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Nota Bene, De la propagande pour le pouvoir - Musée de Picardie

De la propagande pour le pouvoir - Musée de Picardie

Mes chers camarades bien le bonjour !

On se retrouve aujourd'hui au milieu du Musée de Picardie, à Amiens, pour parler

d'un sujet particulièrement méconnu mais qui a pourtant son importance : la transformation

des musées au cours du XIXe siècle ! Ce musée de picardie, qui s'appelait jadis

le musée Napoléon, il va nous servir de cas d'école pour découvrir comment au

cours de ce siècle, les musées en général sont passés de lieux de prestiges au service

du pouvoir à celui d'un lieu où l'on met tout en oeuvre pour vulgariser et partager

la connaissance ! Et vous allez le voir, c'est pas de tout repos et il y a quelques coups

de bluff qui ont permis ces changements !

Durant la période révolutionnaire, on cherche à mettre en valeur le patrimoine national

et la volonté de partage d'un savoir encyclopédique, pour tous, n'a jamais été aussi forte.

Jacques-Louis David – le peintre du Serment des Horaces, très impliqué lors de la Révolution

– déclame à la tribune de l'Assemblée en 1794 : « le Muséum n'est point un vain

rassemblement d'objets de luxe ou de frivolité, qui ne doivent servir qu'à satisfaire la

curiosité. Il faut qu'il devienne une école imposante. Les instituteurs y conduiront leurs

jeunes élèves ; le père y mènera son fils».

En gros, le musée ça doit être une collection d'objets rares et curieux, qui appartiennent

à l'Histoire naturelle, à la science, à l'industrie, aux beaux-arts ou à l'antiquité.

Une collection, qui servira la connaissance et qui sera partagée avec le public, de génération

en génération. Partout sur le territoire, les musées doivent se mettre au service d'une

meilleure connaissance du passé national et régional, du développement de l'archéologie

et d'une histoire locale portée par les sociétés savantes.

Et clairement, c'est aussi un outil très intéressant pour le pouvoir pour se représenter

soi même et éduquer comme il le souhaite les populations.

Pour vous donner une idée du développement incroyables de cet accès à la connaissance,

on constate en 1815 environ 20 collections publiques sur le tout le territoire français.

En 1848, il y en a 200...10 fois plus ! Dans un article de la Gazette des Beaux-Arts de

1865, on évoque même la « pullulation » des collections.

Mais ces collections, il faut bien les exposer quelque part ! On ne peut pas organiser des

expos dans la rue devant la porte de Jean-Eude vous l'imaginez bien !

Le pouvoir s'interroge donc sur la construction des musées. Si une ville veut créer un musée,

elle doit considérer « comme important de lui consacrer tout d'abord un local convenable».

Problème, on s'interroge souvent une fois que les collections sont là, et pas avant.

De nombreux musées sont donc installés dans des bâtiments existants – une salle de

la mairie ou dans les locaux de la bibliothèque municipale –, la plupart du temps impropres

à la conservation et à la présentation des œuvres. Ces espaces deviennent parfois

permanents et compliquent la cohabitation entre les institutions.

Et oui, parce que la mairie qui accueille les oeuvres en attendant, elle ne déménage

pas ! Et un musée, forcément, s'agrandit toujours de plus en plus au fur et à mesure

des nouvelles oeuvres qu'il acquiert ! Résultat : on modifie ces lieux d'accueil ou on les

remplace pour que les musées puissent continuer leur mission. Par exemple, on construit un

édifice dédié, comme ici ! Qualifié de Versailles picard ou de Louvre

de la province, le musée d'Amiens, construit à partir de 1853, est une première réponse

à ce problème de place. Et clairement, on est plus ici dans le modèle du palais-musée

que du musée tout court. Il faut que ça claque, que le jeune second empire puisse

rayonner à travers son architecture et ses collections !

A la base, le musée d'Amiens est envisagé par une société savante, la SAP, alias la

Société des Antiquaires de Picardie. En réalité lorsque la SAP est créé en février

1836, il existe déjà un embryon de musée qui se situe dans l'hôtel de ville. Cet

édifice abritait notamment les tableaux acheminés depuis Versailles en 1802, sur ordre de Napoléon

Ier, pour la signature du traité de paix d'Amiens entre la France et l'Angleterre.

Et à vrai dire à Amiens, il n'y a pas grand monde pour se préoccuper de ces oeuvres...sauf

la Sociétés des Antiquaires de Picardie ! Et les types, 15 fondateurs et un peu moins

de 40 membres, voient les choses en grand malgré leurs faibles ressources financières

! Ils veulent dès le départ en faire un musée d'antiquités nationales où on y

réunira tous les objets d'art et d'histoire qui seront achetés par la Société ou qui

lui seront offerts à titre de don.

Et vous le croirez peut-être jamais, mais ils réussissent ! Enfin bon...s'ils avaient

pas réussi on ne serait pas là aujourd'hui donc...

Sous l'impulsion de deux hommes d'influence, le comte et sénateur Félix de Beaumont et

l'avocat et véritable maître d'œuvre du projet Charles Dufour, la SAP va non seulement

obtenir le titre d'établissement d'utilité publique, mais également recevoir gratuitement,

de Napoléon III et de la mairie d'Amiens, les terrains nécessaires à l'implantation

du bâtiment. Il faut dire que Charles Dufour a de bons

arguments. Il envoie une lettre au comte de Nieuwerkerke, directeur des Musées impériaux

et du Louvre, afin d'expliquer l'importance des musées de provinces en tant qu'outil

de développement économique et instrument de prestige pour le pouvoir. Amiens en particulier,

au carrefour de trois grandes lignes de chemin de fer, est habité par 50 000 personnes et

chaque jour de nombreux touristes belges, allemands et anglais traversent la ville.

Amiens deviendrait alors un avant-goût de ce que Paris pourrait proposer de luxe et

de richesses.

Si tout le monde est d'accord sur le fait qu'un musée ici serait bénéfique à tout

le monde, il faut tout de même trouver les fonds pour le construire, car le prix d'un

tel édifice est absolument monumental. L'Histoire, ou plutôt la légende, raconte comment Charles

Dufour a réussi ce coup de maître…

Profitant de ses relations, Dufour se fait inviter à l'Elysée pour rencontrer le

futur Napoléon III. Il lui demande d'organiser une loterie qui permettra la construction

du musée. Malheureusement, cette permission lui est refusé par l'Empereur, qui prétexte

que les loteries ont généré trop d'abus par le passé. Qu'à cela ne tienne, il

rentre à Amiens et déclare enjoué à ces collègues qu'ils peuvent organiser leur

loterie ! Quand Dufour est convoqué à Paris pour s'expliquer devant Napoléon III, il

mime la surdité en sortant un cornet acoustique, signe que, balot qu'il était, il avait

du mal comprendre la consigne. Louis-Napoléon Bonaparte aurait alors éclaté de rire devant

l'audace de Dufour et lui aurait permis, tout compte fait, de mettre en place cette

loterie.

Je vais faire la même chose à mon banquier quand il me dira que je n'ai pas le droit

à un découvert exceptionnel, je suis sûr que ça va marcher !

Bref, ce n'est pas une mais trois loteries (en 1853, 1859 et 1863) qui sont successivement

organisées pour permettre la construction et l'achèvement du bâtiment, le coût

des travaux s'élevant à 1 600 000 Francs. Le projet architectural du musée a pour ambition

de créer un Louvre de province à l'image du modèle original du Palais-Musée fondé

durant la Révolution. Dufour est clair, et je le cite : il veut “rendre le musée Napoléon

digne du nom glorieux que lui a attaché la reconnaissance publique et à combler une

véritable lacune dans l'architecture civile de notre époque ; car la France, si riche

en monuments, n'en possédait cependant aucun qui eût été construit sur une grande

échelle avec la destination spéciale de musée”.

Trente-neuf architectes présentent des projets : ce ne sont pourtant pas les deux architectes

ayant obtenu la première place qui se voient confier la réalisation du musée ! C'est

finalement Henri Parent, classé 2e, qui est retenu ! Mais il lui est demandé de reprendre

sa proposition en y intégrant les éléments de ses rivaux qui avaient particulièrement

séduit les membres de la commission. Parent s'exécute ...mais finira par laisser la place

à Charles Diet... 3e du concours, et c'est finalement lui qui achèvera la construction

et les décors intérieurs et extérieurs !

Comme quoi, faut pas perdre espoir, même quand on est pas premier !

Le plan et le pavillon central du musée citent les travaux du nouveau Louvre, notamment les

pavillons de la cour Napoléon, et donnent au musée une image de bâtiment intimement

lié au pouvoir impérial. A l'intérieur du musée, on retrouve les salons de l'Impératrice

ou de l'Empereur. Le plafond de ce salon représente la France couronnant les gloires

artistiques, militaires et scientifiques de la Picardie sous la protection de l'empereur.

Et en creusant un peu, on se rend compte que tout le décor du musée encourage ce culte

de l'empereur. Le bâtiment, de plus de 8 000 m2 sert de

lieu d'expérimentation dans cette période de développement des musées. De multiples

innovations sont proposées à Amiens même si toutes ne sont pas menées à leur terme.

Les objets archéologiques sont présentés sur des dressoirs inclinés et ne sont ni

attachés ni encastrés dans les murs comme il l'était souvent auparavant.

Et avouons le, c'est plutôt mieux pour la conservation des oeuvres…

Les galeries de peinture présentent de nombreuses nouveautés : un éclairage zénithal à travers

des verres dépolis tamise la lumière ; un système de tringles avec vis à pression

permet de suspendre les tableaux qui pourraient ainsi être remontés dans des ateliers situés

sous les combles grâce aux plafonds amovibles des galeries. Des poulies fixées dans la

charpente de couverture doivent aider à hisser les œuvres dans les greniers-réserves depuis

le rez-de-chaussée[16]. Enfin, des caches auraient été installées dans le bâtiment

afin de préserver les collections en cas de guerre ou de révolution mais les conservateurs

actuels ne savent pas si elles ont réellement existé !

Pour que le musée s'enrichisse, la commission du musée sollicite la direction des beaux-arts

pour obtenir des tableaux. Cette demande va déclencher le premier cycle décoratif de

l'œuvre de Pierre Puvis de Chavannes, un des plus grands peintres français du XIXe

siècle. Le grand escalier présente les toiles marouflées du Repos et du Travail puis l'Ave

Picardia Nutrix et, à l'étage, le visiteur découvre Bellum et Concordia, mélange d'envois

de l'État et de commandes du musée. Grâce à l'installation des toiles de Puvis de

Chavannes le musée se transforme en un édifice unique où l'artiste développe sa maîtrise

du décor mural dans des thèmes comme la nation, l'art, l'industrie, la culture

ou le paysage. Des thèmes correspondant pleinement à l'évolution de la société sous le

Second Empire. Cet ensemble décoratif de plus de 275 m2 va initier de nombreuses autres

commandes publiques, comme celles effectuées par la suite pour les musées de Marseille,

Lyon ou Rouen, et une dernière toile monumentale Pro Patria Ludus lui est même commandé en

1881 en prévision de la couverture de la cour centrale du musée et des modifications

apportées à l'escalier. Une fois ce grand cycle passé, se succèdent

les galeries de peintures où près de 70 % des collections proviennent alors de dépôts

de l'État. La galerie Nieuwerkerke présente les très grands formats de peintures d'histoire

envoyés par l'administration des musées impériaux et que seul le musée d'Amiens

grâce à son aménagement moderne peut aisément accueillir à l'image du Siècle d'Auguste

: naissance de notre seigneur Jésus Christ de Gérôme.

Le tableau fait quand même 6m20 de haut sur 10m14 de large ! Pas le genre de peinture

que tu accroches dans ton salon !

Enfin, la galerie Dufour présente un tableau de Court présentant des membres de la commission

du musée Napoléon soumettant le plan du musée à Napoléon III ou encore le Dernier

carré de la Garde impériale à Waterloo de Bellangé.

La aussi, on voit l'influence énorme de Napoléon III sur le musée !

Et justement, c'est là tout le paradoxe du musée Napoléon d'Amiens. Fondé par

une société archéologique pour présenter le résultat de fouilles locales, il devient

finalement le prototype du palais des beaux-arts. Au rez-de-chaussé, on trouve tout de même

des objets antiques qui proviennent de fouilles opérée en Picardie et la galerie des sculptures.

La décoration de la galerie des antiquités rappelle le style très à la mode dans les

hautes sphères des maisons pompéiennes : des hôtels particuliers qui s'appuient sur

une architecture évoquant les maisons à Pompéi. Chauvin et Gastine, les artistes

qui ont décoré la maison pompéienne des Champs-Élysées du prince Napoléon (le cousin

de Napoléon III), participent à l'élaboration des décors.

A cette galerie des antiquités se succèdent les galeries du Moyen ge et de la Renaissance

dans une succession de galeries et de salons qui ressemble à ce qui se faisait alors au

musée de Cluny ou dans celui du musée des Monuments Français.

Dans la partie droite du bâtiment principal se trouve sans doute la salle la plus curieuse

du musée, que l'on nomme “la chapelle”. Cette pièce accueille en ses murs tous les

objets qui ont servi au culte chrétien et qui, pour les membres de la Société des

Antiquaires de Picardie, ne doivent pas être confondus avec des objets antiques relatifs

à des croyances obscures comme c'est le cas dans d'autres musées. Le message religieux

est assez clair mais une lecture plus politique du lieu peut être envisagée comme l'illustre

la principale inscription de la chapelle. Sur l'arc de la voûte on peut lire en latin

« Reddite Quae Sunt Caesaris Caesari et Quae Sunt dei Deo » « Alors Jésus leur dit rendez

à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ». Ce passage de l'Évangile

selon Saint Matthieu illustre la pensée des Antiquaires et leur vision de la société

et de l'histoire, sous la protection du césarisme bonapartiste. L'atmosphère créée

par le décor plonge le spectateur dans le recueillement aux objets religieux et montre

s'il en était encore besoin l'adhésion de la Société des Antiquaires aux idéaux

impériaux. Le musée devient donc un acteur culturel

de premier plan et devant l'importance qu'il commence à prendre, le projet de faire du

musée Napoléon une annexe du Louvre est même régulièrement évoqué. Une demande

officielle est effectuée en 1863 et le directeur des musées impériaux approuve le projet

qui est une véritable préfiguration des annexes réalisées récemment par le Louvre

à Lens et le Centre Pompidou à Metz. La situation géographique d'Amiens permettrait

alors d'attirer de très nombreux visiteurs au sein du musée, auquel on pourrait confier

des oeuvres du palais du Luxembourg. Napoléon III comprend tout de suite l'intérêt

politique qu'il pourrait trouver dans cette donation, une opération de décentralisation

culturelle comme on en avait jamais fait ! Mais finalement il refuse devant le coût de l'opération

puisque l'argent manque déjà aux musées !

Le musée de Picardie a été construit dans un but de glorifier Napoléon III mais aussi

de mettre en avant le patrimoine local. Mais s'il a été édifié en l'honneur des

Napoléonides, il apparaît finalement éloigné des premières ambitions picardes et des aspirations

républicaines de la société française après la chute du Second Empire, le 4 septembre

1870, à la suite de la guerre franco-prussienne. Aussi en 1878, une « dénapoléonisation

» cherche à effacer les symboles trop présents dans le musée. On gomme de nombreux aigles

situés dans le décor du musée, comme celui qui coiffait la grille d'entrée. Les deux

médaillons qui représentaient, sur le pavillon d'entrée, l'Empereur et l'Impératrice,

sont remplacés par ceux de Michel-Ange et de Raphaël mais, peut être au vu des coûts

de l'opération, l'immense dédicace à Napoléon III reste visible sur la façade.

Mais qu'on se dise bien une chose, quel que soit le nombre des monogrammes d'Eugénie

et Napoléon III effacés du bâtiment, cette iconographie impériale qu'on efface elle

est insignifiante face à la puissance de l'architecture du musée, qui comme on l'a

montré transpire l'Empire. C'est une véritable citation du grand Louvre qui en

est un symbole. Le musée d'Amiens devient alors l'exemplum

tant recherché par les architectes français dans leur quête d'un musée-modèle. De

nombreuses variations de ce musée voient le jour à travers la France sous la IIIe

République. Les constructions des palais-musées de Bayonne, Laval, Rouen, Lille, Nantes, Bordeaux,

Toulon sont clairement influencées par Amiens même si les partis pris architecturaux peuvent

différer. Favorisés par les donations impériales, à la tête de collections qui se développent

grâce aux nombreux dons des membres de la société civile, encouragés par les sociétés

savantes locales, les musées de province, grâce à cette période de réflexion, de

stabilisation institutionnelle et d'enrichissement deviennent de formidables outils de vulgarisation

dont profitera la IIIe République. En somme, c'est un musée de référence

qu'il faut absolument visiter si vous venez...dans la Somme ! Merci à tous d'avoir suivi cet

épisode, merci au musée de Picardie pour ce partenariat, un peu d'histoire culturelle,

ça fait pas de mal et ça permet de se rendre compte de l'impact du politique, de la science

et de tout un tas d'autres disciplines sur l'évolution de notre société. Merci également

à Arnaud Bertinet, maître de conférence à Paris 1 Panthéon-Sorbonne pour la préparation

de cet épisode, lui qui a rédigé une thèse sur la politique artistique du Second Empire

et notamment sur l'institution muséale sous Napoléon III, je pouvais pas vraiment rêver

mieux comme collaborateur ! D'ailleurs, je vous mets le lien du livre issu de sa thèse

en description si ça peut vous intéresser ! Et si vous voulez plus d'info sur le musée

d'Amiens ils ont publié un Guide Historique et architectural qui va un peu plus au fond

des choses que ce que j'ai pu faire ici. On se retrouve très bientôt sur Nota Bene

pour de nouveaux reportages ! Salut !

De la propagande pour le pouvoir - Musée de Picardie ||||||||Picardy Von der Propaganda zur Macht - Musée de Picardie Propaganda for power - Musée de Picardie Propaganda del poder - Musée de Picardie پروپاگاندا برای قدرت - موزه پیکاردی 権力のためのプロパガンダ - ピカルディ美術館 Propaganda voor macht - Musée de Picardie Propaganda para o poder - Musée de Picardie 权力宣传 - Musée de Picardie 權力宣傳 - Musée de Picardie

Mes chers camarades bien le bonjour !

On se retrouve aujourd'hui au milieu du Musée de Picardie, à Amiens, pour parler |||||||||||Amiens||

d'un sujet particulièrement méconnu mais qui a pourtant son importance : la transformation |||unknown||||||||

des musées au cours du XIXe siècle ! Ce musée de picardie, qui s'appelait jadis

le musée Napoléon, il va nous servir de cas d'école pour découvrir comment au

cours de ce siècle, les musées en général sont passés de lieux de prestiges au service |||||||||||places||||

du pouvoir à celui d'un lieu où l'on met tout en oeuvre pour vulgariser et partager |||||||||||||popularize|| of power to that of a place where every effort is made to popularize and share

la connaissance ! Et vous allez le voir, c'est pas de tout repos et il y a quelques coups knowledge! As you'll see, it's not all plain sailing, and there are a few tricks up your sleeve.

de bluff qui ont permis ces changements ! |bluff|||||

Durant la période révolutionnaire, on cherche à mettre en valeur le patrimoine national Während der Revolutionszeit wird versucht, das nationale Erbe hervorzuheben

et la volonté de partage d'un savoir encyclopédique, pour tous, n'a jamais été aussi forte. und der Wille, enzyklopädisches Wissen für alle zu teilen, war noch nie so stark.

Jacques-Louis David – le peintre du Serment des Horaces, très impliqué lors de la Révolution Jacques-Louis David - der Maler des Schwurs der Horatier, der während der Revolution sehr engagiert war

– déclame à la tribune de l'Assemblée en 1794 : « le Muséum n'est point un vain - deklamierte 1794 auf der Tribüne der Versammlung: "Das Museum ist kein leerer Ort.

rassemblement d'objets de luxe ou de frivolité, qui ne doivent servir qu'à satisfaire la

curiosité. Il faut qu'il devienne une école imposante. Les instituteurs y conduiront leurs

jeunes élèves ; le père y mènera son fils».

En gros, le musée ça doit être une collection d'objets rares et curieux, qui appartiennent

à l'Histoire naturelle, à la science, à l'industrie, aux beaux-arts ou à l'antiquité. |||||science||||||||

Une collection, qui servira la connaissance et qui sera partagée avec le public, de génération

en génération. Partout sur le territoire, les musées doivent se mettre au service d'une

meilleure connaissance du passé national et régional, du développement de l'archéologie

et d'une histoire locale portée par les sociétés savantes.

Et clairement, c'est aussi un outil très intéressant pour le pouvoir pour se représenter

soi même et éduquer comme il le souhaite les populations.

Pour vous donner une idée du développement incroyables de cet accès à la connaissance,

on constate en 1815 environ 20 collections publiques sur le tout le territoire français.

En 1848, il y en a 200...10 fois plus ! Dans un article de la Gazette des Beaux-Arts de

1865, on évoque même la « pullulation » des collections. ||||proliferation||

Mais ces collections, il faut bien les exposer quelque part ! On ne peut pas organiser des

expos dans la rue devant la porte de Jean-Eude vous l'imaginez bien !

Le pouvoir s'interroge donc sur la construction des musées. Si une ville veut créer un musée,

elle doit considérer « comme important de lui consacrer tout d'abord un local convenable».

Problème, on s'interroge souvent une fois que les collections sont là, et pas avant.

De nombreux musées sont donc installés dans des bâtiments existants – une salle de

la mairie ou dans les locaux de la bibliothèque municipale –, la plupart du temps impropres ||||||||||||||improper

à la conservation et à la présentation des œuvres. Ces espaces deviennent parfois

permanents et compliquent la cohabitation entre les institutions.

Et oui, parce que la mairie qui accueille les oeuvres en attendant, elle ne déménage

pas ! Et un musée, forcément, s'agrandit toujours de plus en plus au fur et à mesure

des nouvelles oeuvres qu'il acquiert ! Résultat : on modifie ces lieux d'accueil ou on les

remplace pour que les musées puissent continuer leur mission. Par exemple, on construit un

édifice dédié, comme ici ! Qualifié de Versailles picard ou de Louvre

de la province, le musée d'Amiens, construit à partir de 1853, est une première réponse

à ce problème de place. Et clairement, on est plus ici dans le modèle du palais-musée

que du musée tout court. Il faut que ça claque, que le jeune second empire puisse

rayonner à travers son architecture et ses collections !

A la base, le musée d'Amiens est envisagé par une société savante, la SAP, alias la

Société des Antiquaires de Picardie. En réalité lorsque la SAP est créé en février

1836, il existe déjà un embryon de musée qui se situe dans l'hôtel de ville. Cet

édifice abritait notamment les tableaux acheminés depuis Versailles en 1802, sur ordre de Napoléon

Ier, pour la signature du traité de paix d'Amiens entre la France et l'Angleterre.

Et à vrai dire à Amiens, il n'y a pas grand monde pour se préoccuper de ces oeuvres...sauf

la Sociétés des Antiquaires de Picardie ! Et les types, 15 fondateurs et un peu moins

de 40 membres, voient les choses en grand malgré leurs faibles ressources financières

! Ils veulent dès le départ en faire un musée d'antiquités nationales où on y

réunira tous les objets d'art et d'histoire qui seront achetés par la Société ou qui

lui seront offerts à titre de don.

Et vous le croirez peut-être jamais, mais ils réussissent ! Enfin bon...s'ils avaient

pas réussi on ne serait pas là aujourd'hui donc...

Sous l'impulsion de deux hommes d'influence, le comte et sénateur Félix de Beaumont et

l'avocat et véritable maître d'œuvre du projet Charles Dufour, la SAP va non seulement

obtenir le titre d'établissement d'utilité publique, mais également recevoir gratuitement,

de Napoléon III et de la mairie d'Amiens, les terrains nécessaires à l'implantation

du bâtiment. Il faut dire que Charles Dufour a de bons

arguments. Il envoie une lettre au comte de Nieuwerkerke, directeur des Musées impériaux

et du Louvre, afin d'expliquer l'importance des musées de provinces en tant qu'outil

de développement économique et instrument de prestige pour le pouvoir. Amiens en particulier,

au carrefour de trois grandes lignes de chemin de fer, est habité par 50 000 personnes et

chaque jour de nombreux touristes belges, allemands et anglais traversent la ville.

Amiens deviendrait alors un avant-goût de ce que Paris pourrait proposer de luxe et Amiens would then become a taste of what Paris could offer in terms of luxury and

de richesses.

Si tout le monde est d'accord sur le fait qu'un musée ici serait bénéfique à tout

le monde, il faut tout de même trouver les fonds pour le construire, car le prix d'un

tel édifice est absolument monumental. L'Histoire, ou plutôt la légende, raconte comment Charles

Dufour a réussi ce coup de maître…

Profitant de ses relations, Dufour se fait inviter à l'Elysée pour rencontrer le

futur Napoléon III. Il lui demande d'organiser une loterie qui permettra la construction

du musée. Malheureusement, cette permission lui est refusé par l'Empereur, qui prétexte

que les loteries ont généré trop d'abus par le passé. Qu'à cela ne tienne, il

rentre à Amiens et déclare enjoué à ces collègues qu'ils peuvent organiser leur

loterie ! Quand Dufour est convoqué à Paris pour s'expliquer devant Napoléon III, il

mime la surdité en sortant un cornet acoustique, signe que, balot qu'il était, il avait

du mal comprendre la consigne. Louis-Napoléon Bonaparte aurait alors éclaté de rire devant

l'audace de Dufour et lui aurait permis, tout compte fait, de mettre en place cette the audacity of Dufour and would have enabled him, all things considered, to set up this

loterie.

Je vais faire la même chose à mon banquier quand il me dira que je n'ai pas le droit

à un découvert exceptionnel, je suis sûr que ça va marcher !

Bref, ce n'est pas une mais trois loteries (en 1853, 1859 et 1863) qui sont successivement

organisées pour permettre la construction et l'achèvement du bâtiment, le coût

des travaux s'élevant à 1 600 000 Francs. Le projet architectural du musée a pour ambition

de créer un Louvre de province à l'image du modèle original du Palais-Musée fondé

durant la Révolution. Dufour est clair, et je le cite : il veut “rendre le musée Napoléon

digne du nom glorieux que lui a attaché la reconnaissance publique et à combler une

véritable lacune dans l'architecture civile de notre époque ; car la France, si riche |gap|||||||||||

en monuments, n'en possédait cependant aucun qui eût été construit sur une grande

échelle avec la destination spéciale de musée”.

Trente-neuf architectes présentent des projets : ce ne sont pourtant pas les deux architectes

ayant obtenu la première place qui se voient confier la réalisation du musée ! C'est

finalement Henri Parent, classé 2e, qui est retenu ! Mais il lui est demandé de reprendre

sa proposition en y intégrant les éléments de ses rivaux qui avaient particulièrement

séduit les membres de la commission. Parent s'exécute ...mais finira par laisser la place

à Charles Diet... 3e du concours, et c'est finalement lui qui achèvera la construction

et les décors intérieurs et extérieurs !

Comme quoi, faut pas perdre espoir, même quand on est pas premier !

Le plan et le pavillon central du musée citent les travaux du nouveau Louvre, notamment les

pavillons de la cour Napoléon, et donnent au musée une image de bâtiment intimement

lié au pouvoir impérial. A l'intérieur du musée, on retrouve les salons de l'Impératrice

ou de l'Empereur. Le plafond de ce salon représente la France couronnant les gloires

artistiques, militaires et scientifiques de la Picardie sous la protection de l'empereur.

Et en creusant un peu, on se rend compte que tout le décor du musée encourage ce culte

de l'empereur. Le bâtiment, de plus de 8 000 m2 sert de

lieu d'expérimentation dans cette période de développement des musées. De multiples

innovations sont proposées à Amiens même si toutes ne sont pas menées à leur terme.

Les objets archéologiques sont présentés sur des dressoirs inclinés et ne sont ni |||||||dressers|inclined||||

attachés ni encastrés dans les murs comme il l'était souvent auparavant.

Et avouons le, c'est plutôt mieux pour la conservation des oeuvres…

Les galeries de peinture présentent de nombreuses nouveautés : un éclairage zénithal à travers ||||||||||zenithal||

des verres dépolis tamise la lumière ; un système de tringles avec vis à pression |||||||||curtains||||

permet de suspendre les tableaux qui pourraient ainsi être remontés dans des ateliers situés

sous les combles grâce aux plafonds amovibles des galeries. Des poulies fixées dans la ||||||||||pulleys|||

charpente de couverture doivent aider à hisser les œuvres dans les greniers-réserves depuis

le rez-de-chaussée[16]. Enfin, des caches auraient été installées dans le bâtiment ||||||caches||||||

afin de préserver les collections en cas de guerre ou de révolution mais les conservateurs

actuels ne savent pas si elles ont réellement existé !

Pour que le musée s'enrichisse, la commission du musée sollicite la direction des beaux-arts

pour obtenir des tableaux. Cette demande va déclencher le premier cycle décoratif de

l'œuvre de Pierre Puvis de Chavannes, un des plus grands peintres français du XIXe

siècle. Le grand escalier présente les toiles marouflées du Repos et du Travail puis l'Ave

Picardia Nutrix et, à l'étage, le visiteur découvre Bellum et Concordia, mélange d'envois

de l'État et de commandes du musée. Grâce à l'installation des toiles de Puvis de

Chavannes le musée se transforme en un édifice unique où l'artiste développe sa maîtrise

du décor mural dans des thèmes comme la nation, l'art, l'industrie, la culture

ou le paysage. Des thèmes correspondant pleinement à l'évolution de la société sous le

Second Empire. Cet ensemble décoratif de plus de 275 m2 va initier de nombreuses autres

commandes publiques, comme celles effectuées par la suite pour les musées de Marseille,

Lyon ou Rouen, et une dernière toile monumentale Pro Patria Ludus lui est même commandé en

1881 en prévision de la couverture de la cour centrale du musée et des modifications

apportées à l'escalier. Une fois ce grand cycle passé, se succèdent

les galeries de peintures où près de 70 % des collections proviennent alors de dépôts

de l'État. La galerie Nieuwerkerke présente les très grands formats de peintures d'histoire

envoyés par l'administration des musées impériaux et que seul le musée d'Amiens

grâce à son aménagement moderne peut aisément accueillir à l'image du Siècle d'Auguste

: naissance de notre seigneur Jésus Christ de Gérôme.

Le tableau fait quand même 6m20 de haut sur 10m14 de large ! Pas le genre de peinture

que tu accroches dans ton salon !

Enfin, la galerie Dufour présente un tableau de Court présentant des membres de la commission

du musée Napoléon soumettant le plan du musée à Napoléon III ou encore le Dernier

carré de la Garde impériale à Waterloo de Bellangé.

La aussi, on voit l'influence énorme de Napoléon III sur le musée !

Et justement, c'est là tout le paradoxe du musée Napoléon d'Amiens. Fondé par

une société archéologique pour présenter le résultat de fouilles locales, il devient

finalement le prototype du palais des beaux-arts. Au rez-de-chaussé, on trouve tout de même finally the prototype of the Palace of Fine Arts. On the ground floor, we still find

des objets antiques qui proviennent de fouilles opérée en Picardie et la galerie des sculptures.

La décoration de la galerie des antiquités rappelle le style très à la mode dans les

hautes sphères des maisons pompéiennes : des hôtels particuliers qui s'appuient sur

une architecture évoquant les maisons à Pompéi. Chauvin et Gastine, les artistes

qui ont décoré la maison pompéienne des Champs-Élysées du prince Napoléon (le cousin

de Napoléon III), participent à l'élaboration des décors. |||||the elaboration||

A cette galerie des antiquités se succèdent les galeries du Moyen ge et de la Renaissance

dans une succession de galeries et de salons qui ressemble à ce qui se faisait alors au

musée de Cluny ou dans celui du musée des Monuments Français.

Dans la partie droite du bâtiment principal se trouve sans doute la salle la plus curieuse

du musée, que l'on nomme “la chapelle”. Cette pièce accueille en ses murs tous les

objets qui ont servi au culte chrétien et qui, pour les membres de la Société des

Antiquaires de Picardie, ne doivent pas être confondus avec des objets antiques relatifs

à des croyances obscures comme c'est le cas dans d'autres musées. Le message religieux

est assez clair mais une lecture plus politique du lieu peut être envisagée comme l'illustre

la principale inscription de la chapelle. Sur l'arc de la voûte on peut lire en latin

« Reddite Quae Sunt Caesaris Caesari et Quae Sunt dei Deo » « Alors Jésus leur dit rendez

à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ». Ce passage de l'Évangile

selon Saint Matthieu illustre la pensée des Antiquaires et leur vision de la société

et de l'histoire, sous la protection du césarisme bonapartiste. L'atmosphère créée

par le décor plonge le spectateur dans le recueillement aux objets religieux et montre ||||||||reverence|||||

s'il en était encore besoin l'adhésion de la Société des Antiquaires aux idéaux

impériaux. Le musée devient donc un acteur culturel

de premier plan et devant l'importance qu'il commence à prendre, le projet de faire du

musée Napoléon une annexe du Louvre est même régulièrement évoqué. Une demande

officielle est effectuée en 1863 et le directeur des musées impériaux approuve le projet

qui est une véritable préfiguration des annexes réalisées récemment par le Louvre

à Lens et le Centre Pompidou à Metz. La situation géographique d'Amiens permettrait

alors d'attirer de très nombreux visiteurs au sein du musée, auquel on pourrait confier

des oeuvres du palais du Luxembourg. Napoléon III comprend tout de suite l'intérêt

politique qu'il pourrait trouver dans cette donation, une opération de décentralisation

culturelle comme on en avait jamais fait ! Mais finalement il refuse devant le coût de l'opération

puisque l'argent manque déjà aux musées !

Le musée de Picardie a été construit dans un but de glorifier Napoléon III mais aussi

de mettre en avant le patrimoine local. Mais s'il a été édifié en l'honneur des

Napoléonides, il apparaît finalement éloigné des premières ambitions picardes et des aspirations

républicaines de la société française après la chute du Second Empire, le 4 septembre

1870, à la suite de la guerre franco-prussienne. Aussi en 1878, une « dénapoléonisation

» cherche à effacer les symboles trop présents dans le musée. On gomme de nombreux aigles

situés dans le décor du musée, comme celui qui coiffait la grille d'entrée. Les deux

médaillons qui représentaient, sur le pavillon d'entrée, l'Empereur et l'Impératrice,

sont remplacés par ceux de Michel-Ange et de Raphaël mais, peut être au vu des coûts are replaced by those of Michelangelo and Raphael but, perhaps given the costs

de l'opération, l'immense dédicace à Napoléon III reste visible sur la façade.

Mais qu'on se dise bien une chose, quel que soit le nombre des monogrammes d'Eugénie

et Napoléon III effacés du bâtiment, cette iconographie impériale qu'on efface elle

est insignifiante face à la puissance de l'architecture du musée, qui comme on l'a

montré transpire l'Empire. C'est une véritable citation du grand Louvre qui en

est un symbole. Le musée d'Amiens devient alors l'exemplum

tant recherché par les architectes français dans leur quête d'un musée-modèle. De

nombreuses variations de ce musée voient le jour à travers la France sous la IIIe

République. Les constructions des palais-musées de Bayonne, Laval, Rouen, Lille, Nantes, Bordeaux,

Toulon sont clairement influencées par Amiens même si les partis pris architecturaux peuvent

différer. Favorisés par les donations impériales, à la tête de collections qui se développent

grâce aux nombreux dons des membres de la société civile, encouragés par les sociétés

savantes locales, les musées de province, grâce à cette période de réflexion, de

stabilisation institutionnelle et d'enrichissement deviennent de formidables outils de vulgarisation

dont profitera la IIIe République. En somme, c'est un musée de référence

qu'il faut absolument visiter si vous venez...dans la Somme ! Merci à tous d'avoir suivi cet

épisode, merci au musée de Picardie pour ce partenariat, un peu d'histoire culturelle,

ça fait pas de mal et ça permet de se rendre compte de l'impact du politique, de la science

et de tout un tas d'autres disciplines sur l'évolution de notre société. Merci également

à Arnaud Bertinet, maître de conférence à Paris 1 Panthéon-Sorbonne pour la préparation

de cet épisode, lui qui a rédigé une thèse sur la politique artistique du Second Empire

et notamment sur l'institution muséale sous Napoléon III, je pouvais pas vraiment rêver

mieux comme collaborateur ! D'ailleurs, je vous mets le lien du livre issu de sa thèse

en description si ça peut vous intéresser ! Et si vous voulez plus d'info sur le musée

d'Amiens ils ont publié un Guide Historique et architectural qui va un peu plus au fond

des choses que ce que j'ai pu faire ici. On se retrouve très bientôt sur Nota Bene

pour de nouveaux reportages ! Salut !