Les archives secrètes du Vatican
Mes chers camarades bien le bonjour.
Qu'est ce que l'Histoire ? Et bien c'est avant tout une enquête ! Si vous aimez Sherlock Holmes,
y'a un peu de ça ! C'est une recherche organisée d'indices, de traces,
qui vont permettre de faire une hypothèse sur ce qui s'est déroulé dans le passé.
Et comme le disait le professeur Henry Jones dans son cours d'archéologie,
90% du travail se fait en bibliothèque ! Plus précisément pour les historiens,
en bibliothèques et en services d'Archives.
Alors oui je sais, ça paraît moins excitant que Sherlock ou qu'une aventure dans un temple perdu,
mais c'est pas pour ça que c'est moins intéressant ! L'une des parties importantes du métier consiste
à déchiffrer des liasses de papiers, des livres et des rouleaux de parchemins, souvent en langue
étrangère ou très éloignée de la nôtre, pour essayer de saisir au plus près les faits qui
se sont déroulés. Impossible de savoir comment les gens vivaient sans se plonger dans les documents
qui décrivent cette vie : archives judiciaires, registres officiels, documents fiscaux, etc.
Alors, qu'est-ce que c'est que ces « archiiiiives ». Grossièrement,
c'est l'ensemble des documents qui sont réunis, ou collectés pour parler comme les archivistes,
et qui témoignent … et ben qui témoignent du passé.
Etat civil, archives fiscales, administratives, ministérielles, militaires et j'en passe.
Les groupes humains, qu'il s'agisse d'états, de communes, de royaumes, tous ont des
archives parce que tous ont besoin d'avoir des informations dans le temps pour connaître l'état
de leur territoire, de leur population, mais aussi l'évolution de ces derniers.
J'en avais parlé sur l'épisode Guillaume le Conquérant déjà, mais en Angleterre,
nous avons la chance d'avoir une archive très ancienne sur la population de l'île,
le Domesday book de 1086. Bien plus loin de nous, l'incendie de la ville de Mari,
en Mésopotamie, au cours du second millénaire avant notre ère, cuit par accident toute une
partie des tablettes d'argiles ce qui nous permet d'y avoir accès aujourd'hui,
et ainsi de lire des courriers entre des rois ayant vécu il y a 4000 ans.
ça fait beaucoup et c'est plutôt pas mal comme méthode de conservation ! ça brave la pluie,
la neige, mais aussi le feu et le temps qui passe… Bref ! Parmi toutes ces archives,
peu génèrent autant de fantasmes que celles du Vatican. Les fameuses archives « secrètes » du
Vatican, en latin « Archivum Secretum Apostolicum Vaticanum ». On se croirait dans Marry Poppins…
On imagine tout de suite des montagnes de vieux papiers, parchemins, voire papyrus,
contenant tous les secrets de l'humanité, jalousement cachés par des prêtres avides
de censure. Bon, il faut dire aussi que le Vatican joue le jeu du secret. Pendant longtemps,
les archives n'étaient techniquement accessibles que par trois personnes : le Pape, le cardinal
secrétaire d'état et le préfet des Archives. Toute autre personne y accédant était excommuniée.
Mais comme toujours, les choses sont un poil plus compliquées.
S'il fallait faire l'histoire des archives du Vatican, il faudrait en premier lieu rappeler que
ce sont celles d'un très vieil état. Leur création remonte au règne de l'empereur Constantin 1er,
la première mention de leur existence étant formulée dans un concile du IVème siècle. Dans les premiers
temps de l'Eglise, les archives étaient une simple dépendance de la chancellerie et ce n'est qu'au
XIIe siècle qu'elles deviennent responsables de la conservation des chartes, des courriers du
pape avec les souverains, évêques ou cardinaux et des annales des papes, remontant à 330.
En gros, il y a beaucoup de choses, dans les archives de la papauté. Ce
sont donc des archives très anciennes. Mais sont-elles cachées, secrètes ? Et ben non.
En premier lieu, les archives du Vatican n'ont jamais été secrètes. Du moins pas plus que
les archives de n'importe quel état souverain. L'usage systématique de ce mot, « secret », est
un malentendu, le nom désignant en fait les archives de la Secrétairerie d'État,
en latin « Secretaria Status ». Et le secrétaire d'Etat, au Vatican,
n'est pas le maître des mystères. C'est tout simplement le premier ministre.
Les archives qu'il produit sont donc aussi secrètes que celles du cabinet de notre
premier ministre. Alors je vous entends, vous vous dites « hey, Ben, tu y vas un peu vite,
parce que si ça se trouve, le premier ministre du Vatican, il a caché des tas de choses quand même,
en 2000 ans ». Et là aussi…. Non. Je sais, c'est pénible, mais les Archives du Vatican,
on sait ce qu'il y a dedans, nous autres francais...Pourquoi nous ? Et bah….parce
qu'en fait, les Archives du Vatican, on les a volées! Littéralement. Nous, les français on
a tout pris, par la force, au début du XIXe siècle, et les "super méga hyper
secrètes" archives du Vatican ont en fait été inventoriées par l'administration de l'empire
de Napoléon Bonaparte. Je vous raconte ça.
A la fin du XVIIIe siècle, l'Europe est dans une situation que l'on peut qualifier
de « crise majeure ». La jeune république française bouleverse le jeu des nations,
et les principautés et royaumes italiens n'échappent pas à cette règle.
L'un des ennemis de la toute jeune république française, c'est l'Autriche, de l'autre côté
des Alpes. Les autrichiens sont très implantés en Italie, et la péninsule représente donc une
vraie zone de menace pour les Français. En 1796, l'armée d'Italie, commandée par un jeune général
nommé Napoléon Bonaparte, s'oppose aux troupes autrichiennes dans le sud-est du pays. En un an,
le général Bonaparte amènera les autrichiens à signer la paix de Campo Formio, renforçant
considérablement l'influence française au sud. L'armée française a en effet écrasé
la plupart des petits états italiens qui se sont opposés à elle. Les états pontificaux,
sous administration directe de Rome et du Pape, n'échappent pas à cette règle.
En décembre 1797, 2 mois après la signature du traité, le général Leonard Mathurin Duphot est
à Rome. Les armées françaises sont désormais bien implantées en Italie et Duphot est
présent auprès de Joseph Bonaparte, le frère ainé du futur empereur. Sa tâche principale
est de superviser et d'organiser l'armée de la République cisalpine,
une création politique française réunissant les éphémères république
Cispadane et la république transpadane mise en place par les français lors du conflit.
Mais pour le général Duphot, ce mois de décembre n'est pas de tout repos. Les républicains
français résidant à Rome sont, disons turbulents. Probablement dans l'objectif noble de casser les
pieds du pape, ils décident même d'organiser une grande fête laïque, au sein de la ville,
pour concurrencer les célébrations de la Nativité. Clairement, ils trollent les fêtes de Noël,
ni plus, ni moins. Et comme vous vous en doutez, les romains n'approuvent pas la blague.
Les choses s'enveniment, et une émeute commence à naître. Pour calmer le jeu,
et tenter la neutralité, les troupes pontificales interviennent. Le général
Duphot descend dans la rue pour faire de même et calmer les partisans de chaque camp. Et là,
la catastrophe : le chef français se fait proprement assassiner par les gardes suisses.
Dire que la situation devient explosive est un euphémisme. Le pouvoir français
prend très mal l'assassinat d'un haut gradé et envoient des troupes monter sur Rome,
afin de s'emparer de la ville une fois pour toute. Ce qui est accompli,
sans grande difficulté, le 15 février 1798. Très vite, les français s'emparent de tous
les leviers utiles pour gouverner la ville et les territoires attenants.
Et c'est là que nous nous intéressons aux archives.
A cette époque, le Vatican possède 2 dépôts d'archives historiques. Celui du Vatican,
à proprement parler, et celui du château Saint-Ange,
la fameuse forteresse qui sert de refuge aux papes en cas d'invasion.
Mais le fait que les archives ne soient pas au même endroit pose un
souci depuis longtemps aux administrateurs pontificaux. En 1772, Giuseppe Garampi,
qui par un hasard de circonstances était devenu à la fois préfet des archives du
Vatican et de celle du château, conseille au Pontife de l'époque, Clément XIV de fusionner
les 2 dépôts en 1 seul. Comme d'habitude, le pouvoir étudie la solution du spécialiste,
et comme d'habitude, le pouvoir décide d'appliquer une seule partie de l'idée. Un même homme,
Marino Zampini, est alors nommé préfet unique des deux dépôts, mais les fonds ne sont pas déplacés.
Le truc utile, mais pas vraiment. C'est en fait une simple unification administrative,
qui est en plus tempérée par la nomination de deux personnes qui aurons chacun la
main sur un des fond d'archives… bref... Revenons aux français !
Ceux-ci, une fois arrivés à Rome par la force des canons, et après avoir déclaré la République
Romaine, s'intéressent très vite aux archives. Parce que les archives, vous vous souvenez, c'est
l'histoire. Et connaître toute l'histoire d'un territoire qu'on annexe, c'est une bonne idée.
Et là, accrochez-vous, on a un COUP DE THÉÂTRE.
Les français décident de faire de la politique et jouent la rivalité des
responsables administratifs de l'ancienne administration, afin de déstabiliser
l'organisation en place. Pour bien enfoncer le clou, ils refusent même de reconnaître
un autre responsable des archives que Gaetano Marini, l'un des deux co gérants des archives.
Pire encore, le général Laurent de Gouvion-Saint-Cyr confie à Marini la
gestion de la bibliothèque Vaticane. L'homme a désormais tout entre les mains : les archives,
les livres, la confiance de l'occupant. Marini saisit l'occasion pour réaliser le projet de
son prédécesseur. En manipulant la garnison du château saint ange, il parvient à créer
un petit scandale et obtient des français le rapatriement de toutes les archives au Vatican.
En une seule journée, les français, avec l'appui d'un administrateur compétent,
réussissent donc à recoller deux fonds que l'administration romaine n'avait jamais pu réunir
en plusieurs siècles d'existence. Quand c'est une question de papier, on est fort les français !
Suite à ce coup d'éclat, la ville de Rome s'enfonce dans une période de crise. En novembre
1798, les troupes du Royaume de Naples envahissent la ville. Les français, particulièrement
bagarreurs à cette époque, la reprennent un peu plus tard. Les napolitains reviennent l'année
suivante, mais cette fois avec le soutien des anglais, jamais en retard d'un bon coup pour
casser les pieds de leurs voisins. Ils reprennent Rome et c'est la fin de la République Romaine.
Mais que deviennent les Archives, durant tout ce conflit ?
Et bien Gaetano Marini, qui a désormais, grâce aux français, la gestion de TOUTES les archives et de
la bibliothèque, se démène comme un beau diable pour esquiver les demandes, généralement abusives,
des puissances européennes qui passent par Rome. Il se trouve qu'il est excellent à ce jeu, et se
débrouille tant et si bien que lorsque le pape Pie VII est élu, en 1800, il reste l'archiviste des
deux fonds pontificaux qu'il a protégé, ainsi que de la bibliothèque du Vatican. Oui, le fameux Pie
VII, qui va développer avec Napoléon Bonaparte une relation singulière, du kidnapping, puis au sacre.
Oui, il y a eu un kidnapping, je vais y revenir !
Comme toujours avec Rome, le problème tourne autour du fait que le pape joue sur deux
tableaux avec les chefs d'États européens : le temporel d'un côté, le spirituel de l'autre,
en conservant une façade de neutralité. Or, en situation de guerre européenne,
rester neutre est très difficile quand on n'est pas la Suisse. La France,
qui conserve la mainmise sur l'Italie, exige en 1806 que les États pontificaux se rallient
au blocus contre l'Angleterre. Et l'Empereur n'est pas patient.
Le Pape tente de jouer sa partition de souverain au-dessus de la mêlée
et refuse. Les français ripostent par une série de manœuvres diplomatiques
et militaires réduisant la taille et la souveraineté des états pontificaux.
Et puis, brutalement, ils se disent que toute cette comédie pour un état au centre
de l'Italie, c'est trop compliqué. En 1809, ils arrêtent les délicatesses et annexent carrément
le tout ce qui vexe un poil le Vatican. Le Pape excommunie Napoléon Bonaparte,
pour tenter de jouer la carte du spirituel. Mais c'était sans compter la délicatesse de
la diplomatie impériale, exclusivement basée sur l'art de donner des baffes.
Début juillet 1809, un millier d'hommes, sous le commandement d'Etienne Radet,
envahissent le Palais du Quirinal, refuge de Pie VII.
Le général français mène un véritable siège éclair, faisant ouvrir par ses hommes toutes
les portes à coups de haches, jusqu'au cabinet de travail du Pape. Radet arrive donc et,
avec retenue, exige que le Pape rejoigne l'Empereur dans sa lutte contre l'éternel
ennemi qu'est l'Angleterre. Le Pape Pie VII, qui avait définitivement une
classe certaine répond un magistral « Non possiamo, non dobbiamo, non vogliamo ».
En substance " J'peux pas, j'dois pas, j'veux pas". Les français le prennent mal,
même si le général Radet reste un gentilhomme du début à la fin. Donc on monte d'un cran et
les impériaux français ENLÈVENT carrément le Pape ! Comme des narcotrafiquants quoi ! Et puis ils
l'emprisonnent à Savone où le souverain pontife sera détenu, sans libération, jusqu'en 1812.
ET LES ARCHIVES ? Patience, on y arrive.
Rome dépourvue de son Pape, il n'en fallait pas plus pour que les français deviennent des
prédateurs. En 1809, le Traité de Schönbrunn, qui rallie l'Autriche à l'Empire français,
est signé. A peine l'encre avait-elle séché que l'Empereur, toujours très vexé
de l'opposition de Pie VII, décide de frapper un grand coup. Il ordonne au général Miollis,
alors en poste à Rome, d'envoyer l'intégralité des archives pontificales en France.
A noter qu'il n'en était pas à son coup d'essai,
puisque les français s'étaient déjà emparés des archives du Saint Empire, de la Galicie,
du duché de Salzbourg et du Tyrol lors de leur victoire contre l'Autriche. Napoléon
aurait vécu au XXIeme siècle, il aurait ouvert des boosters pokémon sur Youtube.
L'empereur avait le sens des dates. Dans la nuit du 1er janvier 1810 est lancée la saisie
générale et systématique de tous les papiers administratifs et historiques de la ville.
TOUS. Les soldats français ratissent la ville pour s'emparer de tout ce qui touche à l'histoire et à
la gestion du Vatican. En tout, 45848 registres d'archives sont saisis, et emportés dans 1352
caisses. Bien sûr, tout n'y est pas. Mais les fameuses « Archivum Secretum Apostolicum
Vaticanum » en font partie. Les rapports de l'époque font état de leur transfert à Paris,
dans 217 caisses envoyées séparément du reste. Suite à divers trajets, toutes ces archives
sont finalement centralisées à Paris, en 1813. L'ensemble représentait 3239 caisses et pesaient
408 tonnes. Tous ces documents sont d'ailleurs rangés un peu partout sous les colonnades de
l'hôtel de Soubise à Paris, qui est aujourd'hui le siège des Archives Nationales. C'est là que
les archivistes français se sont appliqués à tout ouvrir, tout inventorier et tout décrire.
Suite aux tribulations malheureuse de l'Empire français, qui réussira l'exploit de s'écrouler
deux fois en 10 ans, les archives du Vatican rentrent à Rome en 1817. Pendant 5 ans,
l'administration française aura néanmoins eu le temps de prendre
connaissance de la quasi intégralité des documents historiques conservés
par le Vatican. Ces descriptions ont en partie survécues dans les inventaires
des Archives Nationales, décrivant des archives d'état relativement normales.
On y trouve, les documents administratifs des états pontificaux, des montagnes de courriers,
les bulles pontificales, bref, plein de trucs !
Pour vous donner un exemple du volume et du contenu, le fonds des Nonciatures,
c'est à dire le courrier entre Rome et ses représentants en Europe représente plus de
6000 volumes. Une source particulièrement inestimable sur l'histoire de l'Europe
depuis la fin du Moyen Age, mais rien de bien différent de ce qu'on s'attendrait à trouver dans
les archives d'un état doublé d'une autorité religieuse s'étendant sur tout le continent.
Ce qui fait que les archives des papes ne sont plus secrètes depuis près de 200
ans. Mais il faut avoir le courage de s'y plonger ! On n'y trouve jamais de mystère,
mais il y a toujours des trésors.
Merci à tous d'avoir suivi cet épisode, merci à Pierre-Alexandre Chaize alias
Docteur Bagarre sur Twitch, il est archiviste justement et les papiers,
ça le connaît tout comme les arts martiaux historiques donc je vous encourage à le suivre
là bas ou sur twitter ! On se retrouve bientôt pour un nouvel épisode. Ciao !