Leçon 20 - Attention: Écoles II
(Paris, le jardin du Luxembourg, la Closerie des Lilas. Deux jeunes gens, une jeune fille et un jeune homme, parlent de leurs études.)
Mireille: Il est beau, il est beau, mais il est beau! Vous ne pouvez pas vous imaginer comme il est beau!
Robert: Qui ça?
Mireille: Mais le prof d'art grec! Il a la tête du Moïse de Michel-Ange, je vous jure!
Robert: Ah, ouais? Il est si vieux que ça?
(Robert prend son verre un peu brusquement. Catastrophe! Un peu de kir tombe sur la jupe de Mireille. Le garçon se précipite.)
Le garçon: Permettez, un peu d'eau, ça va partir tout de suite.
(Mireille lui dit de ne pas se déranger.)
Mireille: Oh, laissez, ça n'a pas d'importance. Ce n'est pas grave! Ce n'est rien! C'est une vieille jupe; je ne la mets presque jamais.
Le garçon: Voilà, voilà, c'est parti.
Robert: Alors, si je comprends bien, vous aimez bien vos études à la fac?
Mireille: Oui! Vous savez, après le lycée. Au lycée, on n'a pas une minute à soi. On n'est jamais tranquille. On n'est pas libre. Il y a toujours quelque chose à faire. C'est les travaux forcés! À la fac, c'est plus relaxe. On travaille, on travaille beaucoup si on veut, mais on n'est pas forcé; on fait ce qu'on veut. Au lycée, je n'avais jamais le temps de lire pour moi, pour mon plaisir. Maintenant, je peux prendre le temps de lire. Tenez, justement, ces jours-ci, je lisais Hemingway!
Le garçon: Ah, Hemingway; il se mettait toujours là où vous êtes, Mademoiselle.
Mireille: Ah oui, vraiment?
Le garçon: Oui, Mademoiselle, à cette même table.
Mireille: Pas possible, c'est vrai?
Le garçon: Oui, Mademoiselle. Ah, quel homme!
Mireille: Vous l'avez connu?
Le garçon: Non, Mademoiselle, je suis trop jeune! Il n'y a qu'un an que je suis à la Closerie. Mais on me l'a dit, Mademoiselle, des gens qui l'ont connu. Quel écrivain! Quel talent!
Mireille: Vous l'avez lu?
Le garçon: Non, Mademoiselle, je n'ai pas le temps! Vous savez ce que c'est: le travail, la famille, le jardin. Je ne connais pas son oeuvre, mais j'en ai entendu parler. Il paraît qu'il buvait beaucoup, mais c'était un écrivain de génie!
Robert: Eh bien, moi, je ne suis pas écrivain, et je n'ai pas de génie, mais je crois que je vais quand même boire.
Le garçon: La même chose?
Robert: S'il vous plaît!
Mireille: Et vous êtes étudiant?
Robert: Oui . . . non . . . enfin, je l'étais. Je suppose que je suis toujours étudiant, mais en ce moment, je n'étudie pas. Je viens de quitter l'université après deux années d'études. J'ai décidé de me mettre en congé pour un an.
Mireille: Tiens! Vous vous êtes mis en congé? Vous prenez un an de vacances, comme ça? Comme c'est commode! Quelle bonne idée! Pourquoi est-ce que je n'ai pas pensé à ça? Mais pourquoi est-ce que vous vous êtes mis en congé?
Robert: Pour me trouver.
Mireille: Pour vous trouver? Pauvre petit! Vous étiez perdu?
Robert: Vous vous moquez de moi?
Mireille: Moi? Jamais! Je ne me moque jamais de personne! Mais qu'est-ce que vous voulez dire quand vous dites: “Je veux me trouver”?
Robert: Eh bien, je veux réfléchir, je veux faire le point, je veux voir où j'en suis. Je veux découvrir ce que je veux vraiment faire, savoir si je veux continuer ou faire autre chose.
Mireille: Je vois, en somme, vous en aviez assez, vous n'aimiez pas les études!
Robert: Mais non, ce n'est pas ça du tout, non! Mais je trouve qu'on nous enseigne trop de choses inutiles. Je trouve que l'enseignement est beaucoup trop autoritaire, beaucoup trop dirigiste. Je trouve que l'enseignement n'est pas adapté à la vie moderne.
Mireille: Rien que ça? C'est tout? Mais, dites-moi, est-ce que vous étiez bon élève?
Robert: Ah, oui! Pas mauvais du tout, très bon, même. J'ai toujours été un bon élève. J'ai toujours eu de bonnes notes. J'ai toujours réussi à tous mes examens. Je n'ai jamais raté aucun examen—jamais! Je suis ce qu'on appelle doué. Mes profs disaient même que j'étais surdoué. J'ai appris à lire presque tout seul.
Mireille: Sans blague! Et à écrire aussi? Vous avez appris à écrire tout seul?
Robert: Oui, et j'ai toujours été un des meilleurs élèves de ma classe.
Mireille: Et vous avez eu aussi le prix de modestie?
Robert: Voilà encore que vous vous moquez de moi!
Mireille: Moi? Pas du tout! Jamais de la vie! Non, je comprends très bien. Vous dites les choses comme elles sont, tout simplement!