×

Usamos cookies para ayudar a mejorar LingQ. Al visitar este sitio, aceptas nuestras politicas de cookie.


image

Bernadette, Sœur Marie-Bernard (Henri Lasserre), Livre 1 - La Vie Publique (19)

Livre 1 - La Vie Publique (19)

Bernadette en extase avait oublié la terre devant la Beauté sans tache.

— Oma Dame, lui dit-elle, veuillez avoir la bonté de me dire qui vous êtes et quel est votre Nom.

La royale Apparition sourit et ne répondit point. Mais en ce moment même l'Eglise universelle, poursuivant les solennelles prières de son Office, s'écriait:

« Sainte et immaculée Virginité, quelles louanges pourrai-je te donner? En vérité, je ne le sais : car tu as porté, enfermé dans ton sein, Celui que les cieux ne peuvent contenir. »

Bernadette n'entendait point ces voix lointaines, et ne pouvait soupçonner ces harmonies profondes. Devant le silence de la Vision elle insista et reprit :

— O ma Dame, veuillez avoir la bonté de me dire qui vous êtes et quel est votre Nom.

L'Apparition parut rayonner davantage, comme si sa joie allait grandissant, et Elle ne répondit point encore à la demande de l'enfant. Mais l'Église, en toute la chrétienté, continuait ses invocations et ses chants, et elle était arrivée à ces paroles :

« Félicitez-moi, vous tous qui aimez le Seigneur parce que, étant encore tout enfant, le Très-Haut m'a aimée : et de mes entrailles fut enfanté l'Homme-Dieu. Les générations me proclameront bienheureuse, parce que Dieu a daigné jeter son regard sur son humble servante : et de mes entrailles maternelles fut enfanté l'Homme-Dieu. »

Bernadette répéta sa prière :

— Oma Dame, veuillez avoir la bonté de me dire qui vous êtes et quel est votre Nom.

L'Apparition semblait entrer de plus en plus dans la gloire bienheureuse; et, comme concentrée en sa félicité, Elle continua de ne point répondre. Mais, par une coïncidence inouïe, le choeur universel de l'Église faisait éclater à cette heure un chant d'allégresse et prononçait le nom terrestre de l'Apparition merveilleuse: « Je vous salue Marie, pleine de grâce; le Seigneur est avec vous, vous êtes bénie entre toutes les femmes. »

Bernadette renouvela encore une fois sa demande suppliante :

— Oma Dame, je vous en prie, veuillez avoir la bonté de me dire qui vous êtes et quel est votre Nom.

L'Apparition avait les mains jointes avec ferveur et le visage dans le rayonnement splendide de la béatitude infinie. C'était l'Humilité dans la Gloire. De même que Bernadette contemplait la Vision, la Vision, sans doute, contemplait, au sein de la Trinité divine, Dieu le Père dont elle était la Fille, Dieu le Saint-Esprit dont Elle était l'Épouse; Dieu le Fils dont Elle était la Mère.

A la dernière question de l'enfant, Elle disjoignit les mains, faisant glisser sur son bras droit le chapelet au fil d'or et aux grains d'albâtre. Elle ouvrit alors ses deux bras et les inclina vers le sol, comme pour montrer à la Terre ses mains virginales, pleines de bénédictions. Puis, les élevant vers l'éternelle région d'où descendit, à pareil jour, le divin Messager de l'Annonciation, Elle les rejoignit avec ferveur, et, regardant le Ciel avec le sentiment d'une indicible gratitude, Ellé prononça ces paroles:

— JE SUIS L'IMMACULÉE CONCEPTION.

Ayant dit ces mots, Elle disparut, et l'enfant se trouva, comme la multitude, en face d'un rocher désert.

A côté d'elle, la miraculeuse Fontaine, tombant par une rigole de bois dans son bassin rustique, faisait entendre le murmure paisible de ses flots.

C'était le jour et c'était l'heure où la sainte Église entonnait en son Office l'hymne magnifique: « O la plus glorieuse des Vierges... »

La Mère de Notre-Seigneur Jésus-Christ n'avait point dit: « Je suis Marie immaculée. » Elle avait dit: « Je suis l'Immaculée Conception, » comme pour marquer le caractère absolu, le caractère en quelque sorte substantiel du divin privilège qui n'a été départi qu'à elle seule depuis qu'Adam et Ève furent créés de Dieu. C'est comme si elle eût dit, non pas: « Je suis pure, » mais : « Je suis la Pureté même; » non pas: « Je suis vierge, » mais: « Je suis la Virginité incarnée et vivante; » non pas: « Je suis blanche, mais: « Je suis la Blancheur. »

Une chose blanche peut cesser de l'être; mais la Blancheur est toujours blanche. C'est son essence même, et non sa qualité.

Marie est plus que conçue sans péché: elle est l'Immaculée Conception elle-même, c'est-à-dire le type essentiel et supérieur, l'archétype de l'humanité sans souillure, de l'humanité sortie des mains de Dieu sans avoir été atteinte par la tache originelle, par l'élément impur que la faute de nos premiers parents mêla à la source même de ce fleuve immense des générations qui coule depuis six mille années, et dont chacun de nous est une onde fuyante.

Lorsque d'une source bourbeuse vous voulez tirer de l'eau pure, que faites-vous? Vous prenez un filtre, et l'eau se dégage de ses plus grossiers éléments. Vous la passez dans un second filtre, puis dans un troisième, et ainsi de suite. Vient enfin un moment où vous avez un vase d'eau absolument nette et claire, un diamant liquide. Ainsi avait fait Dieu quand la source originelle fut troublée. Il choisit une famille, et dirigea de siècle en siècle cette race élue : depuis Seth jusqu'à Noé, depuis Sem jusqu'à David, depuis David jusqu'à Joachim et Anne, parents de la Sainte Vierge. Et quand le sang humain se fut ainsi filtré, pour ainsi dire, malgré les accidents de quelques intermédiaires coupables, à travers près de cinquante générations de patriarches et de justes, il vint au monde une créature absolument pure, une créature sans tache, une fille d'Adam entièrement immaculée. Elle s'appela Marie, et sa Virginité féconde enfanta Jésus-Christ.

La Vierge, à la Grotte de Lourdes, avait voulu attester, par sa présence, par ses miracles et par sa parole même, le dernier dogme qu'a défini l'Église, et qu'a proclamé saint Pierre parlant par la voix de Pie IX.

La petite Bergère à laquelle apparaissait la Vierge divine entendait pour la première fois ces mots: « Immaculée Conception. » Et, ne les comprenant point, elle faisait, en retournant à Lourdes, tous ses efforts pour les retenir.

« Je les répétais en moi-même tout le long du chemin pour ne point les oublier, » nous racontait-elle un jour; « et jusqu'au presbytère, où j'allais, je disais: Immaculée Conception, Immaculée Conception, il chaque pas que je faisais, parce que je voulais porter à M. le Curé les parôles de la Vision, afin que la Chapelle se bâtît. »

La Fête de Pâques était arrivée.

Malgré les pieuses appréhensions de M. le Ministre des Cultes (Nous racontons dans Notre-Dame de Lourdes les oppositions violentes de l'administration, du Commissaire de Police Jacomet, du Procureur impérial Dutour, du Préfet Massy et du Ministre des Cultes Rouland contre la marche des événements), les apparitions et les miracles n'avaient point « affaibli le sentiment religieux des populations ». Des conversions sans nombre avaient eu lieu : les confessionnaux étaient assiégés de monde. Des usuriers ou des voleurs avaient restitué; beaucoup de scandales avaient cessé. Les Fidèles se pressaient autour de la Table sainte.

Le jour même où le Préfet était allé chez Sa Grandeur, c'est-à-dire le lundi de Pâques, 5 avril (Nous avons pris cette date dans le mandement de l'Évêque, portant jugement sur l'Apparition, et en faisant officiellement l'historique), la Mère de Dieu avait fait de nouveau entendre un appel intérieur à la fille du meunier; et l'enfant, bientôt suivie d'une foule immense, s'était rendue à la Grotte, où, comme précédemment, le Ciel s'était ouvert devant elle, et lui avait laissé voir la Vierge Marie dans sa gloire.

C'est à cette date que s'accomplit, aux yeux émerveillés de la multitude, un fait fort étrange.

Le cierge que Bernadette avait apporté ou qu'on lui avait donné était très grand, et elle l'avait appuyé par terre, en le soutenant par le bout, entre les doigts de ses mains, à demi jointes.

La Vierge lui apparut.

Et voilà que, par un mouvement instinctif d'adoration, la Voyante, tombant en extase devant la Beauté immaculée, éleva un peu les mains et les laissa reposer doucement, et sans y songer, sur le bout du cierge allumé. Et alors la flamme se mit à passer à travers ses doigts, à demi entr'ouverts, et à s'élever au-dessus, oscillant çà et là, suivant le léger souffle du vent. Bernadette pourtant demeurait immobile et abîmée dans la céleste contemplation, ne s'apercevant même pas du phénomène qui faisait la stupéfaction de la multitude.

Les témoins se pressaient les uns sur les autres pour mieux voir. MM. Jean-Louis Fourcade, Martinou, Estrade, le Garde Forestier Callet, les demoiselles Tard'hivail, cent autres personnes, furent les spectateurs de ce fait inouï.

M. Dozous, dès les premiers moments, avait tiré sa montre : cet état extraordinaire dura un peu plus d'un quart d'heure.

Tout à coup, un léger frissonnement fait tressaillir le corps de Bernadette. Ses traits redescendent. La Vision avait cessé, et l'enfant était revenue à son état naturel. On regarde sa main: rien que de normal n'y apparaissait. La flamme avait respecté la chair de la Voyante, en extase devant Marie. La foule, non sans raison, criait au miracle.

L'un des spectateurs cependant, voulant faire la contre-épreuve, avait pris ce cierge encore allumé, et, sans qu elle y fit attention, il l'approcha de la main de Bernadette.

— Ah! Monsieur, s'écria-t-elle en se retirant vivement, vous me brûlez!

[ Ce fait du cierge fit beaucoup de bruit. Le Lavedan ne put se dispenser d'en parler quelque temps après. « Depuis la fameuse journée du 4 mars, » dit-il, « Bernadette a été sobre de visites à la Grotte. C'est à peine si elle y est revenue deux ou trois fois. « Dans une de ses visites, un témoin a pu nous assurer qu'étant en extase elle avait longtemps tenu la main au contact de la flamme du cierge et qu'elle n'en avait pas ressenti les plus légères douleurs. Vous pensez bien qu'on a crié au miracle. » — Cette dernière réflexion est des plus naïves. Le rédacteur du Lavedan considère-t-il donc ce fait comme absolument naturel? ]

Tous ces événements avaient produit une telle commotion dans le pays, que, ce jour-là, bien qu'on ne fût point comme dans la Quinzaine, prévenu à l'avance, la multitude réunie en un instant autour de Bernadette s'était élevée à près de dix mille personnes.

[Averti dès le premier moment, le Maire avait fait placer des agents à tous les chemins ou sentiers pour faire le dénombrement. Il y avait, d'après le rapport qu'il adressa le soir même au Préfet, 9060 personnes, dont 4822 habitants de Lourdes et 4238 étrangers. Archives de la Mairie de Lourdes. — Lettre du Maire au Préfet, n° 86.


Livre 1 - La Vie Publique (19) Buch 1 - Das öffentliche Leben (19) Book 1 - Public Life (19)

Bernadette en extase avait oublié la terre devant la Beauté sans tache.

— Oma Dame, lui dit-elle, veuillez avoir la bonté de me dire qui vous êtes et quel est votre Nom.

La royale Apparition sourit et ne répondit point. Mais en ce moment même l'Eglise universelle, poursuivant les solennelles prières de son Office, s'écriait:

« Sainte et immaculée Virginité, quelles louanges pourrai-je te donner? En vérité, je ne le sais : car tu as porté, enfermé dans ton sein, Celui que les cieux ne peuvent contenir. »

Bernadette n'entendait point ces voix lointaines, et ne pouvait soupçonner ces harmonies profondes. Devant le silence de la Vision elle insista et reprit :

— O ma Dame, veuillez avoir la bonté de me dire qui vous êtes et quel est votre Nom.

L'Apparition parut rayonner davantage, comme si sa joie allait grandissant, et Elle ne répondit point encore à la demande de l'enfant. Mais l'Église, en toute la chrétienté, continuait ses invocations et ses chants, et elle était arrivée à ces paroles :

« Félicitez-moi, vous tous qui aimez le Seigneur parce que, étant encore tout enfant, le Très-Haut m'a aimée : et de mes entrailles fut enfanté l'Homme-Dieu. Les générations me proclameront bienheureuse, parce que Dieu a daigné jeter son regard sur son humble servante : et de mes entrailles maternelles fut enfanté l'Homme-Dieu. »

Bernadette répéta sa prière :

— Oma Dame, veuillez avoir la bonté de me dire qui vous êtes et quel est votre Nom.

L'Apparition semblait entrer de plus en plus dans la gloire bienheureuse; et, comme concentrée en sa félicité, Elle continua de ne point répondre. Mais, par une coïncidence inouïe, le choeur universel de l'Église faisait éclater à cette heure un chant d'allégresse et prononçait le nom terrestre de l'Apparition merveilleuse: « Je vous salue Marie, pleine de grâce; le Seigneur est avec vous, vous êtes bénie entre toutes les femmes. »

Bernadette renouvela encore une fois sa demande suppliante :

— Oma Dame, je vous en prie, veuillez avoir la bonté de me dire qui vous êtes et quel est votre Nom.

L'Apparition avait les mains jointes avec ferveur et le visage dans le rayonnement splendide de la béatitude infinie. C'était l'Humilité dans la Gloire. De même que Bernadette contemplait la Vision, la Vision, sans doute, contemplait, au sein de la Trinité divine, Dieu le Père dont elle était la Fille, Dieu le Saint-Esprit dont Elle était l'Épouse; Dieu le Fils dont Elle était la Mère.

A la dernière question de l'enfant, Elle disjoignit les mains, faisant glisser sur son bras droit le chapelet au fil d'or et aux grains d'albâtre. Elle ouvrit alors ses deux bras et les inclina vers le sol, comme pour montrer à la Terre ses mains virginales, pleines de bénédictions. Puis, les élevant vers l'éternelle région d'où descendit, à pareil jour, le divin Messager de l'Annonciation, Elle les rejoignit avec ferveur, et, regardant le Ciel avec le sentiment d'une indicible gratitude, Ellé prononça ces paroles:

— JE SUIS L'IMMACULÉE CONCEPTION.

Ayant dit ces mots, Elle disparut, et l'enfant se trouva, comme la multitude, en face d'un rocher désert.

A côté d'elle, la miraculeuse Fontaine, tombant par une rigole de bois dans son bassin rustique, faisait entendre le murmure paisible de ses flots.

C'était le jour et c'était l'heure où la sainte Église entonnait en son Office l'hymne magnifique: « O la plus glorieuse des Vierges... »

La Mère de Notre-Seigneur Jésus-Christ n'avait point dit: « Je suis Marie immaculée. » Elle avait dit: « Je suis l'Immaculée Conception, » comme pour marquer le caractère absolu, le caractère en quelque sorte substantiel du divin privilège qui n'a été départi qu'à elle seule depuis qu'Adam et Ève furent créés de Dieu. C'est comme si elle eût dit, non pas: « Je suis pure, » mais : « Je suis la Pureté même; » non pas: « Je suis vierge, » mais: « Je suis la Virginité incarnée et vivante; » non pas: « Je suis blanche, mais: « Je suis la Blancheur. »

Une chose blanche peut cesser de l'être; mais la Blancheur est toujours blanche. C'est son essence même, et non sa qualité.

Marie est plus que conçue sans péché: elle est l'Immaculée Conception elle-même, c'est-à-dire le type essentiel et supérieur, l'archétype de l'humanité sans souillure, de l'humanité sortie des mains de Dieu sans avoir été atteinte par la tache originelle, par l'élément impur que la faute de nos premiers parents mêla à la source même de ce fleuve immense des générations qui coule depuis six mille années, et dont chacun de nous est une onde fuyante.

Lorsque d'une source bourbeuse vous voulez tirer de l'eau pure, que faites-vous? Vous prenez un filtre, et l'eau se dégage de ses plus grossiers éléments. Vous la passez dans un second filtre, puis dans un troisième, et ainsi de suite. Vient enfin un moment où vous avez un vase d'eau absolument nette et claire, un diamant liquide. Ainsi avait fait Dieu quand la source originelle fut troublée. Il choisit une famille, et dirigea de siècle en siècle cette race élue : depuis Seth jusqu'à Noé, depuis Sem jusqu'à David, depuis David jusqu'à Joachim et Anne, parents de la Sainte Vierge. Et quand le sang humain se fut ainsi filtré, pour ainsi dire, malgré les accidents de quelques intermédiaires coupables, à travers près de cinquante générations de patriarches et de justes, il vint au monde une créature absolument pure, une créature sans tache, une fille d'Adam entièrement immaculée. Elle s'appela Marie, et sa Virginité féconde enfanta Jésus-Christ.

La Vierge, à la Grotte de Lourdes, avait voulu attester, par sa présence, par ses miracles et par sa parole même, le dernier dogme qu'a défini l'Église, et qu'a proclamé saint Pierre parlant par la voix de Pie IX.

La petite Bergère à laquelle apparaissait la Vierge divine entendait pour la première fois ces mots: « Immaculée Conception. » Et, ne les comprenant point, elle faisait, en retournant à Lourdes, tous ses efforts pour les retenir.

« Je les répétais en moi-même tout le long du chemin pour ne point les oublier, » nous racontait-elle un jour; « et jusqu'au presbytère, où j'allais, je disais: __Immaculée Conception, Immaculée Conception__, il chaque pas que je faisais, parce que je voulais porter à M. le Curé les parôles de la Vision, afin que la Chapelle se bâtît. »

La Fête de Pâques était arrivée.

Malgré les pieuses appréhensions de M. le Ministre des Cultes (Nous racontons dans __Notre-Dame de Lourdes__ les oppositions violentes de l'administration, du Commissaire de Police Jacomet, du Procureur impérial Dutour, du Préfet Massy et du Ministre des Cultes Rouland contre la marche des événements), les apparitions et les miracles n'avaient point « affaibli le sentiment religieux des populations ». Des conversions sans nombre avaient eu lieu : les confessionnaux étaient assiégés de monde. Des usuriers ou des voleurs avaient restitué; beaucoup de scandales avaient cessé. Les Fidèles se pressaient autour de la Table sainte.

Le jour même où le Préfet était allé chez Sa Grandeur, c'est-à-dire le lundi de Pâques, 5 avril (Nous avons pris cette date dans le mandement de l'Évêque, portant jugement sur l'Apparition, et en faisant officiellement l'historique), la Mère de Dieu avait fait de nouveau entendre un appel intérieur à la fille du meunier; et l'enfant, bientôt suivie d'une foule immense, s'était rendue à la Grotte, où, comme précédemment, le Ciel s'était ouvert devant elle, et lui avait laissé voir la Vierge Marie dans sa gloire.

C'est à cette date que s'accomplit, aux yeux émerveillés de la multitude, un fait fort étrange.

Le cierge que Bernadette avait apporté ou qu'on lui avait donné était très grand, et elle l'avait appuyé par terre, en le soutenant par le bout, entre les doigts de ses mains, à demi jointes.

La Vierge lui apparut.

Et voilà que, par un mouvement instinctif d'adoration, la Voyante, tombant en extase devant la Beauté immaculée, éleva un peu les mains et les laissa reposer doucement, et sans y songer, sur le bout du cierge allumé. Et alors la flamme se mit à passer à travers ses doigts, à demi entr'ouverts, et à s'élever au-dessus, oscillant çà et là, suivant le léger souffle du vent. Bernadette pourtant demeurait immobile et abîmée dans la céleste contemplation, ne s'apercevant même pas du phénomène qui faisait la stupéfaction de la multitude.

Les témoins se pressaient les uns sur les autres pour mieux voir. MM. Jean-Louis Fourcade, Martinou, Estrade, le Garde Forestier Callet, les demoiselles Tard'hivail, cent autres personnes, furent les spectateurs de ce fait inouï.

M. Dozous, dès les premiers moments, avait tiré sa montre : cet état extraordinaire dura un peu plus d'un quart d'heure.

Tout à coup, un léger frissonnement fait tressaillir le corps de Bernadette. Ses traits redescendent. La Vision avait cessé, et l'enfant était revenue à son état naturel. On regarde sa main: rien que de normal n'y apparaissait. La flamme avait respecté la chair de la Voyante, en extase devant Marie. La foule, non sans raison, criait au miracle.

L'un des spectateurs cependant, voulant faire la contre-épreuve, avait pris ce cierge encore allumé, et, sans qu elle y fit attention, il l'approcha de la main de Bernadette.

— Ah! Monsieur, s'écria-t-elle en se retirant vivement, vous me brûlez!

[ Ce fait du cierge fit beaucoup de bruit. Le __Lavedan__ ne put se dispenser d'en parler quelque temps après. « Depuis la fameuse journée du 4 mars, » dit-il, « Bernadette a été sobre de visites à la Grotte. C'est à peine si elle y est revenue deux ou trois fois. « Dans une de ses visites, __un témoin__ a pu nous assurer qu'étant en extase elle avait longtemps tenu la main au contact de la flamme du cierge et qu'elle n'en avait pas ressenti les plus légères douleurs. Vous pensez bien qu'on a crié au miracle. » — Cette dernière réflexion est des plus naïves. Le rédacteur du __Lavedan__ considère-t-il donc ce fait comme absolument naturel? ]

Tous ces événements avaient produit une telle commotion dans le pays, que, ce jour-là, bien qu'on ne fût point comme dans la Quinzaine, prévenu à l'avance, la multitude réunie en un instant autour de Bernadette s'était élevée à près de dix mille personnes.

[Averti dès le premier moment, le Maire avait fait placer des agents à tous les chemins ou sentiers pour faire le dénombrement. Il y avait, d'après le rapport qu'il adressa le soir même au Préfet, 9060 personnes, dont 4822 habitants de Lourdes et 4238 étrangers. — __Archives de la Mairie de Lourdes.__ — Lettre du Maire au Préfet, n° 86.