme le mauvais sang d'un malade, s'épanche le mal de leur passé, et n'attendant qu'une main amie qui les panse et leur rende la convalescence du coeur ?

C'est à ma génération que je m'adresse, à ceux pour qui les théories de M. de Voltaire n'existent heureusement plus, à ceux qui, comme moi, comprennent que l'humanité est depuis quinze ans dans un de ses plus audacieux élans. La science du bien et du mal est à jamais acquise ; la foi se reconstruit, le respect des choses saintes nous est rendu, et si le monde ne se fait pas tout à fait bon, il se fait du moins meilleur. Les efforts de tous les hommes intelligents tendent au même but, et toutes les grandes volontés s'attellent au même principe : soyons bons, soyons jeunes, soyons vrais ! Le mal n'est qu'une vanité, ayons l'orgueil du bien, et surtout ne désespérons pas. Ne méprisons pas la femme qui n'est ni mère, ni soeur, ni fille, ni épouse. Ne réduisons pas l'estime à la famille, l'indulgence à l'égoïsme. Puisque le ciel est plus en joie pour le repentir d'un pécheur que pour cent justes qui n'ont jamais péché, essayons de réjouir le ciel. Il peut nous le rendre avec usure. Laissons sur notre chemin l'aumône de notre pardon à ceux que les désirs terrestres ont perdus, que sauvera peut-être une espérance divine, et, comme disent les bonnes vieilles femmes quand elles conseillent un remède de leur façon, si cela ne fait pas de bien, cela ne peut pas faire de mal.

Certes, il doit paraître bien hardi à moi de vouloir faire sortir ces grands résultats du mince sujet que je traite ; mais je suis de ceux qui croient que tout est dans peu. L'enfant est petit, et il renferme l'homme ; le cerveau est étroit, et il abrite la pensée ; l'oeil n'est qu'un point, et il embrasse des lieues.


Chapitre III Kapitel III Chapter III Capítulo III

Le 16, à une heure, je me rendis rue d'Antin.

De la porte cochère on entendait crier les commissaires-priseurs. The auctioneers could be heard shouting from the carriage entrance.

L'appartement était plein de curieux.

Il y avait là toutes les célébrités du vice élégant, sournoisement examinées par quelques grandes dames qui avaient pris encore une fois le prétexte de la vente, pour avoir le droit de voir de près des femmes avec qui elles n'auraient jamais eu occasion de se retrouver, et dont elles enviaient peut-être en secret les faciles plaisirs. There were all the celebrities of elegant vice, slyly examined by a few grand dames who had once again taken the pretext of the sale, to have the right to see up close women with whom they would never have had occasion to meet, and whose easy pleasures they perhaps secretly envied.

Madame la duchesse de F… coudoyait Mademoiselle A…, une des plus tristes épreuves de nos courtisanes modernes ; madame la marquise de T… hésitait pour acheter un meuble sur lequel enchérissait madame D…, la femme adultère la plus élégante et la plus connue de notre époque ; le duc d'Y… qui passe à Madrid pour se ruiner à Paris, à Paris pour se ruiner à Madrid, et qui, somme toute, ne dépense même pas son revenu, tout en causant avec madame M…, une de nos plus spirituelles conteuses qui veut bien de temps en temps écrire ce qu'elle dit et signer ce qu'elle écrit, échangeait des regards confidentiels avec madame de N…, cette belle promeneuse des Champs-Élysées, presque toujours vêtue de rose ou de bleu et qui fait traîner sa voiture par deux grands chevaux noirs, que Tony lui a vendus dix mille francs et… qu'elle lui a payés ; enfin mademoiselle R… qui se fait avec son seul talent le double de ce que les femmes du monde se font avec leur dot, et le triple de ce que les autres se font avec leurs amours, était, malgré le froid, venue faire quelques emplettes, et ce n'était pas elle qu'on regardait le moins. Frau Herzogin von F... saß neben Fräulein A..., einer der traurigsten Prüfungen unserer modernen Kurtisanen; Frau Marquise von T... zögerte beim Kauf eines Möbelstücks, auf das Frau D..., die eleganteste und bekannteste Ehebrecherin unserer Zeit, geboten hatte; der Herzog von Y... der nach Madrid reist, um sich in Paris zu ruinieren, nach Paris, um sich in Madrid zu ruinieren, und der alles in allem nicht einmal sein Einkommen ausgibt, während er sich mit Frau M... unterhielt, einer unserer geistreichsten Geschichtenerzählerinnen, die von Zeit zu Zeit schreiben will, was sie sagt, und unterschreiben will, was sie schreibt, tauschte vertrauliche Blicke mit Frau de N... aus.Mademoiselle R..., die allein mit ihrem Talent doppelt so viel verdient wie die Frauen der Welt mit ihrer Mitgift und dreimal so viel wie die anderen mit ihrer Liebe, war trotz der Kälte gekommen, um einige Einkäufe zu machen, und sie wurde nicht am wenigsten beachtet. Madame la duchesse de F... was rubbing shoulders with Mademoiselle A..., one of the saddest trials of our modern courtesans; Madame la marquise de T... was hesitating to buy a piece of furniture on which Madame D..., the most elegant and famous adulteress of our time, was bidding; the duc d'Y... who goes to Madrid to ruin himself in Paris, to Paris to ruin himself in Madrid, and who, all in all, doesn't even spend his income, while chatting with Madame M..., one of our wittiest storytellers who is willing from time to time to write what she says and sign what she writes, exchanged confidential glances with Madame de N...that beautiful stroller from the Champs-Élysées, almost always dressed in pink or blue, who has her carriage drawn by two large black horses, which Tony sold her for ten thousand francs and... which she paid for; and last but not least, Mademoiselle R... who makes twice as much with her talent alone as the women of the world make with their dowries, and three times as much as the others make with their loves, had, despite the cold, come to do some shopping, and it wasn't her who was the least looked at.

Nous pourrions citer encore les initiales de bien des gens réunis dans ce salon, et bien étonnés de se trouver ensemble ; mais nous craindrions de lasser le lecteur. We could go on quoting the initials of many people gathered in this salon, and quite astonished to find themselves together; but we'd be afraid of boring the reader.

Disons seulement que tout le monde était d'une gaieté folle, et que parmi toutes celles qui se trouvaient là beaucoup avaient connu la morte, et ne paraissaient pas s'en souvenir. Let's just say that everyone was wildly cheerful, and that many of those present had known the dead woman, and didn't seem to remember her.

On riait fort ; les commissaires criaient à tue-tête ; les marchands qui avaient envahi les bancs disposés devant les tables de vente essayaient en vain d'imposer silence, pour faire leurs affaires tranquillement. There was much laughter; the auctioneers shouted at the top of their voices; the merchants who had invaded the benches in front of the sales tables tried in vain to impose silence, to do their business quietly. Jamais réunion ne fut plus variée, plus bruyante. Never was a meeting more varied, more noisy.

Je me glissai humblement au milieu de ce tumulte attristant, quand je songeais qu'il avait lieu près de la chambre où avait expiré la pauvre créature dont on vendait les meubles pour payer les dettes. I slipped humbly into the midst of this sad tumult, when I realized it was taking place near the room where the poor creature whose furniture was being sold to pay off her debts had expired. Venu pour examiner plus que pour acheter, je regardais les figures des fournisseurs qui faisaient vendre, et dont les traits s'épanouissaient chaque fois qu'un objet arrivait à un prix qu'ils n'eussent pas espéré. Having come to examine more than to buy, I looked at the faces of the suppliers who were making sales, and whose features blossomed every time an item arrived at a price they hadn't expected.

Honnêtes gens qui avaient spéculé sur la prostitution de cette femme, qui avaient gagné cent pour cent sur elle, qui avaient poursuivi de papiers timbrés les derniers moments de sa vie, et qui venaient après sa mort recueillir les fruits de leurs honorables calculs en même temps que les intérêts de leur honteux crédit. Ehrliche Leute, die mit der Prostitution dieser Frau spekuliert hatten, die hundert Prozent an ihr verdient hatten, die die letzten Momente ihres Lebens mit gestempelten Papieren verfolgt hatten und die nach ihrem Tod gekommen waren, um die Früchte ihrer ehrenhaften Berechnungen zusammen mit den Zinsen ihres schändlichen Kredits einzusammeln. Honest people who had speculated on the prostitution of this woman, who had gained one hundred per cent on her, who had pursued with stamped papers the last moments of her life, and who came after her death to collect the fruits of their honorable calculations at the same time than the interest of their shameful credit.

Combien avaient raison les anciens qui n'avaient qu'un même dieu pour les marchands et pour les voleurs ! Wie recht hatten die Alten, die für Händler und Diebe ein und denselben Gott hatten! How right were the ancients who had only one god for merchants and thieves!

Robes, cachemires, bijoux se vendaient avec une rapidité incroyable. Rien de tout cela ne me convenait, et j'attendais toujours. None of this suited me, and I was still waiting.

Tout à coup j'entendis crier :

– Un volume, parfaitement relié, doré sur tranche, intitulé : Manon Lescaut. - Ein Band, perfekt gebunden, goldgeprägt, mit dem Titel: Manon Lescaut. - One volume, perfectly bound, gilt-edged, entitled: Manon Lescaut. Il y a quelque chose d'écrit sur la première page : There's something written on the first page:

dix francs.

– Douze, dit une voix après un silence assez long.

– Quinze, dis-je.

Pourquoi ? Je n'en savais rien. I didn't know. Sans doute pour ce quelque chose d'écrit. No doubt for that something written.

– Quinze, répéta le commissaire-priseur.

– Trente, fit le premier enchérisseur d'un ton qui semblait défier qu'on mît davantage. - Dreißig", sagte der erste Bieter in einem Ton, der so klang, als würde er sich gegen ein höheres Gebot wehren. "Thirty," said the first bidder in a tone that seemed to challenge anyone to bid more.

Cela devenait une lutte. It was becoming a struggle.

– Trente-cinq ! Criai-je alors du même ton.

– Quarante.

– Cinquante.

– Soixante.

– Cent.

J'avoue que si j'avais voulu faire de l'effet, j'aurais complètement réussi, car à cette enchère un grand silence se fit, et l'on me regarda pour savoir quel était ce monsieur qui paraissait si résolu à posséder ce volume. I confess that if I had wanted to make an impression, I would have succeeded completely, for at this auction a great silence fell, and people looked at me to see who this gentleman was who seemed so determined to own this volume.

Il paraît que l'accent donné à mon dernier mot avait convaincu mon antagoniste : il préféra donc abandonner un combat qui n'eût servi qu'à me faire payer ce volume dix fois sa valeur, et, s'inclinant, il me dit fort gracieusement, quoique un peu tard : It seems that the accent given to my last word had convinced my antagonist: he therefore preferred to abandon a fight which would only have served to make me pay ten times its value for this volume, and, bowing, he said to me very graciously, albeit a little late:

– Je cède, monsieur.

Personne n'ayant plus rien dit, le livre me fut adjugé.

Comme je redoutais un nouvel entêtement que mon amour-propre eût peut-être soutenu, mais dont ma bourse se fût certainement trouvée très mal, je fis inscrire mon nom, mettre de côté le volume, et je descendis. As I feared a new stubbornness which my self-esteem might have supported, but which would certainly have affected my purse, I had my name written down, the volume set aside, and I went downstairs. Je dus donner beaucoup à penser aux gens qui, témoins de cette scène, se demandèrent sans doute dans quel but j'étais venu payer cent francs un livre que je pouvais avoir partout pour dix ou quinze francs au plus. I must have given a lot to think about to the people who witnessed this scene, and no doubt wondered why I had come to pay a hundred francs for a book I could get anywhere for ten or fifteen francs at most.

Une heure après j'avais envoyé chercher mon achat. An hour later I sent for my purchase.

Sur la première page était écrite à la plume, et d'une écriture élégante, la dédicace du donataire de ce livre. On the first page was written in pen, and in elegant handwriting, the dedication of the donee of this book. Cette dédicace portait ces seuls mots :

MANON À MARGUERITE,

HUMILITÉ. HUMILITY.

Elle était signée : Armand Duval. It was signed: Armand Duval.

Que voulait dire ce mot : humilité ?

Manon reconnaissait-elle dans Marguerite, par l'opinion de ce M. Armand Duval, une supériorité de débauche ou de coeur ? Did Manon recognize in Marguerite, by the opinion of this M. Armand Duval, a superiority of debauchery or of heart?

La seconde interprétation était la plus vraisemblable, car la première n'eût été qu'une impertinente franchise que n'eût pas acceptée Marguerite, malgré son opinion sur elle-même. The second interpretation was the most likely, for the first would have been nothing more than an impertinent frankness that Marguerite would not have accepted, despite her opinion of herself.

Je sortis de nouveau et je ne m'occupai plus de ce livre que le soir lorsque je me couchai. I went out again and did not concern myself with this book until the evening when I went to bed.

Certes, Manon Lescaut est une touchante histoire dont pas un détail ne m'est inconnu, et cependant lorsque je trouve ce volume sous ma main, ma sympathie pour lui m'attire toujours, je l'ouvre et pour la centième fois je revis avec l'héroïne de l'abbé Prévost. Certainly, Manon Lescaut is a touching story, not a detail of which is unknown to me, and yet when I find this volume under my hand, my sympathy for it always draws me in, I open it and for the hundredth time I relive it with Abbé Prévost's heroine. Or, cette héroïne est tellement vraie, qu'il me semble l'avoir connue. Now, this heroine is so true that I seem to have known her. Dans ces circonstances nouvelles, l'espèce de comparaison faite entre elle et Marguerite donnait pour moi un attrait inattendu à cette lecture, et mon indulgence s'augmenta de pitié, presque d'amour pour la pauvre fille à l'héritage de laquelle je devais ce volume. Under these new circumstances, the kind of comparison made between her and Marguerite gave me an unexpected attraction to this reading, and my indulgence was increased by pity, almost by love for the poor girl to whose inheritance I owed this volume. Manon était morte dans un désert, il est vrai, mais dans les bras de l'homme qui l'aimait avec toutes les énergies de l'âme, qui, morte, lui creusa une fosse, l'arrosa de ses larmes et y ensevelit son coeur ; tandis que Marguerite, pécheresse comme Manon, et peut-être convertie comme elle, était morte au sein d'un luxe somptueux, s'il fallait en croire ce que j'avais vu, dans le lit de son passé, mais aussi au milieu de ce désert du coeur, bien plus aride, bien plus vaste, bien plus impitoyable que celui dans lequel avait été enterrée Manon. Manon had died in a desert, it's true, but in the arms of the man who loved her with all the energies of the soul, who, dead, dug her a grave, watered it with his tears and buried his heart in it ; whereas Marguerite, sinner like Manon, and perhaps converted like her, had died in the bosom of sumptuous luxury, if what I had seen was to be believed, in the bed of her past, but also in the midst of that desert of the heart, far more arid, far more vast, far more pitiless than the one in which Manon had been buried.

Marguerite, en effet, comme je l'avais appris de quelques amis informés des dernières circonstances de sa vie, n'avait pas vu s'asseoir une réelle consolation à son chevet, pendant les deux mois qu'avait duré sa lente et douloureuse agonie. Marguerite, indeed, as I had learned from some friends informed of the last circumstances of her life, had not seen any real consolation sit at her bedside during the two months that her slow and painful agony had lasted. .

Puis de Manon et de Marguerite ma pensée se reportait sur celles que je connaissais et que je voyais s'acheminer en chantant vers une mort presque toujours invariable. Then my thoughts turned from Manon and Marguerite to the women I knew, and whom I saw singing their way to an almost invariable death.

Pauvres créatures ! Si c'est un tort de les aimer, c'est bien le moins qu'on les plaigne. Wenn es ein Fehler ist, sie zu lieben, ist es das Mindeste, dass man sie bemitleidet. If it is wrong to love them, that is the least we can pity them. Vous plaignez l'aveugle qui n'a jamais vu les rayons du jour, le sourd qui n'a jamais entendu les accords de la nature, le muet qui n'a jamais pu rendre la voix de son âme, et, sous un faux prétexte de pudeur, vous ne voulez pas plaindre cette cécité du coeur, cette surdité de l'âme, ce mutisme de la conscience qui rendent folle la malheureuse affligée et qui la font malgré elle incapable de voir le bien, d'entendre le Seigneur et de parler la langue pure de l'amour et de la foi. You pity the blind man who has never seen the rays of day, the deaf man who has never heard the chords of nature, the mute man who has never been able to give voice to his soul, and, under a false pretext of modesty, you don't want to pity this blindness of the heart, this deafness of the soul, this dumbness of conscience that drives the unfortunate afflicted mad and makes her unable to see the good, to hear the Lord and to speak the pure language of love and faith.

Hugo a fait Marion Delorme, Musset a fait Bernerette, Alexandre Dumas a fait Fernande, les penseurs et les poètes de tous les temps ont apporté à la courtisane l'offrande de leur miséricorde, et quelquefois un grand homme les a réhabilitées de son amour et même de son nom. Hugo did Marion Delorme, Musset did Bernerette, Alexandre Dumas did Fernande, thinkers and poets of all times have brought the courtesan the offering of their mercy, and sometimes a great man has rehabilitated them with his love and even his name. Si j'insiste ainsi sur ce point, c'est que, parmi ceux qui vont me lire, beaucoup peut-être sont déjà prêts à rejeter ce livre, dans lequel ils craignent de ne voir qu'une apologie du vice et de la prostitution, et l'âge de l'auteur contribue sans doute encore à motiver cette crainte. If I insist on this point, it's because many of those who are about to read this book may already be ready to reject it as an apology for vice and prostitution, and the author's age undoubtedly contributes to this fear. Que ceux qui penseraient ainsi se détrompent, et qu'ils continuent, si cette crainte seule les retenait. Let those who think so be mistaken, and continue, if this fear alone held them back.

Je suis tout simplement convaincu d'un principe qui est que : pour la femme à qui l'éducation n'a pas enseigné le bien, Dieu ouvre presque toujours deux sentiers qui l'y ramènent ; ces sentiers sont la douleur et l'amour. I am quite simply convinced of a principle which is that: for the woman to whom education has not taught the good, God almost always opens two paths which bring her back there; these paths are pain and love. Ils sont difficiles ; celles qui s'y engagent s'y ensanglantent les pieds, s'y déchirent les mains, mais elles laissent en même temps aux ronces de la route les parures du vice et arrivent au but avec cette nudité dont on ne rougit pas devant le Seigneur. They are difficult; those who engage in it bleed their feet, tear their hands, but at the same time they leave to the brambles of the road the finery of vice and arrive at the goal with that nudity of which one does not blush before the Lord .

Ceux qui rencontrent ces voyageuses hardies doivent les soutenir et dire à tous qu'ils les ont rencontrées, car, en le publiant ils montrent la voie. Those who meet these bold travelers should support them and tell everyone that they have met them, because by publishing it they are showing the way.

Il ne s'agit pas de mettre tout bonnement à l'entrée de la vie deux poteaux, portant l'un cette inscription : Route du bien, l'autre cet avertissement : Route du mal, et de dire à ceux qui se présentent : Choisissez ; il faut, comme le Christ, montrer des chemins qui ramènent de la seconde route à la première ceux qui s'étaient laissé tenter par les abords ; et il ne faut pas surtout que le commencement de ces chemins soit trop douloureux, ni paraisse trop impénétrable. It is not a question of simply putting two posts at the entrance to life, one bearing this inscription: Route of good, the other this warning: Route of evil, and of saying to those who present themselves: Choose ; it is necessary, like Christ, to show paths which bring back from the second road to the first those who had allowed themselves to be tempted by the surroundings; and above all, the beginning of these paths must not be too painful, nor appear too impenetrable.

Le christianisme est là avec sa merveilleuse parabole de l'enfant prodigue pour nous conseiller l'indulgence et le pardon. Christianity, with its marvellous parable of the prodigal son, advises us to forgive and indulge. Jésus était plein d'amour pour ces âmes blessées par les passions des hommes, et dont il aimait à panser les plaies en tirant le baume qui devait les guérir des plaies elles-mêmes. Jesus was full of love for these souls wounded by the passions of men, and whose wounds he loved to heal by drawing the balm which was to heal them of the wounds themselves. Ainsi, il disait à Madeleine : « Il te sera beaucoup remis parce que tu as beaucoup aimé », sublime pardon qui devait éveiller une foi sublime. So he said to Madeleine: "Much will be forgiven you because you have loved much", a sublime forgiveness that was to awaken a sublime faith.

Pourquoi nous ferions-nous plus rigides que le Christ ? Pourquoi, nous en tenant obstinément aux opinions de ce monde qui se fait dur pour qu'on le croie fort, rejetterions-nous avec lui des âmes saignantes souvent de blessures par où, comme le mauvais sang d'un malade, s'épanche le mal de leur passé, et n'attendant qu'une main amie qui les panse et leur rende la convalescence du coeur ? Why, clinging stubbornly to the opinions of this world which makes itself hard so that it is believed to be strong, should we reject with it souls often bleeding from wounds through which, like the bad blood of a sick person, the hurt from their past, and only waiting for a friendly hand to heal them and restore their hearts to convalescence?

C'est à ma génération que je m'adresse, à ceux pour qui les théories de M. de Voltaire n'existent heureusement plus, à ceux qui, comme moi, comprennent que l'humanité est depuis quinze ans dans un de ses plus audacieux élans. Ich wende mich an meine Generation, an diejenigen, für die die Theorien von Herrn de Voltaire glücklicherweise nicht mehr existieren, an diejenigen, die wie ich verstehen, dass sich die Menschheit seit fünfzehn Jahren in einem ihrer kühnsten Aufschwünge befindet. It is to my generation that I am addressing myself, to those for whom the theories of M. de Voltaire fortunately no longer exist, to those who, like me, understand that humanity has for fifteen years been in one of its most bold impulses. La science du bien et du mal est à jamais acquise ; la foi se reconstruit, le respect des choses saintes nous est rendu, et si le monde ne se fait pas tout à fait bon, il se fait du moins meilleur. The science of good and evil is acquired forever; faith is rebuilt, respect for holy things is restored to us, and if the world does not make itself completely good, it makes itself at least better. Les efforts de tous les hommes intelligents tendent au même but, et toutes les grandes volontés s'attellent au même principe : soyons bons, soyons jeunes, soyons vrais ! The efforts of all intelligent men are aimed at the same goal, and all great wills are committed to the same principle: let's be good, let's be young, let's be true! Le mal n'est qu'une vanité, ayons l'orgueil du bien, et surtout ne désespérons pas. Evil is only a vanity, let us be proud of the good, and above all do not despair. Ne méprisons pas la femme qui n'est ni mère, ni soeur, ni fille, ni épouse. Let us not despise the woman who is neither mother, nor sister, nor daughter, nor wife. Ne réduisons pas l'estime à la famille, l'indulgence à l'égoïsme. Let us not reduce esteem to the family, indulgence to selfishness. Puisque le ciel est plus en joie pour le repentir d'un pécheur que pour cent justes qui n'ont jamais péché, essayons de réjouir le ciel. Since heaven is more glad for the repentance of a sinner than for the righteous hundred who have never sinned, let us try to rejoice heaven. Il peut nous le rendre avec usure. Er kann es uns mit Wucher zurückgeben. He can return it to us with usury. Laissons sur notre chemin l'aumône de notre pardon à ceux que les désirs terrestres ont perdus, que sauvera peut-être une espérance divine, et, comme disent les bonnes vieilles femmes quand elles conseillent un remède de leur façon, si cela ne fait pas de bien, cela ne peut pas faire de mal. Let us leave on our way the alms of our forgiveness to those whom earthly desires have lost, whom perhaps a divine hope will save, and, as the good old women say when they advise a remedy in their own way, if that does not well, it can't hurt.

Certes, il doit paraître bien hardi à moi de vouloir faire sortir ces grands résultats du mince sujet que je traite ; mais je suis de ceux qui croient que tout est dans peu. Certainly, it must seem very daring to me to want to bring out these great results from the meager subject that I am treating; but I am one of those who believe that everything is in a short time. L'enfant est petit, et il renferme l'homme ; le cerveau est étroit, et il abrite la pensée ; l'oeil n'est qu'un point, et il embrasse des lieues. The child is small, and he encloses the man; the brain is narrow, and it houses thought; the eye is only a point, and it encompasses leagues.