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Bernadette, Sœur Marie-Bernard (Henri Lasserre), Livre 1 - La Vie Publique (2)

Livre 1 - La Vie Publique (2)

Les trois enfants sortirent de la ville, et traversant le pont arrivèrent bientôt sur la rive gauche du Gave. Elles passèrent par le moulin de M. de Laffitte, et entrèrent dans l'ile du Chalet, cherchant çà et là des débris de bois pour faire leur petit fagot.

Elles descendaient pas à pas la prairie en suivant le cours du Gave. La frêle enfant que la mère avait hésité à laisser sortir cheminait un peu en arrière. Moins heureuse que ses deux compagnes, elle n'avait encore rien trouvé, et son tablier était vide; tandis que ceux de sa soeur et de Jeanne commençaient à se garnir de menues branches et de copeaux.

Vêtue d'une robe noire tout usée et raccommodée, son délicat visage encadré dans le capulet blanc qui recouvrait sa tête et retombait sur ses épaules, les pieds fermés dans ses grossiers sabots, elle avait une grâce innocente et rustique qui charmait le coeur plus encore que les yeux.

Elle était petite pour son âge. Bien que ses traits enfantins fussent un peu hâlés par le grand air, ils n'avaient rien perdu de leur délicatesse native. Ses cheveux noirs et fins paraissaient à peine sous son mouchoir. Son front, assez découvert, était d'une incomparable pureté de lignes. Sous ses sourcils bien arqués, ses yeux bruns, plus doux en elle que des yeux bleus, avaient une beauté tranquille et profonde, dont aucune passion mauvaise n'avait jamais troublé la limpidité magnifique. C'était l'oeil simple dont parle l'Évangile. La bouche, merveilleusement expressive, laissait deviner dans l'âme un mouvement habituel de bonté et de compassion pour toute souffrance.

La physionomie, douce et intelligente, plaisait; et tout cet ensemble possédait un attrait extraordinaire, qui se faisait sentir aux côtés les plus élevés de l'âme. Qu'était-ce que cet attrait, j'allais dire cet ascendant et cette autorité secrète en cette pauvre enfant ignorante et vêtue de haillons? C'était la plus grande et la plus rare chose qui soit en ce monde : la majesté de l'Innocence.

Nous n'avons point encore dit son nom. Elle avait pour patron un grand Docteur de l'Église, celui dont le génie s'abrita plus particulièrement sous la protection de la Mère de Dieu, l'auteur du Memorare, « Souvenez-vous, ô très-pieuse Vierge Marie, » l'admirable saint Bernard. Toutefois, suivant une habitude qui a sa gràce, ce grand nom donné à cette humble paysanne avait pris une tournure enfantine et champêtre. La petite fille portait un joli nom, gracieux comme elle: elle s'appelait Bernadette.

Elle suivait sa soeur et sa compagne le long de la prairie du moulin, et cherchait, mais inutilement, parmi les herbes, quelques morceaux de bois pour le foyer de la maison.

Telle devait être Ruth ou Noëmi, allant glaner dans les champs de Booz.

C'est en cheminant de la sorte que les trois petites filles arrivèrent au fond de l'île du Châlet, juste en face de la triple excavation que présente aux regards la Grotte de Massabielle. Elles n'en étaient séparées que par le cours d'eau du moulin, ordinairement très fort, qui baignait le pied des rochers.

Or, ce jour-là, le moulin de Sâvy étant en réparation, on avait, autant que possible, fermé en amont la prise d'eau, et le canal était, sinon tout à fait sec, du moins très aisé à franchir : il n'y avait guère qu'un filet d'eau.

Tombées des divers arbustes qui poussaient dans les anfractuosités du rocher, quelques branches de bois mort tapissaient ce lieu désert, que le dessèchement accidentel du canal rendait plus accessible que de coutume.

Joyeuses de celte trouvaille, diligentes et actives comme la Marthe de l'Évangile, Jeanne et Marie ôtèrent bien vite leurs sabots et traversèrent le ruisseau.

— L'eau est bien froide, dirent-elles en arrivant sur l'autre rive et remettant leurs sabots.

On était au mois de février, et ces torrents de la Montagne, il peine sortis des neiges éternelles où leur source se forme, sont généralement d'une température glaciale.

Bernadette, moins alerte ou moins empressée, chétive d'ailleurs, était encore en deçà du petit cours d'eau. C'était pour elle tout un embarras que de traverser ce faible courant. Elle avait des bas, tandis que Marie et Jeanne étaient nu-pieds dans leurs sabots, et elle avait à se déchausser.

Devant l'exclamation de ses compagnes, elle redouta le froid de l'eau.

— Jetez deux ou trois grosses pierres au milieu du ruisseau, leur dit-elle, pour que je puisse passer à pied sec.

Les deux glaneuses de bois s'occupaient déjà à composer leur petit fagot. Elles ne voulurent pas perdre leur temps à se déranger :

— Fais comme nous, répondit Jeanne : mets-toi nu-pieds.

Bernadette se résigna, et, s'adossant à un fragment de roche qui était là, elle commença à défaire sa chaussure.

Il était environ midi. L'Angelus devait sonner en ce moment à tous les clochers des villages pyrénéens.

Elle était en train d'ôter son premier bas, lorsqu'elle entend autour d'elle comme le bruit d'un coup de vent se levant dans la prairie avec je ne sais quel caractère d'irrésistible puissance.

Elle crut à un ouragan soudain et se retourna instinctivement. A sa grande surprise, les peupliers qui bordent le Gave étaient dans une complète immobilité. Aucune brise, même légère, n'agitait leurs branches paisibles.

— Je me serai trompée, se dit-elle.

Et, songeant encore à ce bruit, elle ne savait que croire.

Elle se remit à se déchausser.

Et alors l'impétueux roulement de ce souffle inconnu se fit entendre de nouveau.

Bernadette leva la tête, regarda en face d'elle et poussa aussitôt, ou plutôt voulut pousser un grand cri, qui s'étouffa dans sa gorge. Elle frissonna de tous ses membres, et, terrassée, éblouie, écrasée en quelque sorte par ce qu'elle aperçut devant elle, elle s'affaissa sur elle-même, ploya, pour ainsi dire, tout entière, et tomba à deux genoux.

Un spectacle vraiment inouï venait de frapper son regard. Le récit de l'enfant, les interrogations innombrables que lui ont faites depuis cette époque mille esprits investigateurs et sagaces, les particularités précises et minutieuses dans lesquelles tant d'intelligences en éveil l'ont forcée de descendre, permettent de tracer, d'une main aussi sûre de chaque détail que de la physionomie générale, le portrait étonnant de l'Être merveilleux qui apparut en cet instant aux yeux de Bernadette, terrifiée et ravie.

Au-dessus de la Grotte devant laquelle Marie et Jeanne, empressées et courbées vers la terre, ramassaient du bois mort; dans cette niche rustique formée par le rocher se tenait debout, au sein d'une clarté surhumaine, une femme d'une incomparable splendeur.

L'ineffable lueur qui flottait autour d'elle ne troublait ni ne blessait les yeux comme l'éclat du soleil. Tout au contraire, cette auréole, vive comme un faisceau de rayons et paisible comme l'ombre profonde, attirait invinciblement le regard, qui semblait s'y baigner et s'y reposer avec délices. C'était, comme l'Étoile du matin, la lumière dans la fraîcheur. Rien de vague, d'ailleurs, ou de vaporeux dans l'Apparition elle-même. Elle n'avait point les contours fuyants d'une vision fantastique; c'était une réalité vivante, un corps humain, que l'oeil jugeait palpable comme la chair de nous tous, et qui ne différait d'une personne ordinaire que par son auréole et par sa céleste et inexprimable beauté.

Elle était de taille moyenne. Elle semblait toute jeune : elle avait la grâce de la vingtième année; mais sans rien perdre de son exquise délicatesse, cet éclat, fugitif dans le temps, avait en elle un caractère éternel. Bien plus, dans ses traits aux lignes divines se mêlaient en quelque sorte, sans en troubler l'harmonie, les beautés successives et isolées des quatre saisons de la vie humaine. L'innocente candeur de l'Enfant, la pureté absolue de la Vierge, la gravité tendre de la plus haute des Maternités, une Sagesse supérieure à celle de tous les siècles accumulés, se résumaient et se fondaient ensemble, sans se nuire l'une à l'autre, dans ce merveilleux visage de jeune fille. A quoi le comparer en ce globe déchu, où les rayons du beau sont épars, brisés et ternis, et où ils ne se rencontrent jamais sans quelque impur mélange? Toute image, toute comparaison serait un abaissement de ce type indicible. Nulle majesté dans l'univers, nulle distinction de ce monde, nulle simplicité d'ici-bas, ne peut en donner une idée et aider à le faire mieux comprendre. Ce n'est point avec les lampes de la terre que l'on peut faire voir et, pour ainsi dire, éclairer les astres du ciel.

La régularité même et l'idéale pureté de ces traits, où rien n'était heurté, les dérobent à la description. Nous savons cependant que la courbe ovale du visage était d'une grâce infinie, que les yeux étaient bleus et d'une suavité qui semblait fondre le coeur de quiconque en était regardé? Les lèvres respiraient une bonté et une mansuétude divines. Le front paraissait contenir la sagesse suprême, c'est-à-dire la science de toutes choses, unie à la vertu sans bornes.

Les vêtements, d'une étoffe inconnue, et tissés sans doute dans l'atelier mystérieux où s'habille le lys des vallées, étaient blancs comme la neige immaculée des montagnes, et plus magnifiques en leur simplicité que le costume éclatant de Salomon dans sa gloire. La robe, longue et traînante, la robe aux chastes plis, laissait ressortir les pieds, qui reposaient sur le roc et foulaient légèrement la branche de l'églantier. Sur chacun de ces pieds, d'une nudité virginale, s'épanouissait la Rose mystique, couleur d'or.

Sur le devant, une ceinture, bleue comme le ciel et nouée à moitié autour du corps, pendait en deux longues bandes qui touchaient presque à la naissance des pieds. En arrière, enveloppant dans son amplitude les épaules et le haut des bras, un voile blanc, fixé autour de la tête, descendait jusque vers le bas de la robe.

Ni bagues, ni collier, ni diadème, ni joyaux : nul de ces ornements dont s'est parée de tout temps la vanité humaine. Un chapelet, dont les grains étaient blancs comme des gouttes de lait, dont la chaîne était jaune comme l'or des moissons, pendait entre les mains, jointes avec ferveur. Les grains du chapelet glissaient l'un après l'autre entre les doigts. Toutefois les lèvres de cette Reine des Vierges demeuraient immobiles. Au lieu de réciter le rosaire, elle écoutait peut-être en son propre coeur l'écho éternel de la Salutation Angélique et le murmure immense des invocations venues de la terre. Chaque grain qu'Elle touchait, c'était sans doute une pluie de grâces célestes qui tombait sur les âmes, comme des perles de rosée dans le calice des fleurs.

Elle gardait le silence; mais, plus tard, sa propre parole et les faits miraculeux que nous aurons à raconter devaient attester qu'Elle était la Vierge immaculée, la très auguste et très sainte Marie, Mère de Dieu.

Cette Apparition merveilleuse regardait Bernadette qui, dans son saisissement, s'était, comme nous l'avons dit, affaissée sur elle-même et, sans s'en rendre compte, prosternée soudainement à genoux.


Livre 1 - La Vie Publique (2) Buch 1 - Das öffentliche Leben (2) Book 1 - Public Life (2)

Les trois enfants sortirent de la ville, et traversant le pont arrivèrent bientôt sur la rive gauche du Gave. Elles passèrent par le moulin de M. de Laffitte, et entrèrent dans l'ile du Chalet, cherchant çà et là des débris de bois pour faire leur petit fagot.

Elles descendaient pas à pas la prairie en suivant le cours du Gave. La frêle enfant que la mère avait hésité à laisser sortir cheminait un peu en arrière. Moins heureuse que ses deux compagnes, elle n'avait encore rien trouvé, et son tablier était vide; tandis que ceux de sa soeur et de Jeanne commençaient à se garnir de menues branches et de copeaux.

Vêtue d'une robe noire tout usée et raccommodée, son délicat visage encadré dans le capulet blanc qui recouvrait sa tête et retombait sur ses épaules, les pieds fermés dans ses grossiers sabots, elle avait une grâce innocente et rustique qui charmait le coeur plus encore que les yeux.

Elle était petite pour son âge. Bien que ses traits enfantins fussent un peu hâlés par le grand air, ils n'avaient rien perdu de leur délicatesse native. Ses cheveux noirs et fins paraissaient à peine sous son mouchoir. Son front, assez découvert, était d'une incomparable pureté de lignes. Sous ses sourcils bien arqués, ses yeux bruns, plus doux en elle que des yeux bleus, avaient une beauté tranquille et profonde, dont aucune passion mauvaise n'avait jamais troublé la limpidité magnifique. C'était l'oeil simple dont parle l'Évangile. La bouche, merveilleusement expressive, laissait deviner dans l'âme un mouvement habituel de bonté et de compassion pour toute souffrance.

La physionomie, douce et intelligente, plaisait; et tout cet ensemble possédait un attrait extraordinaire, qui se faisait sentir aux côtés les plus élevés de l'âme. Qu'était-ce que cet attrait, j'allais dire cet ascendant et cette autorité secrète en cette pauvre enfant ignorante et vêtue de haillons? C'était la plus grande et la plus rare chose qui soit en ce monde : la majesté de l'Innocence.

Nous n'avons point encore dit son nom. Elle avait pour patron un grand Docteur de l'Église, celui dont le génie s'abrita plus particulièrement sous la protection de la Mère de Dieu, l'auteur du __Memorare__, « Souvenez-vous, ô très-pieuse Vierge Marie, » l'admirable saint Bernard. Toutefois, suivant une habitude qui a sa gràce, ce grand nom donné à cette humble paysanne avait pris une tournure enfantine et champêtre. La petite fille portait un joli nom, gracieux comme elle: elle s'appelait Bernadette.

Elle suivait sa soeur et sa compagne le long de la prairie du moulin, et cherchait, mais inutilement, parmi les herbes, quelques morceaux de bois pour le foyer de la maison.

Telle devait être Ruth ou Noëmi, allant glaner dans les champs de Booz.

C'est en cheminant de la sorte que les trois petites filles arrivèrent au fond de l'île du Châlet, juste en face de la triple excavation que présente aux regards la Grotte de Massabielle. Auf diesem Weg gelangten die drei Mädchen auf den Grund der Insel Châlet, direkt vor die dreifache Aushöhlung, die die Grotte von Massabielle den Blicken präsentiert. Elles n'en étaient séparées que par le cours d'eau du moulin, ordinairement très fort, qui baignait le pied des rochers.

Or, ce jour-là, le moulin de Sâvy étant en réparation, on avait, autant que possible, fermé en amont la prise d'eau, et le canal était, sinon tout à fait sec, du moins très aisé à franchir : il n'y avait guère qu'un filet d'eau.

Tombées des divers arbustes qui poussaient dans les anfractuosités du rocher, quelques branches de bois mort tapissaient ce lieu désert, que le dessèchement accidentel du canal rendait plus accessible que de coutume.

Joyeuses de celte trouvaille, diligentes et actives comme la Marthe de l'Évangile, Jeanne et Marie ôtèrent bien vite leurs sabots et traversèrent le ruisseau.

— L'eau est bien froide, dirent-elles en arrivant sur l'autre rive et remettant leurs sabots.

On était au mois de février, et ces torrents de la Montagne, il peine sortis des neiges éternelles où leur source se forme, sont généralement d'une température glaciale. Es war Februar und diese Gebirgsbäche, die gerade erst aus dem ewigen Schnee, in dem sich ihre Quellen bilden, aufgetaucht sind, sind normalerweise eiskalt.

Bernadette, moins alerte ou moins empressée, chétive d'ailleurs, était encore en deçà du petit cours d'eau. C'était pour elle tout un embarras que de traverser ce faible courant. Elle avait des bas, tandis que Marie et Jeanne étaient nu-pieds dans leurs sabots, et elle avait à se déchausser.

Devant l'exclamation de ses compagnes, elle redouta le froid de l'eau.

— Jetez deux ou trois grosses pierres au milieu du ruisseau, leur dit-elle, pour que je puisse passer à pied sec.

Les deux glaneuses de bois s'occupaient déjà à composer leur petit fagot. Elles ne voulurent pas perdre leur temps à se déranger :

— Fais comme nous, répondit Jeanne : mets-toi nu-pieds.

Bernadette se résigna, et, s'adossant à un fragment de roche qui était là, elle commença à défaire sa chaussure.

Il était environ midi. L'__Angelus__ devait sonner en ce moment à tous les clochers des villages pyrénéens.

Elle était en train d'ôter son premier bas, lorsqu'elle entend autour d'elle comme le bruit d'un coup de vent se levant dans la prairie avec je ne sais quel caractère d'irrésistible puissance.

Elle crut à un ouragan soudain et se retourna instinctivement. A sa grande surprise, les peupliers qui bordent le Gave étaient dans une complète immobilité. Aucune brise, même légère, n'agitait leurs branches paisibles.

— Je me serai trompée, se dit-elle.

Et, songeant encore à ce bruit, elle ne savait que croire.

Elle se remit à se déchausser.

Et alors l'impétueux roulement de ce souffle inconnu se fit entendre de nouveau.

Bernadette leva la tête, regarda en face d'elle et poussa aussitôt, ou plutôt voulut pousser un grand cri, qui s'étouffa dans sa gorge. Bernadette hob den Kopf, schaute vor sich hin und stieß sofort einen lauten Schrei aus, oder besser gesagt, wollte ihn ausstoßen, der ihr jedoch im Hals stecken blieb. Elle frissonna de tous ses membres, et, terrassée, éblouie, écrasée en quelque sorte par ce qu'elle aperçut devant elle, elle s'affaissa sur elle-même, ploya, pour ainsi dire, tout entière, et tomba à deux genoux. Sie erschauderte an allen Gliedern und wurde von dem, was sie vor sich sah, überwältigt, geblendet und in gewisser Weise erdrückt.

Un spectacle vraiment inouï venait de frapper son regard. Le récit de l'enfant, les interrogations innombrables que lui ont faites depuis cette époque mille esprits investigateurs et sagaces, les particularités précises et minutieuses dans lesquelles tant d'intelligences en éveil l'ont forcée de descendre, permettent de tracer, d'une main aussi sûre de chaque détail que de la physionomie générale, le portrait étonnant de l'Être merveilleux qui apparut en cet instant aux yeux de Bernadette, terrifiée et ravie. Die Erzählung des Kindes, die unzähligen Fragen, die ihr seither von tausend forschenden und klugen Köpfen gestellt wurden, die genauen und minutiösen Besonderheiten, in die so viele wache Intelligenzen sie zwangen, hinabzusteigen, ermöglichen es, mit einer Hand, die in jedem Detail so sicher ist wie in der allgemeinen Physiognomie, das erstaunliche Porträt des wunderbaren Wesens zu zeichnen, das in diesem Augenblick vor Bernadettes Augen erschien, erschrocken und entrückt.

Au-dessus de la Grotte devant laquelle Marie et Jeanne, empressées et courbées vers la terre, ramassaient du bois mort; dans cette niche rustique formée par le rocher se tenait debout, au sein d'une clarté surhumaine, une femme d'une incomparable splendeur.

L'ineffable lueur qui flottait autour d'elle ne troublait ni ne blessait les yeux comme l'éclat du soleil. Tout au contraire, cette auréole, vive comme un faisceau de rayons et paisible comme l'ombre profonde, attirait invinciblement le regard, qui semblait s'y baigner et s'y reposer avec délices. C'était, comme l'Étoile du matin, la lumière dans la fraîcheur. Rien de vague, d'ailleurs, ou de vaporeux dans l'Apparition elle-même. Elle n'avait point les contours fuyants d'une vision fantastique; c'était une réalité vivante, un corps humain, que l'oeil jugeait palpable comme la chair de nous tous, et qui ne différait d'une personne ordinaire que par son auréole et par sa céleste et inexprimable beauté.

Elle était de taille moyenne. Elle semblait toute jeune : elle avait la grâce de la vingtième année; mais sans rien perdre de son exquise délicatesse, cet éclat, fugitif dans le temps, avait en elle un caractère éternel. Bien plus, dans ses traits aux lignes divines se mêlaient en quelque sorte, sans en troubler l'harmonie, les beautés successives et isolées des quatre saisons de la vie humaine. L'innocente candeur de l'Enfant, la pureté absolue de la Vierge, la gravité tendre de la plus haute des Maternités, une Sagesse supérieure à celle de tous les siècles accumulés, se résumaient et se fondaient ensemble, sans se nuire l'une à l'autre, dans ce merveilleux visage de jeune fille. A quoi le comparer en ce globe déchu, où les rayons du beau sont épars, brisés et ternis, et où ils ne se rencontrent jamais sans quelque impur mélange? Toute image, toute comparaison serait un abaissement de ce type indicible. Nulle majesté dans l'univers, nulle distinction de ce monde, nulle simplicité d'ici-bas, ne peut en donner une idée et aider à le faire mieux comprendre. Ce n'est point avec les lampes de la terre que l'on peut faire voir et, pour ainsi dire, éclairer les astres du ciel.

La régularité même et l'idéale pureté de ces traits, où rien n'était heurté, les dérobent à la description. Nous savons cependant que la courbe ovale du visage était d'une grâce infinie, que les yeux étaient bleus et d'une suavité qui semblait fondre le coeur de quiconque en était regardé? Les lèvres respiraient une bonté et une mansuétude divines. Le front paraissait contenir la sagesse suprême, c'est-à-dire la science de toutes choses, unie à la vertu sans bornes.

Les vêtements, d'une étoffe inconnue, et tissés sans doute dans l'atelier mystérieux où s'habille le lys des vallées, étaient blancs comme la neige immaculée des montagnes, et plus magnifiques en leur simplicité que le costume éclatant de Salomon dans sa gloire. La robe, longue et traînante, la robe aux chastes plis, laissait ressortir les pieds, qui reposaient sur le roc et foulaient légèrement la branche de l'églantier. Sur chacun de ces pieds, d'une nudité virginale, s'épanouissait la Rose mystique, couleur d'or.

Sur le devant, une ceinture, bleue comme le ciel et nouée à moitié autour du corps, pendait en deux longues bandes qui touchaient presque à la naissance des pieds. Auf der Vorderseite hing ein Gürtel, blau wie der Himmel und halb um den Körper gebunden, in zwei langen Streifen herab, die fast bis zum Fußansatz reichten. En arrière, enveloppant dans son amplitude les épaules et le haut des bras, un voile blanc, fixé autour de la tête, descendait jusque vers le bas de la robe.

Ni bagues, ni collier, ni diadème, ni joyaux : nul de ces ornements dont s'est parée de tout temps la vanité humaine. Un chapelet, dont les grains étaient blancs comme des gouttes de lait, dont la chaîne était jaune comme l'or des moissons, pendait entre les mains, jointes avec ferveur. Les grains du chapelet glissaient l'un après l'autre entre les doigts. Toutefois les lèvres de cette Reine des Vierges demeuraient immobiles. Au lieu de réciter le rosaire, elle écoutait peut-être en son propre coeur l'écho éternel de la Salutation Angélique et le murmure immense des invocations venues de la terre. Chaque grain qu'Elle touchait, c'était sans doute une pluie de grâces célestes qui tombait sur les âmes, comme des perles de rosée dans le calice des fleurs.

Elle gardait le silence; mais, plus tard, sa propre parole et les faits miraculeux que nous aurons à raconter devaient attester qu'Elle était la Vierge immaculée, la très auguste et très sainte Marie, Mère de Dieu.

Cette Apparition merveilleuse regardait Bernadette qui, dans son saisissement, s'était, comme nous l'avons dit, affaissée sur elle-même et, sans s'en rendre compte, prosternée soudainement à genoux.