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Histoire d'Europe et du monde: "Nota Bene", Le dernier duel judiciaire du Moyen Âge (3)

Le dernier duel judiciaire du Moyen Âge (3)

il émet immédiatement la volonté de réclamer justice à son protecteur

le comte d'Alençon. Mais, pour une raison qui nous est encore aujourd'hui inconnue,

Jean et Marguerite ne se présentent pas le jour de l'audience accordée par leur seigneur.

Ce dernier est exaspéré vu le passif de Jean et décide de clore directement le dossier,

ce qui induit que Marguerite a menti en humiliant Jean de Carrouges au passage. Il informe même

Charles VI pour éviter tout recours des époux auprès de la cour. Jean va pourtant jusqu'à la

capitale, dans une situation peu enviable. Il traîne en effet une série de casseroles

impressionnantes, notamment la réputation d'être un homme acariâtre et procédurier,

violent, envieux, marié à la fille d'un traitre. Bref...On a fait mieux comme

présentation. Mais Jean n'avait pas dit son dernier mot, puisqu'il montait sur Paris avec

une idée bien précise : demander le droit de défier Jacques le Gris en duel judiciaire.

Et c'est à Vincennes, après de nombreuses consultations d'avocats et de proches du roi,

qu'il parvient à faire sa demande au vieux Charles VI. En effet le décret de 1306, qui avait rétabli

l'usage du duel judiciaire dans les procédures, obligeait à le demander devant le roi seul pour

que les demandes soient moins nombreuses. La seconde étape, le défi en bonne et due forme,

devait être fait en personne devant le Parlement de Paris au complet, soit 32 magistrats,

en présence du Roi, de la personne accusée, de leurs avocats et des hommes les secondant.

Jean peut remplir cette procédure le 9 juillet 1386, plus de 6 mois après avoir

appris l'agression de son épouse, trois mois après son appel devant le roi. Après avoir réitéré son

accusation, cette fois en présence de Jacques le Gris, Jean de Carrouges émet son défi. Son rival,

se défendant de toutes les accusations portées contre lui, ne se dégonfle pas.

Afin d'avaliser ce duel, le premier depuis une trentaine d'années, les magistrats du Parlement

étaient obligés de commanditer une enquête, afin de s'assurer que l'affrontement était bel

et bien la seule manière d'obtenir une preuve permettant de régler ce grave litige opposant

les deux hommes. Échappant à l'emprisonnement pour répondre aux questions de l'institution,

les deux adversaires doivent cependant nommer des seconds, qui sont obligés de jurer d'amener

Carrouges et Le Gris devant les juges quand il le faudrait, par la force si nécessaire.

L'affaire devenait vraiment grave. Non seulement le jugement du Comte d'Alençon était contredit

encore une fois par Carrouges, mais cette fois, la cour de France était impliquée,

une douzaine de nobles forcés de surveiller les deux duellistes tandis que la plus haute

juridiction du pays enquêtait sur l'affaire de l'agression de Marguerite. C'est le bordel quoi…

Une vaste collecte de témoignages écrits commence. Carrouges y dépeint Le Gris comme un homme à qui

il avait offert son amitié mais qui était en fait un libertin et un intriguant s'accaparant

les titres et terres devant lui revenir. L'accusation est en fait double : non seulement,

à l'appui du témoignage de sa femme, il accuse son ancien ami de viol, mais il ajoute l'adultère,

l'inceste, le parjure et finalement la tromperie. On le sent, le chevalier normand en a gros sur la

patate et déverse 10 ans de rancœur et de jalousie dans son témoignage et ses accusations : il veut

la fin de Jacques le Gris, rabaisser son nom et récupérer ce qu'il estime mériter.

La défense de Le Gris, comme on peut s'y attendre, argumente longuement sur sa

fidélité au roi et au comte d'Alençon. L'écuyer reprend, tout au long de son témoignage écrit,

le récit de l'amitié entre lui et Carrouges, mais y raconte comment ce lien s'est peu à peu distendu

à cause du chevalier, envieux et aigri. Le propos est intéressant, notamment parce qu'il

offre une autre version de l'attitude du Comte Pierre d'Alençon. Selon Le Gris, il n'aurait

pas retiré ses faveurs sans raison, mais bel et bien parce que Carrouges était un homme brutal

et imprévisible. Il va même plus loin en évoquant les rumeurs de l'attitude de Carrouges à l'égard

de sa première femme Jeanne de Tilly, que la jalousie de son époux aurait tué à petit feu.

Et, fait capital, Le Gris révèle que Jean de Carrouges aurait déja tenté

de convaincre cette première épouse de l'accuser de viol, chose que la pauvre

femme aurait catégoriquement refusé de faire. Enfin, le témoignage de Jacques le Gris cherche

à briser la crédibilité du récit de Marguerite et de Jean en décortiquant l'enchaînement des

événements, pour montrer que le crime n'aurait pas pu être commis en si peu de temps et sans

que personne ne puisse s'en rendre compte sur place. Il fournit même un alibi, affirmant avoir

passé la journée du 18 janvier entre Argentan et son domaine d'Aunou le Faucon, à plusieurs

dizaines de kilomètres du lieu du crime. Jacques le Gris avec son témoignage,

cherchait à faire invalider l'hypothèse même de l'existence du crime, mettant en

doute la réalité des faits. Carrouges, homme violent et jaloux, aurait forcé son entourage

à mentir pour le faire accuser. Sans crime, pas de duel, pas de querelle, pas de problème.

Enfin, pour bien enfoncer le clou, l'écuyer accusait Carrouges d'injures grave,

et exigeait en retour une somme colossale : 40 000 livres. Je rapelle que Carrouges gagnait

400 livres par an avec son domaine. Donc ça fait 100 ans d'exploitation,

rien que ça... On le voit bien, les langues et les arguments devenaient incontrôlables,

les deux protagonistes rivalisant d'accusations très graves pour décrédibiliser l'autre parti.

Carrouges contra les arguments de Le Gris en se présentant comme un mari doux et aimant,

respectueux de sa femme et de son entourage. Il met en doute l'alibi de Le Gris en prétendant

que sa richesse lui permettait d'avoir de nombreux chevaux de qualité, afin de parcourir la distance

entre son domaine et celui de Carrouges. En septembre, après plus de 2 mois

d'auditions et d'examens, le Parlement de Paris rend sa décision : il n'y avait

aucun moyen de prouver la culpabilité de Le Gris ou la duplicité de Carrouges. Le

duel était donc autorisé pour obtenir une preuve, la date fixée à la fin novembre.

Tout le monde risquait donc sa vie : Le Gris et Carrouges, en cas de défaite,

seraient vus comme parjures et seraient probablement exécutés. Marguerite,

si son mari était vaincu, serait elle brûlée vive.

"Le dernier duel" nous pose la question épineuse de la place de la femme dans la société française

du Moyen ge. Quels sont les droits de Marguerite ? Pourquoi la brûler si son mari

perd le duel ? Pourquoi ne croirait-on pas son témoignage plus que celui de l'écuyer ? Pourquoi

doit-elle subir le duel judiciaire de son mari pour que sa parole soit retenue ?

Généralement, à l'époque médiévale, le cadre juridique est défavorable aux femmes, considérées

comme mineures et inférieures aux hommes. Cette subordination de la femme à l'homme, justifiée par

les Pères de l'Eglise, se traduit notamment sur le plan juridique par la tutelle masculine de l'époux

exercée sur la femme mariee, avec une position de domination quasi-seigneuriale. En gros, elle ne

peut rien faire sans son mari et elle n'avait même pas le droit de comparaître en personne

devant un tribunal sauf accord de son époux. Dans cette affaire, dès le retour de son mari,

Marguerite lui fait part, comme à d'autres d'ailleurs, de ses accusations de viol contre

Jacques Le Gris. « la dame, bonne, honnête, louable et de bonne foi », déclare sous serment

et jure sur sa vie de la véracité des faits attestés, sans aucune pression ou violence.

L'époux déshonoré, et non sa femme, demande alors justice. Lui seul peut saisir la justice puisque

sa femme n'en a pas la capacité juridique, et ne peut donc pas faire de recours. Il engage alors

sa parole, sa foi jurée, dans cette affaire auprès de son seigneur, le comte d'Alençon.

Qu'on soit clair donc, Marguerite est bien à l'origine de la plaidoirie, elle en est même

l'objet, mais l'enjeu n'est pas du tout son bien-être, mais la réputation de son mari.

Lors de la procédure donc, Jean de Carrouges fait appel d'abord à la justice seigneuriale,

celle de son seigneur le comte d'Alençon. Comme on l'a vu, il donne raison à Le Gris et précise

même que le témoignage de la victime devait être remis en cause, car elle se

trouvait sous la coupe d'un mari très jaloux. Or le problème de savoir pourquoi on ne croit

pas plus la femme que l'écuyer ne se pose pas. Car nous sommes dans une société de l'honneur.

D'abord, le témoignage de la femme noble a été reçu, car son mari noble s'en portait garant.

Remettre en question son témoignage serait une attaque à l'intégrité et à l'honneur de

l'époux. Ensuite, Olivier de la Marche, dans son traité sur le duel judiciaire de 1494,

se pose la question de savoir si une femme noble doit être crue sans autre preuve. Il précise

qu'effectivement une femme amoureuse mais rejetée par une connaissance de son époux aurait

pu se venger en l'accusant de viol, entraînant la punition d'un innocent. Mais il rajoute : pourquoi

une jeune femme de bien et de grand renom voudrait du jour au lendemain clamer son

déshonneur publiquement pour se venger d'autrui ? Qui serait assez aventurière pour mettre en

danger la vie de son époux et de ses parents dans un gage de bataille (un duel judiciaire)

pour une sombre histoire de vengeance ? Le danger est bien réel. Olivier de la

Marche précise qu'en cas de victoire de Jacques Le Gris, Marguerite pourrait être accusée de parjure,

de fausse accusatrice et d'avoir violé le serment prêté sur un objet sacré,

ce qui est une faute toujours condamnée par l'Eglise comme manquement au respect

dû à la divinité prise à témoin. Marguerite encourrait alors, d'après la coutume de France,

la peine de mort en étant brûlée vive. Pour cette raison, en absence de preuve,

et comme il était impossible de remettre en question tel ou tel témoignage. Carrouges n'a

donc comme possibilité que de se retourner vers l'instance réservée aux appels,

le Parlement de Paris. Pour lui, il ne s'agit pas de défendre les droits de Marguerite,

mais sa propre réputation, triplement mise à mal : 1> Tout d'abord, l'époux a d'abord été incapable de remplir son rôle de tuteur protecteur de sa femme.

2> Puis sa femme, violée, porte déjà la marque de l'infamie qui peut l'exclure de la société, elle est souillée par ce qu'elle a subi, et aux yeux de ses proches avoisine désormais la fille

commune sans honneur. Or on différencie le viol d'une jeune fille vierge ou d'une femme mariée,

du viol d'une fille de joie ou de mœurs légères, sans honneur. Le fait d'être

prostituée constitue une circonstance atténuante pour le coupable par exemple!

Sympa hein ? 3> Enfin, le mariage dans l'aristocratie assure la procréation d'héritiers légitimes qui seront nécessaires à la reproduction sociale des

lignées. La victime noble est d'autant plus à plaindre qu'après le viol, c'est la légitimité

même de la progéniture qui est remise en question. Pour résumer, pas grand chose à faire pour

Marguerite à part prier pour son mari lors du combat, qu'il ait la

conviction qu'elle dise la vérité ou pas. Après le duel entre Jean de Carrouges et

Jacques le Gris ont lieu d'autres duels dans des territoires non soumis à la justice royale,

pour diverses raisons, par exemple à Valenciennes, entre les bourgeois Jacotin

et Mahot en 1455. En 1547, le fameux duel entre Jarnac et la Chataigneraie,

qui est bel et bien un duel judiciaire a lieu sous autorisation royale, mais le Parlement n'a même

pas été consulté. Et en 1549 a lieu un duel entre Claude d'Aguerres, et le seigneur de Fendilles,

autorisé par le Roi mais se déroulant à Sedan pour décharger le souverain de sa responsabilité.

Donc ça ne compte pas vraiment ! Savoir si "Le dernier duel" retrace

donc vraiment l'Histoire du dernier duel est compliqué. Ce qu'il faut garder à l'esprit,

c'est le duel Carrouges le Gris est le dernier duel avalisé par le Parlement,


Le dernier duel judiciaire du Moyen Âge (3) Das letzte Gerichtsduell im Mittelalter (3) The last judicial duel of the Middle Ages (3) El último duelo judicial de la Edad Media (3) آخرین دوئل قضایی قرون وسطی (3) Het laatste gerechtelijke duel van de Middeleeuwen (3) O último duelo judicial da Idade Média (3) Den sista rättsliga duellen under medeltiden (3) 中世纪最后的司法决斗(三)

il émet immédiatement la volonté de  réclamer justice à son protecteur he immediately decides to seek justice from his protector

le comte d'Alençon. Mais, pour une raison  qui nous est encore aujourd'hui inconnue,

Jean et Marguerite ne se présentent pas le  jour de l'audience accordée par leur seigneur. Jean and Marguerite fail to appear on the day of the audience granted by their lord.

Ce dernier est exaspéré vu le passif de Jean  et décide de clore directement le dossier, The latter is exasperated given Jean's liabilities and decides to close the file directly,

ce qui induit que Marguerite a menti en humiliant  Jean de Carrouges au passage. Il informe même

Charles VI pour éviter tout recours des époux  auprès de la cour. Jean va pourtant jusqu'à la

capitale, dans une situation peu enviable. Il traîne en effet une série de casseroles capital, in an unenviable situation. He is in fact dragging a series of pots and pans

impressionnantes, notamment la réputation  d'être un homme acariâtre et procédurier,

violent, envieux, marié à la fille d'un  traitre. Bref...On a fait mieux comme

présentation. Mais Jean n'avait pas dit son  dernier mot, puisqu'il montait sur Paris avec

une idée bien précise : demander le droit de  défier Jacques le Gris en duel judiciaire.

Et c'est à Vincennes, après de nombreuses  consultations d'avocats et de proches du roi, And it's in Vincennes, after numerous consultations with lawyers and those close to the king,

qu'il parvient à faire sa demande au vieux Charles  VI. En effet le décret de 1306, qui avait rétabli

l'usage du duel judiciaire dans les procédures,  obligeait à le demander devant le roi seul pour the use of judicial duels in proceedings, meant that they had to be requested before the king alone in order to

que les demandes soient moins nombreuses. La  seconde étape, le défi en bonne et due forme, that there will be fewer requests. The second step is the formal challenge,

devait être fait en personne devant le Parlement  de Paris au complet, soit 32 magistrats,

en présence du Roi, de la personne accusée,  de leurs avocats et des hommes les secondant.

Jean peut remplir cette procédure le 9  juillet 1386, plus de 6 mois après avoir

appris l'agression de son épouse, trois mois après  son appel devant le roi. Après avoir réitéré son

accusation, cette fois en présence de Jacques le  Gris, Jean de Carrouges émet son défi. Son rival,

se défendant de toutes les accusations  portées contre lui, ne se dégonfle pas.

Afin d'avaliser ce duel, le premier depuis une  trentaine d'années, les magistrats du Parlement

étaient obligés de commanditer une enquête,  afin de s'assurer que l'affrontement était bel

et bien la seule manière d'obtenir une preuve  permettant de régler ce grave litige opposant

les deux hommes. Échappant à l'emprisonnement  pour répondre aux questions de l'institution,

les deux adversaires doivent cependant nommer  des seconds, qui sont obligés de jurer d'amener

Carrouges et Le Gris devant les juges quand  il le faudrait, par la force si nécessaire.

L'affaire devenait vraiment grave. Non seulement  le jugement du Comte d'Alençon était contredit

encore une fois par Carrouges, mais cette  fois, la cour de France était impliquée,

une douzaine de nobles forcés de surveiller  les deux duellistes tandis que la plus haute

juridiction du pays enquêtait sur l'affaire de  l'agression de Marguerite. C'est le bordel quoi…

Une vaste collecte de témoignages écrits commence.  Carrouges y dépeint Le Gris comme un homme à qui

il avait offert son amitié mais qui était en  fait un libertin et un intriguant s'accaparant

les titres et terres devant lui revenir.  L'accusation est en fait double : non seulement,

à l'appui du témoignage de sa femme, il accuse  son ancien ami de viol, mais il ajoute l'adultère,

l'inceste, le parjure et finalement la tromperie. On le sent, le chevalier normand en a gros sur la

patate et déverse 10 ans de rancœur et de jalousie  dans son témoignage et ses accusations : il veut

la fin de Jacques le Gris, rabaisser son  nom et récupérer ce qu'il estime mériter.

La défense de Le Gris, comme on peut s'y  attendre, argumente longuement sur sa

fidélité au roi et au comte d'Alençon. L'écuyer  reprend, tout au long de son témoignage écrit,

le récit de l'amitié entre lui et Carrouges, mais  y raconte comment ce lien s'est peu à peu distendu

à cause du chevalier, envieux et aigri. Le  propos est intéressant, notamment parce qu'il

offre une autre version de l'attitude du Comte  Pierre d'Alençon. Selon Le Gris, il n'aurait

pas retiré ses faveurs sans raison, mais bel et  bien parce que Carrouges était un homme brutal

et imprévisible. Il va même plus loin en évoquant  les rumeurs de l'attitude de Carrouges à l'égard

de sa première femme Jeanne de Tilly, que la  jalousie de son époux aurait tué à petit feu.

Et, fait capital, Le Gris révèle que  Jean de Carrouges aurait déja tenté

de convaincre cette première épouse de  l'accuser de viol, chose que la pauvre

femme aurait catégoriquement refusé de faire. Enfin, le témoignage de Jacques le Gris cherche

à briser la crédibilité du récit de Marguerite  et de Jean en décortiquant l'enchaînement des

événements, pour montrer que le crime n'aurait  pas pu être commis en si peu de temps et sans

que personne ne puisse s'en rendre compte sur  place. Il fournit même un alibi, affirmant avoir

passé la journée du 18 janvier entre Argentan  et son domaine d'Aunou le Faucon, à plusieurs

dizaines de kilomètres du lieu du crime. Jacques le Gris avec son témoignage,

cherchait à faire invalider l'hypothèse  même de l'existence du crime, mettant en

doute la réalité des faits. Carrouges, homme  violent et jaloux, aurait forcé son entourage

à mentir pour le faire accuser. Sans crime,  pas de duel, pas de querelle, pas de problème.

Enfin, pour bien enfoncer le clou, l'écuyer  accusait Carrouges d'injures grave,

et exigeait en retour une somme colossale : 40  000 livres. Je rapelle que Carrouges gagnait

400 livres par an avec son domaine.  Donc ça fait 100 ans d'exploitation,

rien que ça... On le voit bien, les langues  et les arguments devenaient incontrôlables,

les deux protagonistes rivalisant d'accusations  très graves pour décrédibiliser l'autre parti.

Carrouges contra les arguments de Le Gris en  se présentant comme un mari doux et aimant,

respectueux de sa femme et de son entourage. Il  met en doute l'alibi de Le Gris en prétendant

que sa richesse lui permettait d'avoir de nombreux  chevaux de qualité, afin de parcourir la distance

entre son domaine et celui de Carrouges. En septembre, après plus de 2 mois

d'auditions et d'examens, le Parlement  de Paris rend sa décision : il n'y avait

aucun moyen de prouver la culpabilité de  Le Gris ou la duplicité de Carrouges. Le

duel était donc autorisé pour obtenir une  preuve, la date fixée à la fin novembre.

Tout le monde risquait donc sa vie : Le  Gris et Carrouges, en cas de défaite,

seraient vus comme parjures et seraient  probablement exécutés. Marguerite,

si son mari était vaincu, serait elle brûlée vive.

"Le dernier duel" nous pose la question épineuse  de la place de la femme dans la société française

du Moyen ge. Quels sont les droits de  Marguerite ? Pourquoi la brûler si son mari

perd le duel ? Pourquoi ne croirait-on pas son  témoignage plus que celui de l'écuyer ? Pourquoi

doit-elle subir le duel judiciaire de son  mari pour que sa parole soit retenue ?

Généralement, à l'époque médiévale, le cadre  juridique est défavorable aux femmes, considérées

comme mineures et inférieures aux hommes. Cette  subordination de la femme à l'homme, justifiée par

les Pères de l'Eglise, se traduit notamment sur le  plan juridique par la tutelle masculine de l'époux

exercée sur la femme mariee, avec une position de  domination quasi-seigneuriale. En gros, elle ne

peut rien faire sans son mari et elle n'avait  même pas le droit de comparaître en personne

devant un tribunal sauf accord de son époux. Dans cette affaire, dès le retour de son mari,

Marguerite lui fait part, comme à d'autres  d'ailleurs, de ses accusations de viol contre

Jacques Le Gris. « la dame, bonne, honnête,  louable et de bonne foi », déclare sous serment

et jure sur sa vie de la véracité des faits  attestés, sans aucune pression ou violence.

L'époux déshonoré, et non sa femme, demande alors  justice. Lui seul peut saisir la justice puisque

sa femme n'en a pas la capacité juridique, et ne  peut donc pas faire de recours. Il engage alors

sa parole, sa foi jurée, dans cette affaire  auprès de son seigneur, le comte d'Alençon.

Qu'on soit clair donc, Marguerite est bien à  l'origine de la plaidoirie, elle en est même

l'objet, mais l'enjeu n'est pas du tout son  bien-être, mais la réputation de son mari.

Lors de la procédure donc, Jean de Carrouges  fait appel d'abord à la justice seigneuriale,

celle de son seigneur le comte d'Alençon. Comme  on l'a vu, il donne raison à Le Gris et précise

même que le témoignage de la victime  devait être remis en cause, car elle se

trouvait sous la coupe d'un mari très jaloux. Or le problème de savoir pourquoi on ne croit

pas plus la femme que l'écuyer ne se pose pas.  Car nous sommes dans une société de l'honneur.

D'abord, le témoignage de la femme noble a été  reçu, car son mari noble s'en portait garant.

Remettre en question son témoignage serait  une attaque à l'intégrité et à l'honneur de

l'époux. Ensuite, Olivier de la Marche, dans  son traité sur le duel judiciaire de 1494,

se pose la question de savoir si une femme noble  doit être crue sans autre preuve. Il précise

qu'effectivement une femme amoureuse mais  rejetée par une connaissance de son époux aurait

pu se venger en l'accusant de viol, entraînant la  punition d'un innocent. Mais il rajoute : pourquoi

une jeune femme de bien et de grand renom  voudrait du jour au lendemain clamer son

déshonneur publiquement pour se venger d'autrui  ? Qui serait assez aventurière pour mettre en

danger la vie de son époux et de ses parents  dans un gage de bataille (un duel judiciaire)

pour une sombre histoire de vengeance ? Le danger est bien réel. Olivier de la

Marche précise qu'en cas de victoire de Jacques Le  Gris, Marguerite pourrait être accusée de parjure,

de fausse accusatrice et d'avoir violé  le serment prêté sur un objet sacré,

ce qui est une faute toujours condamnée  par l'Eglise comme manquement au respect

dû à la divinité prise à témoin. Marguerite  encourrait alors, d'après la coutume de France,

la peine de mort en étant brûlée vive. Pour cette raison, en absence de preuve,

et comme il était impossible de remettre en  question tel ou tel témoignage. Carrouges n'a

donc comme possibilité que de se retourner  vers l'instance réservée aux appels,

le Parlement de Paris. Pour lui, il ne s'agit  pas de défendre les droits de Marguerite,

mais sa propre réputation, triplement mise à mal : 1> Tout d'abord, l'époux a d'abord été incapable de remplir son rôle de  tuteur protecteur de sa femme.

2> Puis sa femme, violée, porte déjà la marque  de l'infamie qui peut l'exclure de la société, elle est souillée par ce qu'elle a subi, et aux  yeux de ses proches avoisine désormais la fille

commune sans honneur. Or on différencie le viol  d'une jeune fille vierge ou d'une femme mariée,

du viol d'une fille de joie ou de mœurs  légères, sans honneur. Le fait d'être

prostituée constitue une circonstance  atténuante pour le coupable par exemple!

Sympa hein ? 3> Enfin, le mariage dans l'aristocratie assure la procréation d'héritiers légitimes qui  seront nécessaires à la reproduction sociale des

lignées. La victime noble est d'autant plus à  plaindre qu'après le viol, c'est la légitimité

même de la progéniture qui est remise en question. Pour résumer, pas grand chose à faire pour

Marguerite à part prier pour son  mari lors du combat, qu'il ait la

conviction qu'elle dise la vérité ou pas. Après le duel entre Jean de Carrouges et

Jacques le Gris ont lieu d'autres duels dans  des territoires non soumis à la justice royale,

pour diverses raisons, par exemple à  Valenciennes, entre les bourgeois Jacotin

et Mahot en 1455. En 1547, le fameux  duel entre Jarnac et la Chataigneraie,

qui est bel et bien un duel judiciaire a lieu sous  autorisation royale, mais le Parlement n'a même

pas été consulté. Et en 1549 a lieu un duel entre  Claude d'Aguerres, et le seigneur de Fendilles,

autorisé par le Roi mais se déroulant à Sedan  pour décharger le souverain de sa responsabilité.

Donc ça ne compte pas vraiment !  Savoir si "Le dernier duel" retrace

donc vraiment l'Histoire du dernier duel est  compliqué. Ce qu'il faut garder à l'esprit,

c'est le duel Carrouges le Gris est le  dernier duel avalisé par le Parlement,