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La Princesse de Clèves, La princesse de Clèves - premiere partie - section quatre (1)

La princesse de Clèves - premiere partie - section quatre (1)

La duchesse de Valentinois était de toutes les parties de plaisir, et le roi avait pour elle la même vivacité et les mêmes soins que dans les commencements de sa passion. Madame de Clèves, qui était dans cet âge où l'on ne croit pas qu'une femme puisse être aimée quand elle a passé vingt-cinq ans, regardait avec un extrême étonnement l'attachement que le roi avait pour cette duchesse, qui était grand-mère, et qui venait de marier sa petite-fille. Elle en parlait souvent à madame de Chartres:

—Est-il possible, Madame, lui disait-elle, qu'il y ait si longtemps que le roi en soit amoureux? Comment s'est-il pu attacher à une personne qui était beaucoup plus âgée que lui, qui avait été maîtresse de son père, et qui l'est encore de beaucoup d'autres, à ce que j'ai ouï dire?

—Il est vrai, répondit-elle, que ce n'est ni le mérite, ni la fidélité de madame de Valentinois, qui a fait naître la passion du roi, ni qui l'a conservée, et c'est aussi en quoi il n'est pas excusable; car si cette femme avait eu de la jeunesse et de la beauté jointes à sa naissance, qu'elle eût eu le mérite de n'avoir jamais rien aimé, qu'elle eût aimé le roi avec une fidélité exacte, qu'elle l'eût aimé par rapport à sa seule personne, sans intérêt de grandeur, ni de fortune, et sans se servir de son pouvoir que pour des choses honnêtes ou agréables au roi même, il faut avouer qu'on aurait eu de la peine à s'empêcher de louer ce prince du grand attachement qu'il a pour elle. Si je ne craignais, continua madame de Chartres, que vous disiez de moi ce que l'on dit de toutes les femmes de mon âge qu'elles aiment à conter les histoires de leur temps, je vous apprendrais le commencement de la passion du roi pour cette duchesse, et plusieurs choses de la cour du feu roi, qui ont même beaucoup de rapport avec celles qui se passent encore présentement.

—Bien loin de vous accuser, reprit madame de Clèves, de redire les histoires passées, je me plains, Madame, que vous ne m'ayez pas instruite des présentes, et que vous ne m'ayez point appris les divers intérêts et les diverses liaisons de la cour. Je les ignore si entièrement, que je croyais, il y a peu de jours, que monsieur le connétable était fort bien avec la reine.

—Vous aviez une opinion bien opposée à la vérité, répondit madame de Chartres. La reine hait monsieur le connétable, et si elle a jamais quelque pouvoir, il ne s'en apercevra que trop. Elle sait qu'il a dit plusieurs fois au roi que, de tous ses enfants, il n'y avait que les naturels qui lui ressemblassent.

—Je n'eusse jamais soupçonné cette haine, interrompit madame de Clèves, après avoir vu le soin que la reine avait d'écrire à monsieur le connétable pendant sa prison, la joie qu'elle a témoignée à son retour, et comme elle l'appelle toujours mon compère, aussi bien que le roi.

—Si vous jugez sur les apparences en ce lieu-ci, répondit madame de Chartres, vous serez souvent trompée: ce qui paraît n'est presque jamais la vérité.

«Mais pour revenir à madame de Valentinois, vous savez qu'elle s'appelle Diane de Poitiers; sa maison est très illustre, elle vient des anciens ducs d'Aquitaine, son aïeule était fille naturelle de Louis XI, et enfin il n'y a rien que de grand dans sa naissance. Saint-Vallier, son père, se trouva embarrassé dans l'affaire du connétable de Bourbon, dont vous avez ouï parler. Il fut condamné à avoir la tête tranchée, et conduit sur l'échafaud. Sa fille, dont la beauté était admirable, et qui avait déjà plu au feu roi, fit si bien (je ne sais par quels moyens) qu'elle obtint la vie de son père. On lui porta sa grâce, comme il n'attendait que le coup de la mort; mais la peur l'avait tellement saisi, qu'il n'avait plus de connaissance, et il mourut peu de jours après. Sa fille parut à la cour comme la maîtresse du roi. Le voyage d'Italie et la prison de ce prince interrompirent cette passion. Lorsqu'il revint d'Espagne, et que mademoiselle la régente alla au-devant de lui à Bayonne, elle mena toutes ses filles, parmi lesquelles était mademoiselle de Pisseleu, qui a été depuis la duchesse d'Étampes. Le roi en devint amoureux. Elle était inférieure en naissance, en esprit et en beauté à madame de Valentinois, et elle n'avait au-dessus d'elle que l'avantage de la grande jeunesse. Je lui ai ouï dire plusieurs fois qu'elle était née le jour que Diane de Poitiers avait été mariée; la haine le lui faisait dire, et non pas la vérité: car je suis bien trompée, si la duchesse de Valentinois n'épousa monsieur de Brézé, grand sénéchal de Normandie, dans le même temps que le roi devint amoureux de madame d'Étampes. Jamais il n'y a eu une si grande haine que l'a été celle de ces deux femmes. La duchesse de Valentinois ne pouvait pardonner à madame d'Étampes de lui avoir ôté le titre de maîtresse du roi. Madame d'Étampes avait une jalousie violente contre madame de Valentinois, parce que le roi conservait un commerce avec elle. Ce prince n'avait pas une fidélité exacte pour ses maîtresses; il y en avait toujours une qui avait le titre et les honneurs; mais les dames que l'on appelait de la petite bande le partageaient tour à tour. La perte du dauphin, son fils, qui mourut à Tournon, et que l'on crut empoisonné, lui donna une sensible affliction. Il n'avait pas la même tendresse, ni le même goût pour son second fils, qui règne présentement; il ne lui trouvait pas assez de hardiesse, ni assez de vivacité. Il s'en plaignit un jour à madame de Valentinois, et elle lui dit qu'elle voulait le faire devenir amoureux d'elle, pour le rendre plus vif et plus agréable. Elle y réussit comme vous le voyez; il y a plus de vingt ans que cette passion dure, sans qu'elle ait été altérée ni par le temps, ni par les obstacles.

«Le feu roi s'y opposa d'abord; et soit qu'il eût encore assez d'amour pour madame de Valentinois pour avoir de la jalousie, ou qu'il fût poussé par la duchesse d'Étampes, qui était au désespoir que monsieur le dauphin fût attaché à son ennemie, il est certain qu'il vit cette passion avec une colère et un chagrin dont il donnait tous les jours des marques. Son fils ne craignit ni sa colère, ni sa haine, et rien ne put l'obliger à diminuer son attachement, ni à le cacher; il fallut que le roi s'accoutumât à le souffrir. Aussi cette opposition à ses volontés l'éloigna encore de lui, et l'attacha davantage au duc d'Orléans, son troisième fils. C'était un prince bien fait, beau, plein de feu et d'ambition, d'une jeunesse fougueuse, qui avait besoin d'être modéré, mais qui eût fait aussi un prince d'une grande élévation, si l'âge eût mûri son esprit.

«Le rang d'aîné qu'avait le dauphin, et la faveur du roi qu'avait le duc d'Orléans, faisaient entre eux une sorte d'émulation, qui allait jusqu'à la haine. Cette émulation avait commencé dès leur enfance, et s'était toujours conservée. Lorsque l'Empereur passa en France, il donna une préférence entière au duc d'Orléans sur monsieur le dauphin, qui la ressentit si vivement, que, comme cet Empereur était à Chantilly, il voulut obliger monsieur le connétable à l'arrêter, sans attendre le commandement du roi. Monsieur le connétable ne le voulut pas, le roi le blâma dans la suite, de n'avoir pas suivi le conseil de son fils; et lorsqu'il l'éloigna de la cour, cette raison y eut beaucoup de part.

«La division des deux frères donna la pensée à la duchesse d'Étampes de s'appuyer de monsieur le duc d'Orléans, pour la soutenir auprès du roi contre madame de Valentinois. Elle y réussit: ce prince, sans être amoureux d'elle, n'entra guère moins dans ses intérêts, que le dauphin était dans ceux de madame de Valentinois. Cela fit deux cabales dans la cour, telles que vous pouvez vous les imaginer; mais ces intrigues ne se bornèrent pas seulement à des démêlés de femmes.

«L'Empereur, qui avait conservé de l'amitié pour le duc d'Orléans, avait offert plusieurs fois de lui remettre le duché de Milan. Dans les propositions qui se firent depuis pour la paix, il faisait espérer de lui donner les dix-sept provinces, et de lui faire épouser sa fille. Monsieur le dauphin ne souhaitait ni la paix, ni ce mariage. Il se servit de monsieur le connétable, qu'il a toujours aimé, pour faire voir au roi de quelle importance il était de ne pas donner à son successeur un frère aussi puissant que le serait un duc d'Orléans, avec l'alliance de l'Empereur et les dix-sept provinces. Monsieur le connétable entra d'autant mieux dans les sentiments de monsieur le dauphin, qu'il s'opposait par là à ceux de madame d'Étampes, qui était son ennemie déclarée, et qui souhaitait ardemment l'élévation de monsieur le duc d'Orléans.

«Monsieur le dauphin commandait alors l'armée du roi en Champagne et avait réduit celle de l'Empereur en une telle extrémité, qu'elle eût péri entièrement, si la duchesse d'Étampes, craignant que de trop grands avantages ne nous fissent refuser la paix et l'alliance de l'Empereur pour monsieur le duc d'Orléans, n'eût fait secrètement avertir les ennemis de surprendre Épernay et Château-Thierry, qui étaient pleins de vivres. Ils le firent, et sauvèrent par ce moyen toute leur armée.

«Cette duchesse ne jouit pas longtemps du succès de sa trahison. Peu après, monsieur le duc d'Orléans mourut à Farmoutier, d'une espèce de maladie contagieuse. Il aimait une des plus belles femmes de la cour, et en était aimé. Je ne vous la nommerai pas, parce qu'elle a vécu depuis avec tant de sagesse et qu'elle a même caché avec tant de soin la passion qu'elle avait pour ce prince, qu'elle a mérité que l'on conserve sa réputation. Le hasard fit qu'elle reçut la nouvelle de la mort de son mari, le même jour qu'elle apprit celle de monsieur d'Orléans; de sorte qu'elle eut ce prétexte pour cacher sa véritable affliction, sans avoir la peine de se contraindre.

«Le roi ne survécut guère le prince son fils, il mourut deux ans après. Il recommanda à monsieur le dauphin de se servir du cardinal de Tournon et de l'amiral d'Annebauld, et ne parla point de monsieur le connétable, qui était pour lors relégué à Chantilly. Ce fut néanmoins la première chose que fit le roi, son fils, de le rappeler, et de lui donner le gouvernement des affaires.

«Madame d'Étampes fut chassée, et reçut tous les mauvais traitements qu'elle pouvait attendre d'une ennemie toute-puissante; la duchesse de Valentinois se vengea alors pleinement, et de cette duchesse et de tous ceux qui lui avaient déplu. Son pouvoir parut plus absolu sur l'esprit du roi, qu'il ne paraissait encore pendant qu'il était dauphin. Depuis douze ans que ce prince règne, elle est maîtresse absolue de toutes choses; elle dispose des charges et des affaires; elle a fait chasser le cardinal de Tournon, le chancelier Ollivier, et Villeroy. Ceux qui ont voulu éclairer le roi sur sa conduite ont péri dans cette entreprise. Le comte de Taix, grand maître de l'artillerie, qui ne l'aimait pas, ne put s'empêcher de parler de ses galanteries, et surtout de celle du comte de Brissac, dont le roi avait déjà eu beaucoup de jalousie; néanmoins elle fit si bien, que le comte de Taix fut disgracié; on lui ôta sa charge; et, ce qui est presque incroyable, elle la fit donner au comte de Brissac, et l'a fait ensuite maréchal de France. La jalousie du roi augmenta néanmoins d'une telle sorte, qu'il ne put souffrir que ce maréchal demeurât à la cour; mais la jalousie, qui est aigre et violente en tous les autres, est douce et modérée en lui par l'extrême respect qu'il a pour sa maîtresse; en sorte qu'il n'osa éloigner son rival, que sur le prétexte de lui donner le gouvernement de Piémont. Il y a passé plusieurs années; il revint, l'hiver dernier, sur le prétexte de demander des troupes et d'autres choses nécessaires pour l'armée qu'il commande. Le désir de revoir madame de Valentinois, et la crainte d'en être oublié, avait peut-être beaucoup de part à ce voyage. Le roi le reçut avec une grande froideur. Messieurs de Guise qui ne l'aiment pas, mais qui n'osent le témoigner à cause de madame de Valentinois, se servirent de monsieur le vidame, qui est son ennemi déclaré, pour empêcher qu'il n'obtînt aucune des choses qu'il était venu demander. Il n'était pas difficile de lui nuire: le roi le haïssait, et sa présence lui donnait de l'inquiétude; de sorte qu'il fut contraint de s'en retourner sans remporter aucun fruit de son voyage, que d'avoir peut-être rallumé dans le coeur de madame de Valentinois des sentiments que l'absence commençait d'éteindre. Le roi a bien eu d'autres sujets de jalousie; mais ou il ne les a pas connus, ou il n'a osé s'en plaindre.


La princesse de Clèves - premiere partie - section quatre (1) The Princess of Cleves - part one - section four (1) Prinsessan av Kleve - del ett - avsnitt fyra (1)

La duchesse de Valentinois était de toutes les parties de plaisir, et le roi avait pour elle la même vivacité et les mêmes soins que dans les commencements de sa passion. Madame de Clèves, qui était dans cet âge où l'on ne croit pas qu'une femme puisse être aimée quand elle a passé vingt-cinq ans, regardait avec un extrême étonnement l'attachement que le roi avait pour cette duchesse, qui était grand-mère, et qui venait de marier sa petite-fille. Elle en parlait souvent à madame de Chartres:

—Est-il possible, Madame, lui disait-elle, qu'il y ait si longtemps que le roi en soit amoureux? Comment s'est-il pu attacher à une personne qui était beaucoup plus âgée que lui, qui avait été maîtresse de son père, et qui l'est encore de beaucoup d'autres, à ce que j'ai ouï dire?

—Il est vrai, répondit-elle, que ce n'est ni le mérite, ni la fidélité de madame de Valentinois, qui a fait naître la passion du roi, ni qui l'a conservée, et c'est aussi en quoi il n'est pas excusable; car si cette femme avait eu de la jeunesse et de la beauté jointes à sa naissance, qu'elle eût eu le mérite de n'avoir jamais rien aimé, qu'elle eût aimé le roi avec une fidélité exacte, qu'elle l'eût aimé par rapport à sa seule personne, sans intérêt de grandeur, ni de fortune, et sans se servir de son pouvoir que pour des choses honnêtes ou agréables au roi même, il faut avouer qu'on aurait eu de la peine à s'empêcher de louer ce prince du grand attachement qu'il a pour elle. Si je ne craignais, continua madame de Chartres, que vous disiez de moi ce que l'on dit de toutes les femmes de mon âge qu'elles aiment à conter les histoires de leur temps, je vous apprendrais le commencement de la passion du roi pour cette duchesse, et plusieurs choses de la cour du feu roi, qui ont même beaucoup de rapport avec celles qui se passent encore présentement.

—Bien loin de vous accuser, reprit madame de Clèves, de redire les histoires passées, je me plains, Madame, que vous ne m'ayez pas instruite des présentes, et que vous ne m'ayez point appris les divers intérêts et les diverses liaisons de la cour. Je les ignore si entièrement, que je croyais, il y a peu de jours, que monsieur le connétable était fort bien avec la reine.

—Vous aviez une opinion bien opposée à la vérité, répondit madame de Chartres. La reine hait monsieur le connétable, et si elle a jamais quelque pouvoir, il ne s'en apercevra que trop. Elle sait qu'il a dit plusieurs fois au roi que, de tous ses enfants, il n'y avait que les naturels qui lui ressemblassent.

—Je n'eusse jamais soupçonné cette haine, interrompit madame de Clèves, après avoir vu le soin que la reine avait d'écrire à monsieur le connétable pendant sa prison, la joie qu'elle a témoignée à son retour, et comme elle l'appelle toujours mon compère, aussi bien que le roi.

—Si vous jugez sur les apparences en ce lieu-ci, répondit madame de Chartres, vous serez souvent trompée: ce qui paraît n'est presque jamais la vérité.

«Mais pour revenir à madame de Valentinois, vous savez qu'elle s'appelle Diane de Poitiers; sa maison est très illustre, elle vient des anciens ducs d'Aquitaine, son aïeule était fille naturelle de Louis XI, et enfin il n'y a rien que de grand dans sa naissance. Saint-Vallier, son père, se trouva embarrassé dans l'affaire du connétable de Bourbon, dont vous avez ouï parler. Il fut condamné à avoir la tête tranchée, et conduit sur l'échafaud. Sa fille, dont la beauté était admirable, et qui avait déjà plu au feu roi, fit si bien (je ne sais par quels moyens) qu'elle obtint la vie de son père. On lui porta sa grâce, comme il n'attendait que le coup de la mort; mais la peur l'avait tellement saisi, qu'il n'avait plus de connaissance, et il mourut peu de jours après. Sa fille parut à la cour comme la maîtresse du roi. Le voyage d'Italie et la prison de ce prince interrompirent cette passion. Lorsqu'il revint d'Espagne, et que mademoiselle la régente alla au-devant de lui à Bayonne, elle mena toutes ses filles, parmi lesquelles était mademoiselle de Pisseleu, qui a été depuis la duchesse d'Étampes. Le roi en devint amoureux. Elle était inférieure en naissance, en esprit et en beauté à madame de Valentinois, et elle n'avait au-dessus d'elle que l'avantage de la grande jeunesse. Je lui ai ouï dire plusieurs fois qu'elle était née le jour que Diane de Poitiers avait été mariée; la haine le lui faisait dire, et non pas la vérité: car je suis bien trompée, si la duchesse de Valentinois n'épousa monsieur de Brézé, grand sénéchal de Normandie, dans le même temps que le roi devint amoureux de madame d'Étampes. Jamais il n'y a eu une si grande haine que l'a été celle de ces deux femmes. La duchesse de Valentinois ne pouvait pardonner à madame d'Étampes de lui avoir ôté le titre de maîtresse du roi. Madame d'Étampes avait une jalousie violente contre madame de Valentinois, parce que le roi conservait un commerce avec elle. Ce prince n'avait pas une fidélité exacte pour ses maîtresses; il y en avait toujours une qui avait le titre et les honneurs; mais les dames que l'on appelait de la petite bande le partageaient tour à tour. This prince was not exactly faithful to his mistresses; there was always one who had the title and the honors; but the ladies who were called of the small band shared it alternately. La perte du dauphin, son fils, qui mourut à Tournon, et que l'on crut empoisonné, lui donna une sensible affliction. Il n'avait pas la même tendresse, ni le même goût pour son second fils, qui règne présentement; il ne lui trouvait pas assez de hardiesse, ni assez de vivacité. Il s'en plaignit un jour à madame de Valentinois, et elle lui dit qu'elle voulait le faire devenir amoureux d'elle, pour le rendre plus vif et plus agréable. Elle y réussit comme vous le voyez; il y a plus de vingt ans que cette passion dure, sans qu'elle ait été altérée ni par le temps, ni par les obstacles. She succeeded, as you can see; this passion has lasted for over twenty years, unaltered by time or obstacles.

«Le feu roi s'y opposa d'abord; et soit qu'il eût encore assez d'amour pour madame de Valentinois pour avoir de la jalousie, ou qu'il fût poussé par la duchesse d'Étampes, qui était au désespoir que monsieur le dauphin fût attaché à son ennemie, il est certain qu'il vit cette passion avec une colère et un chagrin dont il donnait tous les jours des marques. Son fils ne craignit ni sa colère, ni sa haine, et rien ne put l'obliger à diminuer son attachement, ni à le cacher; il fallut que le roi s'accoutumât à le souffrir. Aussi cette opposition à ses volontés l'éloigna encore de lui, et l'attacha davantage au duc d'Orléans, son troisième fils. C'était un prince bien fait, beau, plein de feu et d'ambition, d'une jeunesse fougueuse, qui avait besoin d'être modéré, mais qui eût fait aussi un prince d'une grande élévation, si l'âge eût mûri son esprit.

«Le rang d'aîné qu'avait le dauphin, et la faveur du roi qu'avait le duc d'Orléans, faisaient entre eux une sorte d'émulation, qui allait jusqu'à la haine. Cette émulation avait commencé dès leur enfance, et s'était toujours conservée. Lorsque l'Empereur passa en France, il donna une préférence entière au duc d'Orléans sur monsieur le dauphin, qui la ressentit si vivement, que, comme cet Empereur était à Chantilly, il voulut obliger monsieur le connétable à l'arrêter, sans attendre le commandement du roi. Monsieur le connétable ne le voulut pas, le roi le blâma dans la suite, de n'avoir pas suivi le conseil de son fils; et lorsqu'il l'éloigna de la cour, cette raison y eut beaucoup de part.

«La division des deux frères donna la pensée à la duchesse d'Étampes de s'appuyer de monsieur le duc d'Orléans, pour la soutenir auprès du roi contre madame de Valentinois. Elle y réussit: ce prince, sans être amoureux d'elle, n'entra guère moins dans ses intérêts, que le dauphin était dans ceux de madame de Valentinois. Cela fit deux cabales dans la cour, telles que vous pouvez vous les imaginer; mais ces intrigues ne se bornèrent pas seulement à des démêlés de femmes.

«L'Empereur, qui avait conservé de l'amitié pour le duc d'Orléans, avait offert plusieurs fois de lui remettre le duché de Milan. Dans les propositions qui se firent depuis pour la paix, il faisait espérer de lui donner les dix-sept provinces, et de lui faire épouser sa fille. Monsieur le dauphin ne souhaitait ni la paix, ni ce mariage. Il se servit de monsieur le connétable, qu'il a toujours aimé, pour faire voir au roi de quelle importance il était de ne pas donner à son successeur un frère aussi puissant que le serait un duc d'Orléans, avec l'alliance de l'Empereur et les dix-sept provinces. Monsieur le connétable entra d'autant mieux dans les sentiments de monsieur le dauphin, qu'il s'opposait par là à ceux de madame d'Étampes, qui était son ennemie déclarée, et qui souhaitait ardemment l'élévation de monsieur le duc d'Orléans.

«Monsieur le dauphin commandait alors l'armée du roi en Champagne et avait réduit celle de l'Empereur en une telle extrémité, qu'elle eût péri entièrement, si la duchesse d'Étampes, craignant que de trop grands avantages ne nous fissent refuser la paix et l'alliance de l'Empereur pour monsieur le duc d'Orléans, n'eût fait secrètement avertir les ennemis de surprendre Épernay et Château-Thierry, qui étaient pleins de vivres. Ils le firent, et sauvèrent par ce moyen toute leur armée.

«Cette duchesse ne jouit pas longtemps du succès de sa trahison. Peu après, monsieur le duc d'Orléans mourut à Farmoutier, d'une espèce de maladie contagieuse. Il aimait une des plus belles femmes de la cour, et en était aimé. Je ne vous la nommerai pas, parce qu'elle a vécu depuis avec tant de sagesse et qu'elle a même caché avec tant de soin la passion qu'elle avait pour ce prince, qu'elle a mérité que l'on conserve sa réputation. Le hasard fit qu'elle reçut la nouvelle de la mort de son mari, le même jour qu'elle apprit celle de monsieur d'Orléans; de sorte qu'elle eut ce prétexte pour cacher sa véritable affliction, sans avoir la peine de se contraindre.

«Le roi ne survécut guère le prince son fils, il mourut deux ans après. Il recommanda à monsieur le dauphin de se servir du cardinal de Tournon et de l'amiral d'Annebauld, et ne parla point de monsieur le connétable, qui était pour lors relégué à Chantilly. Ce fut néanmoins la première chose que fit le roi, son fils, de le rappeler, et de lui donner le gouvernement des affaires.

«Madame d'Étampes fut chassée, et reçut tous les mauvais traitements qu'elle pouvait attendre d'une ennemie toute-puissante; la duchesse de Valentinois se vengea alors pleinement, et de cette duchesse et de tous ceux qui lui avaient déplu. Son pouvoir parut plus absolu sur l'esprit du roi, qu'il ne paraissait encore pendant qu'il était dauphin. Depuis douze ans que ce prince règne, elle est maîtresse absolue de toutes choses; elle dispose des charges et des affaires; elle a fait chasser le cardinal de Tournon, le chancelier Ollivier, et Villeroy. Ceux qui ont voulu éclairer le roi sur sa conduite ont péri dans cette entreprise. Le comte de Taix, grand maître de l'artillerie, qui ne l'aimait pas, ne put s'empêcher de parler de ses galanteries, et surtout de celle du comte de Brissac, dont le roi avait déjà eu beaucoup de jalousie; néanmoins elle fit si bien, que le comte de Taix fut disgracié; on lui ôta sa charge; et, ce qui est presque incroyable, elle la fit donner au comte de Brissac, et l'a fait ensuite maréchal de France. La jalousie du roi augmenta néanmoins d'une telle sorte, qu'il ne put souffrir que ce maréchal demeurât à la cour; mais la jalousie, qui est aigre et violente en tous les autres, est douce et modérée en lui par l'extrême respect qu'il a pour sa maîtresse; en sorte qu'il n'osa éloigner son rival, que sur le prétexte de lui donner le gouvernement de Piémont. Il y a passé plusieurs années; il revint, l'hiver dernier, sur le prétexte de demander des troupes et d'autres choses nécessaires pour l'armée qu'il commande. Le désir de revoir madame de Valentinois, et la crainte d'en être oublié, avait peut-être beaucoup de part à ce voyage. Le roi le reçut avec une grande froideur. Messieurs de Guise qui ne l'aiment pas, mais qui n'osent le témoigner à cause de madame de Valentinois, se servirent de monsieur le vidame, qui est son ennemi déclaré, pour empêcher qu'il n'obtînt aucune des choses qu'il était venu demander. Il n'était pas difficile de lui nuire: le roi le haïssait, et sa présence lui donnait de l'inquiétude; de sorte qu'il fut contraint de s'en retourner sans remporter aucun fruit de son voyage, que d'avoir peut-être rallumé dans le coeur de madame de Valentinois des sentiments que l'absence commençait d'éteindre. Le roi a bien eu d'autres sujets de jalousie; mais ou il ne les a pas connus, ou il n'a osé s'en plaindre.