De l'étincelle au brasier | Philippe Echaroux | TEDxMarseille
Traducteur: Elise LECAMP Relecteur: Elisabeth Buffard
Si je suis ici aujourd'hui,
c'est pour m'adresser à... je ne vois pas très bien
à toi là-bas. Toi.
T'as mis ta belle veste à ce que je vois,
la chemise, t'as mis ton parfait déguisement d'adulte,
la nana à côté de toi, pareil.
Mais quand on regarde de plus près, si je pouvais m'approcher,
je pense qu'on verrait encore le petit gamin à l'intérieur qui est aux manettes.
Ou alors,
toi !
Toi, le genre de mec qui a mille idées à la seconde,
mais qui ne sait pas toujours quoi en faire.
Ou...
Je ne sais pas.
Toi, tiens !
Je te connais, tu avais beaucoup de rêves, de projets,
mais tu t'es un peu fait rattraper par le quotidien
et la routine est confortable.
Après tout, qui te reprochera d'avoir une vie bien rangée ?
Enfin, pour tous les « toi », tout le monde assis là aujourd'hui,
je voudrais commencer par vous poser cette question-là :
qu'est-ce que l'enfant que tu étais pense de l'adulte que tu es devenu ?
Vous avez déjà pris le temps de vous poser cette question ?
Dans mon cas, l'ancien enfant, l'ancien minot marseillais
que j'étais, que je suis toujours, aurait été le premier surpris
si on lui avait dit qu'il se retrouverait à parler devant plein de gens.
Je pensais que c'était ceux
qui avaient des vies extraordinaires, qui sauvaient des vies
ou qui étaient plutôt bardés de diplômes.
Alors, vie extraordinaire, je ne pense pas.
Sauver des vies, il vaut mieux pas que je me mette à ça, c'est risqué.
Les diplômes, mon rapport avec l'école,
c'était plutôt un truc comme ça.
C'est une métaphore : sous les ponts.
Disons que j'avais plutôt un profil autodidacte que scolaire.
J'ai quand même eu mon bac pour faire plaisir à mes parents
mais un bac un petit peu particulier,
un bac avec options chemins de traverse.
C'est tout ce que j'ai appris sur ces nombreux chemins de traverse
que je suis venu partager avec vous.
Alors, j'ai commencé par user les bancs
mais pas forcément ceux qu'attendaient mes parents,
pas ceux de la fac, ceux de la salle d'escalade.
Là-bas, j'ai appris à canaliser mon énergie.
Ensuite, étant natif de Marseille, adorant les sports de pleine nature,
je me suis tourné vers le kitesurf
mais à l'époque, ce n'était pas ce que c'est maintenant.
C'était un sport un peu fait de bidouille
mais j'ai appris à explorer, à essayer
tout en faisant quand même attention à la sécurité
car c'était vraiment dangereux à l'époque.
Ensuite, j'avais envie de trouver un moyen d'expression artistique
plus classique, même si je trouve les sports extrêmes artistiques.
Je me suis tourné vers l'écriture.
Alors, j'ai écrit un conte philosophique à 23 ans.
J'ai adoré ça.
Mais j'ai vite compris que ce n'était pas pour moi.
Ce n'était pas assez rapide, pas assez direct.
Il me fallait quelque chose de plus succinct dans la forme.
On est en 2008, je me dis : « Bon, j'ai eu la belle vie.
Il est quand même temps de trouver un vrai travail.
J'avais envie de me sentir utile, de travailler au contact des gens
et de partager ce que j'avais eu la chance de vivre jusque là, je me suis tourné
vers une carrière de travailleur social, d'éducateur spécialisé.
Mais en 2008, je suis tombé aussi, par hasard, un été
alors que je m'ennuyais à Marseille,
j'ai acheté un appareil photo et je suis tombé sur la photo.
Et la photo, elle m'a rapidement appelé de cette façon-là.
C'est quand même compliqué de dire non
quand la photo vous appelle avec cette gueule-là.
Vous serez d'accord avec ça.
C'est dur de dire non à M. Chabal.
Alors, je lui ai dit : « Je vais finir mon diplôme d'éducateur
-- j'aime finir ce que j'ai commencé.
Et puis, ça me plaît, pourquoi j'arrêterais ? »
Une fois mon diplôme obtenu, je me suis dit :
« Tu vas décider, enfin j'ai décidé,
de laisser une chance à la photo. »
La chance, notre ami Zinédine en sait quelque chose.
La chance, c'est un mot qui rend tout un petit peu plus... facile.
Ça a un peu un super pouvoir.
Parce qu'au début, je me suis dit :
« Tel photographe a la chance de photographier tel mec,
ou il vient de faire telle campagne, il a trop de chance ! »
Dès que je me suis lancé, j'ai vite compris que derrière le mot chance
se cachaient le mot travail, le mot acharnement, le mot culot
et surtout le mot sacrifice
comme beaucoup de temps à passer avec ses proches qu'on sacrifie.
Aujourd'hui quand je monte sur cette scène,
on me présente comme artiste.
On m'introduit ainsi, on me range dans cette case.
Quand on est artiste, c'est notre métier d'avoir des idées, notre matière première.
En fait, on ne choisit pas, c'est comme ça.
On est comme ça, les idées viennent à nous.
Avoir une idée, je pense qu'on peut l'imager comme une petite étincelle
c'est un peu magique, tout petit, on ne sait pas d'où ça vient
mais c'est un petit quelque chose, un début.
Il va falloir apprendre à transformer cette petite étincelle en immense brasier.
Désolé, je suis un peu petit, je ne peux pas mimer le brasier énorme,
mais vous comprendrez : d'une étincelle en brasier.
Dans mon métier d'artiste, il est plus simple d'exister
si vous faites ce qui se fait de tendance.
Je pense que vous aurez peut-être du travail,
on dira même peut-être que vous êtes un grand artiste,
vous aurez du succès, la belle vie,
la postérité et peut-être que tout ira bien.
J'ai choisi une approche un petit peu moins rock and roll,
un peu plus différente.
Je me suis dit, si tu veux un jour te prétendre artiste,
il faut que tu crées ta propre façon de t'exprimer.
Autrement dit, pour parler de façon plus large, ta propre façon d'exister.
Sinon, je me considérerais comme un copier coller,
au mieux à peine amélioré,
un simple interprète,
je n'ai rien contre les interprètes,
de ce qui se fait déjà,
pas un artiste au sens où je l'entends.
Alors pour tenter de me dire artiste,
j'ai créé ce que j'ai appelé le Street Art 2.0.
Ça ressemble à ça.
Street Art 2.0, c'est quoi ?
Je me suis dit : « J'ai envie de faire du Street Art.
Certains utilisent la classique bombe de peinture ou le collage, plein de choses.
Ils font déjà ça très bien, pourquoi tenter de refaire ce qu'ils font déjà ?
Ce sont des champions, hyper aboutis dans leur domaine,
pourquoi ne pas tenter de créer ma propre façon de faire du Street Art ?
Je réfléchis un peu, je viens de la photo,
j'aime travailler les éclairages en photo, j'ai pensé, mon outil, c'est la lumière !
Tu la comprends, tu la maîtrises, t'es à l'aise avec.
Pourquoi ne pas proposer un street art basé sur la projection lumineuse ?
Derrière moi, c'est une projection lumineuse dans la rue
qu'on laisse pendant un temps donné, c'est éphémère
et ça disparaît quand on éteint notre projecteur.
D'où le terme 2.0.
J'ai remplacé la peinture, les bombes de peinture ou la colle
par la technologie
et qui plus est, j'adorais l'idée de proposer un street art
qui était doux dans la forme, c'est donc de la lumière,
ça ne laisse pas de trace quand je l'éteins,
mais ça ne m'empêchait pas pour autant d'être impactant dans le fond.
J'ai donc tenté de créer ma façon de faire du Street Art.
Pour parler de façon plus large,
j'ai tenté d'inventer mon métier.
Alors ça, ça en impose autant à dire sur une scène,
genre le mec « Ouais, je crée mon métier » que c'est inconfortable au quotidien.
C'est vraiment, vraiment inconfortable.
Je vous explique.
Quand j'ai mis ce Street Art au point, ça a pris un bon moment,
j'ai été voir la grande famille du street art en leur disant,
- imaginez un petit chien avec sa nouvelle balle, tout content :
« J'ai créé ce Street Art-là, qu'en pensez-vous ? »
C'est quoi ?
C'est une nouvelle façon de faire ce qu'on aime tous.
Qu'est-ce que t'en penses ?
Il va me féliciter.
Là, pas du tout.
Ils m'ont rabattu plus bas que terre.
Je me suis fait critiquer, ou j'ai eu droit à des :
« Mais ton truc, c'est pas du Street Art ! »
Ou pire que tout, on m'a carrément ignoré :
« Pourquoi il me contacte, lui ? »
A part quelques rares exceptions,
merci M. Christophe, Mme Dominique, ils se reconnaîtront.
Deux ans après, après beaucoup de travail,
ce Street Art 2.0 se retrouve dans deux livres majeurs de street art
et ne me demandez pas pourquoi ni comment, je ne sais pas,
dans les livres de français de 3ème.
Pourquoi je vous dis ça ?
(Rires)
Pour un mec qui n'était pas le meilleur ami de l'école, je trouve ça rigolo.
Je le mets dans un petit coin de ma tête.
Pourquoi je vous raconte ça ?
Je pense qu'il y en a pas mal qui sont là, parce qu'ils ont envie,
ou si vous vous posez des questions,
vous avez envie de trouver votre façon de vous exprimer, d'exister.
Vous avez peut-être déjà trouvé des solutions
vous cherchez comment les rendre viables.
En tout cas, je pense que quand on s'assoit dans cet amphithéâtre,
on vient chercher ça.
On vient chercher un petit coup de pied aux fesses pour nous aider à nous lancer.
Alors je vous le dis, vous allez déranger, vous allez interroger :
on ne va pas vous comprendre au début, vous allez être une petite lueur
là où il n'y en a jamais eu.
Les gens adorent les cases mais laissez-leur bien le soin
de vous ranger dans la case qui les rassure.
On me demande tout le temps :
« Tu es Street Artist ou photographe ? Je ne comprends pas. »
C'est pas à moi de me ranger dans une case,
moi, mon métier, c'est d'en créer.
Plus vous dérangerez, mieux ça sera pour vous.
Il y a un petit ingrédient dans mon expérience
qui est indispensable
et qui va vous aider à traverser toutes ces zones de turbulences.
Ce sont ces périodes de doute,
les périodes où vous en prenez plein la gueule,
vous avez tendance à tomber
et il va falloir se relever.
Cet ingrédient un peu magique quelque part, c'est le pourquoi ?
Alors le pourquoi, il est un peu traître
parce que, quand je parle de pourquoi,
je ne parle pas de mon projet d'aller faire du surf à Hawaï,
pour manger des graines de fruits bio que je tremperai dans du houmous
et je mangerai des cocktails, pourquoi ?
Parce que c'est cool, je le mettrai sur Instagram, j'aurai plein de followers.
Non, je ne parle pas de ce pourquoi-là du tout.
Quand je parle du mot « Pourquoi »,
pour moi, c'est quel message, qu'est-ce que vous avez à dire ?
Qu'est-ce qui vous habite, qu'est-ce qui brûle en vous
qui fait que vous pouvez faire passer votre petite étincelle
à travers n'importe quelle épreuve et la transformer en brasier.
Au final, qui êtes-vous par rapport à vos projets ?
J'ai fait du Street Art,
c'était mon idée de départ, mon étincelle, mais pourquoi ?
Je me suis dit que j'ai toujours eu ancré en moi,
ça, je ne sais pas forcément pourquoi,
ce besoin d'essayer de faire réagir l'autre
pour essayer de l'inspirer,
de le rendre un peu meilleur.
J'ai toujours eu besoin de montrer aux autres :
« Regarde ! Moi j'y arrive. Pourquoi pas toi ?
Je ne suis pas meilleur que toi, j'ai juste essayé de me lancer. »
Tant que j'aurais ça ancré en moi,
je pourrais traverser n'importe quelle épreuve,
ma petite étincelle va peut-être trembler.
On a un fort mistral chez nous !
Elle va vaciller, elle va bouger
mais je sais que tôt ou tard, elle va continuer à grandir
et peut-être, elle se transformera en un brasier.
Si j'ai de la chance.
Rappelez-vous ce que je vous ai dit sur la chance.
Aujourd'hui j'ai fait un petit bonhomme de chemin