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Bernadette, Sœur Marie-Bernard (Henri Lasserre), Livre 1 - La Vie Publique (7)

Livre 1 - La Vie Publique (7)

En ce moment, la Voyante fit, sur ses genoux, quelques pas en avant dans la Grotte. L'Apparition s'était déplacée, et Bernadette l'apercevait maintenant par l'ouverture intérieure.

Le regard de la sainte Vierge sembla, comme en un clin d'oeil, parcourir toute la terre, et Elle le reporta, tout imprégné de douleur, vers Bernadette agenouillée.

— Qu'avez-vous? Que faut-il faire? murmura l'enfant.

— Prier pour les pécheurs, répondit la Mère du genre humain.

En voyant ainsi la douleur voiler, comme un nuage, l'éternelle sérénité de la Vierge bienheureuse, le coeur de la pauvre bergère ressentit tout à coup une cruelle souffrance. Une indicible tristesse se répandit sur ses traits. De ses yeux, toujours tout grands ouverts et fixés sur l'Apparition, deux larmes roulèrent sur ses joues et s'y arrêtèrent, sans tomber.

Un rayon de joie revint enfin éclairer son visage : car la Vierge avait sans doute tourné elle-même son regard vers l'espérance et contemplé dans le sein du Père la source intarissable de la miséricorde infinie descendant sur le monde, au nom de Jésus et par les mains de l'Eglise.

Ce fut en cet instant que l'Apparition s'évanouit. La Reine du Ciel était rentrée dans son Royaume.

L'auréole, comme de coutume, demeura encore quelques secondes, puis s'effaça insensiblement, pareille à une brume lumineuse qui se fond et disparaît dans l'air.

Les traits de Bernadette descendirent peu à peu. Il sembla qu'elle passait de la région du soleil à celle de l'ombre, et la vulgarité de la terre reprit possession de ce visage, que l'on venait de voir éclatant et transfiguré.

Autour d'elle se pressait la foule haletante, anxieuse, émue, recueillie. Nous aurons ailleurs l'occasion de décrire son attitude.

Durant toute la matinée, après la Messe et jusqu'à l'heure des Vêpres, il ne fut bruit à Lourdes que de ces étranges événements, auxquels on donnait naturellement les interprétations les plus diverses. — Pour ceux qui avaient vu Bernadette en extase, la preuve était faite d'une façon qu ils prétendaient irrésistible. Quelques-uns rendaient leur pensée par des comparaisons assez heureuses : « — Dans nos vallées, le Soleil se montre tard, caché qu'il est à l'orient par le pic et le mont du Ger. Mais, bien avant de l'apercevoir, nous pouvons remarquer, à l'ouest, le reflet de ses rayons sur les flancs des montagnes de Bastsurguères, qui deviennent resplendissantes tandis que nous sommes encore dans l'ombre; et alors, quoique nous ne voyions pas directement le Soleil, mais seulement son reflet sur les pentes, nous affirmons sa présence derrière les masses énormes du Ger. « Bastsurguères voit le Soleil, » disons-nous; « et, si nous étions à la hauteur de Bastsurguères, nous le verrions aussi. » Eh bien! il en est de même quand on arrête son regard sur Bernadette, illuminée par l'invisible Apparition : la certitude est la même, l'évidence toute semblable. Le visage de la Voyante devient tout à coup si clair, si transfiguré, si manifestement imprégné de rayons divins, que ce reflet merveilleux que nous apercevons nous donne la pleine assurance du centre lumineux que nous n'apercevons pas. Et si nous n'avions pas, pour nous le cacher, toute une montagne de fautes, de misères, de préoccupations matérielles, d'opacité charnelle; si nous étions, nous aussi, à la hauteur de cette innocence d'enfant, de cette neige éternelle qu'aucun pied humain n'a foulée, nous aussi, nous verrions, non plus par reflet, mais directement, ce que contemple Bernadette ravie, ce qui rayonne sur ses traits en extase. »

De telles raisons, excellentes peut-être en elles-mêmes et concluantes pour ceux qui avaient été témoins de ce spectacle inouï, ne pouvaient être suffisantes pour ceux qui n'avaient rien vu. La Providence, à supposer qu'elle fût en réalité dans tout ceci, devait, ce semble, affirmer son action par des preuves, sinon meilleures (puisque presque personne ne résistait à celles-là dès qu'il les avait pu expérimenter), du moins plus matérielles, plus continues et en quelque sorte plus palpables. Peut-être était-ce là le profond dessein de Dieu, et ne convoquait-il de telles multitudes que pour avoir, à l'heure voulue, d'innombrables et d'irrécusables témoins.

A l'issue des Vêpres, Bernadette sortit de l'église avec la troupe des fidèles. Elle était, comme on le pense bien, l'objet de l'attention générale. On l'interrogeait, on l'entourait. La pauvre enfant répondait tout simplement, et, embarrassée de ce concours, tâchait de percer la foule afin de rentrer chez elle.

En ce moment, un homme revêtu des insignes de la force publique, un Sergent de ville, Officier de police, s'approcha d'elle et la toucha sur l'épaule.

Au nom de la Loi, dit-il.

— Que me voulez-vous? dit l'enfant.

— J'ai ordre de vous prendre et de vous emmener.

— Et où?

— Chez le Commissaire de Police. Suivez-moi.

Un murmure menaçant parcourut la multitude. Beaucoup de ceux qui étaient là avaient vu le matin l'humble enfant transfigurée par l'extase divine, illuminée par les rayons d'en haut. Pour eux, cette petite fille bénie de Dieu avait quelque chose de sacré. Aussi, lorsque l'Agent de la force publique osa poser sa main sur elle, ils frémirent d'indignation et voulurent intervenir. Mais un prêtre, qui sortait en cet instant de l'église, fit signe à la foule de se calmer: — Laissez faire l'Autorité, dit-il.

Par une coïncidence merveilleuse, comme on eu rencontre souvent dans l'histoire des événements surnaturels, quand on se donne la peine ou plutôt la joie de les approfondir, l'Église universelle avait chanté en ce jour, premier Dimanche de Carême, les paroles immortelles destinées à consoler et à conforter l'innocent et le faible en présence des persécutions : « Dieu t'a confié au soin de ses Anges pour qu'ils te gardent en ton chemin. Ils te porteront en leurs mains, de peur que tes pieds ne se heurtent et ne se blessent contre les pierres de la route... Espère en Lui : il te protégera à l'ombre de ses ailes. Sa Vertu toute-puissante t'entourera en quelque sorte comme d'un invincible bouclier. Va en toute confiance! tu écraseras sous tes pieds l'aspic et le serpent; le lion et le dragon seront abattus par toi... Parce qu'il a espéré en moi, dit le Seigneur, je le délivrerai. Je le protégerai, parce qu'il a confessé mon nom. Il m'invoquera et je l'exaucerai. Je suis avec lui dans la tribulation. » (Missel et Paroissien romains. 1er Dimanche de Carême. Introït, Graduel et Trait de la Messe, Répons des Vêpres)

L'Évangile de la messe racontait comment le Sauveur des hommes, type éternel des justes sur la terre, avait, à l'origine de sa mission divine, eu à subir sa Tentation; et il donnait tous les détails de sa lutte illustre et de sa victoire contre l'Esprit mauvais dans la solitude du désert : Ductus est Jesus in desertum, ut tentaretur a diabolo...

Tels étaient les textes, si consolants pour la faiblesse innocente et persécutée, que l'Église avait fait entendre; tels étaient les grands souvenirs qu'elle avait évoqués et dont elle célébrait la mémoire, précisément en ce jour où, au fond d'une obscure ville de la montagne, un Agent de la force publique venait de saisir, au nom de la Loi, une petite fille ignorante, pour la conduire auprès du plus adroit et du plus retors des représentants de l'Autorité.

La multitude, émue et troublée, avait suivi Bernadette, emmenée par l'Agent officiel. La maison du Commissaire de police n'était pas loin. Le Sergent entra avec l'enfant et, la laissant seule dans le corridor, se retourna pour fermer la porte à la clef et au verrou.

Un instant après, Bernadette se trouvait en face de M. Jacomet. Une foule immense stationnait au dehors.

L'homme très intelligent, qui allait interroger Bernadette se sentait assuré d'un facile triomphe, et il s'en était à l'avance hautement réjoui.

Il était de ceux qui repoussaient obstinément l'explication des savants du pays. Il ne croyait ni à la catalepsie, ni à l'hallucination, ni aux diverses illusions d'une extase maladive. La précision des récits qu'on attribuait à l'enfant, les remarques faites par le docteur Dozous et par plusieurs autres témoins des scènes de la Grotte lui paraissaient inconciliables avec une telle hypothèse. Quant au fait même des Apparitions, il n'admettait point, dit-on, la possibilité de ces visions ultra-mondaines; et son génie policier, très apte à dépister des fripons derrière un fait illégal, n'allait peut-être pas jusqu'à découvrir Dieu derrière un fait surnaturel. Aussi, convaincu en lui-môme qu'il ne pouvait y avoir que de fausses Apparitions , avait-il résolu de trouver, par ruse ou par force, le point de l'erreur, et de rendre aux libres penseurs du Pouvoir ou d'ailleurs le service signalé de saisir une manifestation surnaturelle, une croyance populaire, en flagrant délit d'imposture. Il avait lit une admirable occasion de porter un rude coup à la prétendue authenticité de toutes les Visions du passé, surtout s'il parvenait à découvrir et à montrer que le Clergé, qui s'abstenait si soigneusement dans cette affaire, la dirigeait ou l'exploitait secrètement.

A supposer que Dieu ne fût pour rien dans cet événement et que les hommes y fussent pour le tout, le raisonnement de Jacomet était excellent.

A supposer, au contraire, que Dieu y fût pour le tout et les hommes pour rien, le malheureux Commissaire de police s'engageait en ce moment dans la voie la plus funeste.

Dans ces dispositions d'esprit, M. Jacomet avait, dès les premiers jours, fait surveiller avec soin toutes les démarches de Bernadette, pour voir s'il ne surprendrait pas quelque communication mystérieuse entre la Voyante el tel ou tel membre du Clergé, soit de Lourdes, soit des environs. Il avait même, parait il, poussé le zèle de ses fonctions jusqu'à placer dans l'église une créature à lui pour avoir l'oeil sur le confessionnal. Mais les enfants du catéchisme se confessaient à tour de rôle toutes les quinzaines ou tous les mois, et le tour de Bernadette n était pas encore venu durant ces jours-la. Tous ces consciencieux efforts n'avaient amené la, découverte d'aucune complicité dans les actes de fourberie qu'il attribuait à Bernadette. Il en conclut qu'elle agissait probablement seule, sans cependant renoncer tout à fait à ses soupçons : car le véritable homme de police soupçonne toujours, même sans preuves; c'est ce qui constitue son type particulier et son génie propre.

Lorsque Bernadette entra, il arrêta sur elle ses yeux perçants et aigus, qu'il eut l'art merveilleux d'imprégner tout à coup de bonhomie et d 'abandon. Lui, qui avait habituellement le verbe haut avec tout le monde, il se montra plus que poli avec la pauvre fille du meunier Soubirous; il fut doux et insinuant. Il la fit asseoir et prit, pour l'interroger, l'air bienveillant d'un véritable ami.

— Il paraît que tu vois une belle Dame à la Grotte de Massabielle, ma bonne petite? Raconte-moi tout.

Comme il disait ces mots, la porte de la salle s'ouvrit doucement et quelqu'un entra. C'était M. Estrade, Receveur des Contributions indirectes, un des hommes considérables de Lourdes et l'un des plus intelligents. Ce fonctionnaire occupait une partie de la maison où demeurait M. Jacomet; et averti, par la rumeur de la foule, de l'arrivée de Bernadette chez le Commissaire, il avait eu la très naturelle curiosité d'assister il l'interrogatoire. Il partageait d'ailleurs, au sujet des Apparitions, les idées de Jacomet, et il croyait, comme lui, à une fourberie de l'enfant. Il haussait les épaules quand on lui donnait toute autre explication. Il considérait ces prétendues Visions comme tellement absurdes qu'il n'avait pas même daigné aller à la Grotte regarder les scènes étranges dont tout le monde parlait. Ce philosophe s'assit un peu à l'écart, après avoir fait signe au Commissaire de ne point s'interrompre. Tout cela se passa sans que Bernadette parût y faire grande attention.


Livre 1 - La Vie Publique (7) Buch 1 - Das öffentliche Leben (7) Book 1 - Public Life (7)

En ce moment, la Voyante fit, sur ses genoux, quelques pas en avant dans la Grotte. L'Apparition s'était déplacée, et Bernadette l'apercevait maintenant par l'ouverture intérieure.

Le regard de la sainte Vierge sembla, comme en un clin d'oeil, parcourir toute la terre, et Elle le reporta, tout imprégné de douleur, vers Bernadette agenouillée.

— Qu'avez-vous? Que faut-il faire? murmura l'enfant.

— Prier pour les pécheurs, répondit la Mère du genre humain.

En voyant ainsi la douleur voiler, comme un nuage, l'éternelle sérénité de la Vierge bienheureuse, le coeur de la pauvre bergère ressentit tout à coup une cruelle souffrance. Une indicible tristesse se répandit sur ses traits. De ses yeux, toujours tout grands ouverts et fixés sur l'Apparition, deux larmes roulèrent sur ses joues et s'y arrêtèrent, sans tomber.

Un rayon de joie revint enfin éclairer son visage : car la Vierge avait sans doute tourné elle-même son regard vers l'espérance et contemplé dans le sein du Père la source intarissable de la miséricorde infinie descendant sur le monde, au nom de Jésus et par les mains de l'Eglise.

Ce fut en cet instant que l'Apparition s'évanouit. La Reine du Ciel était rentrée dans son Royaume.

L'auréole, comme de coutume, demeura encore quelques secondes, puis s'effaça insensiblement, pareille à une brume lumineuse qui se fond et disparaît dans l'air.

Les traits de Bernadette descendirent peu à peu. Il sembla qu'elle passait de la région du soleil à celle de l'ombre, et la vulgarité de la terre reprit possession de ce visage, que l'on venait de voir éclatant et transfiguré.

Autour d'elle se pressait la foule haletante, anxieuse, émue, recueillie. Nous aurons ailleurs l'occasion de décrire son attitude.

Durant toute la matinée, après la Messe et jusqu'à l'heure des Vêpres, il ne fut bruit à Lourdes que de ces étranges événements, auxquels on donnait naturellement les interprétations les plus diverses. — Pour ceux qui avaient vu Bernadette en extase, la preuve était faite d'une façon qu ils prétendaient irrésistible. Quelques-uns rendaient leur pensée par des comparaisons assez heureuses : « — Dans nos vallées, le Soleil se montre tard, caché qu'il est à l'orient par le pic et le mont du Ger. Mais, bien avant de l'apercevoir, nous pouvons remarquer, à l'ouest, le reflet de ses rayons sur les flancs des montagnes de Bastsurguères, qui deviennent resplendissantes tandis que nous sommes encore dans l'ombre; et alors, quoique nous ne voyions pas directement le Soleil, mais seulement son reflet sur les pentes, nous affirmons sa présence derrière les masses énormes du Ger. « Bastsurguères voit le Soleil, » disons-nous; « et, si nous étions à la hauteur de Bastsurguères, nous le verrions aussi. » Eh bien! il en est de même quand on arrête son regard sur Bernadette, illuminée par l'invisible Apparition : la certitude est la même, l'évidence toute semblable. Le visage de la Voyante devient tout à coup si clair, si transfiguré, si manifestement imprégné de rayons divins, que ce reflet merveilleux que nous apercevons nous donne la pleine assurance du centre lumineux que nous n'apercevons pas. Et si nous n'avions pas, pour nous le cacher, toute une montagne de fautes, de misères, de préoccupations matérielles, d'opacité charnelle; si nous étions, nous aussi, à la hauteur de cette innocence d'enfant, de cette neige éternelle qu'aucun pied humain n'a foulée, nous aussi, nous verrions, non plus par reflet, mais directement, ce que contemple Bernadette ravie, ce qui rayonne sur ses traits en extase. »

De telles raisons, excellentes peut-être en elles-mêmes et concluantes pour ceux qui avaient été témoins de ce spectacle inouï, ne pouvaient être suffisantes pour ceux qui n'avaient rien vu. La Providence, à supposer qu'elle fût en réalité dans tout ceci, devait, ce semble, affirmer son action par des preuves, sinon meilleures (puisque presque personne ne résistait à celles-là dès qu'il les avait pu expérimenter), du moins plus matérielles, plus continues et en quelque sorte plus palpables. Peut-être était-ce là le profond dessein de Dieu, et ne convoquait-il de telles multitudes que pour avoir, à l'heure voulue, d'innombrables et d'irrécusables témoins.

A l'issue des Vêpres, Bernadette sortit de l'église avec la troupe des fidèles. Elle était, comme on le pense bien, l'objet de l'attention générale. On l'interrogeait, on l'entourait. La pauvre enfant répondait tout simplement, et, embarrassée de ce concours, tâchait de percer la foule afin de rentrer chez elle.

En ce moment, un homme revêtu des insignes de la force publique, un Sergent de ville, Officier de police, s'approcha d'elle et la toucha sur l'épaule.

Au nom de la Loi, dit-il.

— Que me voulez-vous? dit l'enfant.

— J'ai ordre de vous prendre et de vous emmener.

— Et où?

— Chez le Commissaire de Police. Suivez-moi.

Un murmure menaçant parcourut la multitude. Beaucoup de ceux qui étaient là avaient vu le matin l'humble enfant transfigurée par l'extase divine, illuminée par les rayons d'en haut. Pour eux, cette petite fille bénie de Dieu avait quelque chose de sacré. Aussi, lorsque l'Agent de la force publique osa poser sa main sur elle, ils frémirent d'indignation et voulurent intervenir. Mais un prêtre, qui sortait en cet instant de l'église, fit signe à la foule de se calmer: — Laissez faire l'Autorité, dit-il.

Par une coïncidence merveilleuse, comme on eu rencontre souvent dans l'histoire des événements surnaturels, quand on se donne la peine ou plutôt la joie de les approfondir, l'Église universelle avait chanté en ce jour, premier Dimanche de Carême, les paroles immortelles destinées à consoler et à conforter l'innocent et le faible en présence des persécutions : « Dieu t'a confié au soin de ses Anges pour qu'ils te gardent en ton chemin. Ils te porteront en leurs mains, de peur que tes pieds ne se heurtent et ne se blessent contre les pierres de la route... Espère en Lui : il te protégera à l'ombre de ses ailes. Sa Vertu toute-puissante t'entourera en quelque sorte comme d'un invincible bouclier. Va en toute confiance! tu écraseras sous tes pieds l'aspic et le serpent; le lion et le dragon seront abattus par toi... Parce qu'il a espéré en moi, dit le Seigneur, je le délivrerai. Je le protégerai, parce qu'il a confessé mon nom. Il m'invoquera et je l'exaucerai. __Je suis avec lui dans la tribulation__. » (Missel et Paroissien romains. 1er Dimanche de Carême. Introït, Graduel et Trait de la Messe, Répons des Vêpres)

L'Évangile de la messe racontait comment le Sauveur des hommes, type éternel des justes sur la terre, avait, à l'origine de sa mission divine, eu à subir sa Tentation; et il donnait tous les détails de sa lutte illustre et de sa victoire contre l'Esprit mauvais dans la solitude du désert : __Ductus est Jesus in desertum, ut tentaretur a diabolo__...

Tels étaient les textes, si consolants pour la faiblesse innocente et persécutée, que l'Église avait fait entendre; tels étaient les grands souvenirs qu'elle avait évoqués et dont elle célébrait la mémoire, précisément en ce jour où, au fond d'une obscure ville de la montagne, un Agent de la force publique venait de saisir, au nom de la Loi, une petite fille ignorante, pour la conduire auprès du plus adroit et du plus retors des représentants de l'Autorité.

La multitude, émue et troublée, avait suivi Bernadette, emmenée par l'Agent officiel. La maison du Commissaire de police n'était pas loin. Le Sergent entra avec l'enfant et, la laissant seule dans le corridor, se retourna pour fermer la porte à la clef et au verrou.

Un instant après, Bernadette se trouvait en face de M. Jacomet. Une foule immense stationnait au dehors.

L'homme très intelligent, qui allait interroger Bernadette se sentait assuré d'un facile triomphe, et il s'en était à l'avance hautement réjoui.

Il était de ceux qui repoussaient obstinément l'explication des savants du pays. Il ne croyait ni à la catalepsie, ni à l'hallucination, ni aux diverses illusions d'une extase maladive. La précision des récits qu'on attribuait à l'enfant, les remarques faites par le docteur Dozous et par plusieurs autres témoins des scènes de la Grotte lui paraissaient inconciliables avec une telle hypothèse. Quant au fait même des Apparitions, il n'admettait point, dit-on, la possibilité de ces visions ultra-mondaines; et son génie policier, très apte à dépister des fripons derrière un fait illégal, n'allait peut-être pas jusqu'à découvrir Dieu derrière un fait surnaturel. Sein polizeiliches Genie, das sehr gut darin war, Schurken hinter einer illegalen Tat aufzuspüren, ging vielleicht nicht so weit, Gott hinter einer übernatürlichen Tat zu entdecken. Aussi, convaincu en lui-môme qu'il ne pouvait y avoir que de fausses Apparitions , avait-il résolu de trouver, par ruse ou par force, le point de l'erreur, et de rendre aux libres penseurs du Pouvoir ou d'ailleurs le service signalé de saisir une manifestation surnaturelle, une croyance populaire, en flagrant délit d'imposture. Er war davon überzeugt, dass es nur falsche Erscheinungen geben konnte, und beschloss, mit List oder Gewalt den Punkt des Irrtums zu finden und den Freidenkern an der Macht oder anderswo den Dienst zu erweisen, eine übernatürliche Erscheinung oder einen Volksglauben in flagranti als Schwindel zu ertappen. Il avait lit une admirable occasion de porter un rude coup à la prétendue authenticité de toutes les Visions du passé, surtout s'il parvenait à découvrir et à montrer que le Clergé, qui s'abstenait si soigneusement dans cette affaire, la dirigeait ou l'exploitait secrètement. Er hatte eine wunderbare Gelegenheit, der angeblichen Echtheit aller Visionen der Vergangenheit einen schweren Schlag zu versetzen, vor allem, wenn es ihm gelang, herauszufinden und zu zeigen, dass der Klerus, der sich in dieser Angelegenheit so sorgfältig zurückhielt, sie insgeheim lenkte oder ausnutzte.

A supposer que Dieu ne fût pour rien dans cet événement et que les hommes y fussent pour le tout, le raisonnement de Jacomet était excellent. Angenommen, Gott hatte mit diesem Ereignis nichts zu tun und die Menschen waren an allem schuld, dann war Jacomets Argumentation ausgezeichnet.

A supposer, au contraire, que Dieu y fût pour le tout et les hommes pour rien, le malheureux Commissaire de police s'engageait en ce moment dans la voie la plus funeste.

Dans ces dispositions d'esprit, M. Jacomet avait, dès les premiers jours, fait surveiller avec soin toutes les démarches de Bernadette, pour voir s'il ne surprendrait pas quelque communication mystérieuse entre la Voyante el tel ou tel membre du Clergé, soit de Lourdes, soit des environs. Il avait même, parait il, poussé le zèle de ses fonctions jusqu'à placer dans l'église une créature à lui pour avoir l'oeil sur le confessionnal. Mais les enfants du catéchisme se confessaient à tour de rôle toutes les quinzaines ou tous les mois, et le tour de Bernadette n était pas encore venu durant ces jours-la. Tous ces consciencieux efforts n'avaient amené la, découverte d'aucune complicité dans les actes de fourberie qu'il attribuait à Bernadette. All seine gewissenhaften Bemühungen hatten nicht dazu geführt, dass er eine Mitschuld an den hinterlistigen Handlungen, die er Bernadette zuschrieb, entdeckt hatte. Il en conclut qu'elle agissait probablement seule, sans cependant renoncer tout à fait à ses soupçons : car le véritable homme de police soupçonne toujours, même sans preuves; c'est ce qui constitue son type particulier et son génie propre.

Lorsque Bernadette entra, il arrêta sur elle ses yeux perçants et aigus, qu'il eut l'art merveilleux d'imprégner tout à coup de bonhomie et d 'abandon. Lui, qui avait habituellement le verbe haut avec tout le monde, il se montra plus que poli avec la pauvre fille du meunier Soubirous; il fut doux et insinuant. Il la fit asseoir et prit, pour l'interroger, l'air bienveillant d'un véritable ami.

— Il paraît que tu vois une belle Dame à la Grotte de Massabielle, ma bonne petite? Raconte-moi tout.

Comme il disait ces mots, la porte de la salle s'ouvrit doucement et quelqu'un entra. C'était M. Estrade, Receveur des Contributions indirectes, un des hommes considérables de Lourdes et l'un des plus intelligents. Es war Herr Estrade, Receveur des Contributions indirectes, einer der ansehnlichen Männer von Lourdes und einer der intelligentesten. Ce fonctionnaire occupait une partie de la maison où demeurait M. Jacomet; et averti, par la rumeur de la foule, de l'arrivée de Bernadette chez le Commissaire, il avait eu la très naturelle curiosité d'assister il l'interrogatoire. Dieser Beamte bewohnte einen Teil des Hauses, in dem Herr Jacomet wohnte, und hatte durch das Gerücht der Menge von Bernadettes Ankunft beim Kommissar erfahren und war ganz natürlich neugierig, dem Verhör beizuwohnen. Il partageait d'ailleurs, au sujet des Apparitions, les idées de Jacomet, et il croyait, comme lui, à une fourberie de l'enfant. Il haussait les épaules quand on lui donnait toute autre explication. Il considérait ces prétendues Visions comme tellement absurdes qu'il n'avait pas même daigné aller à la Grotte regarder les scènes étranges dont tout le monde parlait. Ce philosophe s'assit un peu à l'écart, après avoir fait signe au Commissaire de ne point s'interrompre. Tout cela se passa sans que Bernadette parût y faire grande attention.