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Bernadette, Sœur Marie-Bernard (Henri Lasserre), Livre 1 - La Vie Publique (16)

Livre 1 - La Vie Publique (16)

L'émotion populaire avait pris des proportions considérables. Bernadette était acclamée quand elle passait, et la pauvre enfant rentrait en toute hâte chez elle pour échapper à ces ovations. Cette âme humble, qui avait vécu jusque-là ignorée, dans le silence et dans la solitude, se trouvait tout à coup placée en pleine lumière, au milieu du tumulte et de la foule, sur le piédestal de la renommée. Cette gloire, que tant d'autres recherchent, était pour elle le plus cruel des martyres. Ses moindres paroles étaient commentées, discutées, admirées, repoussées, bafouées, livrées en un mot aux souffles divers des disputes humaines. Et c'est alors qu'elle goûtait l'intime joie de n'avoir pas tout à dire, et de trouver, dans les trois secrets que lui avait révélés la Vierge, comme un sanctuaire réservé où elle pouvait, en toute paix, retirer son coeur et le rafraîchir, dans l'ombre de ce mystère et dans le charme de cette intimité avec la Reine du ciel. Un avenir était proche où cette épreuve de la popularité allait grandir encore.

Ainsi que nous l'avons raconté tout à l'heure, le jaillissement de la Source avait eu lieu vers le lever du soleil, en présence d'une foule nombreuse. C'était le 25 février, un jeudi, le troisième du mois, jour de grand marché à Tarbes. La nouvelle de l'événement merveilleux qui s'était produit le malin aux Roches Massabielle fut donc portée au chef-lieu par une multitude de témoins occulaires, et répandue dès le soir même dans tout le département et jusqu'aux villes les plus proches des départements voisins. Le mouvement extraordinaire qui depuis une huitaine attirait à Lourdes tant de pèlerins et de curieux, prit dès ce moment un développement inouï.

Un grand nombre de visiteurs vinrent coucher à Lourdes pour s'y trouver le lendemain; d'autres marchèrent toute la nuit: et, aux premiers rayons de l'aube, à l'heure où Bernadette avait coutume d'arriver, cinq à six mille personnes se pressant sur les rives du Gave, sur les tertres et sur les rochers, campaient aux abords de la Grotte. La Source, plus abondante que la veille, était déjà considérable.

Quand la Voyante, toute simple et paisible au milieu de cette agitation, se présenta pour prier, les populations s'écrièrent: « Voilà la Sainte! voilà la Sainte! » Plusieurs cherchaient à toucher ses vêtements, considérant comme sacré tout objet qui appartenait à cette privilégiée du Seigneur.

La Mère des humbles et des petits ne voulait point cependant que ce coeur innocent succombât à la tentation de la vaine gloire, et que Bernadette pût s'enorgueillir un instant des faveurs singulières dont elle était l'objet. Il était bon que l'enfant, saluée de tous côtés par ces acclamations, sentît qu'elle n'était rien, et qu'elle conslatàt une fois de plus son impuissance à évoquer par elle-même la Vision divine. Vainement elle pria. On ne vit point se répandre sur ses traits l'éclat surhumain de l'extase; et quand elle se releva, après sa longue prière, elle répondit avec tristesse aux interrogations dont on l'entourait, que la Vision d'en haut n'était point apparue.

Cette absence de la Vierge avait sans doute pour but de maintenir Bernadette dans l'humilité et dans la conscience de son néant; mais elle contenait peut-être aussi, pour le peuple chrétien, un haut et mystérieux enseignement, dont la portée n'échappera point aux âmes accoutumées à contempler et à admirer les secrètes harmonies que Dieu se plaît à cacher en ses oeuvres, comme une signature de sa main.

Si le ciel s'était ce jour-là fermé aux regards de Bernadette, si la céleste Créature qui lui apparaissait dans une chair visible avait semblé rentrer tout à coup dans la région inaccessible aux sens, la preuve de la réalité et de la puissance de cet Être surhumain, la fontaine, surgie la veille et de plus en plus grandissante, était manifeste à tous les regards et ruisselait sur le sol incliné de la Grotte aux yeux des multitudes émerveillées.

La Vierge se retirait pour laisser en quelque sorte parler son oeuvre. La Vierge se retirait aussi et se taisait pour laisser parler l'Église de ce pays dont les paroles, à l'Introït de la Messe et aux Répons de Matines, pouvaient servir à indiquer le principe et à marquer la nature de cette Fontaine extraordinaire qui avait surgi soudainement sous la main de Bernadette en extase.

Tandis, en effet, que ceci se passait à la Grotte, devant la Source miraculeuse jaillie du côté droit de l'aride rocher, on célébrait dans le diocèse de Tarbes et dans plusieurs diocèses de France la mémoire d'une autre Source, la plus illustre et la plus vivifiante de toutes celles qui, depuis six mille années, ont arrosé l'héritage des enfants d'Adam. Ce jour-là, 26 février 1858, vendredi de la première semaine de Carême, était fête de la Sainte Lance et des Clous de Nôtre-Seigneur. Et la Source dont nous parlons, et dont les Offices particuliers du diocèse glorifiaient le souvenir, était la grande Source divine que la Lance du centurion romain, perçant le côté droit du Christ inanimé, avait fait jaillir comme un fleuve de vie pour régénérer la terre et sauver le genre humain. « J'ai nu une eau qui jaillissait du temple, du côté droit, et tous ceux à qui cette eau arrivait ont été sauvés, » s'était écrié le Prophète, contemplant à travers les siècles les prodiges de la miséricorde de Dieu. « En ce jour-là, disaient les prêtres en l'Office des Matines, il y aura, pour la maison de David et les habitants de Jérusalem, une Fontaine ouverte, servant à la purification du pêcheur et de toute personne souillée. »

Par ces coïncidences vraiment étonnantes et que nous engageons instamment le lecteur à vérifier lui-même dans les textes liturgiques que nous indiquons en notes; par de telles coïncidences, l'Eglise de ce pays répondait avec une clarté éblouissante aux questions sans nombre que l'on se faisait autour de la fontaine merveilleuse, jaillissant au côté droit de la Grotte. La Source qui surgissait ainsi à la base des Pyrénées relevait, par une infiltration mystérieuse, de ce fleuve immense de grâces divines qui, sous les Clous des soldats et la Lance du centurion, commença à couler il y a dix-huit siècles au sommet du mont Golgotha.

Tel était le principe intime auquel il fallait remonter pour trouver l'origine cachée de la Source miraculeuse, et il était bon que les Offices célébrés à son point de départ, au lieu où elle venait de percer la terre, conduisissent d'eux-mêmes l'esprit vers ces mystiques hauteurs. Quant aux résultats pratiques, quant aux effets extérieurs que devait produire au dehors cette Fontaine de l'Apparition, il en fallait tout naturellement demander l'interprétation et le secret, non plus au centre et au point de départ, non plus dans le cercle restreint et à la fête exceptionnelle d'un diocèse particulier, mais bien aux Offices universels que l'Église catholique, apostolique et romaine célébrait partout à cette heure dans le monde chrétien. Or, ce même jour, 26 février 1858, Vendredi de la première semaine de Carême, l'Évangile de la Messe contenait ces paroles, qui n'ont pas besoin de réflexions : « Et il y avait à Jérusalem la Piscine probatique, appelée en hébreu Bethsaïda. Elle a cinq portiques, sous lesquels gisaient une grande multitude de malades, d 'aveugles, de boiteux, de gens dont les membres étaient paralysés, attendant le mouvement des eaux. Car l'Ange du Seigneur descendait à un certain moment dans la Piscine, et l'eau s'agitait. Et celui qui le premier, après le mouvement de l'eau, se plongeait dans la Piscine, était guéri de son infirmité, quelle qu'elle fut. »

Quoique dans la multitude nul peut-être ne fit de tels rapprochements, l'idée que les eaux de la Source jaillie à la Grotte pouvaient guérir les malades, avait dû venir d'elle-même à l'esprit de tous. Dans le courant même de ce jour, le bruit de plusieurs guérisons merveilleuses commença à se répandre de tous côtés. Au milieu des versions contradictoires qui circulaient, en présence de la sincérité des uns, de l'exagération volontaire ou involontaire des autres, de l'absolue négation de plusieurs, des hésitations et du trouble d'un grand nombre, de l'émotion universelle, il était difficile tout d'abord de discerner le vrai du faux parmi les faits miraculeux, que l'on affirmait de toutes parts, mais en les racontant de diverses sortes, tantôt en estropiant les noms, tantôt en confondant les personnes, tantôt en mêlant les circonstances de plusieurs épisodes différents et étrangers l'un à l'autre.

Avez-vous jamais, en vous promenant dans la campagne, jeté brusquement une poignée de blé dans une fourmilière? Les fourmis effarées courent de côté et d'autre dans une agitation extraordinaire : elles vont, elles viennent, elles se croisent, elles se heurtent, elles s'arrêtent, elles reprennent leur marche, retournent sur leurs pas, s'éloignent tout à coup du point où elles semblaient courir, ramassent un grain de blé, puis le laissent là, errant de toutes parts dans un fiévreux désordre, en proie à une confusion inexprimable.

Telles étaient à Lourdes les multitudes d'habilants et d'étrangers, dans la stupeur où les jetaient les merveilles surhumaines qui leur arrivaient du Ciel. Tel est toujours d'ailleurs le monde naturel, quand il est visité tout à coup par quelque fait du monde surnaturel.

Peu à peu cependant l'ordre se fait dans la fourmilière, un instant troublée.

Ce fut en ce moment que se produisirent les premiers miracles par l'usage de l'eau de la Grotte, et l'invocation de Celle qui y apparaissait. Les raconter ici serait sortir du cadre des épisodes relatifs à la Voyante. Nous renvoyons donc à notre livre intitulé Notre-Dame de Lourdes, d'où toute cette première partie est extraite, ceux qui voudraient connaître le détail de ces guérisons surnaturelles, à la suite desquelles l'affluence prit des proportions tout à fait extraordinaires.

Reprenons le récit de ce qui touche plus directement à Bernadette.

A la Grotte, malgré cet immense concours, tout continuait de se passer avec le plus grand ordre. On puisait à la Source, on chantait des cantiques, on priait.

Les soldats de la garnison, émus comme tout le peuple de ces pays, avaient demandé au Commandant du fort la permission d'aller, eux aussi, aux Roches Massabielle. Avec l'instinct de discipline développé en eux par le régime militaire, ils veillaient d'eux-mêmes à éviter l'encombrement, à laisser libres certains passages, à empêcher la foule de se trop avancer sur les rives pér illeuses du Gave; ils s'employaient de côté et d'autre, prenant spontanément une certaine autorité, que personne, avec raison, ne songeait à leur contester.

Quelques jours s'écoulèrent ainsi, pendant lesquels l'Apparition se manifesta sans aucune particularité nouvelle, sinon que la Source grandissait toujours et que les guérisons miraculeuses se multipliaient de plus en plus. Il y eut dans le camp de la Libre Pensée un moment de stupeur profonde. Les faits devenaient si nombreux, si constatés, si patents, qu'à chaque instant des défections se produisaient parmi les incrédules. Les meilleurs et les plus droits se laissaient gagner par l'évidence. Toutefois il restait un indestructible noyau d'esprits se disant forts, et dont la force consistait à se roidir contre les preuves et à refuser de se rendre à la vérité. Cela semblerait impossible si l'univers entier ne savait qu'une grande partie du peuple juif a résisté aux miracles même de Jésus-Christ et des Apôtres, et qu'il a fallu quatre siècles de prodiges pour ouvrir complètement les yeux du monde païen.


Livre 1 - La Vie Publique (16)

L'émotion populaire avait pris des proportions considérables. Bernadette était acclamée quand elle passait, et la pauvre enfant rentrait en toute hâte chez elle pour échapper à ces ovations. Cette âme humble, qui avait vécu jusque-là ignorée, dans le silence et dans la solitude, se trouvait tout à coup placée en pleine lumière, au milieu du tumulte et de la foule, sur le piédestal de la renommée. Cette gloire, que tant d'autres recherchent, était pour elle le plus cruel des martyres. Ses moindres paroles étaient commentées, discutées, admirées, repoussées, bafouées, livrées en un mot aux souffles divers des disputes humaines. Et c'est alors qu'elle goûtait l'intime joie de n'avoir pas tout à dire, et de trouver, dans les trois secrets que lui avait révélés la Vierge, comme un sanctuaire réservé où elle pouvait, en toute paix, retirer son coeur et le rafraîchir, dans l'ombre de ce mystère et dans le charme de cette intimité avec la Reine du ciel. Un avenir était proche où cette épreuve de la popularité allait grandir encore.

Ainsi que nous l'avons raconté tout à l'heure, le jaillissement de la Source avait eu lieu vers le lever du soleil, en présence d'une foule nombreuse. C'était le 25 février, un jeudi, le troisième du mois, jour de grand marché à Tarbes. La nouvelle de l'événement merveilleux qui s'était produit le malin aux Roches Massabielle fut donc portée au chef-lieu par une multitude de témoins occulaires, et répandue dès le soir même dans tout le département et jusqu'aux villes les plus proches des départements voisins. Le mouvement extraordinaire qui depuis une huitaine attirait à Lourdes tant de pèlerins et de curieux, prit dès ce moment un développement inouï.

Un grand nombre de visiteurs vinrent coucher à Lourdes pour s'y trouver le lendemain; d'autres marchèrent toute la nuit: et, aux premiers rayons de l'aube, à l'heure où Bernadette avait coutume d'arriver, cinq à six mille personnes se pressant sur les rives du Gave, sur les tertres et sur les rochers, campaient aux abords de la Grotte. La Source, plus abondante que la veille, était déjà considérable.

Quand la Voyante, toute simple et paisible au milieu de cette agitation, se présenta pour prier, les populations s'écrièrent: « Voilà la Sainte! voilà la Sainte! » Plusieurs cherchaient à toucher ses vêtements, considérant comme sacré tout objet qui appartenait à cette privilégiée du Seigneur.

La Mère des humbles et des petits ne voulait point cependant que ce coeur innocent succombât à la tentation de la vaine gloire, et que Bernadette pût s'enorgueillir un instant des faveurs singulières dont elle était l'objet. Il était bon que l'enfant, saluée de tous côtés par ces acclamations, sentît qu'elle n'était rien, et qu'elle conslatàt une fois de plus son impuissance à évoquer par elle-même la Vision divine. Vainement elle pria. On ne vit point se répandre sur ses traits l'éclat surhumain de l'extase; et quand elle se releva, après sa longue prière, elle répondit avec tristesse aux interrogations dont on l'entourait, que la Vision d'en haut n'était point apparue.

Cette absence de la Vierge avait sans doute pour but de maintenir Bernadette dans l'humilité et dans la conscience de son néant; mais elle contenait peut-être aussi, pour le peuple chrétien, un haut et mystérieux enseignement, dont la portée n'échappera point aux âmes accoutumées à contempler et à admirer les secrètes harmonies que Dieu se plaît à cacher en ses oeuvres, comme une signature de sa main.

Si le ciel s'était ce jour-là fermé aux regards de Bernadette, si la céleste Créature qui lui apparaissait dans une chair visible avait semblé rentrer tout à coup dans la région inaccessible aux sens, la preuve de la réalité et de la puissance de cet Être surhumain, la fontaine, surgie la veille et de plus en plus grandissante, était manifeste à tous les regards et ruisselait sur le sol incliné de la Grotte aux yeux des multitudes émerveillées.

La Vierge se retirait pour laisser en quelque sorte parler son oeuvre. La Vierge se retirait aussi et se taisait pour laisser parler l'Église de ce pays dont les paroles, à l'Introït de la Messe et aux Répons de Matines, pouvaient servir à indiquer le principe et à marquer la nature de cette Fontaine extraordinaire qui avait surgi soudainement sous la main de Bernadette en extase.

Tandis, en effet, que ceci se passait à la Grotte, devant la Source miraculeuse jaillie du côté droit de l'aride rocher, on célébrait dans le diocèse de Tarbes et dans plusieurs diocèses de France la mémoire d'une autre Source, la plus illustre et la plus vivifiante de toutes celles qui, depuis six mille années, ont arrosé l'héritage des enfants d'Adam. Ce jour-là, 26 février 1858, vendredi de la première semaine de Carême, était fête de la Sainte Lance et des Clous de Nôtre-Seigneur. Et la Source dont nous parlons, et dont les Offices particuliers du diocèse glorifiaient le souvenir, était la grande Source divine que la Lance du centurion romain, perçant le côté droit du Christ inanimé, avait fait jaillir comme un fleuve de vie pour régénérer la terre et sauver le genre humain. « J'ai nu une eau qui jaillissait du temple, du côté droit, et tous ceux à qui cette eau arrivait ont été sauvés, » s'était écrié le Prophète, contemplant à travers les siècles les prodiges de la miséricorde de Dieu. « En ce jour-là, disaient les prêtres en l'Office des Matines, il y aura, pour la maison de David et les habitants de Jérusalem, une Fontaine ouverte, servant à la purification du pêcheur et de toute personne souillée. »

Par ces coïncidences vraiment étonnantes et que nous engageons instamment le lecteur à vérifier lui-même dans les textes liturgiques que nous indiquons en notes; par de telles coïncidences, l'Eglise de ce pays répondait avec une clarté éblouissante aux questions sans nombre que l'on se faisait autour de la fontaine merveilleuse, jaillissant au côté droit de la Grotte. La Source qui surgissait ainsi à la base des Pyrénées relevait, par une infiltration mystérieuse, de ce fleuve immense de grâces divines qui, sous les Clous des soldats et la Lance du centurion, commença à couler il y a dix-huit siècles au sommet du mont Golgotha.

Tel était le principe intime auquel il fallait remonter pour trouver l'origine cachée de la Source miraculeuse, et il était bon que les Offices célébrés à son point de départ, au lieu où elle venait de percer la terre, conduisissent d'eux-mêmes l'esprit vers ces mystiques hauteurs. Quant aux résultats pratiques, quant aux effets extérieurs que devait produire au dehors cette Fontaine de l'Apparition, il en fallait tout naturellement demander l'interprétation et le secret, non plus au centre et au point de départ, non plus dans le cercle restreint et à la fête exceptionnelle d'un diocèse particulier, mais bien aux Offices universels que l'Église catholique, apostolique et romaine célébrait partout à cette heure dans le monde chrétien. Or, ce même jour, 26 février 1858, Vendredi de la première semaine de Carême, l'Évangile de la Messe contenait ces paroles, qui n'ont pas besoin de réflexions : « Et il y avait à Jérusalem la Piscine probatique, appelée en hébreu Bethsaïda. Elle a cinq portiques, sous lesquels gisaient une grande multitude de malades, d 'aveugles, de boiteux, de gens dont les membres étaient paralysés, attendant le mouvement des eaux. Car l'Ange du Seigneur descendait à un certain moment dans la Piscine, et l'eau s'agitait. Et celui qui le premier, après le mouvement de l'eau, se plongeait dans la Piscine, était guéri de son infirmité, quelle qu'elle fut. »

Quoique dans la multitude nul peut-être ne fit de tels rapprochements, l'idée que les eaux de la Source jaillie à la Grotte pouvaient guérir les malades, avait dû venir d'elle-même à l'esprit de tous. Dans le courant même de ce jour, le bruit de plusieurs guérisons merveilleuses commença à se répandre de tous côtés. Au milieu des versions contradictoires qui circulaient, en présence de la sincérité des uns, de l'exagération volontaire ou involontaire des autres, de l'absolue négation de plusieurs, des hésitations et du trouble d'un grand nombre, de l'émotion universelle, il était difficile tout d'abord de discerner le vrai du faux parmi les faits miraculeux, que l'on affirmait de toutes parts, mais en les racontant de diverses sortes, tantôt en estropiant les noms, tantôt en confondant les personnes, tantôt en mêlant les circonstances de plusieurs épisodes différents et étrangers l'un à l'autre.

Avez-vous jamais, en vous promenant dans la campagne, jeté brusquement une poignée de blé dans une fourmilière? Les fourmis effarées courent de côté et d'autre dans une agitation extraordinaire : elles vont, elles viennent, elles se croisent, elles se heurtent, elles s'arrêtent, elles reprennent leur marche, retournent sur leurs pas, s'éloignent tout à coup du point où elles semblaient courir, ramassent un grain de blé, puis le laissent là, errant de toutes parts dans un fiévreux désordre, en proie à une confusion inexprimable.

Telles étaient à Lourdes les multitudes d'habilants et d'étrangers, dans la stupeur où les jetaient les merveilles surhumaines qui leur arrivaient du Ciel. Tel est toujours d'ailleurs le monde naturel, quand il est visité tout à coup par quelque fait du monde surnaturel.

Peu à peu cependant l'ordre se fait dans la fourmilière, un instant troublée.

Ce fut en ce moment que se produisirent les premiers miracles par l'usage de l'eau de la Grotte, et l'invocation de Celle qui y apparaissait. Les raconter ici serait sortir du cadre des épisodes relatifs à la Voyante. Nous renvoyons donc à notre livre intitulé __Notre-Dame de Lourdes__, d'où toute cette première partie est extraite, ceux qui voudraient connaître le détail de ces guérisons surnaturelles, à la suite desquelles l'affluence prit des proportions tout à fait extraordinaires.

Reprenons le récit de ce qui touche plus directement à Bernadette.

A la Grotte, malgré cet immense concours, tout continuait de se passer avec le plus grand ordre. On puisait à la Source, on chantait des cantiques, on priait.

Les soldats de la garnison, émus comme tout le peuple de ces pays, avaient demandé au Commandant du fort la permission d'aller, eux aussi, aux Roches Massabielle. Avec l'instinct de discipline développé en eux par le régime militaire, ils veillaient d'eux-mêmes à éviter l'encombrement, à laisser libres certains passages, à empêcher la foule de se trop avancer sur les rives pér illeuses du Gave; ils s'employaient de côté et d'autre, prenant spontanément une certaine autorité, que personne, avec raison, ne songeait à leur contester.

Quelques jours s'écoulèrent ainsi, pendant lesquels l'Apparition se manifesta sans aucune particularité nouvelle, sinon que la Source grandissait toujours et que les guérisons miraculeuses se multipliaient de plus en plus. Il y eut dans le camp de la Libre Pensée un moment de stupeur profonde. Les faits devenaient si nombreux, si constatés, si patents, qu'à chaque instant des défections se produisaient parmi les incrédules. Les meilleurs et les plus droits se laissaient gagner par l'évidence. Toutefois il restait un indestructible noyau d'esprits se disant forts, et dont la force consistait à se roidir contre les preuves et à refuser de se rendre à la vérité. Cela semblerait impossible si l'univers entier ne savait qu'une grande partie du peuple juif a résisté aux miracles même de Jésus-Christ et des Apôtres, et qu'il a fallu quatre siècles de prodiges pour ouvrir complètement les yeux du monde païen.