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Arthur Bernède- Belphégor, 3-5 Où l'on voit le bossu et l'homme à la salopette travailler...

3-5 Où l'on voit le bossu et l'homme à la salopette travailler...

Où l'on voit le bossu et l'homme à la salopette travailler une fois de plus pour Belphégor Vers minuit, l'homme à la salopette descendait de moto devant la masure où nous avons vu s'enfermer l'homme de confiance du baron Papillon. Il s'en fut tout droit tirer le nœud d'une corde qui pendait à travers une étroite ouverture pratiquée au milieu de la porte. Le tintement d'une sonnette fêlée retentit à l'intérieur de la bicoque… Puis, ce fut presque aussitôt un bruit de ferraille retentissant, et l'huis s'entrebâilla… laissant apparaître la tête de Lüchner, qui d'un simple signe, invita son complice à entrer. L'homme à la salopette, tout en tenant à la main sa moto, franchit le seuil, appuya sa machine contre la muraille ; et tandis que le bossu replaçait la chaîne et poussait les verrous, il regarda autour de lui. Il se trouvait dans une sorte d'atelier de mécanicien, uniquement éclairé par une puissante lampe électrique dont un abat-jour concentrait la lumière sur un établi qui supportait un compteur à gaz… et tout un attirail complet de pinces, de tenailles, d'écrous et de clefs anglaises. Tout de suite, l'homme à la salopette reprenait : – Il vient de se passer de graves événements !

– Quoi donc ?

– Jacques Bellegarde est vivant.

– C'est impossible ! – J'en suis sûr. – Allons donc ! Je l'ai vu couler à pic dans l'Oise… et vous avez constaté aussi bien que moi qu'au bout de cinq minutes, il n'avait pas reparu à la surface. – J'ignore comment il a pu se tirer d'affaire… Mais aussi vrai que j'existe – et je n'ai pas eu la berlue – je l'ai vu, il y a deux heures, pénétrer dans l'hôtel de Simone Desroches. « Je n'ai fait ni une ni deux ; j'ai vite couru chez un marchand de vins du voisinage et j'ai téléphoné à la police, près de laquelle je me suis fait passer pour un agent de service dans le quartier, que le gibier qu'elle recherchait se trouvait chez son ancienne amie. « Une demi-heure après, l'inspecteur Ménardier arrivait, en auto, avec quatre « bourres », mais il était trop tard, Bellegarde les avait déjà « mis ». Le bossu mâchonna un juron de colère. Puis il fit rageusement :

– Il faut absolument retrouver sa trace.

– C'est fait, répliquait l'homme à la salopette d'un air triomphant. « Après avoir téléphoné à la police, je me suis empressé de regagner les abords de l'hôtel, et je me suis mis en observation. J'avais peur que Bellegarde ne quittât la maison avant l'arrivée de la rousse… Mais ces messieurs de la préfecture ont vite fait… Moins de vingt minutes après mon coup de téléphone… ils rappliquaient en auto… J'ai attendu un bon moment… Pour moi, il n'y avait pas d'erreur, Ménardier et ses hommes avaient trouvé l'oiseau au nid… Sans doute étaient-ils en train de le cuisiner et, comme j'avais hâte de vous rejoindre, je m'en fus chercher ma moto, que j'avais cachée sous un tas de broussailles, dans le chemin des Lilas. « Mais au moment où je débouchais dans cette ruelle, qu'est-ce que je vois ? Bellegarde qui sautait dans une auto arrêtée juste devant la petite porte du jardin… et je reconnais notre ami Chantecoq qui, de la main, faisait signe au chauffeur de filer.

La voiture a démarré aussitôt et Chantecoq est rentré dans le jardin. Je suis resté là un moment, caché dans l'ombre, puis j'ai enfourché ma machine, et au lieu de chercher à rejoindre l'auto, j'ai filé droit avenue des Ternes. « Après avoir rangé ma moto le long du trottoir, j'ai guetté l'arrivée du véhicule, que j'avais dû certainement devancer… car j'avais marché à un train d'enfer. Je ne m'étais pas trompé dans mes prévisions. Cinq minutes après, une auto franchissait la porte qui donne accès à l'allée de Verzy. La fille de Chantecoq était au volant. Près d'elle, se trouvait Gautrais, le gardien du Louvre que Chantecoq a pris à son service, et j'ai eu le temps de repérer Bellegarde qui, dans l'intérieur de la voiture, semblait ne pas en mener bien large. Alors, je suis venu vous prévenir tout de suite.

– Parfait ! approuvait le bossu.

– Dois-je avertir de nouveau la police que Bellegarde se trouve chez Chantecoq ?

– Non, répliquait Lüchner.

Et, avec un accent sinistre, il martela :

– Nous avons mieux à faire.

Puis, d'un air mystérieux et menaçant, il ajouta : – Demain soir, ils sauteront tous ensemble. Venez voir la petite surprise que je suis en train de leur ménager.

Et, se dirigeant vers l'établi, il s'empara d'une boîte métallique en forme de cube et qui portait à chaque angle de sa face supérieure quatre petites têtes de vis autour desquelles s'enroulaient des fils métalliques de quinze centimètres environ de longueur et reliés ensemble à leur sommet. – Ceci, expliquait Lüchner, est une bombe de mon invention. Elle contient une charge d'explosifs capable de faire sauter une maison de six étages. Avec précaution, il prit la bombe et l'introduisit à l'intérieur du compteur à gaz ; puis il s'empara d'une petite pendulette en forme de réveil qu'il plaça près de la bombe, et il rejoignit l'extrémité du fil métallique à une autre vis placée sur le cadran du réveil… juste à l'endroit d'une aiguille fixée sur la dixième heure. L'homme à la salopette le regardait manipuler cet engin de destruction et de mort. – Grâce à ce mécanisme d'horloge, déclarait Lüchner, la bombe éclatera au moment que j'ai fixé. Son complice observait :

– Encore faudra-t-il que Chantecoq soit chez lui !

Tout en poursuivant sa besogne, le secrétaire du baron Papillon affirma :

– Il y sera !

Et, après avoir refermé le compteur, il s'écria : – Demain soir, à dix heures, poum !

– Monsieur Lüchner, s'écriait l'homme à la salopette, vous êtes l'as des as ! Le lendemain, vers quatre heures de l'après-midi, Chantecoq, suivi de Jacques Bellegarde, de nouveau transformé en Cantarelli, sonnait à la porte de l'hôtel des Papillon… Le concierge s'en vint leur ouvrir assez rapidement… Mais reconnaissant les deux personnages qui s'étaient déjà présentés la veille, il prit aussitôt une mine renfrognée qui exprimait clairement : « Encore vous ! Chantecoq, nullement impressionné par ce peu favorable accueil, fit avec une courtoisie parfaite :

– Monsieur le baron Papillon ?

Le portier répliquait :

– M. le baron et Mme la baronne sont sortis.

– Cependant ! reprenait le détective.

Et prenant dans son portefeuille un pneu qu'il avait reçu dans la matinée, il le tendit au concierge tout en disant : – Veuillez prendre connaissance de ceci.

Le cerbère s'empara du message et lut ce qui suit : M. le baron Papillon fait savoir à M. Chantecoq qu'il le recevra aujourd'hui, jeudi, vers quatre heures. Ces lignes étaient suivies d'une signature absolument illisible. Le portier reprenait, d'un air perplexe : – C'est bien, en effet, l'écriture de M. le secrétaire. Sans doute M. le baron aura-t-il oublié qu'il vous avait donné rendez-vous… car je vous assure qu'il n'est pas là… pas plus que Mme la baronne. « Il y a une heure qu'ils sont partis en auto… Je ne sais même pas s'ils rentreront dîner. – C'est incompréhensible, murmurait le détective. – Que voulez-vous que j'y fasse ? grommelait le concierge.

Chantecoq voulut insister.

Mais le portier lui coupa la parole, en proférant d'un air courroucé : – Puisque je vous dis que M. le baron n'est pas là ! Et il referma la porte au nez des visiteurs.

– C'est bizarre, dit le grand détective au reporter. – En effet… ponctuait le faux Cantarelli.

Mais le grand limier reprenait aussitôt :

– Ne nous frappons pas ! Je vous garantis que, dès demain, je verrai le baron Papillon ; et il faudra bien qu'il me dise d'où vient le grimoire. À la même heure, une voiture à bras traînée par l'homme à la salopette et poussée par le bossu, camouflé en vieil ouvrier plombier, s'arrêtait devant la villa de Chantecoq. L'homme à la salopette s'arrêtait à la porte… Aussitôt, des aboiements de chiens s'élevaient, et Gautrais, fidèle et vigilant gardien, s'avançait et demandait aux arrivants, à travers la grille de clôture : – Qu'est-ce que vous voulez, vous autres ? Lüchner répliquait :

– Nous venons changer le compteur à gaz.

Et, à travers les barreaux, il tendit à Gautrais un papier que le brave garçon lut avec la plus grande attention.

Pandore et Vidocq, dans l'expectative, fixaient leurs yeux ardents sur Gautrais, attendant des ordres. Celui-ci, au bout d'un instant, rendit au bossu le papier qui reproduisait d'une façon rigoureusement exacte la formule ordinairement usitée en pareil cas. Puis, il ajouta, en ouvrant lui-même la porte :

– C'est bon ! vous pouvez entrer.

L'homme à la salopette retourna vers la voiture à bras, chargea le compteur sur son épaule et pénétra dans le jardin, suivi par le bossu, qui portait son sac à outils en bandoulière. Après avoir imposé silence à ses chiens qui commençaient à grogner d'une façon peu rassurante, Gautrais se dirigea vers la fenêtre du jardin qui était ouverte et à travers laquelle on apercevait la silhouette opulente de Marie-Jeanne en train de préparer son dîner. – Marie-Jeanne ! Marie-Jeanne ! appelait Gautrais.

– Qu'est-ce qu'il y a ? répliqua le cordon-bleu, sans quitter son fourneau.

– Viens un peu.

– Et mon bœuf-mode ?

– Viens, te dis-je…

Marie-Jeanne, tout en bougonnant, rejoignit son mari. Celui-ci, tout en lui désignant l'homme à la salopette et le bossu, lui ordonna : – Ces hommes viennent pour changer le compteur. Conduis-les à la cave.

– Et mon bœuf ?

– Tu sais bien que je ne dois pas bouger d'ici. Marie-Jeanne objectait :

– Il y a une panne d'électricité. – Eh bien ! répliquait Gautrais… prends une lanterne.

– Ils ne pouvaient pas venir plus tôt ? fit Marie-Jeanne en rentrant dans la maison.

Un instant après, Marie-Jeanne reparaissait sur le seuil, son falot à la main :

– Venez ! fit-elle d'un ton autoritaire… Et puis dépêchons !… Je n'ai pas envie de laisser brûler mon bœuf-mode… Un bon morceau de viande que le boucher a, tout exprès, découpé pour moi. Tous trois descendirent à la cave.

Marie-Jeanne conduisit les deux hommes jusqu'au compteur… et, pressée de retourner à son fourneau, elle fit : – Je vous laisse ; je vais m'occuper de mon dîner. Et, passant la lanterne au bossu, elle s'empressa de regagner l'escalier. L'homme à la salopette déposa le compteur à terre. Le bossu, tout en s'éclairant avec le falot, examina l'objet qu'il devait remplacer. Puis, rejoignant son compagnon, il lui dit :

– Au travail !

L'homme à la salopette remarquait : – Avec tout ça, la villa va être privée de gaz.

– Ah çà ! fit Lüchner en haussant les épaules, vous me prenez donc pour un enfant !… Je vais brancher la canalisation directement sur la conduite… Tant pis pour la compagnie du gaz si elle y perd quelques mètres… Elle coûte assez cher à ses abonnés.

Et, prenant dans son sac à outils une clef anglaise, il commença à déboulonner le compteur.

Tandis que les complices de Belphégor se livraient à cette sinistre besogne, Chantecoq et Cantarelli rentraient dans la villa.

Chantecoq, en traversant le jardin, lançait à Gautrais :

– Rien de nouveau ?

– Non, monsieur. C'est-à-dire que si. – Quoi donc ?

– Il y a des employés du gaz qui sont venus changer le compteur… Comme ils avaient leurs papiers en règle, je les ai laissés descendre à la cave avec Marie-Jeanne.

– Tu as bien fait !

Le détective et le journaliste rentrèrent dans la maison et se rendirent directement dans le studio où Colette était en train de feuilleter l'histoire du Louvre. À leur vue, elle se leva et s'en fut vers eux. – Rien de nouveau ?

demanda-t-elle avec une expression de vif intérêt.

Chantecoq répondit :

– Non… le baron Papillon n'était pas chez lui. Et, tout de suite, il se dirigea vers son bureau, au milieu duquel une enveloppe à son adresse, mais sans timbre, avait été déposée. Il la décacheta aussitôt… C'était une carte du baron Papillon qui le prévenait qu'obligé de s'absenter tout l'après-midi, pour une affaire imprévue, il prévenait M. Chantecoq qu'il passerait chez lui le même soir, vers dix heures. Chantecoq, le front soucieux, demanda à sa fille :

– Il y a longtemps qu'on a apporté cette lettre ? – Une demi-heure environ.

Silencieusement, le détective passa la carte à Bellegarde, qui la lut à son tour.

– De plus en plus bizarre, n'est-ce pas ?… lançait le grand limier. – En effet !

Chantecoq réfléchit un instant, puis il gagna la fenêtre, et, l'ouvrant, il appela : – Pierre !

À ce moment, l'homme à la salopette qui portait sur son dos le compteur qu'il venait de remplacer, et le bossu, son sac en bandoulière, traversaient le jardin et se dirigeaient vers la sortie. – Pierre !… répéta Chantecoq d'une voix vibrante, car le gardien, occupé à ouvrir la porte aux deux faux « gaziers », n'avait pas entendu le premier appel du détective. Abandonnant les deux personnages, qui s'empressèrent de gagner la rue et de déguerpir avec leur voiture à bras, Gautrais accourut vers son patron, qui lui fit signe de le rejoindre dans le studio. Dès qu'il apparut, le détective, l'œil brillant, les narines dilatées, lui renouvela la question qu'il avait déjà posée à sa fille : – Qui a apporté cette lettre ?

– Je ne sais pas, monsieur… répliquait Gautrais… Je l'ai trouvée sous la porte. – Vous étiez cependant dans le jardin ?

– Oui, monsieur.

– Avec les chiens ?

– Avec les chiens.

– Et comment se fait-il que vous n'ayez rien vu et qu'ils n'aient pas aboyé ? – Pour ce qui est de moi, monsieur, comme je faisais les cent pas, afin de me dégourdir les jambes, il est possible, il est même certain que le type qui a apporté cela aura glissé cette lettre pendant que j'avais le dos tourné. « Quant aux chiens, ils ont fait leur métier… Ils ont hurlé ; c'est ce qui m'a fait me retourner, et c'est alors que j'ai vu l'enveloppe… Les chiens étaient déjà à la porte… debout contre la grille… J'ai regardé au dehors, il n'y avait personne… Alors j'ai pris la lettre et je l'ai remise à Marie-Jeanne, qui a dû la déposer sur le bureau de Monsieur. – Bien… fit Chantecoq, en appuyant sur le bouton d'une sonnerie électrique. Colette allait l'interroger. Mais, d'un geste bref, son père lui imposa silence. Marie-Jeanne venait d'apparaître. Tout de suite, le détective lui demandait :

– C'est vous qui avez accompagné à la cave les hommes qui venaient changer le compteur ? – Oui, monsieur.

– Vous êtes restée avec eux ?

– Rien qu'un petit moment… Je suis remontée à cause de mon bœuf-mode qui était sur le feu. Chantecoq fronça les sourcils.

La bonne Mme Gautrais reprenait :

– J'ai cru que je pouvais le faire sans inconvénient… les employés du gaz sont des gens très bien… Le détective répliquait, d'un air grave : – Oui, quand ce sont les employés du gaz.

Marie-Jeanne, pressentant qu'elle avait fait une lourde gaffe et peut-être pire encore, baissa le nez. – Allons voir cela ! décidait le détective d'un air résolu. Et il ajouta :

– Vous, Pierre, reprenez votre faction, et vous, Marie-Jeanne, accompagnez-moi ; car j'aurai sans doute des questions à vous poser, et il faut que vous soyez là pour me répondre. – L'électricité est revenue, déclarait la commère, navrée à l'idée d'être de nouveau arrachée à ses fourneaux. – Cela ne fait rien !… posait Chantecoq, sur un ton qui n'admettait pas de réplique. – Et mon bœuf ?

– Il cuira sans vous.

– Mais il cuira trop !

– Eh bien ! nous mangerons moins.

Quelques secondes après, Chantecoq, sa fille, le reporter et la cuisinière pénétraient dans la cave. Le détective tourna un commutateur… Une clarté se répandit, très suffisante pour permettre au limier de procéder à ses investigations.

Celui-ci se dirigea tout droit vers le compteur… contre lequel il appuya son oreille.

Et, dans un profond silence, il écouta.

Le très léger tic-tac du réveil parvint à son oreille… Il écouta encore, puis, se tournant vers Jacques, Colette et Marie-Jeanne, il scanda froidement :

– Il y a une bombe, là-dedans.

– Une bombe ! répéta Marie-Jeanne, effrayée.

Et elle se laissa tomber sur une caisse à savons, qui s'effondra sous son poids. Tandis que le reporter l'aidait à se relever, Chantecoq, avec ce merveilleux sang-froid qui ne l'abandonnait jamais, même au cours des situations les plus périlleuses, dit à sa fille : – Va vite me chercher la boîte B, qui se trouve dans mon laboratoire, dans le tiroir de l'armoire numéro 3. La jeune fille obéit aussitôt.

– Mon Dieu ! Mon Dieu ! se lamentait Marie-Jeanne… Pourvu que nous ne sautions pas, pendant ce temps-là !

– Ne dites donc pas de bêtises, proférait Chantecoq… Cette bombe, j'en suis sûr, a été réglée de telle sorte qu'elle ne doit éclater qu'à une heure où celui qui l'a fabriquée est bien sûr que je serai chez moi… c'est-à-dire pendant la nuit. – C'est la logique et l'évidence mêmes, affirmait Bellegarde. Marie-Jeanne reprenait :

– Monsieur Chantecoq, pardonnez-nous, à mon mari et à moi ; je vous assure que Pierre fait pourtant bien attention et moi aussi… On fait tout ce qu'on peut, je vous le jure. « Mais qu'est-ce que vous voulez, poursuivait le cordon-bleu, on ne peut pas penser à tout… Ces bonshommes-là étaient si naturels… Je suis certaine que vous-mêmes, qui êtes le plus malin de tous les malins, vous les auriez pris, comme mon mari et moi, pour des ouvriers du gaz. – Vous dites qu'ils étaient deux ? interrogeait le détective.

– Oui, monsieur.

Un noiraud en salopette bleue… avec une petite moustache et…

– Tiens !… tiens !… fit Jacques.

Marie-Jeanne continuait :

– Et un bossu.

– Un bossu ? répéta le journaliste.

– Qui portait son sac à outils sur son dos…

Chantecoq n'écoutait plus la commère. D'un regard, il interrogeait Bellegarde qui lui répondait aussitôt : – Il n'y a pas l'ombre d'un doute. Ces deux hommes qui ont apporté ici ce compteur sont bien ceux qui ont voulu m'assassiner. Colette reparaissait avec la boîte que son père l'avait envoyée chercher. Elle contenait plusieurs outils… à l'aide desquels, rapidement, le détective démonta le compteur, tout en ayant soin de laisser la canalisation branchée sur le tuyau d'arrivée. – Je m'arrangerai avec la compagnie, fit-il… Car il ne faut pas que cette bonne Marie-Jeanne manque de gaz. Après avoir placé le compteur sur son épaule, il quitta la cave, suivi par Colette, Jacques et Marie-Jeanne, qui avait eu soin de reprendre la boîte à outils.

Il gagna aussitôt son laboratoire… déposa le compteur sur une table et, avec une dextérité remarquable, il dévissa les écrous qui maintenaient la paroi intérieure.

– Vous voyez que j'avais raison, fit-il en désignant à sa fille et au journaliste l'intérieur du compteur où Lüchner, avait déposé la bombe et la pendulette. Et, tout en désignant l'aiguille d'arrêt, il ajouta : – Je ne me suis pas trompé… Belphégor avait bien décidé de nous faire sauter à vingt-deux heures !

Colette, en un geste instinctif, saisit la main de Jacques.

Son père reprenait, en souriant :

– Très ingénieux ce petit appareil.

Et, avec un calme étonnant, en même temps qu'une adresse merveilleuse, il commença à enlever, à l'aide d'une pince, les fils qui reliaient la pendulette à la bombe. Tandis qu'il achevait son délicat travail, Colette reprenait : – Nous l'avons échappé belle ! Jacques s'écriait : – Tout est bien qui finit bien, et nous n'avons plus qu'à attendre la visite du baron Papillon. – Oh ! le baron Papillon… lança Chantecoq, j'ai l'idée que nous ne le verrons pas ce soir. – Pourquoi ? firent simultanément les deux jeunes gens.

Chantecoq ne répondit pas à leur question… Et comme s'il poursuivait uniquement sa pensée, il martela : – Mais demain, il faudra bien qu'il me livre son secret !

3-5 Où l'on voit le bossu et l'homme à la salopette travailler... 3-5 Where we see the hunchback and the man in overalls at work...

Où l'on voit le bossu et l'homme à la salopette travailler une fois de plus pour Belphégor Vers minuit, l'homme à la salopette descendait de moto devant la masure où nous avons vu s'enfermer l'homme de confiance du baron Papillon. Il s'en fut tout droit tirer le nœud d'une corde qui pendait à travers une étroite ouverture pratiquée au milieu de la porte. Le tintement d'une sonnette fêlée retentit à l'intérieur de la bicoque… Puis, ce fut presque aussitôt un bruit de ferraille retentissant, et l'huis s'entrebâilla… laissant apparaître la tête de Lüchner, qui d'un simple signe, invita son complice à entrer. L'homme à la salopette, tout en tenant à la main sa moto, franchit le seuil, appuya sa machine contre la muraille ; et tandis que le bossu replaçait la chaîne et poussait les verrous, il regarda autour de lui. Il se trouvait dans une sorte d'atelier de mécanicien, uniquement éclairé par une puissante lampe électrique dont un abat-jour concentrait la lumière sur un établi qui supportait un compteur à gaz… et tout un attirail complet de pinces, de tenailles, d'écrous et de clefs anglaises. Tout de suite, l'homme à la salopette reprenait : – Il vient de se passer de graves événements !

– Quoi donc ?

– Jacques Bellegarde est vivant.

– C'est impossible ! – J'en suis sûr. – Allons donc ! Je l'ai vu couler à pic dans l'Oise… et vous avez constaté aussi bien que moi qu'au bout de cinq minutes, il n'avait pas reparu à la surface. – J'ignore comment il a pu se tirer d'affaire… Mais aussi vrai que j'existe – et je n'ai pas eu la berlue – je l'ai vu, il y a deux heures, pénétrer dans l'hôtel de Simone Desroches. « Je n'ai fait ni une ni deux ; j'ai vite couru chez un marchand de vins du voisinage et j'ai téléphoné à la police, près de laquelle je me suis fait passer pour un agent de service dans le quartier, que le gibier qu'elle recherchait se trouvait chez son ancienne amie. « Une demi-heure après, l'inspecteur Ménardier arrivait, en auto, avec quatre « bourres », mais il était trop tard, Bellegarde les avait déjà « mis ». Le bossu mâchonna un juron de colère. Puis il fit rageusement :

– Il faut absolument retrouver sa trace.

– C'est fait, répliquait l'homme à la salopette d'un air triomphant. « Après avoir téléphoné à la police, je me suis empressé de regagner les abords de l'hôtel, et je me suis mis en observation. J'avais peur que Bellegarde ne quittât la maison avant l'arrivée de la rousse… Mais ces messieurs de la préfecture ont vite fait… Moins de vingt minutes après mon coup de téléphone… ils rappliquaient en auto… J'ai attendu un bon moment… Pour moi, il n'y avait pas d'erreur, Ménardier et ses hommes avaient trouvé l'oiseau au nid… Sans doute étaient-ils en train de le cuisiner et, comme j'avais hâte de vous rejoindre, je m'en fus chercher ma moto, que j'avais cachée sous un tas de broussailles, dans le chemin des Lilas. « Mais au moment où je débouchais dans cette ruelle, qu'est-ce que je vois ? Bellegarde qui sautait dans une auto arrêtée juste devant la petite porte du jardin… et je reconnais notre ami Chantecoq qui, de la main, faisait signe au chauffeur de filer.

La voiture a démarré aussitôt et Chantecoq est rentré dans le jardin. Je suis resté là un moment, caché dans l'ombre, puis j'ai enfourché ma machine, et au lieu de chercher à rejoindre l'auto, j'ai filé droit avenue des Ternes. « Après avoir rangé ma moto le long du trottoir, j'ai guetté l'arrivée du véhicule, que j'avais dû certainement devancer… car j'avais marché à un train d'enfer. Je ne m'étais pas trompé dans mes prévisions. Cinq minutes après, une auto franchissait la porte qui donne accès à l'allée de Verzy. La fille de Chantecoq était au volant. Près d'elle, se trouvait Gautrais, le gardien du Louvre que Chantecoq a pris à son service, et j'ai eu le temps de repérer Bellegarde qui, dans l'intérieur de la voiture, semblait ne pas en mener bien large. Alors, je suis venu vous prévenir tout de suite.

– Parfait ! approuvait le bossu.

– Dois-je avertir de nouveau la police que Bellegarde se trouve chez Chantecoq ?

– Non, répliquait Lüchner.

Et, avec un accent sinistre, il martela :

– Nous avons mieux à faire.

Puis, d'un air mystérieux et menaçant, il ajouta : – Demain soir, ils sauteront tous ensemble. Venez voir la petite surprise que je suis en train de leur ménager.

Et, se dirigeant vers l'établi, il s'empara d'une boîte métallique en forme de cube et qui portait à chaque angle de sa face supérieure quatre petites têtes de vis autour desquelles s'enroulaient des fils métalliques de quinze centimètres environ de longueur et reliés ensemble à leur sommet. – Ceci, expliquait Lüchner, est une bombe de mon invention. Elle contient une charge d'explosifs capable de faire sauter une maison de six étages. Avec précaution, il prit la bombe et l'introduisit à l'intérieur du compteur à gaz ; puis il s'empara d'une petite pendulette en forme de réveil qu'il plaça près de la bombe, et il rejoignit l'extrémité du fil métallique à une autre vis placée sur le cadran du réveil… juste à l'endroit d'une aiguille fixée sur la dixième heure. L'homme à la salopette le regardait manipuler cet engin de destruction et de mort. – Grâce à ce mécanisme d'horloge, déclarait Lüchner, la bombe éclatera au moment que j'ai fixé. Son complice observait :

– Encore faudra-t-il que Chantecoq soit chez lui !

Tout en poursuivant sa besogne, le secrétaire du baron Papillon affirma :

– Il y sera !

Et, après avoir refermé le compteur, il s'écria : – Demain soir, à dix heures, poum !

– Monsieur Lüchner, s'écriait l'homme à la salopette, vous êtes l'as des as ! Le lendemain, vers quatre heures de l'après-midi, Chantecoq, suivi de Jacques Bellegarde, de nouveau transformé en Cantarelli, sonnait à la porte de l'hôtel des Papillon… Le concierge s'en vint leur ouvrir assez rapidement… Mais reconnaissant les deux personnages qui s'étaient déjà présentés la veille, il prit aussitôt une mine renfrognée qui exprimait clairement : « Encore vous ! Chantecoq, nullement impressionné par ce peu favorable accueil, fit avec une courtoisie parfaite :

– Monsieur le baron Papillon ?

Le portier répliquait :

– M. le baron et Mme la baronne sont sortis.

– Cependant ! reprenait le détective.

Et prenant dans son portefeuille un pneu qu'il avait reçu dans la matinée, il le tendit au concierge tout en disant : – Veuillez prendre connaissance de ceci.

Le cerbère s'empara du message et lut ce qui suit : M. le baron Papillon fait savoir à M. Chantecoq qu'il le recevra aujourd'hui, jeudi, vers quatre heures. Ces lignes étaient suivies d'une signature absolument illisible. Le portier reprenait, d'un air perplexe : – C'est bien, en effet, l'écriture de M. le secrétaire. Sans doute M. le baron aura-t-il oublié qu'il vous avait donné rendez-vous… car je vous assure qu'il n'est pas là… pas plus que Mme la baronne. « Il y a une heure qu'ils sont partis en auto… Je ne sais même pas s'ils rentreront dîner. – C'est incompréhensible, murmurait le détective. – Que voulez-vous que j'y fasse ? grommelait le concierge.

Chantecoq voulut insister.

Mais le portier lui coupa la parole, en proférant d'un air courroucé : – Puisque je vous dis que M. le baron n'est pas là ! Et il referma la porte au nez des visiteurs.

– C'est bizarre, dit le grand détective au reporter. – En effet… ponctuait le faux Cantarelli.

Mais le grand limier reprenait aussitôt :

– Ne nous frappons pas ! Je vous garantis que, dès demain, je verrai le baron Papillon ; et il faudra bien qu'il me dise d'où vient le grimoire. À la même heure, une voiture à bras traînée par l'homme à la salopette et poussée par le bossu, camouflé en vieil ouvrier plombier, s'arrêtait devant la villa de Chantecoq. L'homme à la salopette s'arrêtait à la porte… Aussitôt, des aboiements de chiens s'élevaient, et Gautrais, fidèle et vigilant gardien, s'avançait et demandait aux arrivants, à travers la grille de clôture : – Qu'est-ce que vous voulez, vous autres ? Lüchner répliquait :

– Nous venons changer le compteur à gaz.

Et, à travers les barreaux, il tendit à Gautrais un papier que le brave garçon lut avec la plus grande attention.

Pandore et Vidocq, dans l'expectative, fixaient leurs yeux ardents sur Gautrais, attendant des ordres. Celui-ci, au bout d'un instant, rendit au bossu le papier qui reproduisait d'une façon rigoureusement exacte la formule ordinairement usitée en pareil cas. Puis, il ajouta, en ouvrant lui-même la porte :

– C'est bon ! vous pouvez entrer.

L'homme à la salopette retourna vers la voiture à bras, chargea le compteur sur son épaule et pénétra dans le jardin, suivi par le bossu, qui portait son sac à outils en bandoulière. Après avoir imposé silence à ses chiens qui commençaient à grogner d'une façon peu rassurante, Gautrais se dirigea vers la fenêtre du jardin qui était ouverte et à travers laquelle on apercevait la silhouette opulente de Marie-Jeanne en train de préparer son dîner. – Marie-Jeanne ! Marie-Jeanne ! appelait Gautrais.

– Qu'est-ce qu'il y a ? répliqua le cordon-bleu, sans quitter son fourneau.

– Viens un peu.

– Et mon bœuf-mode ?

– Viens, te dis-je…

Marie-Jeanne, tout en bougonnant, rejoignit son mari. Celui-ci, tout en lui désignant l'homme à la salopette et le bossu, lui ordonna : – Ces hommes viennent pour changer le compteur. Conduis-les à la cave.

– Et mon bœuf ?

– Tu sais bien que je ne dois pas bouger d'ici. Marie-Jeanne objectait :

– Il y a une panne d'électricité. – Eh bien ! répliquait Gautrais… prends une lanterne.

– Ils ne pouvaient pas venir plus tôt ? fit Marie-Jeanne en rentrant dans la maison.

Un instant après, Marie-Jeanne reparaissait sur le seuil, son falot à la main :

– Venez ! fit-elle d'un ton autoritaire… Et puis dépêchons !… Je n'ai pas envie de laisser brûler mon bœuf-mode… Un bon morceau de viande que le boucher a, tout exprès, découpé pour moi. Tous trois descendirent à la cave.

Marie-Jeanne conduisit les deux hommes jusqu'au compteur… et, pressée de retourner à son fourneau, elle fit : – Je vous laisse ; je vais m'occuper de mon dîner. Et, passant la lanterne au bossu, elle s'empressa de regagner l'escalier. L'homme à la salopette déposa le compteur à terre. Le bossu, tout en s'éclairant avec le falot, examina l'objet qu'il devait remplacer. Puis, rejoignant son compagnon, il lui dit :

– Au travail !

L'homme à la salopette remarquait : – Avec tout ça, la villa va être privée de gaz.

– Ah çà ! fit Lüchner en haussant les épaules, vous me prenez donc pour un enfant !… Je vais brancher la canalisation directement sur la conduite… Tant pis pour la compagnie du gaz si elle y perd quelques mètres… Elle coûte assez cher à ses abonnés.

Et, prenant dans son sac à outils une clef anglaise, il commença à déboulonner le compteur.

Tandis que les complices de Belphégor se livraient à cette sinistre besogne, Chantecoq et Cantarelli rentraient dans la villa.

Chantecoq, en traversant le jardin, lançait à Gautrais :

– Rien de nouveau ?

– Non, monsieur. C'est-à-dire que si. – Quoi donc ?

– Il y a des employés du gaz qui sont venus changer le compteur… Comme ils avaient leurs papiers en règle, je les ai laissés descendre à la cave avec Marie-Jeanne.

– Tu as bien fait !

Le détective et le journaliste rentrèrent dans la maison et se rendirent directement dans le studio où Colette était en train de feuilleter l'histoire du Louvre. À leur vue, elle se leva et s'en fut vers eux. – Rien de nouveau ?

demanda-t-elle avec une expression de vif intérêt.

Chantecoq répondit :

– Non… le baron Papillon n'était pas chez lui. Et, tout de suite, il se dirigea vers son bureau, au milieu duquel une enveloppe à son adresse, mais sans timbre, avait été déposée. Il la décacheta aussitôt… C'était une carte du baron Papillon qui le prévenait qu'obligé de s'absenter tout l'après-midi, pour une affaire imprévue, il prévenait M. Chantecoq qu'il passerait chez lui le même soir, vers dix heures. Chantecoq, le front soucieux, demanda à sa fille :

– Il y a longtemps qu'on a apporté cette lettre ? – Une demi-heure environ.

Silencieusement, le détective passa la carte à Bellegarde, qui la lut à son tour.

– De plus en plus bizarre, n'est-ce pas ?… lançait le grand limier. – En effet !

Chantecoq réfléchit un instant, puis il gagna la fenêtre, et, l'ouvrant, il appela : – Pierre !

À ce moment, l'homme à la salopette qui portait sur son dos le compteur qu'il venait de remplacer, et le bossu, son sac en bandoulière, traversaient le jardin et se dirigeaient vers la sortie. – Pierre !… répéta Chantecoq d'une voix vibrante, car le gardien, occupé à ouvrir la porte aux deux faux « gaziers », n'avait pas entendu le premier appel du détective. Abandonnant les deux personnages, qui s'empressèrent de gagner la rue et de déguerpir avec leur voiture à bras, Gautrais accourut vers son patron, qui lui fit signe de le rejoindre dans le studio. Dès qu'il apparut, le détective, l'œil brillant, les narines dilatées, lui renouvela la question qu'il avait déjà posée à sa fille : – Qui a apporté cette lettre ?

– Je ne sais pas, monsieur… répliquait Gautrais… Je l'ai trouvée sous la porte. – Vous étiez cependant dans le jardin ?

– Oui, monsieur.

– Avec les chiens ?

– Avec les chiens.

– Et comment se fait-il que vous n'ayez rien vu et qu'ils n'aient pas aboyé ? – Pour ce qui est de moi, monsieur, comme je faisais les cent pas, afin de me dégourdir les jambes, il est possible, il est même certain que le type qui a apporté cela aura glissé cette lettre pendant que j'avais le dos tourné. « Quant aux chiens, ils ont fait leur métier… Ils ont hurlé ; c'est ce qui m'a fait me retourner, et c'est alors que j'ai vu l'enveloppe… Les chiens étaient déjà à la porte… debout contre la grille… J'ai regardé au dehors, il n'y avait personne… Alors j'ai pris la lettre et je l'ai remise à Marie-Jeanne, qui a dû la déposer sur le bureau de Monsieur. – Bien… fit Chantecoq, en appuyant sur le bouton d'une sonnerie électrique. Colette allait l'interroger. Mais, d'un geste bref, son père lui imposa silence. Marie-Jeanne venait d'apparaître. Tout de suite, le détective lui demandait :

– C'est vous qui avez accompagné à la cave les hommes qui venaient changer le compteur ? – Oui, monsieur.

– Vous êtes restée avec eux ?

– Rien qu'un petit moment… Je suis remontée à cause de mon bœuf-mode qui était sur le feu. Chantecoq fronça les sourcils.

La bonne Mme Gautrais reprenait :

– J'ai cru que je pouvais le faire sans inconvénient… les employés du gaz sont des gens très bien… Le détective répliquait, d'un air grave : – Oui, quand ce sont les employés du gaz.

Marie-Jeanne, pressentant qu'elle avait fait une lourde gaffe et peut-être pire encore, baissa le nez. – Allons voir cela ! décidait le détective d'un air résolu. Et il ajouta :

– Vous, Pierre, reprenez votre faction, et vous, Marie-Jeanne, accompagnez-moi ; car j'aurai sans doute des questions à vous poser, et il faut que vous soyez là pour me répondre. – L'électricité est revenue, déclarait la commère, navrée à l'idée d'être de nouveau arrachée à ses fourneaux. – Cela ne fait rien !… posait Chantecoq, sur un ton qui n'admettait pas de réplique. – Et mon bœuf ?

– Il cuira sans vous.

– Mais il cuira trop !

– Eh bien ! nous mangerons moins.

Quelques secondes après, Chantecoq, sa fille, le reporter et la cuisinière pénétraient dans la cave. Le détective tourna un commutateur… Une clarté se répandit, très suffisante pour permettre au limier de procéder à ses investigations.

Celui-ci se dirigea tout droit vers le compteur… contre lequel il appuya son oreille.

Et, dans un profond silence, il écouta.

Le très léger tic-tac du réveil parvint à son oreille… Il écouta encore, puis, se tournant vers Jacques, Colette et Marie-Jeanne, il scanda froidement :

– Il y a une bombe, là-dedans.

– Une bombe ! répéta Marie-Jeanne, effrayée.

Et elle se laissa tomber sur une caisse à savons, qui s'effondra sous son poids. Tandis que le reporter l'aidait à se relever, Chantecoq, avec ce merveilleux sang-froid qui ne l'abandonnait jamais, même au cours des situations les plus périlleuses, dit à sa fille : – Va vite me chercher la boîte B, qui se trouve dans mon laboratoire, dans le tiroir de l'armoire numéro 3. La jeune fille obéit aussitôt.

– Mon Dieu ! Mon Dieu ! se lamentait Marie-Jeanne… Pourvu que nous ne sautions pas, pendant ce temps-là !

– Ne dites donc pas de bêtises, proférait Chantecoq… Cette bombe, j'en suis sûr, a été réglée de telle sorte qu'elle ne doit éclater qu'à une heure où celui qui l'a fabriquée est bien sûr que je serai chez moi… c'est-à-dire pendant la nuit. – C'est la logique et l'évidence mêmes, affirmait Bellegarde. Marie-Jeanne reprenait :

– Monsieur Chantecoq, pardonnez-nous, à mon mari et à moi ; je vous assure que Pierre fait pourtant bien attention et moi aussi… On fait tout ce qu'on peut, je vous le jure. « Mais qu'est-ce que vous voulez, poursuivait le cordon-bleu, on ne peut pas penser à tout… Ces bonshommes-là étaient si naturels… Je suis certaine que vous-mêmes, qui êtes le plus malin de tous les malins, vous les auriez pris, comme mon mari et moi, pour des ouvriers du gaz. – Vous dites qu'ils étaient deux ? interrogeait le détective.

– Oui, monsieur.

Un noiraud en salopette bleue… avec une petite moustache et…

– Tiens !… tiens !… fit Jacques.

Marie-Jeanne continuait :

– Et un bossu.

– Un bossu ? répéta le journaliste.

– Qui portait son sac à outils sur son dos…

Chantecoq n'écoutait plus la commère. D'un regard, il interrogeait Bellegarde qui lui répondait aussitôt : – Il n'y a pas l'ombre d'un doute. Ces deux hommes qui ont apporté ici ce compteur sont bien ceux qui ont voulu m'assassiner. Colette reparaissait avec la boîte que son père l'avait envoyée chercher. Elle contenait plusieurs outils… à l'aide desquels, rapidement, le détective démonta le compteur, tout en ayant soin de laisser la canalisation branchée sur le tuyau d'arrivée. – Je m'arrangerai avec la compagnie, fit-il… Car il ne faut pas que cette bonne Marie-Jeanne manque de gaz. Après avoir placé le compteur sur son épaule, il quitta la cave, suivi par Colette, Jacques et Marie-Jeanne, qui avait eu soin de reprendre la boîte à outils.

Il gagna aussitôt son laboratoire… déposa le compteur sur une table et, avec une dextérité remarquable, il dévissa les écrous qui maintenaient la paroi intérieure.

– Vous voyez que j'avais raison, fit-il en désignant à sa fille et au journaliste l'intérieur du compteur où Lüchner, avait déposé la bombe et la pendulette. Et, tout en désignant l'aiguille d'arrêt, il ajouta : – Je ne me suis pas trompé… Belphégor avait bien décidé de nous faire sauter à vingt-deux heures !

Colette, en un geste instinctif, saisit la main de Jacques.

Son père reprenait, en souriant :

– Très ingénieux ce petit appareil.

Et, avec un calme étonnant, en même temps qu'une adresse merveilleuse, il commença à enlever, à l'aide d'une pince, les fils qui reliaient la pendulette à la bombe. Tandis qu'il achevait son délicat travail, Colette reprenait : – Nous l'avons échappé belle ! Jacques s'écriait : – Tout est bien qui finit bien, et nous n'avons plus qu'à attendre la visite du baron Papillon. – Oh ! le baron Papillon… lança Chantecoq, j'ai l'idée que nous ne le verrons pas ce soir. – Pourquoi ? firent simultanément les deux jeunes gens.

Chantecoq ne répondit pas à leur question… Et comme s'il poursuivait uniquement sa pensée, il martela : – Mais demain, il faudra bien qu'il me livre son secret !