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La Dame aux Camélias - Dumas Fils, Chapitre I

Chapitre I

Mon avis est qu'on ne peut créer des personnages que lorsque l'on a beaucoup étudié les hommes, comme on ne peut parler une langue qu'à la condition de l'avoir sérieusement apprise.

N'ayant pas encore l'âge où l'on invente, je me contente de raconter.

J'engage donc le lecteur à être convaincu de la réalité de cette histoire, dont tous les personnages, à l'exception de l'héroïne, vivent encore.

D'ailleurs, il y a à Paris des témoins de la plupart des faits que je recueille ici, et qui pourraient les confirmer, si mon témoignage ne suffisait pas. Par une circonstance particulière, seul je pouvais les écrire, car seul j'ai été le confident des derniers détails sans lesquels il eût été impossible de faire un récit intéressant et complet.

Or, voici comment ces détails sont parvenus à ma connaissance. – Le 12 du mois de mars 1847, je lus, dans la rue Laffitte, une grande affiche jaune annonçant une vente de meubles et de riches objets de curiosité. Cette vente avait lieu après décès. L'affiche ne nommait pas la personne morte, mais la vente devait se faire rue d'Antin, n° 9, le 16, de midi à cinq heures.

L'affiche portait en outre que l'on pourrait, le 13 et le 14, visiter l'appartement et les meubles.

J'ai toujours été amateur de curiosités. Je me promis de ne pas manquer cette occasion, sinon d'en acheter, du moins d'en voir.

Le lendemain, je me rendis rue d'Antin, n° 9.

Il était de bonne heure, et cependant il y avait déjà dans l'appartement des visiteurs et même des visiteuses, qui, quoique vêtues de velours, couvertes de cachemires et attendues à la porte par leurs élégants coupés, regardaient avec étonnement, avec admiration même, le luxe qui s'étalait sous leurs yeux.

Plus tard, je compris cette admiration et cet étonnement, car, m'étant mis aussi à examiner, je reconnus aisément que j'étais dans l'appartement d'une femme entretenue. Or, s'il y a une chose que les femmes du monde désirent voir, et il y avait là des femmes du monde, c'est l'intérieur de ces femmes, dont les équipages éclaboussent chaque jour le leur, qui ont, comme elles et à côté d'elles, leur loge à l'Opéra et aux Italiens, et qui étalent, à Paris, l'insolente opulence de leur beauté, de leurs bijoux et de leurs scandales.

Celle chez qui je me trouvais était morte : les femmes les plus vertueuses pouvaient donc pénétrer jusque dans sa chambre. La mort avait purifié l'air de ce cloaque splendide, et d'ailleurs elles avaient pour excuse, s'il en était besoin, qu'elles venaient à une vente sans savoir chez qui elles venaient. Elles avaient lu des affiches, elles voulaient visiter ce que ces affiches promettaient et faire leur choix à l'avance ; rien de plus simple ; ce qui ne les empêchait pas de chercher, au milieu de toutes ces merveilles, les traces de cette vie de courtisane dont on leur avait fait, sans doute, de si étranges récits.

Malheureusement les mystères étaient morts avec la déesse, et, malgré toute leur bonne volonté, ces dames ne surprirent que ce qui était à vendre depuis le décès, et rien de ce qui se vendait du vivant de la locataire.

Du reste, il y avait de quoi faire des emplettes. Le mobilier était superbe. Meubles de bois de rose et de Boule, vases de Sèvres et de Chine, statuettes de Saxe, satin, velours et dentelle, rien n'y manquait.

Je me promenai dans l'appartement et je suivis les nobles curieuses qui m'y avaient précédé. Elles entrèrent dans une chambre tendue d'étoffe perse, et j'allais y entrer aussi, quand elles en sortirent presque aussitôt en souriant et comme si elles eussent eu honte de cette nouvelle curiosité. Je n'en désirai que plus vivement pénétrer dans cette chambre. C'était le cabinet de toilette, revêtu de ses plus minutieux détails, dans lesquels paraissait s'être développée au plus haut point la prodigalité de la morte.

Sur une grande table, adossée au mur, table de trois pieds de large sur six de long, brillaient tous les trésors d'Aucoc et d'Odiot. C'était là une magnifique collection, et pas un de ces mille objets, si nécessaires à la toilette d'une femme comme celle chez qui nous étions, n'était en autre métal qu'or ou argent. Cependant cette collection n'avait pu se faire que peu à peu, et ce n'était pas le même amour qui l'avait complétée.

Moi qui ne m'effarouchais pas à la vue du cabinet de toilette d'une femme entretenue, je m'amusais à en examiner les détails, quels qu'ils fussent, et je m'aperçus que tous ces ustensiles magnifiquement ciselés portaient des initiales variées et des couronnes différentes.

Je regardais toutes ces choses dont chacune me représentait une prostitution de la pauvre fille, et je me disais que Dieu avait été clément pour elle, puisqu'il n'avait pas permis qu'elle en arrivât au châtiment ordinaire, et qu'il l'avait laissée mourir dans son luxe et sa beauté, avant la vieillesse, cette première mort des courtisanes.

En effet, quoi de plus triste à voir que la vieillesse du vice, surtout chez la femme? Elle ne renferme aucune dignité et n'inspire aucun intérêt. Ce repentir éternel, non pas de la mauvaise route suivie, mais des calculs mal faits et de l'argent mal employé, est une des plus attristantes choses que l'on puisse entendre. J'ai connu une ancienne femme galante à qui il ne restait plus de son passé qu'une fille presque aussi belle que, au dire de ses contemporains, avait été sa mère. Cette pauvre enfant à qui sa mère n'avait jamais dit : tu es ma fille, que pour lui ordonner de nourrir sa vieillesse comme elle-même avait nourri son enfance, cette pauvre créature se nommait Louise, et, obéissant à sa mère, elle se livrait sans volonté, sans passion, sans plaisir, comme elle eût fait un métier si l'on eût songé à lui en apprendre un.

La vue continuelle de la débauche, une débauche précoce, alimentée par l'état continuellement maladif de cette fille, avait éteint en elle l'intelligence du mal et du bien que Dieu lui avait donnée peut-être, mais qu'il n'était venu à l'idée de personne de développer.

Je me rappellerai toujours cette jeune fille, qui passait sur les boulevards presque tous les jours à la même heure. Sa mère l'accompagnait sans cesse, aussi assidûment qu'une vraie mère eût accompagné sa vraie fille. J'étais bien jeune alors, et prêt à accepter pour moi la facile morale de mon siècle. Je me souviens cependant que la vue de cette surveillance scandaleuse m'inspirait le mépris et le dégoût.

Joignez à cela que jamais visage de vierge n'eut un pareil sentiment d'innocence, une pareille expression de souffrance mélancolique.

On eût dit une figure de la Résignation.

Un jour, le visage de cette fille s'éclaira. Au milieu des débauches dont sa mère tenait le programme, il sembla à la pécheresse que Dieu lui permettait un bonheur. Et pourquoi, après tout, Dieu, qui l'avait faite sans force, l'aurait-il laissée sans consolation, sous le poids douloureux de sa vie ? Un jour donc, elle s'aperçut qu'elle était enceinte, et ce qu'il y avait en elle de chaste encore tressaillit de joie. L'âme a d'étranges refuges. Louise courut annoncer à sa mère cette nouvelle qui la rendait si joyeuse. C'est honteux à dire, cependant nous ne faisons pas ici de l'immoralité à plaisir, nous racontons un fait vrai, que nous ferions peut-être mieux de taire, si nous ne croyions qu'il faut de temps en temps révéler les martyres de ces êtres, que l'on condamne sans les entendre, que l'on méprise sans les juger ; c'est honteux, disons-nous, mais la mère répondit à sa fille qu'elles n'avaient déjà pas trop pour deux et qu'elles n'auraient pas assez pour trois ; que de pareils enfants sont inutiles et qu'une grossesse est du temps perdu.

Le lendemain, une sage-femme, que nous signalons seulement comme l'amie de la mère, vint voir Louise, qui resta quelques jours au lit, et s'en releva plus pâle et plus faible qu'autrefois.

Trois mois après, un homme se prit de pitié pour elle et entreprit sa guérison morale et physique; mais la dernière secousse avait été trop violente, et Louise mourut des suites de la fausse couche qu'elle avait faite.

La mère vit encore : comment ? Dieu le sait.

Cette histoire m'était revenue à l'esprit pendant que je contemplais les nécessaires d'argent, et un certain temps s'était écoulé, à ce qu'il paraît, dans ces réflexions, car il n'y avait plus dans l'appartement que moi et un gardien qui, de la porte, examinait avec attention si je ne dérobais rien.

Je m'approchai de ce brave homme à qui j'inspirais de si graves inquiétudes.

– Monsieur, lui dis-je, pourriez-vous me dire le nom de la personne qui demeurait ici ?

– Mademoiselle Marguerite Gautier.

Je connaissais cette fille de nom et de vue.

– Comment! Dis-je au gardien, Marguerite Gautier est morte ?

– Oui, monsieur.

– Et quand cela ?

– Il y a trois semaines, je crois.

– Et pourquoi laisse-t-on visiter l'appartement ?

– Les créanciers ont pensé que cela ne pouvait que faire monter la vente. Les personnes peuvent voir d'avance l'effet que font les étoffes et les meubles ; vous comprenez, cela encourage à acheter.

– Elle avait donc des dettes ?

– Oh ! Monsieur, en quantité.

– Mais la vente les couvrira sans doute ? – Et au-delà.

– À qui reviendra le surplus, alors ?

– À sa famille.

– Elle a donc une famille ?

– À ce qu'il paraît.

– Merci, monsieur.

Le gardien, rassuré sur mes intentions, me salua, et je sortis.

– Pauvre fille ! me disais-je en rentrant chez moi, elle a dû mourir bien tristement, car, dans son monde, on n'a d'amis qu'à la condition qu'on se portera bien. Et malgré moi je m'apitoyais sur le sort de Marguerite Gautier.

Cela paraîtra peut-être ridicule à bien des gens, mais j'ai une indulgence inépuisable pour les courtisanes, et je ne me donne même pas la peine de discuter cette indulgence.

Un jour, en allant prendre un passeport à la préfecture, je vis dans une des rues adjacentes une fille que deux gendarmes emmenaient. J'ignore ce qu'avait fait cette fille ; tout ce que je puis dire, c'est qu'elle pleurait à chaudes larmes en embrassant un enfant de quelques mois dont son arrestation la séparait. Depuis ce jour, je n'ai plus su mépriser une femme à première vue.


Chapitre I Kapitel I Chapter I Capítulo I Rozdział I Capítulo I

Mon avis est qu'on ne peut créer des personnages que lorsque l'on a beaucoup étudié les hommes, comme on ne peut parler une langue qu'à la condition de l'avoir sérieusement apprise. My opinion is that you can only create characters when you have studied men a lot, just as you can only speak a language if you have seriously learned it.

N'ayant pas encore l'âge où l'on invente, je me contente de raconter. Da ich noch nicht in dem Alter bin, in dem man erfindet, begnüge ich mich damit, zu erzählen. Not having yet the age where one invents, I am satisfied to tell.

J'engage donc le lecteur à être convaincu de la réalité de cette histoire, dont tous les personnages, à l'exception de l'héroïne, vivent encore. I therefore urge the reader to be convinced of the reality of this story, in which all the characters, with the exception of the heroine, are still alive.

D'ailleurs, il y a à Paris des témoins de la plupart des faits que je recueille ici, et qui pourraient les confirmer, si mon témoignage ne suffisait pas. Besides, there are witnesses in Paris to most of the facts I have gathered here, who could confirm them, if my testimony were not enough. Par une circonstance particulière, seul je pouvais les écrire, car seul j'ai été le confident des derniers détails sans lesquels il eût été impossible de faire un récit intéressant et complet. By a particular circumstance, only I could write them, because only I was the confidant of the last details without which it would have been impossible to make an interesting and complete account.

Or, voici comment ces détails sont parvenus à ma connaissance. Now, this is how these details came to my knowledge. – Le 12 du mois de mars 1847, je lus, dans la rue Laffitte, une grande affiche jaune annonçant une vente de meubles et de riches objets de curiosité. - On March 12, 1847, in the Rue Laffitte, I read a large yellow poster announcing a sale of furniture and rich curios. Cette vente avait lieu après décès. This sale took place after death. L'affiche ne nommait pas la personne morte, mais la vente devait se faire rue d'Antin, n° 9, le 16, de midi à cinq heures. The poster did not name the dead person, but the sale was to take place at rue d'Antin, number 9, on the 16th, from noon to five o'clock.

L'affiche portait en outre que l'on pourrait, le 13 et le 14, visiter l'appartement et les meubles.

J'ai toujours été amateur de curiosités. I've always been a fan of curiosities. Je me promis de ne pas manquer cette occasion, sinon d'en acheter, du moins d'en voir. I promised myself not to miss this opportunity, if not to buy some, at least to see some.

Le lendemain, je me rendis rue d'Antin, n° 9. The next day I went to rue d'Antin, number 9.

Il était de bonne heure, et cependant il y avait déjà dans l'appartement des visiteurs et même des visiteuses, qui, quoique vêtues de velours, couvertes de cachemires et attendues à la porte par leurs élégants coupés, regardaient avec étonnement, avec admiration même, le luxe qui s'étalait sous leurs yeux. Es war früh am Morgen und dennoch befanden sich bereits Besucher und sogar Besucherinnen in der Wohnung, die, obwohl sie in Samt gekleidet, mit Kaschmir bedeckt und von ihren eleganten Coupés an der Tür erwartet wurden, mit Erstaunen, ja sogar mit Bewunderung den Luxus betrachteten, der sich vor ihren Augen ausbreitete. It was early, and yet there were already visitors in the apartment, and even women visitors, who, although dressed in velvet, covered with cashmere, and awaited at the door by their elegant coupés, looked on with astonishment, with admiration even , the luxury that spread out before their eyes.

Plus tard, je compris cette admiration et cet étonnement, car, m'étant mis aussi à examiner, je reconnus aisément que j'étais dans l'appartement d'une femme entretenue. Later, I understood this admiration and this astonishment, for, having also begun to examine, I easily recognized that I was in the apartment of a kept woman. Or, s'il y a une chose que les femmes du monde désirent voir, et il y avait là des femmes du monde, c'est l'intérieur de ces femmes, dont les équipages éclaboussent chaque jour le leur, qui ont, comme elles et à côté d'elles, leur loge à l'Opéra et aux Italiens, et qui étalent, à Paris, l'insolente opulence de leur beauté, de leurs bijoux et de leurs scandales. Wenn es etwas gibt, das die Frauen von Welt zu sehen wünschen - und es waren Frauen von Welt anwesend -, dann ist es das Innere dieser Frauen, deren Equipagen jeden Tag auf ihre eigenen spritzen, die wie sie und neben ihnen ihre Logen in der Oper und den Italienern haben und die in Paris die unverschämte Opulenz ihrer Schönheit, ihres Schmucks und ihrer Skandale zur Schau stellen. Now, if there is one thing that the women of the world want to see, and there were women of the world there, it is the interior of these women, whose crews splash theirs every day, who have, as they and beside them, their box at the Opera and at the Italians, and who display, in Paris, the insolent opulence of their beauty, their jewels and their scandals. Ahora bien, si hay algo que las mujeres del mundo quieren ver, y allí había mujeres del mundo, es el interior de estas mujeres, cuyas cuadrillas salpican las suyas todos los días, que tienen, como ellas y junto a ellas, sus camerinos en la Ópera y los italianos, y que exhiben, en París, la insolente opulencia de su belleza, sus joyas y sus escándalos.

Celle chez qui je me trouvais était morte : les femmes les plus vertueuses pouvaient donc pénétrer jusque dans sa chambre. The woman I was staying with was dead, so even the most virtuous women could get into her room. La mort avait purifié l'air de ce cloaque splendide, et d'ailleurs elles avaient pour excuse, s'il en était besoin, qu'elles venaient à une vente sans savoir chez qui elles venaient. Death had purified the air of this splendid cesspool, and besides, they had the excuse, if need be, that they came to a sale without knowing where they were coming from. Elles avaient lu des affiches, elles voulaient visiter ce que ces affiches promettaient et faire leur choix à l'avance ; rien de plus simple ; ce qui ne les empêchait pas de chercher, au milieu de toutes ces merveilles, les traces de cette vie de courtisane dont on leur avait fait, sans doute, de si étranges récits. They had read posters, they wanted to visit what these posters promised and make their choice in advance; nothing's easier ; which did not prevent them from seeking, in the midst of all these marvels, the traces of this courtesan's life of which, no doubt, they had been told such strange stories.

Malheureusement les mystères étaient morts avec la déesse, et, malgré toute leur bonne volonté, ces dames ne surprirent que ce qui était à vendre depuis le décès, et rien de ce qui se vendait du vivant de la locataire. Leider waren die Mysterien mit der Göttin gestorben, und trotz ihres guten Willens überraschten die Damen nur das, was seit dem Tod zum Verkauf stand, und nichts, was zu Lebzeiten der Mieterin verkauft wurde. Unfortunately the mysteries had died with the goddess, and, in spite of all their good will, these ladies only surprised what had been for sale since the death, and nothing of what was sold during the tenant's lifetime.

Du reste, il y avait de quoi faire des emplettes. Besides, there was plenty to shop for. Le mobilier était superbe. Meubles de bois de rose et de Boule, vases de Sèvres et de Chine, statuettes de Saxe, satin, velours et dentelle, rien n'y manquait. Furniture in rosewood and Boule, vases from Sèvres and China, statuettes from Saxony, satin, velvet and lace, nothing was missing.

Je me promenai dans l'appartement et je suivis les nobles curieuses qui m'y avaient précédé. I wandered into the apartment, following the curious noblewomen who had preceded me. Elles entrèrent dans une chambre tendue d'étoffe perse, et j'allais y entrer aussi, quand elles en sortirent presque aussitôt en souriant et comme si elles eussent eu honte de cette nouvelle curiosité. They entered a room hung with Persian fabric, and I was about to enter too, when they came out almost immediately, smiling and as if they were ashamed of this new curiosity. Je n'en désirai que plus vivement pénétrer dans cette chambre. C'était le cabinet de toilette, revêtu de ses plus minutieux détails, dans lesquels paraissait s'être développée au plus haut point la prodigalité de la morte. It was the dressing room, adorned with the most minute details, in which the prodigality of the dead woman seemed to have developed to the highest degree.

Sur une grande table, adossée au mur, table de trois pieds de large sur six de long, brillaient tous les trésors d'Aucoc et d'Odiot. Auf einem großen Tisch, der an der Wand lehnte, ein Tisch, der drei Fuß breit und sechs Fuß lang war, glänzten alle Schätze von Aucoc und Odiot. On a large table, leaning against the wall, a table three feet wide by six feet long, shone all the treasures of Aucoc and Odiot. C'était là une magnifique collection, et pas un de ces mille objets, si nécessaires à la toilette d'une femme comme celle chez qui nous étions, n'était en autre métal qu'or ou argent. It was a magnificent collection, and not one of those thousand objects, so necessary for the toilet of a woman like the one we were staying with, was made of any other metal than gold or silver. Cependant cette collection n'avait pu se faire que peu à peu, et ce n'était pas le même amour qui l'avait complétée. However, this collection could only be made little by little, and it was not the same love that had completed it.

Moi qui ne m'effarouchais pas à la vue du cabinet de toilette d'une femme entretenue, je m'amusais à en examiner les détails, quels qu'ils fussent, et je m'aperçus que tous ces ustensiles magnifiquement ciselés portaient des initiales variées et des couronnes différentes. I, who was not frightened by the sight of the dressing room of a kept woman, amused myself by examining its details, whatever they were, and I noticed that all these magnificently carved utensils bore initials. varied and different crowns.

Je regardais toutes ces choses dont chacune me représentait une prostitution de la pauvre fille, et je me disais que Dieu avait été clément pour elle, puisqu'il n'avait pas permis qu'elle en arrivât au châtiment ordinaire, et qu'il l'avait laissée mourir dans son luxe et sa beauté, avant la vieillesse, cette première mort des courtisanes.

En effet, quoi de plus triste à voir que la vieillesse du vice, surtout chez la femme? Elle ne renferme aucune dignité et n'inspire aucun intérêt. Ce repentir éternel, non pas de la mauvaise route suivie, mais des calculs mal faits et de l'argent mal employé, est une des plus attristantes choses que l'on puisse entendre. J'ai connu une ancienne femme galante à qui il ne restait plus de son passé qu'une fille presque aussi belle que, au dire de ses contemporains, avait été sa mère. Cette pauvre enfant à qui sa mère n'avait jamais dit : tu es ma fille, que pour lui ordonner de nourrir sa vieillesse comme elle-même avait nourri son enfance, cette pauvre créature se nommait Louise, et, obéissant à sa mère, elle se livrait sans volonté, sans passion, sans plaisir, comme elle eût fait un métier si l'on eût songé à lui en apprendre un. This poor child to whom her mother had never said: you are my daughter, only to order her to nourish her old age as she herself had nourished her childhood, this poor creature was called Louise, and, obeying her mother, she gave herself up without will, without passion, without pleasure, as she would have done a trade if anyone had thought of teaching her one.

La vue continuelle de la débauche, une débauche précoce, alimentée par l'état continuellement maladif de cette fille, avait éteint en elle l'intelligence du mal et du bien que Dieu lui avait donnée peut-être, mais qu'il n'était venu à l'idée de personne de développer. Der ständige Anblick der Ausschweifung, einer frühen Ausschweifung, die durch den ständig kränklichen Zustand des Mädchens genährt wurde, hatte in ihr das Verständnis für das Böse und das Gute ausgelöscht, das Gott ihr vielleicht gegeben hatte, das zu entwickeln aber niemandem in den Sinn gekommen war. The continual sight of debauchery, a precocious debauchery, fed by the continually sickly state of this girl, had extinguished in her the intelligence of evil and good which God had perhaps given her, but which was not came up with anyone's idea to develop.

Je me rappellerai toujours cette jeune fille, qui passait sur les boulevards presque tous les jours à la même heure. Ich werde mich immer an dieses junge Mädchen erinnern, das fast jeden Tag zur selben Zeit über die Boulevards ging. Sa mère l'accompagnait sans cesse, aussi assidûment qu'une vraie mère eût accompagné sa vraie fille. J'étais bien jeune alors, et prêt à accepter pour moi la facile morale de mon siècle. Je me souviens cependant que la vue de cette surveillance scandaleuse m'inspirait le mépris et le dégoût.

Joignez à cela que jamais visage de vierge n'eut un pareil sentiment d'innocence, une pareille expression de souffrance mélancolique. Hinzu kommt, dass das Gesicht einer Jungfrau niemals ein solches Gefühl der Unschuld und einen ähnlichen Ausdruck melancholischen Leidens hatte. Add to this the fact that no virgin's face ever had such a sense of innocence, such an expression of melancholy suffering.

On eût dit une figure de la Résignation.

Un jour, le visage de cette fille s'éclaira. Au milieu des débauches dont sa mère tenait le programme, il sembla à la pécheresse que Dieu lui permettait un bonheur. In the midst of the debauchery her mother had planned for her, it seemed to the sinner that God was allowing her to be happy. Et pourquoi, après tout, Dieu, qui l'avait faite sans force, l'aurait-il laissée sans consolation, sous le poids douloureux de sa vie ? And why, after all, should God, who had made her without strength, leave her without consolation, under the painful weight of her life? Un jour donc, elle s'aperçut qu'elle était enceinte, et ce qu'il y avait en elle de chaste encore tressaillit de joie. One day, then, she realized that she was pregnant, and what was still chaste in her quivered with joy. L'âme a d'étranges refuges. The soul has strange refuges. Louise courut annoncer à sa mère cette nouvelle qui la rendait si joyeuse. C'est honteux à dire, cependant nous ne faisons pas ici de l'immoralité à plaisir, nous racontons un fait vrai, que nous ferions peut-être mieux de taire, si nous ne croyions qu'il faut de temps en temps révéler les martyres de ces êtres, que l'on condamne sans les entendre, que l'on méprise sans les juger ; c'est honteux, disons-nous, mais la mère répondit à sa fille qu'elles n'avaient déjà pas trop pour deux et qu'elles n'auraient pas assez pour trois ; que de pareils enfants sont inutiles et qu'une grossesse est du temps perdu. It's shameful to say, however we are not doing immorality here for pleasure, we are telling a true fact, which we would perhaps do better to keep silent, if we did not believe that it is necessary from time to time to reveal the martyrdoms of these beings, whom we condemn without hearing them, whom we despise without judging them; it is shameful, we say, but the mother replied to her daughter that they did not already have too much for two and that they would not have enough for three; that such children are useless and that a pregnancy is a waste of time.

Le lendemain, une sage-femme, que nous signalons seulement comme l'amie de la mère, vint voir Louise, qui resta quelques jours au lit, et s'en releva plus pâle et plus faible qu'autrefois. The next day a midwife, whom we only mention as the mother's friend, came to see Louise, who remained in bed for a few days, and got up paler and weaker than before.

Trois mois après, un homme se prit de pitié pour elle et entreprit sa guérison morale et physique; mais la dernière secousse avait été trop violente, et Louise mourut des suites de la fausse couche qu'elle avait faite. Three months later, a man took pity on her and undertook her moral and physical healing; but the last shock had been too violent, and Louise died as a result of the miscarriage she had had.

La mère vit encore : comment ? The mother is still alive: how? Dieu le sait. God knows.

Cette histoire m'était revenue à l'esprit pendant que je contemplais les nécessaires d'argent, et un certain temps s'était écoulé, à ce qu'il paraît, dans ces réflexions, car il n'y avait plus dans l'appartement que moi et un gardien qui, de la porte, examinait avec attention si je ne dérobais rien. This story had come back to me while I was contemplating the silver cases, and some time had passed, it seems, in these reflections, for there was no more in the apartment only me and a guard who, from the door, examined carefully if I stole anything.

Je m'approchai de ce brave homme à qui j'inspirais de si graves inquiétudes. I approached this good man in whom I had inspired such grave anxiety.

– Monsieur, lui dis-je, pourriez-vous me dire le nom de la personne qui demeurait ici ?

– Mademoiselle Marguerite Gautier.

Je connaissais cette fille de nom et de vue.

– Comment! Dis-je au gardien, Marguerite Gautier est morte ?

– Oui, monsieur.

– Et quand cela ?

– Il y a trois semaines, je crois.

– Et pourquoi laisse-t-on visiter l'appartement ? - And why do they let you see the apartment?

– Les créanciers ont pensé que cela ne pouvait que faire monter la vente. – Creditors thought this could only drive up the sale. Les personnes peuvent voir d'avance l'effet que font les étoffes et les meubles ; vous comprenez, cela encourage à acheter. People can see in advance the effect of fabrics and furniture; you understand, it encourages to buy.

– Elle avait donc des dettes ?

– Oh ! Monsieur, en quantité. Sir, in quantity.

– Mais la vente les couvrira sans doute ? – Et au-delà. - And beyond.

– À qui reviendra le surplus, alors ?

– À sa famille.

– Elle a donc une famille ?

– À ce qu'il paraît. - As it seems.

– Merci, monsieur.

Le gardien, rassuré sur mes intentions, me salua, et je sortis.

– Pauvre fille ! me disais-je en rentrant chez moi, elle a dû mourir bien tristement, car, dans son monde, on n'a d'amis qu'à la condition qu'on se portera bien. sagte ich mir, als ich nach Hause kam, sie muss sehr traurig gestorben sein, denn in ihrer Welt hat man nur Freunde, wenn es einem gut geht. I said to myself on returning home, she must have died very sadly, because, in her world, one only has friends on the condition that one will be well. Et malgré moi je m'apitoyais sur le sort de Marguerite Gautier. Und gegen meinen Willen bemitleidete ich Marguerite Gautier. And in spite of myself I felt sorry for the fate of Marguerite Gautier.

Cela paraîtra peut-être ridicule à bien des gens, mais j'ai une indulgence inépuisable pour les courtisanes, et je ne me donne même pas la peine de discuter cette indulgence. This may seem ridiculous to many people, but I have an inexhaustible indulgence for courtesans, and I don't even bother to discuss this indulgence.

Un jour, en allant prendre un passeport à la préfecture, je vis dans une des rues adjacentes une fille que deux gendarmes emmenaient. One day, while going to get a passport at the prefecture, I saw in one of the adjacent streets a girl whom two gendarmes were taking away. J'ignore ce qu'avait fait cette fille ; tout ce que je puis dire, c'est qu'elle pleurait à chaudes larmes en embrassant un enfant de quelques mois dont son arrestation la séparait. I don't know what this girl had done; all I can say is that she cried her eyes out as she embraced a child just a few months old, separated from her by her arrest. Depuis ce jour, je n'ai plus su mépriser une femme à première vue. Since that day, I have not known how to despise a woman at first sight.