Quand la France découvre la Chine au 17 ème siècle ! (2)
apprécient les cadeaux que les missionnaires leurs apportent, notamment des montres, des horloges,
des baromètres, des automates… La musique occidentale, et en particulier française,
provoque un fort intérêt chez Qianlong qui s'exerce à jouer du clavecin. Le père Amiot
compose même autour des années 1770 des messes avec un recueil de prières chantées
en chinois, mêlant instruments de musiques chinois et occidentaux.
L'Empereur découvre aussi l'architecture à la Française par des gravures du château de
Versailles. Qianlong décide de construire un palais semblable
à Versailles qui ferait partie d'un complexe architectural appelé « le
Jardin de la Clarté parfaite », plus connus sous le nom de « Palais d'été ».
Qui est situé au nord-ouest de Pékin et dont on a parlé via un épisode dédié sur Nota Bene !
A la manœuvre de la réalisation des palais Européens on retrouve les Pères Benoist et
Attiret. D'ailleurs, Jean-Denis Attiret, en tant que peintre attitré de l'Empereur Qianlong de 1738
à 1768, exécute de nombreux portraits des gens de la cours dont celui de la concubine Ulanara,
devenue impératrice après le décès de la première épouse. Il mêle art
chinois et occidental pour exécuter cette œuvre qui fera polémique car,
en principe, on ne sourit pas dans un portrait chinois.
Si l'art français influence la Chine, et bien l'inverse est aussi vrai !
Le 7 janvier 1700, à Marly, la résidence favorite de Louis XIV,
les festivités du carnaval du nouveau siècle s'ouvrent sous le signe de la Chine. André
Danican Philidor est chargé de composer à cette occasion une Mascarade du roi de la Chine !
Il faut dire qu'avec l'amélioration de ces relations directes,
et surtout depuis la fondation de la Compagnie Française des Indes Orientales,
la cour de France est de plus en plus fascinée par toutes les productions provenant de Chine.
L'influence de cette lointaine culture est telle que le mot « chinoiseries » devient un adjectif
qui désigne toutes les marchandises importées mais aussi les objets d'inspiration chinoise,
et plus largement encore, tout ce qui est lié au luxe des contrées lointaines.
Petit à petit, les arts décoratifs cèdent à la mode chinoise et bien sûr,
la porcelaine est l'objet de toutes les convoitises.
Si on en trouve déjà dans les collections de François Ier, sous Louis XIV, elles sont de
plus en plus nombreuses dans les demeures royales. Le roi en possédait à Versailles,
en grande partie offertes par les ambassadeurs du Siam, mais aussi au château de Val,
près de Saint-Germain en Laye, ou encore à Marly. Le Grand Dauphin, le Duc d'Orléans
et le Prince de Condé sont dit être les plus grands collectionneurs de porcelaines
chinoises en Europe ! Après la Saxe qui découvre la formule de la porcelaine dure de chine en 1709,
la Marquise de Pompadour sera à l'initiative de la fameuse manufacture de porcelaines de Sèvres.
Et c'est une bonne idée cette manufacture parce
qu'on peut y produire à partir de 1767 une porcelaine « made
in France », ce qui permet de réduire les coûts élevés des importations chinoises !
La mode des satins « chinés » utilisés comme papiers peints se répand dans la
décoration des riches maisons. Les laques, les pierres dures,
les éventails, les étoffes sont aussi très prisées à tel point que les marchands
spécialistes dans ce type d'objet se multiplient dans les grandes villes.
En 1743, Jean-Denis Attiret envoie une longue lettre où il décrit les jardins de l'empereur
de chine, ce qui aura pour conséquence le développement de jardins dit « anglo-chinois »
dans les demeures royales. On casse volontairement la symétrie à la française pour donner un aspect
rustique aux jardins où pousse naturellement la végétation, avec entassement de rochers,
pièces d'eau, reliefs accidentés et l'ajout d'une architecture chinoise. Pas très loin de chez moi
en Touraine on trouve par exemple la pagode de Chanteloup, construite par le duc de Choiseul.
Je peux vous dire que la première fois que vous voyez ça en touraine, terre
de château et de pinard...ça fait un peu bizarre !
Ces jardins à la chinoise traduisent une forme de vie libre, dégagée de l'étiquette
et des conventions sociales. Ce sont des valeurs qui transparaissent au travers des
écrits des missionnaires et qui auront un impact sur la pensée des lumières.
Entre 1702 et 1776, on publie sur Paris les Lettres édifiantes et curieuses
envoyées pendant près de trois quarts de siècle par les missionnaires jésuites à
leurs supérieurs demeurés en Europe. Elles sont en partie intégrées dans
le bestseller de l'époque : « Description géographique, historique, chronologique,
politique et physique de l'empire de la Chine et de la Tartarie chinoise »
Oui je sais le titre est long, et je l'ai pourtant coupé,
mais bon c'était la mode à cette époque ! L'ouvrage passionne les intellectuels et
les sinophiles, amoureux de la chine. Il se trouve dans toutes les bibliothèques telles
celles de Marie-Antoinette. Il a même été transféré avec la famille royale
aux Tuileries suite aux grandes journées de la Révolution française le 6 octobre 1789.
Comme le souligne le chercheur Yi Gao dans un article de 2017, l'image de la Chine présentée
par les jésuites français est très attirante : c'est un pays puissant et prospère où l'idéologie
dominante qui est le confucianisme est en réalité une religion monothéiste,
sans aucune trace de superstition et d'idolâtrie qu'on trouve dans le taoïsme et le bouddhisme.
Et ça tombe bien parce que les philosophes des Lumières, veulent dépasser l'autorité de
l'Eglise catholique en organisant la société sur un plan rationnel.
Voltaire admire Confucius. Chacune de ses maisons est dotée d'une chambre dédiée au
culte de ce lointain sage chinois. Il va même jusqu'à dire « s'il n'y
eut jamais un État dans lequel la vie, l'honneur et les biens
des hommes aient été protégés par les lois, c'est l'Empire de la Chine ».
Bon alors pour être franc c'est surtout une Chine idéalisée que se représente Voltaire.
Clairement le gars il se croit dans Kung Fu Panda alors que la réalité, c'est par vraiment ça….
Bien d'autres philosophes sont, disons, plus méfiants vis-à-vis de cette civilisation dorée.
Diderot refuse de les adorer, tandis que Montesquieu parle de « despotisme
au bâton » fondé sur la crainte. Rousseau aussi ne mâche pas ses mots en disant que
la Chine « ne connaît d'autre humanité que les salutations et les révérences ».
En gros les chinois sont gentils...en apparence !
Rousseau et Voltaire se disputent à propos de la façon dont on doit reconnaître la Chine. Est-elle
une société « civilisée » ou plutôt « barbare » ? C'est une sorte de controverse de Valladolid
saison 2, vous savez ce débat célèbre du XVIe siècle pour savoir si les autochtones du nouveau
monde avait une âme ou pas.. C'est un feuilleton sans fin, aussi long que les Feux de l'amour.
Mais qu'on le veuille ou non, la Chine est omniprésente à tous les niveaux. Et,
à côté des penseurs et artistes, commencent à émerger depuis la scène parisienne le
développement d'une étude de la langue chinoise. A force de recevoir des ouvrages chinois,
Louis XIV entend commencer une classification afin de mettre au point un atelier de
traduction du chinois en français, histoire de comprendre un peu ce que ces livres racontent.
La chance lui sourit quand un certain « Arcade Huang », un jeune chinois converti
au christianisme , embarque avec son mentor Artus de Lionne de Canton pour Rome en 1702. En 1706,
il rentre de Rome à Paris pour se former à la prêtrise et ensuite embarquer en chine comme
missionnaire. De manière inattendue, il défie la volonté de son mentor,
n'entre pas au séminaire, et décide de rester en France.
En 1711, il est recommandé à Louis XIV comme responsable de
la traduction des lettres et classiques chinoises. Il est aussi chargé d'écrire
un livre de grammaire chinoise et un dictionnaire chinois-français.
Il se lie d'amitié avec plusieurs aristocrates et se marie même sur
Paris avec une certaine Marie-Claude Regnier qui désespère en réalisant
que le salaire de son mari n'est pas terrible. Considérant envers sa femme,
certains racontent qu'il prend alors l'initiative d'entreprendre tous les travaux ménagers. Il a
même confectionné des robes pour elle et fait quelques travaux de couture.
Autant vous dire que Huang se fait la réputation de « mari modèle
chinois » qui va se répandre rapidement dans le cercle de la sinologie à Paris.
Quand sa femme meurt en 1715 suite à des complications d'accouchement,
lui laissant une fille, il poursuit son immense travail à la sinologie et aux traductions
sino-françaises. Il s'éteint en 1716, et son élève M. Fourmont chargé de classer ses travaux,
fait en sorte de s'accorder tout le mérite de l'œuvre de son professeur.
Ouais...le type est vraiment hyper sympa...Par exemple il va dire que
c'est lui qui a permis la diffusion des deux cent quatorze clefs en France,
qui permettent de comprendre les caractères chinois. Ensuite il va publier un lexique
français-chinois et une grammaire du chinois mais sans jamais parler de son professeur qui
avait plus que débroussaillé le terrain. Et puis bien sûr il continuera par la suite à
dire publiquement que le boulot d'Arcade Huang n'était pas si ouf que ça...Bref,
je sais pas ce qu'il lui avait fait, mais il avait clairement une dent contre lui !
Une chose est sûre, c'est que l'œuvre de ce chinois sera en tout cas pionnière pour que
se développe en France une forte base d'étude de la chine et de sa langue en particulier.
La France verra de grands sinologues de renoms apparaître au début du XIXème siècle tel que
Jean-Pierre Abel-Rémusat, qui devient en 1814 professeur au Collège de France, où il est
titulaire de la chaire de langue et littérature chinoises et tartares-mandchoues. D'autres
suivront et la sinologie française deviendra petit à petit l'une des plus importantes dans le monde,
ce qui est le cas encore aujourd'hui.
Dans la seconde moitié du 19ème siècle,
les relations entre la Chine et l'Occident se feront plus conflictuelles. On a d'ailleurs
réalisé un épisode sur le sac du Palais d'été où l'on montre bien que la France,
parmi d'autres puissances coloniales, est tombée en disgrâce aux yeux de la Chine.
Mais jamais la relation entre la Chine et la France ne se sera totalement enrayée et
c'est grâce au rôle de ces missionnaires qui ont su, avec respect et bienveillance,
participer au partage des savoirs dans une envie humble de relayer les mondes entre eux !
Depuis le début du XXème siècle, sinologues, archéologues, artistes, entrepreneurs et hommes
politiques français ont préservé ces codes de respects hérités par les pères Jésuites. En 2019,
on a fêté, la veille de la pandémie mondiale, les 55 ans de relations diplomatiques entre les
deux puissances. Des relations initiées par De Gaulle en 1964 avec la jeune République
Populaire de Chine. Un premier pas d'un échange économique qui favorisera la Chine
dans de nombreux secteurs de l'industrie comme le nucléaire, l'aéronautique ou encore le TGV. Et si
ces relations ont parfois été parfois mises en sommeil, elles n'ont jamais cessé parce que les
rapports entre ces deux pays sont non seulement anciens mais aussi d'une grande richesse.
Et voilà les amis, c'est tout pour aujourd'hui pour ce nouvel épisode
préparé avec l'archéologue et sinologue Arnaud Bertrand, devenu jeune papa pour la seconde fois,
qui a quand même pu l'écrire entre deux biberons ! Bravo à lui et félicitations ! Merci également à
Marie-Alpais Dumoulin, Directrice de l'Institut de Recherche France-Asie situé sur Paris qui dispose
d'archives uniques sur les missionnaires. Merci infiniment à l'historienne Wu Huiyi, chercheuse
au Needham Research Institute, pour ses conseils très pertinents. Et merci à notre partenaire,
Tianci Media, qui valorise la culture et le patrimoine du continent asiatique. On se retrouve
vite pour un nouvel épisode sur la Chine. Salut !