×

Używamy ciasteczek, aby ulepszyć LingQ. Odwiedzając stronę wyrażasz zgodę na nasze polityka Cookie.


image

Jules Verne - Vingt mille lieues sous les mers, Partie II; Chapitre 19: LE GULF-STREAM

Partie II; Chapitre 19: LE GULF-STREAM

Cette terrible scène du 20 avril, aucun de nous ne pourra jamais l'oublier. Je l'ai écrite sous l'impression d'une émotion violente. Depuis, j'en ai revu le récit. Je l'ai lu à Conseil et au Canadien. Ils l'ont trouvé exact comme fait, mais insuffisant comme effet. Pour peindre de pareils tableaux, il faudrait la plume du plus illustre de nos poètes, l'auteur des Travailleurs de la Mer. J'ai dit que le capitaine Nemo pleurait en regardant les flots. Sa douleur fut immense. C'était le second compagnon qu'il perdait depuis notre arrivée à bord. Et quelle mort ! Cet ami, écrasé, étouffé, brisé par le formidable bras d'un poulpe, broyé sous ses mandibules de fer, ne devait pas reposer avec ses compagnons dans les paisibles eaux du cimetière de corail ! Pour moi, au milieu de cette lutte, c'était ce cri de désespoir poussé par l'infortuné qui m'avait déchiré le cœur. Ce pauvre Français, oubliant son langage de convention, s'était repris à parler la langue de son pays et de sa mère, pour jeter un suprême appel ! Parmi cet équipage du Nautilus, associé de corps et d'âme au capitaine Nemo, fuyant comme lui le contact des hommes. j'avais donc un compatriote ! Était-il seul à représenter la France dans cette mystérieuse association, évidemment composée d'individus de nationalités diverses ? C'était encore un de ces insolubles problèmes qui se dressaient sans cesse devant mon esprit ! Le capitaine Nemo rentra dans sa chambre, et je ne le vis plus pendant quelque temps. Mais qu'il devait être triste, désespéré, irrésolu, si j'en jugeais par ce navire dont il était l'âme et qui recevait toutes ses impressions ! Le Nautilus ne gardait plus de direction déterminée. Il allait, venait, flottait comme un cadavre au gré des lames. Son hélice avait été dégagée, et cependant, il s'en servait à peine. Il naviguait au hasard. Il ne pouvait s'arracher du théâtre de sa dernière lutte, de cette mer qui avait dévoré l'un des siens ! Dix jours se passèrent ainsi. Ce fut le 1er mai seulement que le Nautilus reprit franchement sa route au nord, après avoir eu connaissance des Lucayes à l'ouvert du canal de Bahama. Nous suivions alors le courant du plus grand fleuve de la mer, qui a ses rives, ses poissons et sa température propres. J'ai nommé le Gulf-Stream. C'est un fleuve, en effet, qui coule librement au milieu de l'Atlantique, et dont les eaux ne se mélangent pas aux eaux océaniennes. C'est un fleuve salé, plus salé que la mer ambiante. Sa profondeur moyenne est de trois mille pieds, sa largeur moyenne de soixante milles. En de certains endroits, son courant marche avec une vitesse de quatre kilomètres à l'heure. L'invariable volume de ses eaux est plus considérable que celui de tous les fleuves du globe. La véritable source du Gulf-Stream, reconnue par le commandant Maury, son point de départ, si l'on veut. est situé dans le golfe de Gascogne. Là, ses eaux, encore faibles de température et de couleur. commencent à se former. Il descend au sud, longe l'Afrique équatoriale, échauffe ses flots aux rayons de la zone torride, traverse l'Atlantique. atteint le cap San-Roque sur la côte brésilienne, et se bifurque en deux branches dont l'une va se saturer encore des chaudes molécules de la mer des Antilles. Alors, le Gulf-Stream, chargé de rétablir l'équilibre entre les températures et de mêler les eaux des tropiques aux eaux boréales, commence son rôle de pondérateur. Chauffé à blanc dans le golfe du Mexique, il s'élève au nord sur les côtes américaines, s'avance jusqu'à Terre-Neuve, dévie sous la poussée du courant froid du détroit de Davis, reprend la route de l'Océan en suivant sur un des grands cercles du globe la ligne loxodromique, se divise en deux bras vers le quarante-troisième degré, dont l'un, aidé par l'alizé du nord-est, revient au Golfe de Gascogne et aux Açores, et dont l'autre, après avoir attiédi les rivages de l'Irlande et de la Norvège, va jusqu'au-delà du Spitzberg, où sa température tombe à quatre degrés, former la mer libre du pôle. C'est sur ce fleuve de l'Océan que le Nautilus naviguait alors. A sa sortie du canal de Bahama, sur quatorze lieues de large, et sur trois cent cinquante mètres de profondeur, le Gulf-Stream marche à raison de huit kilomètres à l'heure. Cette rapidité décroît régulièrement à mesure qu'il s'avance vers le nord, et il faut souhaiter que cette régularité persiste, car, si, comme on a cru le remarquer, sa vitesse et sa direction viennent à se modifier, les climats européens seront soumis à des perturbations dont on ne saurait calculer les conséquences. Vers midi, j'étais sur la plate-forme avec Conseil. Je lui faisais connaître les particularités relatives au Gulf-Stream. Quand mon explication fut terminée, je l'invitai a plonger ses mains dans le courant. Conseil obéit, et fut très étonné de n'éprouver aucune sensation de chaud ni de froid. " Cela vient, lui dis-je, de ce que la température des eaux du Gulf-Stream, en sortant du golfe du Mexique. est peu différente de celle du sang. Ce Gulf-Stream est un vaste calorifère qui permet aux côtes d'Europe de se parer d'une éternelle verdure. Et, s'il faut en croire Maury, la chaleur de ce courant, totalement utilisée. fournirait assez de calorique pour tenir en fusion un fleuve de fer fondu aussi grand que l'Amazone ou le Missouri. " En ce moment, la vitesse du Gulf-Stream était de deux mètres vingt-cinq par seconde. Son courant est tellement distinct de la mer ambiante, que ses eaux comprimées font saillie sur l'Océan et qu'un dénivellement s'opère entre elles et les eaux froides. Sombres d'ailleurs et très riches en matières salines, elles tranchent par leur pur indigo sur les flots verts qui les environnent. Telle est même la netteté de leur ligne de démarcation, que le Nautilus, à la hauteur des Carolines, trancha de son éperon les flots du Gulf-Stream, tandis que son hélice battait encore ceux de l'Océan. Ce courant entraînait avec lui tout un monde d'êtres vivants. Les argonautes, si communs dans la Méditerranée, y voyageaient par troupes nombreuses. Parmi les cartilagineux, les plus remarquables étaient des raies dont la queue très déliée formait à peu près le tiers du corps, et qui figuraient de vastes losanges longs de vingt-cinq pieds ; puis, de petits squales d'un mètre, à tête grande, à museau court et arrondi, à dents pointues disposées sur plusieurs rangs, et dont le corps paraissait couvert d'écailles. Parmi les poissons osseux, je notai des labres-grisons particuliers à ces mers, des spares-synagres dont l'iris brillait comme un feu, des sciènes longues d'un mètre, à large gueule hérissée de petites dents. qui faisaient entendre un léger cri des centronotes-nègres dont j'ai déjà parlé, des coriphènes bleus, relevés d'or et d'argent. des perroquets, vrais arcs-en-ciel de l'Océan. qui peuvent rivaliser de couleur avec les plus beaux oiseaux des tropiques des blémies-bosquiens à tête triangulaire. des rhombes bleuâtres dépourvus d'écailles. des batrachoïdes recouverts d'une bande jaune et transversale qui figure un t grec, des fourmillements de petits gohies-hoc pointillés de taches brunes, des diptérodons à tête argentée et à queue jaune, divers échantillons de salmones, des mugilomores, sveltes de taille. brillant d'un éclat doux, que Lacépède a consacrés à l'aimable compagne de sa vie, enfin un beau poisson, le chevalier-américain, qui, décoré de tous les ordres et chamarré de tous les rubans, fréquente les rivages de cette grande nation où les rubans et les ordres sont si médiocrement estimés. J'ajouterai que, pendant la nuit, les eaux phosphorescentes du Gulf-Stream rivalisaient avec l'éclat électrique de notre fanal, surtout par ces temps orageux qui nous menaçaient fréquemment. Le 8 mai, nous étions encore en travers du cap Hatteras, à la hauteur de la Caroline du Nord. La largeur du Gulf-Stream est là de soixante-quinze milles, et sa profondeur de deux cent dix mètres. Le Nautilus continuait d'errer à l'aventure. Toute surveillance semblait bannie du bord. Je conviendrai que dans ces conditions, une évasion pouvait réussir. En effet, les rivages habités offraient partout de faciles refuges. La mer était incessamment sillonnée de nombreux steamers qui font le service entre New York ou Boston et le golfe du Mexique, et nuit et jour parcourue par ces petites goëlettes chargées du cabotage sur les divers points de la côte américaine. On pouvait espérer d'être recueilli. C'était donc une occasion favorable, malgré les trente milles qui séparaient le Nautilus des côtes de l'Union. Mais une circonstance fâcheuse contrariait absolument les projets du Canadien. Le temps était fort mauvais. Nous approchions de ces parages où les tempêtes sont fréquentes, de cette patrie des trombes et des cyclones, précisément engendrés par le courant du Gulf-Stream. Affronter une mer souvent démontée sur un frêle canot, c'était courir à une perte certaine. Ned Land en convenait lui-même. Aussi rongeait-il son frein, pris d'une furieuse nostalgie que la fuite seule eût pu guérir. " Monsieur, me dit-il ce jour-là, il faut que cela finisse. Je veux en avoir le cœur net. Votre Nemo s'écarte des terres et remonte vers le nord. Mais je vous le déclare j'ai assez du pôle Sud, et je ne le suivrai pas au pôle Nord. - Que faire, Ned, puisqu'une évasion est impraticable en ce moment ? - J'en reviens à mon idée. Il faut parler au capitaine. Vous n'avez rien dit, quand nous étions dans les mers de votre pays. Je veux parler, maintenant que nous sommes dans les mers du mien. Quand je songe qu'avant quelques jours, le Nautilus va se trouver à la hauteur de la Nouvelle-Ecosse, et que là, vers Terre-Neuve, s'ouvre une large baie, que dans cette baie se jette le Saint-Laurent et que le Saint-Laurent, c'est mon fleuve à moi le fleuve de Québec, ma ville natale ; quand je songe à cela, la fureur me monte au visage, mes cheveux se hérissent. Tenez, monsieur, je me jetterai plutôt à la mer ! Je ne resterai pas ici ! J'y étouffe ! " Le Canadien était évidemment à bout de patience. Sa vigoureuse nature ne pouvait s'accommoder de cet emprisonnement prolongé. Sa physionomie s'altérait de jour en jour. Son caractère devenait de plus en plus sombre. Près de sept mois s'étaient écoulés sans que nous eussions eu aucune nouvelle de la terre. De plus, l'isolement du capitaine Nemo, son humeur modifiée, surtout depuis le combat des poulpes, sa taciturnité, tout me faisait apparaître les choses sous un aspect différent. Je ne sentais plus l'enthousiasme des premiers jours. Il fallait être un Flamand comme Conseil pour accepter cette situation, dans ce milieu réservé aux cétacés et autres habitants de la mer. Véritablement, si ce brave garçon, au lieu de poumons avait eu des branchies, je crois qu'il aurait fait un poisson distingué ! " Eh bien, monsieur ? reprit Ned Land, voyant que je ne répondais pas. - Eh bien, Ned, vous voulez que je demande au capitaine Nemo quelles sont ses intentions à notre égard ? - Oui, monsieur. - Et cela, quoiqu'il les ait déjà fait connaître ? - Oui. Je désire être fixé une dernière fois. Parlez pour moi seul, en mon seul nom, si vous voulez. - Mais je le rencontre rarement. Il m'évite même. - C'est une raison de plus pour l'aller voir. - Je l'interrogerai, Ned. - Quand ? demanda le Canadien en insistant. - Quand je le rencontrerai. - Monsieur Aronnax, voulez-vous que j'aille le trouver, moi ? - Non, laissez-moi faire. Demain... - Aujourd'hui, dit Ned Land. - Soit. Aujourd'hui, je le verrai ", répondis-je au Canadien, qui, en agissant lui-même, eût certainement tout compromis. Je restai seul. La demande décidée, je résolus d'en finir immédiatement. J'aime mieux chose faite que chose à faire. Je rentrai dans ma chambre. De là, j'entendis marcher dans celle du capitaine Nemo. Il ne fallait pas laisser échapper cette occasion de le rencontrer. Je frappai à sa porte. Je n'obtins pas de réponse. Je frappai de nouveau, puis je tournai le bouton. La porte s'ouvrit. J'entrai. Le capitaine était là. Courbé sur sa table de travail, il ne m'avait pas entendu. Résolu à ne pas sortir sans l'avoir interrogé, je m'approchai de lui. Il releva la tête brusquement, fronça les sourcils, et me dit d'un ton assez rude : " Vous ici ! Que me voulez-vous ? - Vous parler, capitaine. - Mais je suis occupé, monsieur, je travaille. Cette liberté que je vous laisse de vous isoler, ne puis-je l'avoir pour moi ? " La réception était peu encourageante. Mais j'étais décidé à tout entendre pour tout répondre. " Monsieur, dis-je froidement, j'ai à vous parler d'une affaire qu'il ne m'est pas permis de retarder. - Laquelle, monsieur ? répondit-il ironiquement. Avez-vous fait quelque découverte qui m'ait échappé ? La mer vous a-t-elle livré de nouveaux secrets ? " Nous étions loin de compte. Mais avant que j'eusse répondu, me montrant un manuscrit ouvert sur sa table, il me dit d'un ton plus grave : " Voici, monsieur Aronnax, un manuscrit écrit en plusieurs langues. Il contient le résumé de mes études sur la mer, et, s'il plaît à Dieu, il ne périra pas avec moi. Ce manuscrit, signé de mon nom, complété par l'histoire de ma vie, sera renfermé dans un petit appareil insubmersible. Le dernier survivant de nous tous à bord du Nautilus jettera cet appareil à la mer, et il ira où les flots le porteront. " Le nom de cet homme ! Son histoire écrite par lui-même ! Son mystère serait donc un jour dévoilé ? Mais, en ce moment, je ne vis dans cette communication qu'une entrée en matière. " Capitaine, répondis-je, je ne puis qu'approuver la pensée qui vous fait agir. Il ne faut pas que le fruit de vos études soit perdu. Mais le moyen que vous employez me paraît primitif. Qui sait où les vents pousseront cet appareil, en quelles mains il tombera ? Ne sauriez-vous trouver mieux ? Vous, ou l'un des vôtres ne peut-il... ? - Jamais, monsieur, dit vivement le capitaine en m'interrompant. - Mais moi, mes compagnons, nous sommes prêts à garder ce manuscrit en réserve, et si vous nous rendez la liberté... - La liberté ! fit le capitaine Nemo se levant. - Oui, monsieur, et c'est à ce sujet que je voulais vous interroger. Depuis sept mois nous sommes à votre bord, et je vous demande aujourd'hui, au nom de mes compagnons comme au mien, si votre intention est de nous y garder toujours. - Monsieur Aronnax, dit le capitaine Nemo, je vous répondrai aujourd'hui ce que je vous ai répondu il y a sept mois : Qui entre dans le Nautilus ne doit plus le quitter. C'est l'esclavage même que vous nous imposez. - Donnez-lui le nom qu'il vous plaira. - Mais partout l'esclave garde le droit de recouvrer sa liberté ! Quels que soient les moyens qui s'offrent à lui, il peut les croire bons ! - Ce droit, répondit le capitaine Nemo, qui vous le dénie ? Ai-je jamais pensé à vous enchaîner par un serment ? " Le capitaine me regardait en se croisant les bras. " Monsieur, lui dis-je, revenir une seconde fois sur ce sujet ne serait ni de votre goût ni du mien. Mais puisque nous l'avons entamé, épuisons-le. Je vous le répète, ce n'est pas seulement de ma personne qu'il s'agit. Pour moi l'étude est un secours, une diversion puissante, un entraînement, une passion qui peut me faire tout oublier. Comme vous, je suis homme à vivre ignoré, obscur, dans le fragile espoir de léguer un jour à l'avenir le résultat de mes travaux, au moyen d'un appareil hypothétique confié au hasard des flots et des vents. En un mot, je puis vous admirer, vous suivre sans déplaisir dans un rôle que je comprends sur certains points : mais il est encore d'autres aspects de votre vie qui me la font entrevoir entourée de complications et de mystères auxquels seuls ici, mes compagnons et moi, nous n'avons aucune part. Et même, quand notre cœur a pu battre pour vous, ému par quelques-unes de vos douleurs ou remué par vos actes de génie ou de courage, nous avons dû refouler en nous jusqu'au plus petit témoignage de cette sympathie que fait naître la vue de ce qui est beau et bon, que cela vienne de l'ami ou de l'ennemi. Eh bien, c'est ce sentiment que nous sommes étrangers à tout ce qui vous touche, qui fait de notre position quelque chose d'inacceptable, d'impossible, même pour moi mais d'impossible pour Ned Land surtout. Tout homme, par cela seul qu'il est homme, vaut qu'on songe à lui. Vous êtes-vous demandé ce que l'amour de la liberté, la haine de l'esclavage, pouvaient faire naître de projets de vengeance dans une nature comme celle du Canadien, ce qu'il pouvait penser, tenter, essayer ?... " Je m'étais tu. Le capitaine Nemo se leva. " Que Ned Land pense, tente, essaye tout ce qu'il voudra, que m'importe ? Ce n'est pas moi qui l'ai été chercher ! Ce n'est pas pour mon plaisir que je le garde à mon bord ! Quant à vous, monsieur Aronnax, vous êtes de ceux qui peuvent tout comprendre, même le silence. Je n'ai rien de plus à vous répondre. Que cette première fois où vous venez de traiter ce sujet soit aussi la dernière, car une seconde fois, je ne pourrais même pas vous écouter. " Je me retirai. A compter de ce jour, notre situation fut très tendue. Je rapportai ma conversation à mes deux compagnons. " Nous savons maintenant, dit Ned, qu'il n'y a rien à attendre de cet homme. Le Nautilus se rapproche de Long-Island. Nous fuirons, quel que soit le temps. " Mais le ciel devenait de plus en plus menaçant. Des symptômes d'ouragan se manifestaient. L'atmosphère se faisait blanchâtre et laiteuse. Aux cyrrhus à gerbes déliées succédaient à l'horizon des couches de nimbocumulus. D'autres nuages bas fuyaient rapidement. La mer grossissait et se gonflait en longues houles. Les oiseaux disparaissaient, à l'exception des satanicles, amis des tempêtes. Le baromètre baissait notablement et indiquait dans l'air une extrême tension des vapeurs. Le mélange du storm-glass se décomposait sous l'influence de l'électricité qui saturait l'atmosphère. La lutte des éléments était prochaine. La tempête éclata dans la journée du 18 mai, précisément lorsque le Nautilus flottait à la hauteur de Long-Island, à quelques milles des passes de New York. Je puis décrire cette lutte des éléments, car au lieu de la fuir dans les profondeurs de la mer, le capitaine Nemo, par un inexplicable caprice, voulut la braver à sa surface. Le vent soufflait du sud-ouest, d'abord en grand frais, c'est-à-dire avec une vitesse de quinze mètres à la seconde, qui fut portée à vingt-cinq mètres vers trois heures du soir. C'est le chiffre des tempêtes. Le capitaine Nemo, inébranlable sous les rafales, avait pris place sur la plate-forme. Il s'était amarré à mi-corps pour résister aux vagues monstrueuses qui déferlaient. Je m'y étais hissé et attaché aussi, partageant mon admiration entre cette tempête et cet homme incomparable qui lui tenait tête. La mer démontée était balayée par de grandes loques de nuages qui trempaient dans ses flots. Je ne voyais plus aucune de ces petites lames intermédiaires qui se forment au fond des grands creux. Rien que de longues ondulations fuligineuses, dont la crête ne déferle pas, tant elles sont compactes. Leur hauteur s'accroissait. Elles s'excitaient entre elles. Le Nautilus, tantôt couché sur le côté, tantôt dressé comme un mât, roulait et tanguait épouvantablement. Vers cinq heures, une pluie torrentielle tomba, qui n'abattit ni le vent ni la mer. L'ouragan se déchaîna avec une vitesse de quarante-cinq mètres à la seconde, soit près de quarante lieues à l'heure. C'est dans ces conditions qu'il renverse des maisons, qu'il enfonce des tuiles de toits dans des portes, qu'il rompt des grilles de fer, qu'il déplace des canons de vingt-quatre. Et pourtant le Nautilus, au milieu de la tourmente, justifiait cette parole d'un savant ingénieur : " Il n'y a pas de coque bien construite qui ne puisse défier à la mer ! " Ce n'était pas un roc résistant, que ces lames eussent démoli, c'était un fuseau d'acier, obéissant et mobile, sans gréement, sans mâture, qui bravait impunément leur fureur. Cependant j'examinais attentivement ces vagues déchaînées. Elles mesuraient jusqu'à quinze mètres de hauteur sur une longueur de cent cinquante a cent soixante-quinze mètres, et leur vitesse de propagation. moitié de celle du vent, était de quinze mètres à la seconde. Leur volume et leur puissance s'accroissaient avec la profondeur des eaux. Je compris alors le rôle de ces lames qui emprisonnent l'air dans leurs flancs et le refoulent au fond des mers où elles portent la vie avec l'oxygène. Leur extrême force de pression - on l'a calculée peut s'élever jusqu'à trois mille kilogrammes par pied carré de la surface qu'elles contrebattent. Ce sont de telles lames qui, aux Hébrides, ont déplacé un bloc pesant quatre-vingt-quatre mille livres. Ce sont elles qui, dans la tempête du 23 décembre 1864, après avoir renversé une partie de la ville de Yéddo, au Japon, faisant sept cents kilomètres à l'heure, allèrent se briser le même jour sur les rivages de l'Amérique. L'intensité de la tempête s'accrut avec la nuit. Le baromètre, comme en 1860, à la Réunion, pendant un cyclone, tomba à 710 millimètres. A la chute du jour, je vis passer à l'horizon un grand navire qui luttait péniblement. Il capeyait sous petite vapeur pour se maintenir debout à la lame. Ce devait être un des steamers des lignes de New York à Liverpool ou au Havre. Il disparut bientôt dans l'ombre. A dix heures du soir, le ciel était en feu. L'atmosphère fut zébrée d'éclairs violents. Je ne pouvais en supporter l'éclat, tandis que le capitaine Nemo, les regardant en face, semblait aspirer en lui l'âme de la tempête. Un bruit terrible emplissait les airs, bruit complexe, fait des hurlements des vagues écrasées, des mugissements du vent, des éclats du tonnerre. Le vent sautait à tous les points de l'horizon, et le cyclone, partant de l'est, y revenait en passant par le nord, l'ouest et le sud, en sens inverse des tempêtes tournantes de l'hémisphère austral. Ah ! ce Gulf-Stream ! Il justifiait bien son nom de roi des tempêtes ! C'est lui qui crée ces formidables cyclones par la différence de température des couches d'air superposées a ses courants. A la pluie avait succédé une averse de feu. Les gouttelettes d'eau se changeaient en aigrettes fulminantes. On eût dit que le capitaine Nemo, voulant une mort digne de lui, cherchait à se faire foudroyer. Dans un effroyable mouvement de tangage, le Nautilus dressa en l'air son éperon d'acier, comme la tige d'un paratonnerre, et j'en vis jaillir de longues étincelles. Brisé, à bout de forces, je me coulai à plat ventre vers le panneau. Je l'ouvris et je redescendis au salon. L'orage atteignait alors son maximum d'intensité. Il était impossible de se tenir debout à l'intérieur du Nautilus. Le capitaine Nemo rentra vers minuit. J'entendis les réservoirs se remplir peu à peu, et le Nautilus s'enfonça doucement au-dessous de la surface des flots. Par les vitres ouvertes du salon, je vis de grands poissons effarés qui passaient comme des fantômes dans les eaux en feu. Quelques-uns furent foudroyés sous mes yeux ! Le Nautilus descendait toujours. Je pensais qu'il retrouverait le calme à une profondeur de quinze mètres. Non. Les couches supérieures étaient trop violemment agitées. Il fallut aller chercher le repos jusqu'à cinquante mètres dans les entrailles de la mer. Mais là, quelle tranquillité, quel silence, quel milieu paisible ! Qui eût dit qu'un ouragan terrible se déchaînait alors à la surface de cet Océan ?

Partie II; Chapitre 19: LE GULF-STREAM Teil II; Kapitel 19: Der GULF-STREAM Part II; Chapter 19: THE GULF-STREAM Parte II; Capítulo 19: A RASTRO DO GOLFO

Cette terrible scène du 20 avril, aucun de nous ne pourra jamais l'oublier. Je l'ai écrite sous l'impression d'une émotion violente. I wrote it under the impression of a violent emotion. Я написав його під враженням бурхливих емоцій. Depuis, j'en ai revu le récit. Відтоді я переглянув цю історію. Je l'ai lu à Conseil et au Canadien. I read it to Council and the Canadian. Я читав її в Conseil та Le Canadien. Ils l'ont trouvé exact comme fait, mais insuffisant comme effet. They found it accurate as fact, but insufficient as an effect. Pour peindre de pareils tableaux, il faudrait la plume du plus illustre de nos poètes, l'auteur des Travailleurs de la Mer. To paint such pictures, it would require the pen of the most illustrious of our poets, the author of the Workers of the Sea. Щоб намалювати такі картини, знадобилося б перо нашого найвидатнішого поета, автора Les Travailleurs de la Mer. J'ai dit que le capitaine Nemo pleurait en regardant les flots. I said that Captain Nemo was crying while watching the waves. Я сказав, що капітан Немо плакав, дивлячись на хвилі. Sa douleur fut immense. His pain was immense. C'était le second compagnon qu'il perdait depuis notre arrivée à bord. He was the second companion he had lost since we arrived on board. Et quelle mort ! And what a death! Cet ami, écrasé, étouffé, brisé par le formidable bras d'un poulpe, broyé sous ses mandibules de fer, ne devait pas reposer avec ses compagnons dans les paisibles eaux du cimetière de corail ! This friend, crushed, suffocated, broken by the formidable arm of an octopus, crushed under his iron mandibles, was not to rest with his companions in the peaceful waters of the coral cemetery! Pour moi, au milieu de cette lutte, c'était ce cri de désespoir poussé par l'infortuné qui m'avait déchiré le cœur. For me, in the midst of this struggle, it was this cry of despair uttered by the unfortunate man who had torn my heart. Ce pauvre Français, oubliant son langage de convention, s'était repris à parler la langue de son pays et de sa mère, pour jeter un suprême appel ! This poor Frenchman, forgetting his conventional language, had begun again to speak the language of his country and his mother, to throw a supreme appeal! Parmi cet équipage du Nautilus, associé de corps et d'âme au capitaine Nemo, fuyant comme lui le contact des hommes. Among this crew of the Nautilus, associated body and soul with Captain Nemo, fleeing, like him, contact with men. j'avais donc un compatriote ! I therefore had a compatriot! Était-il seul à représenter la France dans cette mystérieuse association, évidemment composée d'individus de nationalités diverses ? Was he the only one to represent France in this mysterious association, obviously made up of individuals of various nationalities? C'était encore un de ces insolubles problèmes qui se dressaient sans cesse devant mon esprit ! It was just one of those unsolvable problems that kept popping up before my mind! Le capitaine Nemo rentra dans sa chambre, et je ne le vis plus pendant quelque temps. Captain Nemo returned to his room, and I did not see him for some time. Mais qu'il devait être triste, désespéré, irrésolu, si j'en jugeais par ce navire dont il était l'âme et qui recevait toutes ses impressions ! But how sad, desperate, irresolute it must have been, if I judged it by this ship of which he was the soul and which received all his impressions! Le Nautilus ne gardait plus de direction déterminée. The Nautilus no longer kept a determined direction. Il allait, venait, flottait comme un cadavre au gré des lames. He came and went, floated like a corpse at the mercy of the waves. Son hélice avait été dégagée, et cependant, il s'en servait à peine. His propeller had been released, and yet he was barely using it. Il naviguait au hasard. He was sailing haphazardly. Il ne pouvait s'arracher du théâtre de sa dernière lutte, de cette mer qui avait dévoré l'un des siens ! He could not tear himself away from the scene of his last struggle, from this sea which had devoured one of his family! Dix jours se passèrent ainsi. Ten days passed thus. Ce fut le 1er mai seulement que le Nautilus reprit franchement sa route au nord, après avoir eu connaissance des Lucayes à l'ouvert du canal de Bahama. It was only on May 1 that the Nautilus frankly resumed its course north, after having learned of the Lucayes at the opening of the Bahama Canal. Nous suivions alors le courant du plus grand fleuve de la mer, qui a ses rives, ses poissons et sa température propres. We were then following the current of the largest river in the sea, which has its own banks, fish and temperature. J'ai nommé le Gulf-Stream. C'est un fleuve, en effet, qui coule librement au milieu de l'Atlantique, et dont les eaux ne se mélangent pas aux eaux océaniennes. It is a river, in fact, which flows freely in the middle of the Atlantic, and whose waters do not mix with Oceanic waters. C'est un fleuve salé, plus salé que la mer ambiante. It is a salty river, saltier than the surrounding sea. Sa profondeur moyenne est de trois mille pieds, sa largeur moyenne de soixante milles. Its average depth is three thousand feet, its average breadth sixty miles. En de certains endroits, son courant marche avec une vitesse de quatre kilomètres à l'heure. In some places its current runs at a speed of four kilometers per hour. L'invariable volume de ses eaux est plus considérable que celui de tous les fleuves du globe. The invariable volume of its waters is greater than that of all the rivers of the globe. La véritable source du Gulf-Stream, reconnue par le commandant Maury, son point de départ, si l'on veut. The true source of the Gulf Stream, recognized by Commander Maury, its point of departure, if you will. est situé dans le golfe de Gascogne. is located in the Bay of Biscay. Là, ses eaux, encore faibles de température et de couleur. There, its waters, still low in temperature and color. commencent à se former. begin to form. Il descend au sud, longe l'Afrique équatoriale, échauffe ses flots aux rayons de la zone torride, traverse l'Atlantique. It descends to the south, skirts equatorial Africa, warms its waves in the rays of the torrid zone, crosses the Atlantic. atteint le cap San-Roque sur la côte brésilienne, et se bifurque en deux branches dont l'une va se saturer encore des chaudes molécules de la mer des Antilles. reaches Cape San-Roque on the Brazilian coast, and branches off into two branches, one of which is still going to saturate itself with the hot molecules of the Caribbean Sea. Alors, le Gulf-Stream, chargé de rétablir l'équilibre entre les températures et de mêler les eaux des tropiques aux eaux boréales, commence son rôle de pondérateur. So the Gulf Stream, responsible for re-establishing the balance between temperatures and mixing the waters of the tropics with boreal waters, begins its weighting role. Chauffé à blanc dans le golfe du Mexique, il s'élève au nord sur les côtes américaines, s'avance jusqu'à Terre-Neuve, dévie sous la poussée du courant froid du détroit de Davis, reprend la route de l'Océan en suivant sur un des grands cercles du globe la ligne loxodromique, se divise en deux bras vers le quarante-troisième degré, dont l'un, aidé par l'alizé du nord-est, revient au Golfe de Gascogne et aux Açores, et dont l'autre, après avoir attiédi les rivages de l'Irlande et de la Norvège, va jusqu'au-delà du Spitzberg, où sa température tombe à quatre degrés, former la mer libre du pôle. White-heated in the Gulf of Mexico, it rises to the north on the American coasts, advances to Newfoundland, deviates under the pressure of the cold current of the Davis Strait, takes again the route of the Ocean in following on one of the great circles of the globe the rhumb line, divides into two arms towards the forty-third degree, one of which, helped by the northeast trade wind, returns to the Bay of Biscay and the Azores, and of which the other, after having warmed the shores of Ireland and Norway, goes beyond Spitsbergen, where its temperature drops to four degrees, to form the Pole Free Sea. C'est sur ce fleuve de l'Océan que le Nautilus naviguait alors. It is on this river of the Ocean that the Nautilus was sailing then. A sa sortie du canal de Bahama, sur quatorze lieues de large, et sur trois cent cinquante mètres de profondeur, le Gulf-Stream marche à raison de huit kilomètres à l'heure. At its exit from the Bahama Canal, fourteen leagues wide and three hundred and fifty meters deep, the Gulf Stream moves at a rate of eight kilometers an hour. Cette rapidité décroît régulièrement à mesure qu'il s'avance vers le nord, et il faut souhaiter que cette régularité persiste, car, si, comme on a cru le remarquer, sa vitesse et sa direction viennent à se modifier, les climats européens seront soumis à des perturbations dont on ne saurait calculer les conséquences. This rapidity decreases steadily as it advances towards the north, and it is to be hoped that this regularity will persist, for, if, as we have thought to notice, its speed and direction change, European climates will be subjected to disturbances whose consequences cannot be calculated. Vers midi, j'étais sur la plate-forme avec Conseil. Je lui faisais connaître les particularités relatives au Gulf-Stream. Quand mon explication fut terminée, je l'invitai a plonger ses mains dans le courant. When my explanation was over, I invited him to put his hands in the current. Conseil obéit, et fut très étonné de n'éprouver aucune sensation de chaud ni de froid. " Conseil obeyed, and was amazed not to experience any sensation of hot or cold. " Cela vient, lui dis-je, de ce que la température des eaux du Gulf-Stream, en sortant du golfe du Mexique. This comes, I told him, from the temperature of the waters of the Gulf Stream, leaving the Gulf of Mexico. est peu différente de celle du sang. is little different from that of blood. Ce Gulf-Stream est un vaste calorifère qui permet aux côtes d'Europe de se parer d'une éternelle verdure. This Gulf-Stream is a vast heater which allows the coasts of Europe to adorn themselves with eternal greenery. Et, s'il faut en croire Maury, la chaleur de ce courant, totalement utilisée. And, if we are to believe Maury, the heat of this current, totally used. fournirait assez de calorique pour tenir en fusion un fleuve de fer fondu aussi grand que l'Amazone ou le Missouri. " would provide enough heat to melt a river of molten iron as big as the Amazon or Missouri. " En ce moment, la vitesse du Gulf-Stream était de deux mètres vingt-cinq par seconde. Son courant est tellement distinct de la mer ambiante, que ses eaux comprimées font saillie sur l'Océan et qu'un dénivellement s'opère entre elles et les eaux froides. Sombres d'ailleurs et très riches en matières salines, elles tranchent par leur pur indigo sur les flots verts qui les environnent. Dark elsewhere and very rich in saline matter, they stand out with their pure indigo on the green waves that surround them. Telle est même la netteté de leur ligne de démarcation, que le Nautilus, à la hauteur des Carolines, trancha de son éperon les flots du Gulf-Stream, tandis que son hélice battait encore ceux de l'Océan. Such is even the clearness of their line of demarcation that the Nautilus, at the height of the Carolinas, cut off the waves of the Gulf Stream with its spur, while its propeller still beat those of the ocean. Ce courant entraînait avec lui tout un monde d'êtres vivants. This current carried with it a whole world of living beings. Les argonautes, si communs dans la Méditerranée, y voyageaient par troupes nombreuses. Argonauts, so common in the Mediterranean, traveled there in large troops. Parmi les cartilagineux, les plus remarquables étaient des raies dont la queue très déliée formait à peu près le tiers du corps, et qui figuraient de vastes losanges longs de vingt-cinq pieds ; puis, de petits squales d'un mètre, à tête grande, à museau court et arrondi, à dents pointues disposées sur plusieurs rangs, et dont le corps paraissait couvert d'écailles. Among the cartilaginous, the most remarkable were rays, the very fine tail of which formed about a third of the body, and which represented vast diamonds twenty-five feet long; then, small sharks of a meter, with large heads, short rounded snouts, pointed teeth arranged in several rows, and the body of which appeared covered with scales. Parmi les poissons osseux, je notai des labres-grisons particuliers à ces mers, des spares-synagres dont l'iris brillait comme un feu, des sciènes longues d'un mètre, à large gueule hérissée de petites dents. Among the bony fishes, I noticed wrasse-grisons peculiar to these seas, spars-synagres whose irises shone like fire, sciènes a meter long, with wide mouths bristling with small teeth. qui faisaient entendre un léger cri des centronotes-nègres dont j'ai déjà parlé, des coriphènes bleus, relevés d'or et d'argent. which gave out a slight cry of the centronotes-negroes of whom I have already spoken, of the blue coriphenes, raised with gold and silver. des perroquets, vrais arcs-en-ciel de l'Océan. parrots, real rainbows of the ocean. qui peuvent rivaliser de couleur avec les plus beaux oiseaux des tropiques des blémies-bosquiens à tête triangulaire. which can compete in color with the most beautiful birds of the tropics of the Triangular-headed Blemia-Boskos. des rhombes bleuâtres dépourvus d'écailles. bluish rhombs devoid of scales. des batrachoïdes recouverts d'une bande jaune et transversale qui figure un t grec, des fourmillements de petits gohies-hoc pointillés de taches brunes, des diptérodons à tête argentée et à queue jaune, divers échantillons de salmones, des mugilomores, sveltes de taille. brillant d'un éclat doux, que Lacépède a consacrés à l'aimable compagne de sa vie, enfin un beau poisson, le chevalier-américain, qui, décoré de tous les ordres et chamarré de tous les rubans, fréquente les rivages de cette grande nation où les rubans et les ordres sont si médiocrement estimés. J'ajouterai que, pendant la nuit, les eaux phosphorescentes du Gulf-Stream rivalisaient avec l'éclat électrique de notre fanal, surtout par ces temps orageux qui nous menaçaient fréquemment. I will add that, during the night, the phosphorescent waters of the Gulf Stream rivaled the electric brilliance of our beacon, especially in these stormy weathers which threatened us frequently. Le 8 mai, nous étions encore en travers du cap Hatteras, à la hauteur de la Caroline du Nord. La largeur du Gulf-Stream est là de soixante-quinze milles, et sa profondeur de deux cent dix mètres. The breadth of the Gulf Stream is seventy-five miles there, and its depth two hundred and ten meters. Le Nautilus continuait d'errer à l'aventure. The Nautilus continued to wander about. Toute surveillance semblait bannie du bord. All surveillance seemed banished from the edge. Je conviendrai que dans ces conditions, une évasion pouvait réussir. Ich stimme zu, dass unter diesen Umständen eine Flucht gelingen konnte. I will agree that under these conditions an escape could succeed. En effet, les rivages habités offraient partout de faciles refuges. In fact, inhabited shores everywhere offered easy refuges. La mer était incessamment sillonnée de nombreux steamers qui font le service entre New York ou Boston et le golfe du Mexique, et nuit et jour parcourue par ces petites goëlettes chargées du cabotage sur les divers points de la côte américaine. The sea was constantly crisscrossed by numerous steamers which serve between New York or Boston and the Gulf of Mexico, and night and day traveled by these small schooners responsible for coastal traffic on the various points of the American coast. On pouvait espérer d'être recueilli. We could hope to be collected. C'était donc une occasion favorable, malgré les trente milles qui séparaient le Nautilus des côtes de l'Union. It was therefore a favorable occasion, in spite of the thirty miles which separated the Nautilus from the coasts of the Union. Mais une circonstance fâcheuse contrariait absolument les projets du Canadien. But an unfortunate circumstance absolutely thwarted the plans of the Canadian. Le temps était fort mauvais. The weather was very bad. Nous approchions de ces parages où les tempêtes sont fréquentes, de cette patrie des trombes et des cyclones, précisément engendrés par le courant du Gulf-Stream. We were approaching these areas where storms are frequent, this homeland of waterspouts and cyclones, precisely generated by the current of the Gulf Stream. Affronter une mer souvent démontée sur un frêle canot, c'était courir à une perte certaine. To face the often rough seas on a frail canoe was to run into certain loss. Ned Land en convenait lui-même. Ned Land himself agreed. Aussi rongeait-il son frein, pris d'une furieuse nostalgie que la fuite seule eût pu guérir. " Deshalb nagte er an seiner Bremse, gepackt von einer rasenden Sehnsucht, die nur durch die Flucht hätte geheilt werden können. " So he was chomping at the bit, seized with a furious nostalgia that flight alone could have healed. " Monsieur, me dit-il ce jour-là, il faut que cela finisse. Sir, he said to me that day, this must end. Je veux en avoir le cœur net. Ich möchte mir Klarheit verschaffen. I want to be clear about it. Votre Nemo s'écarte des terres et remonte vers le nord. Your Nemo moves out of the land and goes north. Mais je vous le déclare j'ai assez du pôle Sud, et je ne le suivrai pas au pôle Nord. But I tell you I have enough of the South Pole, and I will not follow it to the North Pole. - Que faire, Ned, puisqu'une évasion est impraticable en ce moment ? - What to do, Ned, since an escape is impracticable at the moment? - J'en reviens à mon idée. - I come back to my idea. Il faut parler au capitaine. We have to talk to the captain. Vous n'avez rien dit, quand nous étions dans les mers de votre pays. You didn't say anything when we were in the seas of your country. Je veux parler, maintenant que nous sommes dans les mers du mien. I want to speak, now that we are in the seas of mine. Quand je songe qu'avant quelques jours, le Nautilus va se trouver à la hauteur de la Nouvelle-Ecosse, et que là, vers Terre-Neuve, s'ouvre une large baie, que dans cette baie se jette le Saint-Laurent et que le Saint-Laurent, c'est mon fleuve à moi le fleuve de Québec, ma ville natale ; quand je songe à cela, la fureur me monte au visage, mes cheveux se hérissent. Wenn ich daran denke, dass die Nautilus in wenigen Tagen auf der Höhe von Neuschottland sein wird und dass sich dort, in Richtung Neufundland, eine breite Bucht öffnet, dass in diese Bucht der Sankt-Lorenz-Strom mündet und dass der Sankt-Lorenz-Strom mein eigener Fluss ist, der Fluss von Québec, meiner Heimatstadt; wenn ich daran denke, steigt mir die Wut ins Gesicht, meine Haare sträuben sich. When I think that before a few days, the Nautilus will be at the height of Nova Scotia, and that there, towards Newfoundland, a large bay opens, that in this bay flows the St.Lawrence and that the St. Lawrence is my river, the river of Quebec, my hometown; when I think about it, anger rises in my face, my hair stands on end. Tenez, monsieur, je me jetterai plutôt à la mer ! Here, sir, I will rather throw myself into the sea! Je ne resterai pas ici ! I will not stay here! J'y étouffe ! " I'm suffocating there! " Le Canadien était évidemment à bout de patience. Sa vigoureuse nature ne pouvait s'accommoder de cet emprisonnement prolongé. His vigorous nature could not accommodate this prolonged imprisonment. Sa physionomie s'altérait de jour en jour. His physiognomy changed from day to day. Son caractère devenait de plus en plus sombre. His character grew darker and darker. Près de sept mois s'étaient écoulés sans que nous eussions eu aucune nouvelle de la terre. Nearly seven months had passed without any news from the land. De plus, l'isolement du capitaine Nemo, son humeur modifiée, surtout depuis le combat des poulpes, sa taciturnité, tout me faisait apparaître les choses sous un aspect différent. Besides, Captain Nemo's isolation, his changed mood, especially since the octopus fight, his taciturnity, everything made things look different to me. Je ne sentais plus l'enthousiasme des premiers jours. I no longer felt the enthusiasm of the first days. Il fallait être un Flamand comme Conseil pour accepter cette situation, dans ce milieu réservé aux cétacés et autres habitants de la mer. You had to be a Flemish Councilor to accept this situation, in this environment reserved for cetaceans and other inhabitants of the sea. Véritablement, si ce brave garçon, au lieu de poumons avait eu des branchies, je crois qu'il aurait fait un poisson distingué ! " Truly, if this good fellow, instead of lungs had had gills, I believe he would have made a distinguished fish! " Eh bien, monsieur ? reprit Ned Land, voyant que je ne répondais pas. - Eh bien, Ned, vous voulez que je demande au capitaine Nemo quelles sont ses intentions à notre égard ? - Well, Ned, you want me to ask Captain Nemo what are his intentions towards us? - Oui, monsieur. - Yes sir. - Et cela, quoiqu'il les ait déjà fait connaître ? - And that, although he has already made them known? - Oui. - Yes. Je désire être fixé une dernière fois. I want to be fixed one last time. Parlez pour moi seul, en mon seul nom, si vous voulez. Speak for me alone, in my name alone, if you will. - Mais je le rencontre rarement. - But I rarely meet him. Il m'évite même. He even avoids me. - C'est une raison de plus pour l'aller voir. - That's one more reason to go see him. - Je l'interrogerai, Ned. - I'll question him, Ned. - Quand ? - When? demanda le Canadien en insistant. asked the Canadian insisting. - Quand je le rencontrerai. - When I meet him. - Monsieur Aronnax, voulez-vous que j'aille le trouver, moi ? - Monsieur Aronnax, do you want me to go find him? - Non, laissez-moi faire. - No, let me do it. Demain... - Aujourd'hui, dit Ned Land. Tomorrow ... - Today, said Ned Land. - Soit. - Is. Aujourd'hui, je le verrai ", répondis-je au Canadien, qui, en agissant lui-même, eût certainement tout compromis. Today I will see him, "I replied to the Canadian, who, by acting himself, would certainly have compromised everything. Je restai seul. I was left alone. La demande décidée, je résolus d'en finir immédiatement. The request decided, I resolved to end it immediately. J'aime mieux chose faite que chose à faire. I prefer a thing done than a thing to do. Je rentrai dans ma chambre. I went back to my room. De là, j'entendis marcher dans celle du capitaine Nemo. From there I heard Captain Nemo's walk in. Il ne fallait pas laisser échapper cette occasion de le rencontrer. This opportunity to meet him should not be missed. Je frappai à sa porte. I knocked on his door. Je n'obtins pas de réponse. I got no response. Je frappai de nouveau, puis je tournai le bouton. I knocked again, then I turned the knob. La porte s'ouvrit. The door opened. J'entrai. I entered. Le capitaine était là. The captain was there. Courbé sur sa table de travail, il ne m'avait pas entendu. Bent over his desk, he hadn't heard me. Résolu à ne pas sortir sans l'avoir interrogé, je m'approchai de lui. Resolved not to go out without questioning him, I approached him. Il releva la tête brusquement, fronça les sourcils, et me dit d'un ton assez rude : " Vous ici ! He raised his head sharply, frowned, and said to me in a rather harsh tone: "You here! Que me voulez-vous ? What do you want from me ? - Vous parler, capitaine. - Talk to you, Captain. - Mais je suis occupé, monsieur, je travaille. - But I'm busy, sir, I'm working. Cette liberté que je vous laisse de vous isoler, ne puis-je l'avoir pour moi ? " This freedom that I leave you to isolate yourself, cannot I have it for myself? " La réception était peu encourageante. The reception was not very encouraging. Mais j'étais décidé à tout entendre pour tout répondre. " Aber ich war entschlossen, alles zu hören, um alles zu beantworten. " But I was determined to hear everything to answer everything. " Monsieur, dis-je froidement, j'ai à vous parler d'une affaire qu'il ne m'est pas permis de retarder. Sir, I said coldly, I have to speak to you about an affair which I am not permitted to delay. - Laquelle, monsieur ? - Which one, sir? répondit-il ironiquement. he replied ironically. Avez-vous fait quelque découverte qui m'ait échappé ? Have you made any discovery that escaped me? La mer vous a-t-elle livré de nouveaux secrets ? " Has the sea given you new secrets? " Nous étions loin de compte. Wir waren weit davon entfernt, zu zählen. We were far from it. Mais avant que j'eusse répondu, me montrant un manuscrit ouvert sur sa table, il me dit d'un ton plus grave : " Voici, monsieur Aronnax, un manuscrit écrit en plusieurs langues. But before I had answered, showing me an open manuscript on his table, he said to me in a more serious tone: "Here, Monsieur Aronnax, is a manuscript written in several languages. Il contient le résumé de mes études sur la mer, et, s'il plaît à Dieu, il ne périra pas avec moi. It contains the summary of my studies on the sea, and, if it pleases God, it will not perish with me. Ce manuscrit, signé de mon nom, complété par l'histoire de ma vie, sera renfermé dans un petit appareil insubmersible. This manuscript, signed with my name, completed by the story of my life, will be enclosed in a small unsinkable device. Le dernier survivant de nous tous à bord du Nautilus jettera cet appareil à la mer, et il ira où les flots le porteront. " The last survivor of all of us aboard the Nautilus will throw this device into the sea, and it will go where the waves take it. " Le nom de cet homme ! The name of this man! Son histoire écrite par lui-même ! Son mystère serait donc un jour dévoilé ? So its mystery would one day be unveiled? Mais, en ce moment, je ne vis dans cette communication qu'une entrée en matière. " But, at the moment, I am only seeing this communication as an introduction. " Capitaine, répondis-je, je ne puis qu'approuver la pensée qui vous fait agir. Captain, I replied, I can only approve of the thought that prompts you to act. Il ne faut pas que le fruit de vos études soit perdu. The fruit of your studies must not be lost. Mais le moyen que vous employez me paraît primitif. But the means you use seem primitive to me. Qui sait où les vents pousseront cet appareil, en quelles mains il tombera ? Who knows where the winds will push this device, into what hands it will fall? Ne sauriez-vous trouver mieux ? Could you not find better? Vous, ou l'un des vôtres ne peut-il... ? Can't you or one of yours ...? - Jamais, monsieur, dit vivement le capitaine en m'interrompant. "Never, sir," said the captain quickly, interrupting me. - Mais moi, mes compagnons, nous sommes prêts à garder ce manuscrit en réserve, et si vous nous rendez la liberté... - La liberté ! - But I, my companions, we are ready to keep this manuscript in reserve, and if you give us freedom ... - Freedom! fit le capitaine Nemo se levant. said Captain Nemo, standing up. - Oui, monsieur, et c'est à ce sujet que je voulais vous interroger. - Yes, sir, and that's what I wanted to ask you about. Depuis sept mois nous sommes à votre bord, et je vous demande aujourd'hui, au nom de mes compagnons comme au mien, si votre intention est de nous y garder toujours. For seven months we have been on your board, and I ask you today, in the name of my companions as well as mine, if your intention is to keep us there always. - Monsieur Aronnax, dit le capitaine Nemo, je vous répondrai aujourd'hui ce que je vous ai répondu il y a sept mois : Qui entre dans le Nautilus ne doit plus le quitter. "Monsieur Aronnax," said Captain Nemo, "I will answer you today what I answered you seven months ago: Whoever enters the Nautilus must never leave it." C'est l'esclavage même que vous nous imposez. It is the very slavery that you impose on us. - Donnez-lui le nom qu'il vous plaira. - Give it whatever name you like. - Mais partout l'esclave garde le droit de recouvrer sa liberté ! - But everywhere the slave keeps the right to recover his freedom! Quels que soient les moyens qui s'offrent à lui, il peut les croire bons ! Whatever means are available to him, he can believe them to be good! - Ce droit, répondit le capitaine Nemo, qui vous le dénie ? - This right, replied Captain Nemo, who denies you it? Ai-je jamais pensé à vous enchaîner par un serment ? " Have I ever thought of chaining you with an oath? " Le capitaine me regardait en se croisant les bras. " The captain looked at me, crossing his arms. " Monsieur, lui dis-je, revenir une seconde fois sur ce sujet ne serait ni de votre goût ni du mien. Sir, I said to him, to come back to this subject a second time would not be to your liking or mine. Mais puisque nous l'avons entamé, épuisons-le. But since we've started it, let's use it up. Je vous le répète, ce n'est pas seulement de ma personne qu'il s'agit. I repeat, it is not only my person that it is about. Pour moi l'étude est un secours, une diversion puissante, un entraînement, une passion qui peut me faire tout oublier. For me, study is a help, a powerful diversion, a training, a passion that can make me forget everything. Comme vous, je suis homme à vivre ignoré, obscur, dans le fragile espoir de léguer un jour à l'avenir le résultat de mes travaux, au moyen d'un appareil hypothétique confié au hasard des flots et des vents. Like you, I am an unknown, obscure man to live in, in the fragile hope of one day bequeathing the result of my work in the future, by means of a hypothetical device entrusted to the chance of the waves and the winds. En un mot, je puis vous admirer, vous suivre sans déplaisir dans un rôle que je comprends sur certains points : mais il est encore d'autres aspects de votre vie qui me la font entrevoir entourée de complications et de mystères auxquels seuls ici, mes compagnons et moi, nous n'avons aucune part. In short, I can admire you, follow you without displeasure in a role which I understand on certain points: but there are still other aspects of your life which make me glimpse it surrounded by complications and mysteries which only here, my companions and I have no part. Et même, quand notre cœur a pu battre pour vous, ému par quelques-unes de vos douleurs ou remué par vos actes de génie ou de courage, nous avons dû refouler en nous jusqu'au plus petit témoignage de cette sympathie que fait naître la vue de ce qui est beau et bon, que cela vienne de l'ami ou de l'ennemi. And even when our hearts beat for you, moved by some of your pains or moved by your acts of genius or courage, we had to repress in ourselves the smallest testimony of that sympathy view of what is beautiful and good, whether it comes from the friend or the enemy. Eh bien, c'est ce sentiment que nous sommes étrangers à tout ce qui vous touche, qui fait de notre position quelque chose d'inacceptable, d'impossible, même pour moi mais d'impossible pour Ned Land surtout. Well, it is this feeling that we are foreign to everything that touches you, that makes our position something unacceptable, impossible, even for me, but impossible for Ned Land above all. Tout homme, par cela seul qu'il est homme, vaut qu'on songe à lui. Every man, by the sole fact that he is a man, is worth thinking of him. Vous êtes-vous demandé ce que l'amour de la liberté, la haine de l'esclavage, pouvaient faire naître de projets de vengeance dans une nature comme celle du Canadien, ce qu'il pouvait penser, tenter, essayer ?... " Have you wondered what the love of freedom, the hatred of slavery, could give rise to plans for revenge in a nature like that of the Canadian, what he could think, tempt, try? ... " Je m'étais tu. Ich hatte geschwiegen. I was silent. Le capitaine Nemo se leva. " Captain Nemo stood up. " Que Ned Land pense, tente, essaye tout ce qu'il voudra, que m'importe ? Let Ned Land think, try, try whatever he wants, what does that matter to me? Ce n'est pas moi qui l'ai été chercher ! It was not me who went to look for it! Ce n'est pas pour mon plaisir que je le garde à mon bord ! It is not for my pleasure that I keep it on board! Quant à vous, monsieur Aronnax, vous êtes de ceux qui peuvent tout comprendre, même le silence. As for you, Mr. Aronnax, you are one of those who can understand everything, even silence. Je n'ai rien de plus à vous répondre. I have nothing more to answer you. Que cette première fois où vous venez de traiter ce sujet soit aussi la dernière, car une seconde fois, je ne pourrais même pas vous écouter. " May this first time that you have just dealt with this subject also be the last, because a second time, I will not even be able to listen to you. " Je me retirai. I withdrew. A compter de ce jour, notre situation fut très tendue. Von diesem Tag an war unsere Situation sehr angespannt. From that day on, our situation was very tense. Je rapportai ma conversation à mes deux compagnons. " I reported my conversation to my two companions. " Nous savons maintenant, dit Ned, qu'il n'y a rien à attendre de cet homme. We now know, said Ned, that there is nothing to expect from this man. Le Nautilus se rapproche de Long-Island. The Nautilus is approaching Long-Island. Nous fuirons, quel que soit le temps. " Wir werden fliehen, egal wie das Wetter ist. " We will flee, whatever the weather. " Mais le ciel devenait de plus en plus menaçant. But the sky was growing more and more threatening. Des symptômes d'ouragan se manifestaient. Hurricane symptoms were evident. L'atmosphère se faisait blanchâtre et laiteuse. The atmosphere grew whitish and milky. Aux cyrrhus à gerbes déliées succédaient à l'horizon des couches de nimbocumulus. Cyrrhus with loose sheaves succeeded on the horizon layers of nimbocumulus. D'autres nuages bas fuyaient rapidement. Other low clouds were fleeing quickly. La mer grossissait et se gonflait en longues houles. The sea swelled and swelled in long swells. Les oiseaux disparaissaient, à l'exception des satanicles, amis des tempêtes. The birds were disappearing, with the exception of the satanicles, friends of the storms. Le baromètre baissait notablement et indiquait dans l'air une extrême tension des vapeurs. Das Barometer sank merklich und zeigte eine extreme Spannung der Dämpfe in der Luft an. The barometer was dropping noticeably, indicating an extreme vapor pressure in the air. Le mélange du storm-glass se décomposait sous l'influence de l'électricité qui saturait l'atmosphère. The storm glass mixture decomposed under the influence of electricity which saturated the atmosphere. La lutte des éléments était prochaine. The struggle of the elements was near. La tempête éclata dans la journée du 18 mai, précisément lorsque le Nautilus flottait à la hauteur de Long-Island, à quelques milles des passes de New York. The storm broke during the day of May 18, precisely when the Nautilus was floating near Long Island, a few miles from the New York passes. Je puis décrire cette lutte des éléments, car au lieu de la fuir dans les profondeurs de la mer, le capitaine Nemo, par un inexplicable caprice, voulut la braver à sa surface. I can describe this struggle of the elements, because instead of fleeing it into the depths of the sea, Captain Nemo, by an inexplicable whim, wanted to brave it on its surface. Le vent soufflait du sud-ouest, d'abord en grand frais, c'est-à-dire avec une vitesse de quinze mètres à la seconde, qui fut portée à vingt-cinq mètres vers trois heures du soir. The wind was blowing from the south-west, at first very cool, that is to say at a speed of fifteen meters per second, which was increased to twenty-five meters around three in the evening. C'est le chiffre des tempêtes. This is the number of storms. Le capitaine Nemo, inébranlable sous les rafales, avait pris place sur la plate-forme. Captain Nemo, unwavering in the gusts, had taken his place on the platform. Il s'était amarré à mi-corps pour résister aux vagues monstrueuses qui déferlaient. He had moored half-way to resist the monstrous waves that were breaking. Je m'y étais hissé et attaché aussi, partageant mon admiration entre cette tempête et cet homme incomparable qui lui tenait tête. I had climbed into it and attached myself too, dividing my admiration between this storm and this incomparable man who stood up to him. La mer démontée était balayée par de grandes loques de nuages qui trempaient dans ses flots. Das stürmische Meer wurde von großen Wolkenlumpen umspült, die in seine Fluten eintauchten. The stormy sea was swept by great rags of clouds which soaked in its waves. Je ne voyais plus aucune de ces petites lames intermédiaires qui se forment au fond des grands creux. I no longer saw any of these small intermediate blades which form at the bottom of the great hollows. Rien que de longues ondulations fuligineuses, dont la crête ne déferle pas, tant elles sont compactes. Nothing but long sooty undulations, whose crest does not break, so compact are they. Leur hauteur s'accroissait. Elles s'excitaient entre elles. Le Nautilus, tantôt couché sur le côté, tantôt dressé comme un mât, roulait et tanguait épouvantablement. The Nautilus, sometimes lying on its side, sometimes erect like a mast, rolled and pitched frightfully. Vers cinq heures, une pluie torrentielle tomba, qui n'abattit ni le vent ni la mer. At around five o'clock a torrential rain fell, which did not beat down the wind or the sea. L'ouragan se déchaîna avec une vitesse de quarante-cinq mètres à la seconde, soit près de quarante lieues à l'heure. The hurricane raged at a speed of forty-five meters per second, or nearly forty leagues per hour. C'est dans ces conditions qu'il renverse des maisons, qu'il enfonce des tuiles de toits dans des portes, qu'il rompt des grilles de fer, qu'il déplace des canons de vingt-quatre. Unter diesen Umständen stößt er Häuser um, drückt Dachziegel in Türen, zerbricht Eisengitter und bewegt 24er-Kanonen. It was in these conditions that he knocked down houses, drove roof tiles into doors, broke iron gates, and moved twenty-four guns. Et pourtant le Nautilus, au milieu de la tourmente, justifiait cette parole d'un savant ingénieur : " Il n'y a pas de coque bien construite qui ne puisse défier à la mer ! " And yet the Nautilus, in the midst of turmoil, justified the words of a learned engineer: "There is no well built hull that can not defy to the sea!" Ce n'était pas un roc résistant, que ces lames eussent démoli, c'était un fuseau d'acier, obéissant et mobile, sans gréement, sans mâture, qui bravait impunément leur fureur. It was not a rock resistant, that these blades had demolished, it was a steel spindle, obedient and mobile, without rigging, without mast, which braved their fury with impunity. Cependant j'examinais attentivement ces vagues déchaînées. However, I carefully examined these raging waves. Elles mesuraient jusqu'à quinze mètres de hauteur sur une longueur de cent cinquante a cent soixante-quinze mètres, et leur vitesse de propagation. They measured up to fifteen meters in height over a length of one hundred and fifty to one hundred and seventy-five meters, and their speed of propagation. moitié de celle du vent, était de quinze mètres à la seconde. half that of the wind, was fifteen meters per second. Leur volume et leur puissance s'accroissaient avec la profondeur des eaux. Their volume and power increased with the depth of the waters. Je compris alors le rôle de ces lames qui emprisonnent l'air dans leurs flancs et le refoulent au fond des mers où elles portent la vie avec l'oxygène. I then understood the role of these waves which trap the air in their sides and push it back to the bottom of the seas where they carry life with oxygen. Leur extrême force de pression - on l'a calculée peut s'élever jusqu'à trois mille kilogrammes par pied carré de la surface qu'elles contrebattent. Their extreme pressing force - it has been calculated, can amount to three thousand kilograms per square foot of the surface they are counterbalancing. Ce sont de telles lames qui, aux Hébrides, ont déplacé un bloc pesant quatre-vingt-quatre mille livres. It was such blades that in the Hebrides moved a block weighing eighty-four thousand pounds. Ce sont elles qui, dans la tempête du 23 décembre 1864, après avoir renversé une partie de la ville de Yéddo, au Japon, faisant sept cents kilomètres à l'heure, allèrent se briser le même jour sur les rivages de l'Amérique. It was they who, in the storm of December 23, 1864, after having overthrown part of the city of Yéddo, in Japan, making seven hundred kilometers an hour, went to break the same day on the shores of America. L'intensité de la tempête s'accrut avec la nuit. The intensity of the storm increased with the night. Le baromètre, comme en 1860, à la Réunion, pendant un cyclone, tomba à 710 millimètres. The barometer, as in 1860, in Reunion, during a cyclone, fell to 710 millimeters. A la chute du jour, je vis passer à l'horizon un grand navire qui luttait péniblement. At nightfall, I saw a great ship struggling on the horizon. Il capeyait sous petite vapeur pour se maintenir debout à la lame. He capeyait under a little steam to keep himself upright by the blade. Ce devait être un des steamers des lignes de New York à Liverpool ou au Havre. Il disparut bientôt dans l'ombre. He soon disappeared into the shadows. A dix heures du soir, le ciel était en feu. At ten in the evening the sky was on fire. L'atmosphère fut zébrée d'éclairs violents. The atmosphere was streaked with violent lightning. Je ne pouvais en supporter l'éclat, tandis que le capitaine Nemo, les regardant en face, semblait aspirer en lui l'âme de la tempête. I couldn't bear the glare of it, as Captain Nemo, staring them in the face, seemed to suck the soul of the storm into himself. Un bruit terrible emplissait les airs, bruit complexe, fait des hurlements des vagues écrasées, des mugissements du vent, des éclats du tonnerre. A terrible noise filled the air, a complex noise, made of howls of crushed waves, howls of wind, bursts of thunder. Le vent sautait à tous les points de l'horizon, et le cyclone, partant de l'est, y revenait en passant par le nord, l'ouest et le sud, en sens inverse des tempêtes tournantes de l'hémisphère austral. The wind was blowing at all points on the horizon, and the cyclone, starting from the east, returned to it through the north, west and south, opposite to the rotating storms of the southern hemisphere. Ah ! ce Gulf-Stream ! Il justifiait bien son nom de roi des tempêtes ! He justified his name of king of storms! C'est lui qui crée ces formidables cyclones par la différence de température des couches d'air superposées a ses courants. It is he who creates these formidable cyclones by the difference in temperature of the layers of air superimposed on his currents. A la pluie avait succédé une averse de feu. The rain had followed a shower of fire. Les gouttelettes d'eau se changeaient en aigrettes fulminantes. The droplets of water changed into fulminant egrets. On eût dit que le capitaine Nemo, voulant une mort digne de lui, cherchait à se faire foudroyer. One would have said that Captain Nemo, wanting a death worthy of him, was seeking to be struck down. Dans un effroyable mouvement de tangage, le Nautilus dressa en l'air son éperon d'acier, comme la tige d'un paratonnerre, et j'en vis jaillir de longues étincelles. In a frightful pitching motion, the Nautilus raised its steel spur in the air, like the rod of a lightning rod, and I saw long sparks shoot out. Brisé, à bout de forces, je me coulai à plat ventre vers le panneau. Broken, at the end of my strength, I slid face down towards the panel. Je l'ouvris et je redescendis au salon. I opened it and went back down to the living room. L'orage atteignait alors son maximum d'intensité. The storm then reached its maximum intensity. Il était impossible de se tenir debout à l'intérieur du Nautilus. It was impossible to stand inside the Nautilus. Le capitaine Nemo rentra vers minuit. Captain Nemo returned around midnight. J'entendis les réservoirs se remplir peu à peu, et le Nautilus s'enfonça doucement au-dessous de la surface des flots. I heard the reservoirs gradually fill, and the Nautilus sank gently below the surface of the waves. Par les vitres ouvertes du salon, je vis de grands poissons effarés qui passaient comme des fantômes dans les eaux en feu. Through the open windows of the living room, I saw large frightened fish which passed like ghosts in the burning waters. Quelques-uns furent foudroyés sous mes yeux ! Some were struck down before my eyes! Le Nautilus descendait toujours. Je pensais qu'il retrouverait le calme à une profondeur de quinze mètres. I thought he would regain calm at a depth of fifteen meters. Non. Les couches supérieures étaient trop violemment agitées. The upper layers were too violently agitated. Il fallut aller chercher le repos jusqu'à cinquante mètres dans les entrailles de la mer. It was necessary to seek rest up to fifty meters in the bowels of the sea. Mais là, quelle tranquillité, quel silence, quel milieu paisible ! But there, what tranquility, what silence, what peaceful environment! Qui eût dit qu'un ouragan terrible se déchaînait alors à la surface de cet Océan ? Who would have thought that a terrible hurricane was then unleashed on the surface of this ocean?