×

我们使用cookies帮助改善LingQ。通过浏览本网站,表示你同意我们的 cookie 政策.


image

Bernadette, Sœur Marie-Bernard (Henri Lasserre), Livre 1 - La Vie Publique (4)

Livre 1 - La Vie Publique (4)

En reprenant le chemin de Lourdes, Bernadette était dans la joie. Elle repassait au fond de son coeur le souvenir de cette vision si profondément extraordinaire. Ses compagnes éprouvaient une vague terreur. La transfiguration du visage de Bernadette leur avait montré la réalité d'une Apparition surnaturelle. Or, tout ce qui dépasse la nature l'effraye. « Éloignez-vous de nous, Seigneur, de crainte que nous ne mourions, » disaient les Juifs du Vieux Testament.

— Nous avons peur, Bernadette. Ne retournons plus ici. Ce que tu as vu vient peut-être pour nous faire du mal, disaient à la jeune Voyante ses compagnes craintives.

Comme elles l'avaient promis, les enfants rentrèrent pour les Vêpres. A la sortie de l'église, la beauté du temps attira sur la route une partie de la population, allant, venant, devisant aux derniers rayons du soleil, si doux en ces splendides jours d'hiver. Le récit des petites filles circula çà et là dans quelques groupes de promeneurs. Et c'est ainsi que le bruit de ces choses étranges commença à se répandre dans la ville. La rumeur, qui n'avait d'abord agité qu'une humble société d'enfants, grossissait comme un flot qui monte, et pénétrait, de l'une à l'autre, dans les couches populaires. Les carriers, très nombreux en ce pays; les couturières, les ouvriers, les paysans, les servantes, les bonnes femmes, les pauvres gens s'entretenaient de ce prétendu fait de l'Apparition, ceux-ci pour y croire, ceux-là pour le contester, d'autres pour en rire, plusieurs pour l'exagérer et broder des contes. Sauf une ou deux exceptions, la bourgeoisie ne prit pas même la peine d'arrêter sa pensée à ces enfantillages.

Détail singulier! le père et la mère, tout en n'ayant aucun doute sur la pleine sincérité de Bernadette, considéraient l'Apparition comme une illusion.

— C'est une enfant, répétaient-ils : elle a cru voir; mais elle n'a rien vu. Ce sont des imaginations de petite fille.

Toutefois, la précision extraordinaire des récits de Bernadette les préoccupait. Par moment, entraînés par l'accent de leur fille, ils se sentaient ébranlés dans leur incrédulité. Tout en désirant qu'elle cessât d'aller à la Grotte, ils n'osaient plus le lui défendre.

Elle n'y retourna pourtant point jusqu'au jeudi.

Durant ces premiers jours de la semaine, plusieurs personnes parmi les gens du peuple vinrent chez les Soubirous pour interroger Bernadette. Les réponses de l'enfant furent nettes et précises. Elle pouvait être dans l'illusion; mais il suffisait de la voir et de l'entendre, pour être certain de sa bonne foi. Sa parfaite simplicité, son âge innocent, l'accent irrésistible de son affirmation et de son récit, je ne sais, dans tout cet ensemble, quelle autorité étonnante, imposaient la confiance, et, la plupart du temps, déterminaient la conviction. Tous ceux qui la voyaient sortaient de leur entretien complètement convaincus de sa véracité et persuadés qu'un fait extraordinaire s'était passé aux Roches de Massabielle.

La déclaration de cette petite fille ignorante ne pouvait pourtant pas suffire pour établir un événement aussi entièrement en dehors de la marche habituelle des choses. Il fallait d'autres preuves que la parole d'une enfant.

Qu'était-ce, d'ailleurs, que cette Apparition, en la supposant réelle? Était-ce un esprit de lumière ou un ange de l'abîme? N'était-ce point quelque âme en souffrance, errante, et demandant des prières? Ou bien telle ou telle personne, morte naguère dans le pays en odeur de sainteté, et se manifestant dans sa gloire? La foi et la superstition proposaient chacune leurs hypothèses.

Les cérémonies funèbres du Mercredi des Cendres contribuèrent-elles à incliner vers l'une de ces solutions une jeune fille et une dame de Lourdes? Virent-elles, dans la blancheur éclatante des vêtements de l'Apparition, quelque idée de linceul ou quelque apparence de fantôme? Nous ne savons. La jeune fille se nommait Antoinette Peyret et faisait partie de la Congrégation des Enfants de Marie; l'autre était Mme Millet.

— C'est sans doute quelque âme du Purgatoire qui implore des Messes, pensèrent-elles.

Et elles allèrent trouver Bernadette.

— Demande à cette Dame qui elle est et ce qu'elle veut, lui dirent-elles. Qu'elle te l'explique; ou mieux encore, comme tu pourrais ne pas bien comprendre, qu'elle te le mette par écrit.

Bernadette, qui se sentait, par un mouvement intérieur, vivement portée à retourner à la Grotte, obtint de ses parents une nouvelle permission; et le lendemain matin, jeudi 18 février, vers six heures, à la naissance de l'aube, après avoir entendu à l'église la Messe de cinq heures et demie, elle prit,avec Antoinette Peyret et Mme Millet, la direction de la Grotte.

La réparation du moulin de Sâvy était terminée et le canal qui le faisait mouvoir avait été rendu à son libre cours; de sorte qu'il était impossible de passer comme auparavant par l'ile du Châlet pour aller aux Roches Massabielle. Il fallait monter sur le flanc des Espélugues, en suivant un chemin fort malaisé qui conduisait à la forêt de Lourdes, redescendre ensuite par des casoc-cou jusqu'à la Grotte, au milieu des roches et du tertre, rapide et sablonneux, de Massabielle.

Devant ces difficultés inattendues, les deux compagnes de Bernadette furent un peu effrayées. Celle-ci, au contraire, parvenue en cet endroit, éprouva comme un frémissement, comme une hâte d'arriver. Il lui semblait que quelqu'un d'invisible la soulevait et lui prêtait une énergie inaccoutumée. Elle, d'ordinaire si frêle, se sentit forte en cet instant. Son pas devint si rapide à la montée de la côle, qu'Antoinette et Mme Millet, toutes deux dans la vigueur de l'âge, avaient peine à la suivre. Son asthme, qui lui interdisait toute course précipitée, paraissait avoir momentanément disparu. Au sommet de la côte, elle n'était ni haletante ni fatiguée; tandis que ses deux compagnes ruisselaient de sueur, son visage était calme et reposé. Elle descendit alors les rochers, qu'elle franchissait pourtant pour la première fois, avec la même aisance et la même agilité, ayant toujours conscience d'un invisible appui qui la guidait et qui la soutenait. Sur ces pentes à peu près à pic, au milieu de ces pierres roulantes, au-dessus de l'abîme, son pas était aussi ferme et aussi assuré que si elle eût marché sur le sol large et plan d'une grande route. Mme Millet et Antoinette n'essayèrent pas de la suivre dans cette impossible allure. Elles descendirent avec la lenteur et les précautions nécessitées par une voie si périlleuse.

Bernadette arriva par conséquent à la Grotte quelques minutes avant elles. Elle se prosterna, commença la récitation du chapelet, en regardant la niche, encore vide, que tapissaient les branches de l'églantier.

Tout à coup elle pousse un cri. La clarté bien connue de l'auréole rayonne dans le fond de l'excavation; la merveilleuse Apparition se trouvait encore une fois debout à quelques pas au dessus de l'enfant. La Vierge admirable penchait vers la Voyante son visage tout illuminé d'une sérénité éternelle; et, d'un geste de sa main, elle lui faisait signe d'approcher.

En ce moment arrivaient, après mille efforts pénibles, Antoinette et Mme Millet. Elles aperçoivent les traits de l'enfant, transfigurés par l'extase.

Celle-ci les entend et les voit:

— Elle est là, dit-elle. Elle me fait signe d'avancer.

— Demande-lui si Elle est fâchée que nous soyons ici avec toi. En ce cas, nous nous retirerions.

Bernadette regarda la Vierge, invisible pour tout autre qu'elle, écouta un instant et se retourna vers ses compagnes.

— Vous pouvez rester, répondit-elle.

Les deux femmes s'agenouillèrent à côté de l'enfant et allumèrent un cierge bénit qu'elles avaient apporté.

C'était sans doute pour la première fois depuis la création du monde qu'une telle lueur brillait en ce lieu sauvage. Cet acte si simple, (lui semblait inaugurer un sanctuaire, avait en lui-même une mystérieuse solennité.

A supposer que l'Apparition fût divine, ce signe d'adoration visible, cette humble petite flamme allumée par deux pauvres femmes de la campagne ne s'éteindrait plus, et irait chaque jour grandissant dans la longue série des siècles. Le souffle de l'incrédulité aurait beau s'épuiser en efforts, l'orage de la persécution aurait beau se lever; cette flamme, entretenue par la foi des peuples, continuerait de monter, droite et inextinguible, vers le trône de Dieu. Tandis que ces rustiques mains, sans doute inconscientes d'elles-mêmes, l'allumaient ainsi en toute simplicité et pour la première fois dans cette Grotte inconnue où priait une enfant, l'aube, blanchissante d'abord, avait successivement pris la teinte de l'or et celle de la pourpre; et le soleil, qui devait bientôt, à travers et malgré les nuages inonder la terre de sa lumière, commençait à poindre derrière la cime des monts.

Bernadette, ravie en extase, contemplait la Beauté sans tache : Tota pulchra es, amica mea, et macula non est in te.

Ses compagnes l'interpellèrent de nouveau.

« — Avance vers Elle, puisqu'Elle t'appelle et te fait signe. Approche-toi. Demande-lui qui Elle est, pourquoi Elle vient ici?... Est-ce une âme du Purgatoire qui implore des prières, qui souhaite qu'on dise des Messes pour elle?... Prie-la d'écrire sur ce papier ce qu'elle veut, tout ce qui est nécessaire pour son repos. »

La petite fille prit le papier, l'encre et la plunie qu'on lui tendait, et elle s'avança vers l'Apparition, dont le regard maternel l'encouragea à s'approcher.

Pourtant, à chaque pas que faisait l'enfant, l'Apparition reculait peu à peu dans l'intérieur de l'excavation. Bernadette la perdit de vue un instant et pénétra sous la voûte de la Grotte d'en bas. Là, toujours au-dessus d'elle, mais beaucoup plus près, dans l'ouverture de la niche, elle revit la Vierge rayonnante.

Bernadette, ayant en main les objets qu'on venait de lui donner, se dressa sur ses pieds pour atteindre, avec ses petits bras et sa modeste taille, à la hauteur où se tenait debout l'Être surnaturel.

Ses deux compagnes s'avancèrent aussi pour tâcher d'entendre l'entretien qui allait s'engager. Mais Bernadette, sans se retourner, et comme obéissant elle-même à un ordre de l'Apparition, leur commanda, par un geste de ne point approcher.

Toutes confuses, elles se retirèrent un peu à l'écart.

— Ma Dame, dit l'enfant, si vous avez quelque chose à me communiquer, voudriez-vous avoir la bonté d'écrire qui vous êtes et ce que vous désirez?

La divine Vierge sourit à cette demande naïve. Ses lèvres s'ouvrirent et elle parla ainsi:

— Ce que j'ai à vous dire, je n'ai point besoin de l'écrire. Faites-moi seulement la grâce de venir ici pendant quinze jours.

— Je vous le promets, dit Bernadette.

La Vierge sourit de nouveau et fit un signe de satisfaction, témoignant ainsi de sa pleine confiance en la parole de cette pauvre paysanne de quatorze ans.

Elle savait que la petite bergère de Bartrès était comme ces enfants très purs dont Jésus aimait à caresser les têtes blondes, en disant: « Le Royaume des cieux est pour ceux-là qui leur ressemblent. »

A la promesse de Bernadette, Elle répondit, elle aussi, par cet engagement solennel:

— Et Moi, je vous promets de vous rendre heureuse, non point dans ce monde, mais dans l'autre.

A l'enfant qui lui accordait quelques jours, Elle assurait, en compensation, l'éternité.


Livre 1 - La Vie Publique (4) Buch 1 - Das öffentliche Leben (4) Book 1 - Public Life (4)

En reprenant le chemin de Lourdes, Bernadette était dans la joie. Elle repassait au fond de son coeur le souvenir de cette vision si profondément extraordinaire. Ses compagnes éprouvaient une vague terreur. La transfiguration du visage de Bernadette leur avait montré la réalité d'une Apparition surnaturelle. Or, tout ce qui dépasse la nature l'effraye. « Éloignez-vous de nous, Seigneur, de crainte que nous ne mourions, » disaient les Juifs du Vieux Testament.

— Nous avons peur, Bernadette. Ne retournons plus ici. Ce que tu as vu vient peut-être pour nous faire du mal, disaient à la jeune Voyante ses compagnes craintives.

Comme elles l'avaient promis, les enfants rentrèrent pour les Vêpres. A la sortie de l'église, la beauté du temps attira sur la route une partie de la population, allant, venant, devisant aux derniers rayons du soleil, si doux en ces splendides jours d'hiver. Le récit des petites filles circula çà et là dans quelques groupes de promeneurs. Et c'est ainsi que le bruit de ces choses étranges commença à se répandre dans la ville. La rumeur, qui n'avait d'abord agité qu'une humble société d'enfants, grossissait comme un flot qui monte, et pénétrait, de l'une à l'autre, dans les couches populaires. Les carriers, très nombreux en ce pays; les couturières, les ouvriers, les paysans, les servantes, les bonnes femmes, les pauvres gens s'entretenaient de ce prétendu fait de l'Apparition, ceux-ci pour y croire, ceux-là pour le contester, d'autres pour en rire, plusieurs pour l'exagérer et broder des contes. Sauf une ou deux exceptions, la bourgeoisie ne prit pas même la peine d'arrêter sa pensée à ces enfantillages.

Détail singulier! le père et la mère, tout en n'ayant aucun doute sur la pleine sincérité de Bernadette, considéraient l'Apparition comme une illusion.

— C'est une enfant, répétaient-ils : elle a cru voir; mais elle n'a rien vu. Ce sont des imaginations de petite fille.

Toutefois, la précision extraordinaire des récits de Bernadette les préoccupait. Par moment, entraînés par l'accent de leur fille, ils se sentaient ébranlés dans leur incrédulité. Tout en désirant qu'elle cessât d'aller à la Grotte, ils n'osaient plus le lui défendre.

Elle n'y retourna pourtant point jusqu'au jeudi.

Durant ces premiers jours de la semaine, plusieurs personnes parmi les gens du peuple vinrent chez les Soubirous pour interroger Bernadette. Les réponses de l'enfant furent nettes et précises. Elle pouvait être dans l'illusion; mais il suffisait de la voir et de l'entendre, pour être certain de sa bonne foi. Sa parfaite simplicité, son âge innocent, l'accent irrésistible de son affirmation et de son récit, je ne sais, dans tout cet ensemble, quelle autorité étonnante, imposaient la confiance, et, la plupart du temps, déterminaient la conviction. Tous ceux qui la voyaient sortaient de leur entretien complètement convaincus de sa véracité et persuadés qu'un fait extraordinaire s'était passé aux Roches de Massabielle.

La déclaration de cette petite fille ignorante ne pouvait pourtant pas suffire pour établir un événement aussi entièrement en dehors de la marche habituelle des choses. Il fallait d'autres preuves que la parole d'une enfant.

Qu'était-ce, d'ailleurs, que cette Apparition, en la supposant réelle? Était-ce un esprit de lumière ou un ange de l'abîme? N'était-ce point quelque âme en souffrance, errante, et demandant des prières? Ou bien telle ou telle personne, morte naguère dans le pays en odeur de sainteté, et se manifestant dans sa gloire? La foi et la superstition proposaient chacune leurs hypothèses. Der Glaube und der Aberglaube boten jeweils ihre eigenen Hypothesen an.

Les cérémonies funèbres du Mercredi des Cendres contribuèrent-elles à incliner vers l'une de ces solutions une jeune fille et une dame de Lourdes? Haben die Trauerfeiern am Aschermittwoch dazu beigetragen, dass ein Mädchen und eine Dame aus Lourdes sich für eine dieser Lösungen entschieden haben? Virent-elles, dans la blancheur éclatante des vêtements de l'Apparition, quelque idée de linceul ou quelque apparence de fantôme? Sahen sie in dem strahlenden Weiß der Kleidung der Erscheinung etwas von einem Leichentuch oder einem Geist? Nous ne savons. La jeune fille se nommait Antoinette Peyret et faisait partie de la Congrégation des Enfants de Marie; l'autre était Mme Millet. Das eine Mädchen hieß Antoinette Peyret und gehörte der Kongregation der Kinder Mariens an, das andere war Frau Millet.

— C'est sans doute quelque âme du Purgatoire qui implore des Messes, pensèrent-elles.

Et elles allèrent trouver Bernadette.

— Demande à cette Dame qui elle est et ce qu'elle veut, lui dirent-elles. Qu'elle te l'explique; ou mieux encore, comme tu pourrais ne pas bien comprendre, qu'elle te le mette par écrit.

Bernadette, qui se sentait, par un mouvement intérieur, vivement portée à retourner à la Grotte, obtint de ses parents une nouvelle permission; et le lendemain matin, jeudi 18 février, vers six heures, à la naissance de l'aube, après avoir entendu à l'église la Messe de cinq heures et demie, elle prit,avec Antoinette Peyret et Mme Millet, la direction de la Grotte.

La réparation du moulin de Sâvy était terminée et le canal qui le faisait mouvoir avait été rendu à son libre cours; de sorte qu'il était impossible de passer comme auparavant par l'ile du Châlet pour aller aux Roches Massabielle. Il fallait monter sur le flanc des Espélugues, en suivant un chemin fort malaisé qui conduisait à la forêt de Lourdes, redescendre ensuite par des casoc-cou jusqu'à la Grotte, au milieu des roches et du tertre, rapide et sablonneux, de Massabielle. Sie mussten an der Flanke der Espélugues aufsteigen und einem sehr unwegsamen Weg folgen, der in den Wald von Lourdes führte, und dann über Casoc-cou wieder hinabsteigen bis zur Grotte, inmitten der Felsen und der schnellen und sandigen Halde von Massabielle.

Devant ces difficultés inattendues, les deux compagnes de Bernadette furent un peu effrayées. Celle-ci, au contraire, parvenue en cet endroit, éprouva comme un frémissement, comme une hâte d'arriver. Il lui semblait que quelqu'un d'invisible la soulevait et lui prêtait une énergie inaccoutumée. Elle, d'ordinaire si frêle, se sentit forte en cet instant. Son pas devint si rapide à la montée de la côle, qu'Antoinette et Mme Millet, toutes deux dans la vigueur de l'âge, avaient peine à la suivre. Son asthme, qui lui interdisait toute course précipitée, paraissait avoir momentanément disparu. Au sommet de la côte, elle n'était ni haletante ni fatiguée; tandis que ses deux compagnes ruisselaient de sueur, son visage était calme et reposé. Elle descendit alors les rochers, qu'elle franchissait pourtant pour la première fois, avec la même aisance et la même agilité, ayant toujours conscience d'un invisible appui qui la guidait et qui la soutenait. Sur ces pentes à peu près à pic, au milieu de ces pierres roulantes, au-dessus de l'abîme, son pas était aussi ferme et aussi assuré que si elle eût marché sur le sol large et plan d'une grande route. Mme Millet et Antoinette n'essayèrent pas de la suivre dans cette impossible allure. Elles descendirent avec la lenteur et les précautions nécessitées par une voie si périlleuse.

Bernadette arriva par conséquent à la Grotte quelques minutes avant elles. Elle se prosterna, commença la récitation du chapelet, en regardant la niche, encore vide, que tapissaient les branches de l'églantier.

Tout à coup elle pousse un cri. La clarté bien connue de l'auréole rayonne dans le fond de l'excavation; la merveilleuse Apparition se trouvait encore une fois debout à quelques pas au dessus de l'enfant. La Vierge admirable penchait vers la Voyante son visage tout illuminé d'une sérénité éternelle; et, d'un geste de sa main, elle lui faisait signe d'approcher.

En ce moment arrivaient, après mille efforts pénibles, Antoinette et Mme Millet. Elles aperçoivent les traits de l'enfant, transfigurés par l'extase.

Celle-ci les entend et les voit:

— Elle est là, dit-elle. Elle me fait signe d'avancer.

— Demande-lui si Elle est fâchée que nous soyons ici avec toi. En ce cas, nous nous retirerions.

Bernadette regarda la Vierge, invisible pour tout autre qu'elle, écouta un instant et se retourna vers ses compagnes.

— Vous pouvez rester, répondit-elle.

Les deux femmes s'agenouillèrent à côté de l'enfant et allumèrent un cierge bénit qu'elles avaient apporté.

C'était sans doute pour la première fois depuis la création du monde qu'une telle lueur brillait en ce lieu sauvage. Cet acte si simple, (lui semblait inaugurer un sanctuaire, avait en lui-même une mystérieuse solennité.

A supposer que l'Apparition fût divine, ce signe d'adoration visible, cette humble petite flamme allumée par deux pauvres femmes de la campagne ne s'éteindrait plus, et irait chaque jour grandissant dans la longue série des siècles. Le souffle de l'incrédulité aurait beau s'épuiser en efforts, l'orage de la persécution aurait beau se lever; cette flamme, entretenue par la foi des peuples, continuerait de monter, droite et inextinguible, vers le trône de Dieu. Tandis que ces rustiques mains, sans doute inconscientes d'elles-mêmes, l'allumaient ainsi en toute simplicité et pour la première fois dans cette Grotte inconnue où priait une enfant, l'aube, blanchissante d'abord, avait successivement pris la teinte de l'or et celle de la pourpre; et le soleil, qui devait bientôt, à travers et malgré les nuages inonder la terre de sa lumière, commençait à poindre derrière la cime des monts.

Bernadette, ravie en extase, contemplait la Beauté sans tache : __Tota pulchra es, amica mea, et macula non est in te.__

Ses compagnes l'interpellèrent de nouveau.

« — Avance vers Elle, puisqu'Elle t'appelle et te fait signe. Approche-toi. Demande-lui qui Elle est, pourquoi Elle vient ici?... Est-ce une âme du Purgatoire qui implore des prières, qui souhaite qu'on dise des Messes pour elle?... Prie-la d'écrire sur ce papier ce qu'elle veut, tout ce qui est nécessaire pour son repos. »

La petite fille prit le papier, l'encre et la plunie qu'on lui tendait, et elle s'avança vers l'Apparition, dont le regard maternel l'encouragea à s'approcher.

Pourtant, à chaque pas que faisait l'enfant, l'Apparition reculait peu à peu dans l'intérieur de l'excavation. Bernadette la perdit de vue un instant et pénétra sous la voûte de la Grotte d'en bas. Là, toujours au-dessus d'elle, mais beaucoup plus près, dans l'ouverture de la niche, elle revit la Vierge rayonnante.

Bernadette, ayant en main les objets qu'on venait de lui donner, se dressa sur ses pieds pour atteindre, avec ses petits bras et sa modeste taille, à la hauteur où se tenait debout l'Être surnaturel.

Ses deux compagnes s'avancèrent aussi pour tâcher d'entendre l'entretien qui allait s'engager. Mais Bernadette, sans se retourner, et comme obéissant elle-même à un ordre de l'Apparition, leur commanda, par un geste de ne point approcher.

Toutes confuses, elles se retirèrent un peu à l'écart.

— Ma Dame, dit l'enfant, si vous avez quelque chose à me communiquer, voudriez-vous avoir la bonté d'écrire qui vous êtes et ce que vous désirez?

La divine Vierge sourit à cette demande naïve. Ses lèvres s'ouvrirent et elle parla ainsi:

— Ce que j'ai à vous dire, je n'ai point besoin de l'écrire. Faites-moi seulement la grâce de venir ici pendant quinze jours.

— Je vous le promets, dit Bernadette.

La Vierge sourit de nouveau et fit un signe de satisfaction, témoignant ainsi de sa pleine confiance en la parole de cette pauvre paysanne de quatorze ans.

Elle savait que la petite bergère de Bartrès était comme ces enfants très purs dont Jésus aimait à caresser les têtes blondes, en disant: « Le Royaume des cieux est pour ceux-là qui leur ressemblent. »

A la promesse de Bernadette, Elle répondit, elle aussi, par cet engagement solennel:

— Et Moi, je vous promets de vous rendre heureuse, non point dans ce monde, mais dans l'autre.

A l'enfant qui lui accordait quelques jours, Elle assurait, en compensation, l'éternité.