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Contes de la Bécasse - Maupassant, EN MER

EN MER

A Henry Céara.

On lisait dernièrement dans les journaux les lignes suivantes :

« BOULOGNE-SUR-MER, 22 janvier. — On nous écrit :

« Un affreux malheur vient de jeter la consternation parmi notre population maritime déjà si éprouvée depuis deux années. Le bateau de pêche commandé par le patron Javel, entrant dans le port, a été jeté à l'Ouest et est venu se briser sur les roches du brise-lames de la jetée.

« Malgré les efforts du bateau de sauvetage et des lignes envoyées au moyen du fusil porte-amarre, quatre hommes et le mousse ont péri.

« Le mauvais temps continue. On craint de nouveaux sinistres. Quel est ce patron Javel ? Est-il le frère du manchot ?

Si le pauvre homme roulé par la vague, et mort peut-être sous les débris de son bateau mis en pièces, est celui auquel je pense, il avait assisté, voici dix-huit ans maintenant, à un autre drame, terrible et simple comme sont toujours ces drames formidables des flots.

Javel aîné était alors patron d'un chalutier.

Le chalutier est le bateau de pêche par excellence. Solide à ne craindre aucun temps, le ventre rond, roulé sans cesse par les lames comme un bouchon, toujours dehors, toujours fouetté par les vents durs et salés de la Manche, il travaille la mer, infatigable, la voile gonflée, traînant par le flanc un grand filet qui racle le fond de l'Océan, et détache et cueille toutes les bêtes endormies dans les roches, les poissons plats collés au sable, les crabes lourds aux pattes crochues, les homards aux moustaches pointues.

Quand la brise est fraîche et la vague courte, le bateau se met à pêcher. Son filet est fixé tout le long d'une grande tige de bois garnie de fer qu'il laisse descendre au moyen de deux câbles glissant sur deux rouleaux aux deux bouts de l'embarcation. Et le bateau, dérivant sous le vent et le courant, tire avec lui cet appareil qui ravage et dévaste le sol de la mer.

Javel avait à son bord son frère cadet, quatre hommes et un mousse. Il était sorti de Boulogne par un beau temps clair pour jeter le chalut.

Or, bientôt le vent s'éleva, et une bourrasque survenant força le chalutier à fuir. Il gagna les côtes d'Angleterre ; mais la mer démontée battait les falaises, se ruait contre la terre, rendait impossible l'entrée des ports. Le petit bateau reprit le large et revint sur les côtes de France. La tempête continuait à faire infranchissables les jetées, enveloppant d'écume, de bruit et de danger tous les abords des refuges.

Le chalutier repartit encore, courant sur le dos des flots, ballotté, secoué, ruisselant, souffleté par des paquets d'eau, mais gaillard, malgré tout, accoutumé à ces gros temps qui le tenaient parfois cinq ou six jours errant entre les deux pays voisins sans pouvoir aborder l'un ou l'autre.

Puis enfin l'ouragan se calma comme il se trouvait en pleine mer, et, bien que la vague fût encore forte, le patron commanda de jeter le chalut.

Donc le grand engin de pêche fut passé par-dessus bord, et deux hommes à l'avant, deux hommes à l'arrière, commencèrent à filer sur les rouleaux les amarres qui le tenaient. Soudain il toucha le fond ; mais une haute lame inclinant le bateau, Javel cadet, qui se trouvait à l'avant et dirigeait la descente du filet, chancela, et son bras se trouva saisi entre la corde un instant détendue par la secousse et le bois où elle glissait. Il fit un effort désespéré, tâchant de l'autre main de soulever l'amarre, mais le chalut traînait déjà et le câble roidi ne céda point.

L'homme crispé par la douleur appela. Tous accoururent. Son frère quitta la barre. Ils se jetèrent sur la corde, s'efforçant de dégager le membre qu'elle broyait. Ce fut en vain. « Faut couper », dit un matelot, et il tira de sa poche un large couteau, qui pouvait, en deux coups, sauver le bras de Javel cadet.

Mais couper, c'était perdre le chalut, et ce chalut valait de l'argent, beaucoup d'argent, quinze cents francs ; et il appartenait à Javel aîné, qui tenait à son avoir.

Il cria, le cœur torturé : « Non, coupe pas, attends, je vas lofer. » Et il courut au gouvernail, mettant toute la barre dessous.

Le bateau n'obéit qu'à peine, paralysé par ce filet qui immobilisait son impulsion, et entraîné d'ailleurs par la force de la dérive et du vent.

Javel cadet s'était laissé tomber sur les genoux, les dents serrées, les yeux hagards. Il ne disait rien. Son frère revint, craignant toujours le couteau d'un marin : « Attends, attends, coupe pas, faut mouiller l'ancre. L'ancre fut mouillée, toute la chaîne filée, puis on se mit à virer au cabestan pour détendre les amarres du chalut. Elles s'amollirent, enfin, et on dégagea le bras inerte, sous la manche de laine ensanglantée.

Javel cadet semblait idiot. On lui retira la vareuse et on vit une chose horrible, une bouillie de chairs dont le sang jaillissait à flots qu'on eût dit poussés par une pompe. Alors l'homme regarda son bras et murmura : « Foutu ».

Puis, comme l'hémorragie faisait une mare sur le pont du bateau, un des matelots cria : « Il va se vider, faut nouer la veine. Alors ils prirent une ficelle, une grosse ficelle brune et goudronnée, et, enlaçant le membre au-dessus de la blessure, ils serrèrent de toute leur force. Les jets de sang s'arrêtaient peu à peu ; ils finirent par cesser tout à fait.

Javel cadet se leva, son bras pendait à son côté. Il le prit de l'autre main, le souleva, le tourna, le secoua. Tout était rompu, les os cassés ; les muscles seuls retenaient ce morceau de son corps. Il le considérait d'un œil morne, réfléchissant. Puis il s'assit sur une voile pliée, et les camarades lui conseillèrent de mouiller sans cesse la blessure pour empêcher le mal noir.

On mit un seau auprès de lui, et, de minute en minute, il puisait dedans au moyen d'un verre, et baignait l'horrible plaie en laissant couler dessus un petit filet d'eau claire.

— Tu serais mieux en bas, lui dit son frère. Il descendit, mais au bout d'une heure il remonta, ne se sentant pas bien tout seul. Et puis, il préférait le grand air. Il se rassit sur sa voile et recommença à bassiner son bras.

La pêche était bonne. Les larges poissons à ventre blanc gisaient à côté de lui, secoués par des spasmes de mort ; il les regardait sans cesser d'arroser ses chairs écrasées.

Comme on allait regagner Boulogne, un nouveau coup de vent se déchaîna ; et le petit bateau recommença sa course folle, bondissant et culbutant, secouant le triste blessé.

La nuit vint. Le temps fut gros jusqu'à l'aurore. Au soleil levant on apercevait de nouveau l'Angleterre, mais, comme la mer était moins dure, on repartit pour la France en louvoyant.

Vers le soir, Javel cadet appela ses camarades et leur montra des traces noires, toute une vilaine apparence de pourriture sur la partie du membre qui ne tenait plus à lui.

Les matelots regardaient, disant leur avis.

« — Ça pourrait bien être le Noir », pensait l'un.

« — Faudrait de l'eau salée là-dessus », déclarait un autre.

On apporta donc de l'eau salée et on en versa sur le mal. Le blessé devint livide, grinça des dents, se tordit un peu ; mais il ne cria pas.

Puis, quand la brûlure se fut calmée : « Donne-moi ton couteau », dit-il à son frère. Le frère tendit son couteau.

« Tiens-moi le bras en l'air, tout drait, tire dessus. On fit ce qu'il demandait.

Alors il se mit à couper lui-même. Il coupait doucement, avec réflexion, tranchant les derniers tendons avec cette lame aiguë, comme un fil de rasoir ; et bientôt il n'eut plus qu'un moignon. Il poussa un profond soupir et déclara. « Fallait ça. J'étais foutu ».

Il semblait soulagé et respirait avec force. Il recommença à verser de l'eau sur le tronçon de membre qui lui restait.

La nuit fut mauvaise encore et on ne put atterrir.

Quand le jour parut, Javel cadet prit son bras détaché et l'examina longuement. La putréfaction se déclarait. Les camarades vinrent aussi l'examiner, et ils se le passaient de main en main, le tâtaient, le retournaient, le flairaient.

Son frère dit : « Faut jeter ça à la mer à c't'heure. Mais Javel cadet se fâcha : « Ah ! mais non, ah ! mais non. J'veux point. C'est à moi, pas vrai, pisque c'est mon bras. Il le reprit et le posa entre ses jambes.

« — Il va pas moins pourrir », dit l'aîné. Alors une idée vint au blessé. Pour conserver le poisson quand on tenait longtemps la mer, on l'empilait en des barils de sel.

Il demanda : « J'pourrions t'y point l'mettre dans la saumure.

« Ça, c'est vrai », déclarèrent les autres.

Alors on vida un des barils, plein déjà de la pêche des jours derniers ; et, tout au fond, on déposa le bras. On versa du sel dessus, puis on replaça, un à un, les poissons.

Un des matelots fit cette plaisanterie : « Pourvu que je l'vendions point à la criée. Et tout le monde rit, hormis les deux Javel.

Le vent soufflait toujours. On louvoya encore en vue de Boulogne jusqu'au lendemain dix heures. Le blessé continuait sans cesse à jeter de l'eau sur sa plaie.

De temps en temps il se levait et marchait d'un bout à l'autre du bateau.

Son frère, qui tenait la barre, le suivait de l'œil en hochant la tête.

On finit par rentrer au port.

Le médecin examina la blessure et la déclara en bonne voie. Il fit un pansement complet et ordonna le repos. Mais Javel ne voulut pas se coucher sans avoir repris son bras, et il retourna bien vite au port pour retrouver le baril qu'il avait marqué d'une croix.

On le vida devant lui et il ressaisit son membre, bien conservé dans la saumure, ridé, rafraîchi. Il l'enveloppa dans une serviette emportée à cette intention, et rentra chez lui.

Sa femme et ses enfants examinèrent longuement ce débris du père, tâtant les doigts, enlevant les brins de sel restés sous les ongles ; puis on fit venir le menuisier qui prit mesure pour un petit cercueil.

Le lendemain l'équipage complet du chalutier suivit l'enterrement du bras détaché. Les deux frères, côte à côte, conduisaient le deuil. Le sacristain de la paroisse tenait le cadavre sous son aisselle.

Javel cadet cessa de naviguer. Il obtint un petit emploi dans le port, et, quand il parlait plus tard de son accident, il confiait tout bas à son auditeur : « Si le frère avait voulu couper le chalut, j'aurais encore mon bras, pour sûr. Mais il était regardant à son bien.


EN MER AT SEA

A Henry Céara.

On lisait dernièrement dans les journaux les lignes suivantes :

« BOULOGNE-SUR-MER, 22 janvier. — On nous écrit :

« Un affreux malheur vient de jeter la consternation parmi notre population maritime déjà si éprouvée depuis deux années. “A terrible misfortune has just thrown consternation among our maritime population, which has already been so tried for two years. “Uma terrível desgraça acaba de lançar consternação à nossa população marítima, que já tanto sofreu durante dois anos. Le bateau de pêche commandé par le patron Javel, entrant dans le port, a été jeté à l’Ouest et est venu se briser sur les roches du brise-lames de la jetée. The fishing boat commanded by the skipper Javel, entering the port, was thrown to the west and came crashing down on the rocks of the breakwater of the pier. O barco pesqueiro comandado pelo capitão Javel, entrando no porto, foi lançado para oeste e veio bater nas pedras do quebra-mar do cais.

« Malgré les efforts du bateau de sauvetage et des lignes envoyées au moyen du fusil porte-amarre, quatre hommes et le mousse ont péri. “Despite the efforts of the rescue boat and the lines sent by means of the line gun, four men and the cabin boy perished. “Apesar dos esforços do barco de resgate e dos cabos enviados com o rifle de amarração, quatro homens e o menino morreram.

« Le mauvais temps continue. On craint de nouveaux sinistres. Quel est ce patron Javel ? Est-il le frère du manchot ? Is he the penguin's brother? Ele é o irmão do pinguim?

Si le pauvre homme roulé par la vague, et mort peut-être sous les débris de son bateau mis en pièces, est celui auquel je pense, il avait assisté, voici dix-huit ans maintenant, à un autre drame, terrible et simple comme sont toujours ces drames formidables des flots. If the poor man rolled over by the wave, and died perhaps under the wreckage of his shattered boat, is the one I am thinking of, he had witnessed, eighteen years ago now, another tragedy, terrible and simple as are always those formidable dramas of the waves.

Javel aîné était alors patron d’un chalutier. The elder Javel was then skipper of a trawler. O ancião do dardo era então o mestre de uma traineira.

Le chalutier est le bateau de pêche par excellence. A traineira é o barco de pesca por excelência. Solide à ne craindre aucun temps, le ventre rond, roulé sans cesse par les lames comme un bouchon, toujours dehors, toujours fouetté par les vents durs et salés de la Manche, il travaille la mer, infatigable, la voile gonflée, traînant par le flanc un grand filet qui racle le fond de l’Océan, et détache et cueille toutes les bêtes endormies dans les roches, les poissons plats collés au sable, les crabes lourds aux pattes crochues, les homards aux moustaches pointues.

Quand la brise est fraîche et la vague courte, le bateau se met à pêcher. Quando a brisa está fresca e as ondas curtas, o barco começa a pescar. Son filet est fixé tout le long d’une grande tige de bois garnie de fer qu’il laisse descendre au moyen de deux câbles glissant sur deux rouleaux aux deux bouts de l’embarcation. His net is fixed along a large wooden rod lined with iron which he lets down by means of two cables sliding on two rollers at the two ends of the boat. A sua rede é fixada ao longo de uma grande haste de madeira forrada a ferro que a deixa descer por meio de dois cabos que deslizam sobre dois rolos em ambas as extremidades do barco. Et le bateau, dérivant sous le vent et le courant, tire avec lui cet appareil qui ravage et dévaste le sol de la mer. And the boat, drifting under the wind and the current, pulls with it this device which ravages and devastates the sea floor. E o barco, à deriva com o vento e a corrente, puxa este dispositivo que devasta e devasta o fundo do mar.

Javel avait à son bord son frère cadet, quatre hommes et un mousse. Javel had on board his younger brother, four men and a ship's boy. Javel tinha a bordo seu irmão mais novo, quatro homens e um menino. Il était sorti de Boulogne par un beau temps clair pour jeter le chalut. Ele havia deixado Boulogne em um dia lindo e claro para lançar a rede de arrasto.

Or, bientôt le vent s’éleva, et une bourrasque survenant força le chalutier à fuir. However, soon the wind rose, and a gust occurring forced the trawler to flee. Il gagna les côtes d’Angleterre ; mais la mer démontée battait les falaises, se ruait contre la terre, rendait impossible l’entrée des ports. Le petit bateau reprit le large et revint sur les côtes de France. La tempête continuait à faire infranchissables les jetées, enveloppant d’écume, de bruit et de danger tous les abords des refuges. The storm continued to make the piers impassable, enveloping in foam, noise and danger all the approaches to the refuges.

Le chalutier repartit encore, courant sur le dos des flots, ballotté, secoué, ruisselant, souffleté par des paquets d’eau, mais gaillard, malgré tout, accoutumé à ces gros temps qui le tenaient parfois cinq ou six jours errant entre les deux pays voisins sans pouvoir aborder l’un ou l’autre. A traineira voltou a arrancar, correndo nas costas das ondas, sacudida, sacudida, gotejando, esbofeteada por molhos de água, mas alegre, apesar de tudo, acostumada a este mau tempo que por vezes o mantinha por cinco ou seis dias a vaguear entre os dois países vizinhos sem poder se aproximar de um ou do outro.

Puis enfin l’ouragan se calma comme il se trouvait en pleine mer, et, bien que la vague fût encore forte, le patron commanda de jeter le chalut.

Donc le grand engin de pêche fut passé par-dessus bord, et deux hommes à l’avant, deux hommes à l’arrière, commencèrent à filer sur les rouleaux les amarres qui le tenaient. So the big fishing gear was thrown overboard, and two men fore, two men aft, began to roll the lines that held it on the rollers. Assim, o grande equipamento de pesca foi passado ao mar e dois homens na proa, dois na popa, começaram a girar nos molinetes das amarras que o seguravam. Soudain il toucha le fond ; mais une haute lame inclinant le bateau, Javel cadet, qui se trouvait à l’avant et dirigeait la descente du filet, chancela, et son bras se trouva saisi entre la corde un instant détendue par la secousse et le bois où elle glissait. Suddenly he hit rock bottom; but a tall wave tilting the boat, Javel cadet, who was in the bow and directed the descent of the net, staggered, and his arm was caught between the rope for a moment relaxed by the jerk and the wood where it slipped. Il fit un effort désespéré, tâchant de l’autre main de soulever l’amarre, mais le chalut traînait déjà et le câble roidi ne céda point.

L’homme crispé par la douleur appela. The man tense with pain called. O homem dolorido gritou. Tous accoururent. Son frère quitta la barre. His brother left the bar. Ils se jetèrent sur la corde, s’efforçant de dégager le membre qu’elle broyait. They threw themselves on the rope, trying to free the member it crushed. Ce fut en vain. « Faut couper », dit un matelot, et il tira de sa poche un large couteau, qui pouvait, en deux coups, sauver le bras de Javel cadet. "You have to cut," said a sailor, and he drew from his pocket a large knife, which could, in two strokes, save Javel junior's arm. "Precisamos cortar", disse um marinheiro, e tirou uma grande faca de seu bolso, que poderia, em dois golpes, salvar o braço de Javel Júnior.

Mais couper, c’était perdre le chalut, et ce chalut valait de l’argent, beaucoup d’argent, quinze cents francs ; et il appartenait à Javel aîné, qui tenait à son avoir. But to cut was to lose the trawl, and that trawl was worth money, a lot of money, fifteen hundred francs; and it belonged to Javel elder, who was keen on having it. Mas cortar era perder a rede, e a rede valia dinheiro, muito dinheiro, mil e quinhentos francos; e pertencia ao ancião Javel, que valorizava suas posses.

Il cria, le cœur torturé : « Non, coupe pas, attends, je vas lofer. Ele gritou, com o coração torturado: "Não, não corte, espere, vou orçar." » Et il courut au gouvernail, mettant toute la barre dessous. And he ran to the helm, putting the whole helm below. E ele correu para o leme, colocando todo o leme abaixo.

Le bateau n’obéit qu’à peine, paralysé par ce filet qui immobilisait son impulsion, et entraîné d’ailleurs par la force de la dérive et du vent. The boat only barely obeyed, paralyzed by this net which immobilized its impulse, and carried along by the force of the drift and the wind. O barco mal obedeceu, paralisado por esta rede que imobilizava o seu impulso, e ainda levado pela força da deriva e do vento.

Javel cadet s’était laissé tomber sur les genoux, les dents serrées, les yeux hagards. O cadete do dardo caiu de joelhos, os dentes cerrados, os olhos desfigurados. Il ne disait rien. Son frère revint, craignant toujours le couteau d’un marin : « Attends, attends, coupe pas, faut mouiller l’ancre. O irmão voltou, ainda temendo a faca de um marinheiro: "Espere, espere, não corte, você tem que largar a âncora." L’ancre fut mouillée, toute la chaîne filée, puis on se mit à virer au cabestan pour détendre les amarres du chalut. A âncora foi lançada, toda a corrente girada, então começamos a virar com o cabrestante para afrouxar as amarras da rede de arrasto. Elles s’amollirent, enfin, et on dégagea le bras inerte, sous la manche de laine ensanglantée. They softened, at last, and the inert arm was freed from under the bloody woolen sleeve.

Javel cadet semblait idiot. Javel cadet seemed silly. On lui retira la vareuse et on vit une chose horrible, une bouillie de chairs dont le sang jaillissait à flots qu’on eût dit poussés par une pompe. They took off his jacket and saw a horrible thing, a mush of flesh from which the blood spurted out in streams that seemed to be pushed by a pump. Alors l’homme regarda son bras et murmura : « Foutu ». Then the man looked at his arm and whispered, "Damn." Então o homem olhou para o braço dele e sussurrou: "Droga".

Puis, comme l’hémorragie faisait une mare sur le pont du bateau, un des matelots cria : « Il va se vider, faut nouer la veine. Então, quando a hemorragia formou uma poça no convés do barco, um dos marinheiros gritou: "Ele vai se esvaziar, temos que amarrar a veia". Alors ils prirent une ficelle, une grosse ficelle brune et goudronnée, et, enlaçant le membre au-dessus de la blessure, ils serrèrent de toute leur force. Les jets de sang s’arrêtaient peu à peu ; ils finirent par cesser tout à fait.

Javel cadet se leva, son bras pendait à son côté. Cadete do dardo se levantou, com o braço pendurado ao lado do corpo. Il le prit de l’autre main, le souleva, le tourna, le secoua. Tout était rompu, les os cassés ; les muscles seuls retenaient ce morceau de son corps. Il le considérait d’un œil morne, réfléchissant. Ele olhou para ele com olhos sombrios e pensativos. Puis il s’assit sur une voile pliée, et les camarades lui conseillèrent de mouiller sans cesse la blessure pour empêcher le mal noir. Then he sat down on a folded sail, and the comrades advised him to constantly wet the wound to prevent black evil.

On mit un seau auprès de lui, et, de minute en minute, il puisait dedans au moyen d’un verre, et baignait l’horrible plaie en laissant couler dessus un petit filet d’eau claire. They placed a bucket near him, and from minute to minute he drew from it with a glass, and bathed the horrible wound, letting a little trickle of clear water run over it. Colocaram um balde perto dele e, de minuto em minuto, ele o sugava por meio de um copo e banhava a horrível ferida, deixando correr um fiozinho de água limpa sobre ela.

— Tu serais mieux en bas, lui dit son frère. "You'd be better off down there," her brother told her. Il descendit, mais au bout d’une heure il remonta, ne se sentant pas bien tout seul. Et puis, il préférait le grand air. Il se rassit sur sa voile et recommença à bassiner son bras. Ele sentou-se na vela e começou a esfregar o braço novamente.

La pêche était bonne. Les larges poissons à ventre blanc gisaient à côté de lui, secoués par des spasmes de mort ; il les regardait sans cesser d’arroser ses chairs écrasées. The large white-bellied fish lay beside him, shaking with spasms of death; he watched them without ceasing to water his crushed flesh. O grande peixe de barriga branca jazia ao lado dele, sacudido pelos espasmos da morte; ele olhou para eles sem parar de regar sua carne esmagada.

Comme on allait regagner Boulogne, un nouveau coup de vent se déchaîna ; et le petit bateau recommença sa course folle, bondissant et culbutant, secouant le triste blessé. Quando estavam para retornar a Boulogne, uma nova rajada de vento irrompeu; e o pequeno barco retomou seu curso louco, saltando e tombando, sacudindo o homem triste ferido.

La nuit vint. Le temps fut gros jusqu’à l’aurore. The weather was rough until dawn. Au soleil levant on apercevait de nouveau l’Angleterre, mais, comme la mer était moins dure, on repartit pour la France en louvoyant. At sunrise we could see England again, but, as the sea was less rough, we set out again for France, tacking. Ao nascer do sol, pudemos ver a Inglaterra novamente, mas, como o mar estava menos violento, partimos novamente para a França enquanto virávamos.

Vers le soir, Javel cadet appela ses camarades et leur montra des traces noires, toute une vilaine apparence de pourriture sur la partie du membre qui ne tenait plus à lui. Towards evening, junior Javel called his comrades and showed them black marks, a whole ugly appearance of rot on the part of the member that no longer held on to him. Ao anoitecer, Javel Junior chamou seus camaradas e mostrou-lhes marcas pretas, toda uma feia aparência de podridão por parte do membro que não lhe pertencia mais.

Les matelots regardaient, disant leur avis.

«  — Ça pourrait bien être le Noir », pensait l’un.

«  — Faudrait de l’eau salée là-dessus », déclarait un autre. "'Would need salt water on that,' said another.

On apporta donc de l’eau salée et on en versa sur le mal. Então eles trouxeram água salgada e derramaram sobre o mal. Le blessé devint livide, grinça des dents, se tordit un peu ; mais il ne cria pas.

Puis, quand la brûlure se fut calmée : « Donne-moi ton couteau », dit-il à son frère. Then, when the burn had subsided: "Give me your knife," he said to his brother. Le frère tendit son couteau.

« Tiens-moi le bras en l’air, tout drait, tire dessus. “Hold my arm up straight, shoot it. "Segure-me o braço no ar, tudo flutua, dispara." On fit ce qu’il demandait. We did what he asked.

Alors il se mit à couper lui-même. Il coupait doucement, avec réflexion, tranchant les derniers tendons avec cette lame aiguë, comme un fil de rasoir ; et bientôt il n’eut plus qu’un moignon. Ele cortou gentilmente, pensativo, cortando os últimos tendões com esta lâmina afiada, como um arame farpado; e logo ele tinha apenas um coto. Il poussa un profond soupir et déclara. « Fallait ça. “It was necessary. J’étais foutu ». I was screwed”. Eu estava ferrado ”.

Il semblait soulagé et respirait avec force. Il recommença à verser de l’eau sur le tronçon de membre qui lui restait.

La nuit fut mauvaise encore et on ne put atterrir. The night was still bad and we could not land.

Quand le jour parut, Javel cadet prit son bras détaché et l’examina longuement. La putréfaction se déclarait. Putrefaction was declared. Les camarades vinrent aussi l’examiner, et ils se le passaient de main en main, le tâtaient, le retournaient, le flairaient. Os camaradas também vieram examiná-lo, e passaram de mão em mão, apalparam, viraram, cheiraram.

Son frère dit : « Faut jeter ça à la mer à c’t’heure. Mais Javel cadet se fâcha : « Ah ! mais non, ah ! mais non. J’veux point. C’est à moi, pas vrai, pisque c’est mon bras. It's mine, isn't it, because it's my arm. Il le reprit et le posa entre ses jambes.

«  — Il va pas moins pourrir », dit l’aîné. "He's going to rot no less," said the eldest. “'Vai apodrecer menos', disse o mais velho. Alors une idée vint au blessé. Pour conserver le poisson quand on tenait longtemps la mer, on l’empilait en des barils de sel.

Il demanda : « J’pourrions t’y point l’mettre dans la saumure.

« Ça, c’est vrai », déclarèrent les autres.

Alors on vida un des barils, plein déjà de la pêche des jours derniers ; et, tout au fond, on déposa le bras. On versa du sel dessus, puis on replaça, un à un, les poissons.

Un des matelots fit cette plaisanterie : « Pourvu que je l’vendions point à la criée. One of the sailors made this joke: "Provided I don't sell it at auction." Um dos marinheiros fez a seguinte piada: "Contanto que eu não venda em leilão". Et tout le monde rit, hormis les deux Javel.

Le vent soufflait toujours. On louvoya encore en vue de Boulogne jusqu’au lendemain dix heures. We still tacked within sight of Boulogne until ten o'clock the next day. Eles dobraram novamente à vista de Boulogne até as dez horas do dia seguinte. Le blessé continuait sans cesse à jeter de l’eau sur sa plaie.

De temps en temps il se levait et marchait d’un bout à l’autre du bateau.

Son frère, qui tenait la barre, le suivait de l’œil en hochant la tête.

On finit par rentrer au port.

Le médecin examina la blessure et la déclara en bonne voie. The doctor examined the wound and declared it to be on track. O médico examinou a ferida e declarou que estava no caminho certo. Il fit un pansement complet et ordonna le repos. Mais Javel ne voulut pas se coucher sans avoir repris son bras, et il retourna bien vite au port pour retrouver le baril qu’il avait marqué d’une croix.

On le vida devant lui et il ressaisit son membre, bien conservé dans la saumure, ridé, rafraîchi. Il l’enveloppa dans une serviette emportée à cette intention, et rentra chez lui.

Sa femme et ses enfants examinèrent longuement ce débris du père, tâtant les doigts, enlevant les brins de sel restés sous les ongles ; puis on fit venir le menuisier qui prit mesure pour un petit cercueil. His wife and children examined this remnant of the father for a long time, feeling his fingers, removing the bits of salt left under his fingernails; then the carpenter was summoned and measured for a small coffin.

Le lendemain l’équipage complet du chalutier suivit l’enterrement du bras détaché. The next day the full crew of the trawler followed the burial of the detached arm. No dia seguinte, toda a tripulação da traineira acompanhou o enterro do braço destacado. Les deux frères, côte à côte, conduisaient le deuil. Le sacristain de la paroisse tenait le cadavre sous son aisselle. O sacristão da paróquia segurou o cadáver sob a axila.

Javel cadet cessa de naviguer. Junior Javel stopped sailing. O cadete do dardo parou de navegar. Il obtint un petit emploi dans le port, et, quand il parlait plus tard de son accident, il confiait tout bas à son auditeur : « Si le frère avait voulu couper le chalut, j’aurais encore mon bras, pour sûr. Ele conseguiu um pequeno emprego no porto e, quando mais tarde falou sobre o acidente, sussurrou para o ouvinte: "Se o irmão quisesse cortar a rede de arrasto, eu ainda teria meu braço, com certeza". Mais il était regardant à son bien. But he was looking out for his own good. Mas ele estava olhando para o seu bem.