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La Princesse de Clèves, La Princesse de Clèves - Premiere Partie - Section 6

La Princesse de Clèves - Premiere Partie - Section 6

Section six de la Princesse de Clèves par Madame de la Fayette

Cet enregistrement Librivox fait partie de la domaine public

Enregistré par Isabelle Brasme

Lorsqu'elle revint chez sa mère, elle sut qu'elle était beaucoup plus mal qu'elle ne l'avait laissée. La fièvre lui avait redoublé, et, les jours suivants, elle augmenta de telle sorte, qu'il parut que ce serait une maladie considérable. Madame de Clèves était dans une affliction extrême, elle ne sortait point de la chambre de sa mère; monsieur de Clèves y passait aussi presque tous les jours, et par l'intérêt qu'il prenait à madame de Chartres, et pour empêcher sa femme de s'abandonner à la tristesse, mais pour avoir aussi le plaisir de la voir; sa passion n'était point diminuée.

Monsieur de Nemours, qui avait toujours eu beaucoup d'amitié pour lui, n'avait pas cessé de lui en témoigner depuis son retour de Bruxelles. Pendant la maladie de madame de Chartres, ce prince trouva le moyen de voir plusieurs fois madame de Clèves, en faisant semblant de chercher son mari, ou de le venir prendre pour le mener promener. Il le cherchait même à des heures où il savait bien qu'il n'y était pas, et sous le prétexte de l'attendre, il demeurait dans l'antichambre de madame de Chartres, où il y avait toujours plusieurs personnes de qualité. Madame de Clèves y venait souvent, et, pour être affligée, elle n'en paraissait pas moins belle à monsieur de Nemours. Il lui faisait voir combien il prenait d'intérêt à son affliction, et il lui en parlait avec un air si doux et si soumis, qu'il la persuadait aisément que ce n'était pas de madame la dauphine dont il était amoureux.

Elle ne pouvait s'empêcher d'être troublée de sa vue, et d'avoir pourtant du plaisir à le voir; mais quand elle ne le voyait plus, et qu'elle pensait que ce charme qu'elle trouvait dans sa vue était le commencement des passions, il s'en fallait peu qu'elle ne crût le haïr par la douleur que lui donnait cette pensée.

Madame de Chartres empira si considérablement, que l'on commença à désespérer de sa vie; elle reçut ce que les médecins lui dirent du péril où elle était, avec un courage digne de sa vertu et de sa piété. Après qu'ils furent sortis, elle fit retirer tout le monde, et appeler madame de Clèves.

—Il faut nous quitter, ma fille, lui dit-elle, en lui tendant la main; le péril où je vous laisse, et le besoin que vous avez de moi, augmentent le déplaisir que j'ai de vous quitter. Vous avez de l'inclination pour monsieur de Nemours; je ne vous demande point de me l'avouer: je ne suis plus en état de me servir de votre sincérité pour vous conduire. Il y a déjà longtemps que je me suis aperçue de cette inclination; mais je ne vous en ai pas voulu parler d'abord, de peur de vous en faire apercevoir vous-même. Vous ne la connaissez que trop présentement; vous êtes sur le bord du précipice: il faut de grands efforts et de grandes violences pour vous retenir. Songez ce que vous devez à votre mari; songez ce que vous vous devez à vous-même, et pensez que vous allez perdre cette réputation que vous vous êtes acquise, et que je vous ai tant souhaitée. Ayez de la force et du courage, ma fille, retirez-vous de la cour, obligez votre mari de vous emmener; ne craignez point de prendre des partis trop rudes et trop difficiles, quelque affreux qu'ils vous paraissent d'abord; ils seront plus doux dans les suites que les malheurs d'une galanterie. Si d'autres raisons que celles de la vertu et de votre devoir vous pouvaient obliger à ce que je souhaite, je vous dirais que, si quelque chose était capable de troubler le bonheur que j'espère en sortant de ce monde, ce serait de vous voir tomber comme les autres femmes; mais si ce malheur vous doit arriver, je reçois la mort avec joie, pour n'en être pas le témoin.

Madame de Clèves fondait en larmes sur la main de sa mère, qu'elle tenait serrée entre les siennes, et madame de Chartres se sentant touchée elle-même:

—Adieu, ma fille, lui dit-elle, finissons une conversation qui nous attendrit trop l'une et l'autre, et souvenez-vous, si vous pouvez, de tout ce que je viens de vous dire.

Elle se tourna de l'autre côté en achevant ces paroles, et commanda à sa fille d'appeler ses femmes, sans vouloir l'écouter, ni parler davantage. Madame de Clèves sortit de la chambre de sa mère en l'état que l'on peut s'imaginer, et madame de Chartres ne songea plus qu'à se préparer à la mort. Elle vécut encore deux jours, pendant lesquels elle ne voulut plus revoir sa fille, qui était la seule chose à quoi elle se sentait attachée.

Madame de Clèves était dans une affliction extrême; son mari ne la quittait point, et sitôt que madame de Chartres fut expirée, il l'emmena à la campagne, pour l'éloigner d'un lieu qui ne faisait qu'aigrir sa douleur. On n'en a jamais vu de pareille; quoique la tendresse et la reconnaissance y eussent la plus grande part, le besoin qu'elle sentait qu'elle avait de sa mère, pour se défendre contre monsieur de Nemours, ne laissait pas d'y en avoir beaucoup. Elle se trouvait malheureuse d'être abandonnée à elle-même, dans un temps où elle était si peu maîtresse de ses sentiments, et où elle eût tant souhaité d'avoir quelqu'un qui pût la plaindre et lui donner de la force. La manière dont monsieur de Clèves en usait pour elle lui faisait souhaiter plus fortement que jamais, de ne manquer à rien de ce qu'elle lui devait. Elle lui témoignait aussi plus d'amitié et plus de tendresse qu'elle n'avait encore fait; elle ne voulait point qu'il la quittât, et il lui semblait qu'à force de s'attacher à lui, il la défendrait contre monsieur de Nemours.

Ce prince vint voir monsieur de Clèves à la campagne. Il fit ce qu'il put pour rendre aussi une visite à madame de Clèves; mais elle ne le voulut point recevoir, et, sentant bien qu'elle ne pouvait s'empêcher de le trouver aimable, elle avait fait une forte résolution de s'empêcher de le voir, et d'en éviter toutes les occasions qui dépendraient d'elle.

Monsieur de Clèves vint à Paris pour faire sa cour, et promit à sa femme de s'en retourner le lendemain; il ne revint néanmoins que le jour d'après.

—Je vous attendis tout hier, lui dit madame de Clèves, lorsqu'il arriva; et je vous dois faire des reproches de n'être pas venu, comme vous me l'aviez promis. Vous savez que si je pouvais sentir une nouvelle affliction en l'état où je suis, ce serait la mort de madame de Tournon, que j'ai apprise ce matin. J'en aurais été touchée quand je ne l'aurais point connue; c'est toujours une chose digne de pitié, qu'une femme jeune et belle comme celle-là soit morte en deux jours; mais de plus, c'était une des personnes du monde qui me plaisait davantage, et qui paraissait avoir autant de sagesse que de mérite.

—Je fus très fâché de ne pas revenir hier, répondit monsieur de Clèves; mais j'étais si nécessaire à la consolation d'un malheureux, qu'il m'était impossible de le quitter. Pour madame de Tournon, je ne vous conseille pas d'en être affligée, si vous la regrettez comme une femme pleine de sagesse, et digne de votre estime.

—Vous m'étonnez, reprit madame de Clèves, et je vous ai ouï dire plusieurs fois qu'il n'y avait point de femme à la cour que vous estimassiez davantage.

—Il est vrai, répondit-il, mais les femmes sont incompréhensibles, et, quand je les vois toutes, je me trouve si heureux de vous avoir, que je ne saurais assez admirer mon bonheur.

—Vous m'estimez plus que je ne vaux, répliqua madame de Clèves en soupirant, et il n'est pas encore temps de me trouver digne de vous. Apprenez-moi, je vous en supplie, ce qui vous a détrompé de madame de Tournon.

—Il y a longtemps que je le suis, répliqua-t-il, et que je sais qu'elle aimait le comte de Sancerre, à qui elle donnait des espérances de l'épouser.

—Je ne saurais croire, interrompit madame de Clèves, que madame de Tournon, après cet éloignement si extraordinaire qu'elle a témoigné pour le mariage depuis qu'elle est veuve, et après les déclarations publiques qu'elle a faites de ne se remarier jamais, ait donné des espérances à Sancerre.

—Si elle n'en eût donné qu'à lui, répliqua monsieur de Clèves, il ne faudrait pas s'étonner; mais ce qu'il y a de surprenant, c'est qu'elle en donnait aussi à Estouteville dans le même temps; et je vais vous apprendre toute cette histoire.

Fin de la section six

Fin de la première partie


La Princesse de Clèves - Premiere Partie - Section 6 The Princess of Cleves - Part One - Section 6

Section six de la Princesse de Clèves par Madame de la Fayette

Cet enregistrement Librivox fait partie de la domaine public

Enregistré par Isabelle Brasme

Lorsqu'elle revint chez sa mère, elle sut qu'elle était beaucoup plus mal qu'elle ne l'avait laissée. La fièvre lui avait redoublé, et, les jours suivants, elle augmenta de telle sorte, qu'il parut que ce serait une maladie considérable. Madame de Clèves était dans une affliction extrême, elle ne sortait point de la chambre de sa mère; monsieur de Clèves y passait aussi presque tous les jours, et par l'intérêt qu'il prenait à madame de Chartres, et pour empêcher sa femme de s'abandonner à la tristesse, mais pour avoir aussi le plaisir de la voir; sa passion n'était point diminuée.

Monsieur de Nemours, qui avait toujours eu beaucoup d'amitié pour lui, n'avait pas cessé de lui en témoigner depuis son retour de Bruxelles. Pendant la maladie de madame de Chartres, ce prince trouva le moyen de voir plusieurs fois madame de Clèves, en faisant semblant de chercher son mari, ou de le venir prendre pour le mener promener. Il le cherchait même à des heures où il savait bien qu'il n'y était pas, et sous le prétexte de l'attendre, il demeurait dans l'antichambre de madame de Chartres, où il y avait toujours plusieurs personnes de qualité. Madame de Clèves y venait souvent, et, pour être affligée, elle n'en paraissait pas moins belle à monsieur de Nemours. Il lui faisait voir combien il prenait d'intérêt à son affliction, et il lui en parlait avec un air si doux et si soumis, qu'il la persuadait aisément que ce n'était pas de madame la dauphine dont il était amoureux.

Elle ne pouvait s'empêcher d'être troublée de sa vue, et d'avoir pourtant du plaisir à le voir; mais quand elle ne le voyait plus, et qu'elle pensait que ce charme qu'elle trouvait dans sa vue était le commencement des passions, il s'en fallait peu qu'elle ne crût le haïr par la douleur que lui donnait cette pensée.

Madame de Chartres empira si considérablement, que l'on commença à désespérer de sa vie; elle reçut ce que les médecins lui dirent du péril où elle était, avec un courage digne de sa vertu et de sa piété. Après qu'ils furent sortis, elle fit retirer tout le monde, et appeler madame de Clèves.

—Il faut nous quitter, ma fille, lui dit-elle, en lui tendant la main; le péril où je vous laisse, et le besoin que vous avez de moi, augmentent le déplaisir que j'ai de vous quitter. Vous avez de l'inclination pour monsieur de Nemours; je ne vous demande point de me l'avouer: je ne suis plus en état de me servir de votre sincérité pour vous conduire. Il y a déjà longtemps que je me suis aperçue de cette inclination; mais je ne vous en ai pas voulu parler d'abord, de peur de vous en faire apercevoir vous-même. Vous ne la connaissez que trop présentement; vous êtes sur le bord du précipice: il faut de grands efforts et de grandes violences pour vous retenir. Songez ce que vous devez à votre mari; songez ce que vous vous devez à vous-même, et pensez que vous allez perdre cette réputation que vous vous êtes acquise, et que je vous ai tant souhaitée. Ayez de la force et du courage, ma fille, retirez-vous de la cour, obligez votre mari de vous emmener; ne craignez point de prendre des partis trop rudes et trop difficiles, quelque affreux qu'ils vous paraissent d'abord; ils seront plus doux dans les suites que les malheurs d'une galanterie. Si d'autres raisons que celles de la vertu et de votre devoir vous pouvaient obliger à ce que je souhaite, je vous dirais que, si quelque chose était capable de troubler le bonheur que j'espère en sortant de ce monde, ce serait de vous voir tomber comme les autres femmes; mais si ce malheur vous doit arriver, je reçois la mort avec joie, pour n'en être pas le témoin.

Madame de Clèves fondait en larmes sur la main de sa mère, qu'elle tenait serrée entre les siennes, et madame de Chartres se sentant touchée elle-même:

—Adieu, ma fille, lui dit-elle, finissons une conversation qui nous attendrit trop l'une et l'autre, et souvenez-vous, si vous pouvez, de tout ce que je viens de vous dire.

Elle se tourna de l'autre côté en achevant ces paroles, et commanda à sa fille d'appeler ses femmes, sans vouloir l'écouter, ni parler davantage. Madame de Clèves sortit de la chambre de sa mère en l'état que l'on peut s'imaginer, et madame de Chartres ne songea plus qu'à se préparer à la mort. Elle vécut encore deux jours, pendant lesquels elle ne voulut plus revoir sa fille, qui était la seule chose à quoi elle se sentait attachée.

Madame de Clèves était dans une affliction extrême; son mari ne la quittait point, et sitôt que madame de Chartres fut expirée, il l'emmena à la campagne, pour l'éloigner d'un lieu qui ne faisait qu'aigrir sa douleur. On n'en a jamais vu de pareille; quoique la tendresse et la reconnaissance y eussent la plus grande part, le besoin qu'elle sentait qu'elle avait de sa mère, pour se défendre contre monsieur de Nemours, ne laissait pas d'y en avoir beaucoup. Elle se trouvait malheureuse d'être abandonnée à elle-même, dans un temps où elle était si peu maîtresse de ses sentiments, et où elle eût tant souhaité d'avoir quelqu'un qui pût la plaindre et lui donner de la force. La manière dont monsieur de Clèves en usait pour elle lui faisait souhaiter plus fortement que jamais, de ne manquer à rien de ce qu'elle lui devait. Elle lui témoignait aussi plus d'amitié et plus de tendresse qu'elle n'avait encore fait; elle ne voulait point qu'il la quittât, et il lui semblait qu'à force de s'attacher à lui, il la défendrait contre monsieur de Nemours.

Ce prince vint voir monsieur de Clèves à la campagne. Il fit ce qu'il put pour rendre aussi une visite à madame de Clèves; mais elle ne le voulut point recevoir, et, sentant bien qu'elle ne pouvait s'empêcher de le trouver aimable, elle avait fait une forte résolution de s'empêcher de le voir, et d'en éviter toutes les occasions qui dépendraient d'elle.

Monsieur de Clèves vint à Paris pour faire sa cour, et promit à sa femme de s'en retourner le lendemain; il ne revint néanmoins que le jour d'après.

—Je vous attendis tout hier, lui dit madame de Clèves, lorsqu'il arriva; et je vous dois faire des reproches de n'être pas venu, comme vous me l'aviez promis. Vous savez que si je pouvais sentir une nouvelle affliction en l'état où je suis, ce serait la mort de madame de Tournon, que j'ai apprise ce matin. J'en aurais été touchée quand je ne l'aurais point connue; c'est toujours une chose digne de pitié, qu'une femme jeune et belle comme celle-là soit morte en deux jours; mais de plus, c'était une des personnes du monde qui me plaisait davantage, et qui paraissait avoir autant de sagesse que de mérite.

—Je fus très fâché de ne pas revenir hier, répondit monsieur de Clèves; mais j'étais si nécessaire à la consolation d'un malheureux, qu'il m'était impossible de le quitter. Pour madame de Tournon, je ne vous conseille pas d'en être affligée, si vous la regrettez comme une femme pleine de sagesse, et digne de votre estime.

—Vous m'étonnez, reprit madame de Clèves, et je vous ai ouï dire plusieurs fois qu'il n'y avait point de femme à la cour que vous estimassiez davantage.

—Il est vrai, répondit-il, mais les femmes sont incompréhensibles, et, quand je les vois toutes, je me trouve si heureux de vous avoir, que je ne saurais assez admirer mon bonheur.

—Vous m'estimez plus que je ne vaux, répliqua madame de Clèves en soupirant, et il n'est pas encore temps de me trouver digne de vous. Apprenez-moi, je vous en supplie, ce qui vous a détrompé de madame de Tournon.

—Il y a longtemps que je le suis, répliqua-t-il, et que je sais qu'elle aimait le comte de Sancerre, à qui elle donnait des espérances de l'épouser.

—Je ne saurais croire, interrompit madame de Clèves, que madame de Tournon, après cet éloignement si extraordinaire qu'elle a témoigné pour le mariage depuis qu'elle est veuve, et après les déclarations publiques qu'elle a faites de ne se remarier jamais, ait donné des espérances à Sancerre.

—Si elle n'en eût donné qu'à lui, répliqua monsieur de Clèves, il ne faudrait pas s'étonner; mais ce qu'il y a de surprenant, c'est qu'elle en donnait aussi à Estouteville dans le même temps; et je vais vous apprendre toute cette histoire.

Fin de la section six

Fin de la première partie