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Le Comte de Monte-Cristo, Alexandre Dumas, Tome 1, 8. Le château d'If

8. Le château d'If

En traversant l'antichambre, le commissaire de police fit un signe à deux gendarmes, lesquels se placèrent, l'un à droite l'autre à gauche de Dantès; on ouvrit une porte qui communiquait de l'appartement du procureur du roi au palais de justice, on suivit quelque temps un de ces grands corridors sombres qui font frissonner ceux-là qui y passent, quand même ils n'ont aucun motif de frissonner.

De même que l'appartement de Villefort communiquait au palais de justice, le palais de justice communiquait à la prison, sombre monument accolé au palais et que regarde curieusement, de toutes ses ouvertures béantes, le clocher des Accoules qui se dresse devant lui.

Après nombre de détours dans le corridor qu'il suivait, Dantès vit s'ouvrir une porte avec un guichet de fer; le commissaire de police frappa, avec un marteau de fer, trois coups qui retentirent, pour Dantès, comme s'ils étaient frappés sur son cœur; la porte s'ouvrit, les deux gendarmes poussèrent légèrement leur prisonnier, qui hésitait encore. Dantès franchit le seuil redoutable, et la porte se referma bruyamment derrière lui. Il respirait un autre air, un air méphitique et lourd: il était en prison.

On le conduisit dans une chambre assez propre, mais grillée et verrouillée; il en résulta que l'aspect de sa demeure ne lui donna point trop de crainte: d'ailleurs, les paroles du substitut du procureur du roi, prononcées avec une voix qui avait paru à Dantès si pleine d'intérêt, résonnaient à son oreille comme une douce promesse d'espérance.

Il était déjà quatre heures lorsque Dantès avait été conduit dans sa chambre. On était, comme nous l'avons dit, au 1er mars, le prisonnier se trouva donc bientôt dans la nuit.

Alors, le sens de l'ouïe s'augmenta chez lui du sens de la vue qui venait de s'éteindre: au moindre bruit qui pénétrait jusqu'à lui, convaincu qu'on venait le mettre en liberté, il se levait vivement et faisait un pas vers la porte; mais bientôt le bruit s'en allait mourant dans une autre direction, et Dantès retombait sur son escabeau.

Enfin, vers les dix heures du soir, au moment où Dantès commençait à perdre l'espoir, un nouveau bruit se fit entendre, qui lui parut, cette fois, se diriger vers sa chambre: en effet, des pas retentirent dans le corridor et s'arrêtèrent devant sa porte; une clef tourna dans la serrure, les verrous grincèrent, et la massive barrière de chêne s'ouvrit, laissant voir, tout à coup dans la chambre sombre l'éblouissante lumière de deux torches.

À la lueur de ces deux torches, Dantès vit briller les sabres et les mousquetons de quatre gendarmes.

Il avait fait deux pas en avant, il demeura immobile à sa place en voyant ce surcroît de force.

«Venez-vous me chercher? demanda Dantès.

—Oui répondit un des gendarmes.

—De la part de M. le substitut du procureur du roi?

—Mais je le pense.

—Bien, dit Dantès, je suis prêt à vous suivre.»

La conviction qu'on venait le chercher de la part de M. de Villefort ôtait toute crainte au malheureux jeune homme: il s'avança donc, calme d'esprit, libre de démarche, et se plaça de lui-même au milieu de son escorte.

Une voiture attendait à la porte de la rue, le cocher était sur son siège, un exempt était assis près du cocher.

«Est-ce donc pour moi que cette voiture est là? demanda Dantès.

—C'est pour vous, répondit un des gendarmes, montez.»

Dantès voulut faire quelques observations, mais la portière s'ouvrit, il sentit qu'on le poussait; il n'avait ni la possibilité ni même l'intention de faire résistance, il se trouva en un instant assis au fond de la voiture, entre deux gendarmes; les deux autres s'assirent sur la banquette de devant, et la pesante machine se mit à rouler avec un bruit sinistre.

Le prisonnier jeta les yeux sur les ouvertures, elles étaient grillées: il n'avait fait que changer de prison; seulement celle-là roulait, et le transportait en roulant vers un but ignoré. À travers les barreaux serrés à pouvoir à peine y passer la main, Dantès reconnut cependant qu'on longeait la rue Caisserie, et que par la rue Saint-Laurent et la rue Taramis on descendait vers le quai. Bientôt, il vit, à travers ses barreaux, à lui, et les barreaux du monument près duquel il se trouvait, briller les lumières de la Consigne. La voiture s'arrêta, l'exempt descendit, s'approcha du corps de garde; une douzaine de soldats en sortirent et se mirent en haie; Dantès voyait, à la lueur des réverbères du quai, reluire leurs fusils.

«Serait-ce pour moi, se demanda-t-il, que l'on déploie une pareille force militaire?»

L'exempt, en ouvrant la portière qui fermait à clef quoique sans prononcer une seule parole répondit à cette question, car Dantès vit, entre les deux haies de soldats, un chemin ménagé pour lui de la voiture au port.

Les deux gendarmes qui étaient assis sur la banquette de devant descendirent les premiers, puis on le fit descendre à son tour, puis ceux qui se tenaient à ses côtés le suivirent. On marcha vers un canot qu'un marinier de la douane maintenait près du quai par une chaîne. Les soldats regardèrent passer Dantès d'un air de curiosité hébétée. En un instant, il fut installé à la poupe du bateau, toujours entre ces quatre gendarmes, tandis que l'exempt se tenait à la proue. Une violente secousse éloigna le bateau du bord, quatre rameurs nagèrent vigoureusement vers le Pilon. À un cri poussé de la barque, la chaîne qui ferme le port s'abaissa, et Dantès se trouva dans ce qu'on appelle le Frioul c'est-à-dire hors du port. Le premier mouvement du prisonnier, en se trouvant en plein air, avait été un mouvement de joie.

L'air, c'est presque la liberté. Il respira donc à pleine poitrine cette brise vivace qui apporte sur ses ailes toutes ces senteurs inconnues de la nuit et de la mer. Bientôt, cependant, il poussa un soupir; il passait devant cette Réserve où il avait été si heureux le matin même pendant l'heure qui avait précédé son arrestation, et, à travers l'ouverture ardente de deux fenêtres, le bruit joyeux d'un bal arrivait jusqu'à lui.

Dantès joignit ses mains, leva les yeux au ciel et pria.

La barque continuait son chemin; elle avait dépassé la Tête de Mort, elle était en face de l'anse du Pharo; elle allait doubler la batterie, c'était une manœuvre incompréhensible pour Dantès.

«Mais où donc me menez-vous? demanda-t-il l'un des gendarmes.

—Vous le saurez tout à l'heure.

—Mais encore....

—Il nous est interdit de vous donner aucune explication.»

Dantès était à moitié soldat; questionner des subordonnés auxquels il était défendu de répondre lui parut une chose absurde, et il se tut. Alors les pensées les plus étranges passèrent par son esprit: comme on ne pouvait faire une longue route dans une pareille barque, comme il n'y avait aucun bâtiment à l'ancre du côté où l'on se rendait, il pensa qu'on allait le déposer sur un point éloigné de la côte et lui dire qu'il était libre; il n'était point attaché, on n'avait fait aucune tentative pour lui mettre les menottes, cela lui paraissait d'un bon augure; d'ailleurs le substitut, si excellent pour lui, ne lui avait-il pas dit que, pourvu qu'il ne prononçât point ce nom fatal de Noirtier, il n'avait rien à craindre? Villefort n'avait-il pas, en sa présence, anéanti cette dangereuse lettre, seule preuve qu'il eût contre lui? Il attendit donc, muet et pensif, et essayant de percer, avec cet œil du marin exercé aux ténèbres et accoutumé à l'espace, l'obscurité de la nuit. On avait laissé à droite l'île Ratonneau, où brûlait un phare, et tout en longeant presque la côte, on était arrivé à la hauteur de l'anse des Catalans. Là, les regards du prisonnier redoublèrent d'énergie: c'était là qu'était Mercédès, et il lui semblait à chaque instant voir se dessiner sur le rivage sombre la forme vague et indécise d'une femme.

Comment un pressentiment ne disait-il pas à Mercédès que son amant passait à trois cents pas d'elle?

Une seule lumière brillait aux Catalans. En interrogeant la position de cette lumière, Dantès reconnut qu'elle éclairait la chambre de sa fiancée. Mercédès était la seule qui veillât dans toute la petite colonie. En poussant un grand cri le jeune homme pouvait être entendu de sa fiancée.

Une fausse honte le retint. Que diraient ces hommes qui le regardaient, en l'entendant crier comme un insensé? Il resta donc muet et les yeux fixés sur cette lumière.

Pendant ce temps, la barque continuait son chemin; mais le prisonnier ne pensait point à la barque il pensait à Mercédès.

Un accident de terrain fit disparaître la lumière. Dantès se retourna et s'aperçut que la barque gagnait le large.

Pendant qu'il regardait, absorbé dans sa propre pensée, on avait substitué les voiles aux rames, et la barque s'avançait maintenant, poussée par le vent.

Malgré la répugnance qu'éprouvait Dantès à adresser au gendarme de nouvelles questions, il se rapprocha de lui, et lui prenant la main.

«Camarade, lui dit-il, au nom de votre conscience et de par votre qualité de soldat, je vous adjure d'avoir pitié de moi et de me répondre. Je suis le capitaine Dantès, bon et loyal Français, quoique accusé de je ne sais quelle trahison: où me menez-vous? dites-le, et, foi de marin, je me rangerai à mon devoir et me résignerai à mon sort.»

Le gendarme se gratta l'oreille, regarda son camarade. Celui-ci fit un mouvement qui voulait dire à peu près: Il me semble qu'au point où nous en sommes il n'y a pas d'inconvénient, et le gendarme se retourna vers Dantès:

«Vous êtes Marseillais et marin, dit-il, et vous me demandez où nous allons?

—Oui, car, sur mon honneur, je l'ignore.

—Ne vous en doutez-vous pas?

—Aucunement.

—Ce n'est pas possible.

—Je vous le jure sur ce que j'ai de plus sacré monde. Répondez-moi donc, de grâce!

—Mais la consigne?

—La consigne ne vous défend pas de m'apprendre ce que je saurai dans dix minutes, dans une demi heure, dans une heure peut-être. Seulement vous m'épargnez d'ici là des siècles d'incertitude. Je vous le demande, comme si vous étiez mon ami, regardez: je ne veux ni me révolter ni fuir; d'ailleurs je ne le puis: où allons-nous?

—À moins que vous n'ayez un bandeau sur les yeux, ou que vous ne soyez jamais sorti du port de Marseille, vous devez cependant deviner où vous allez?

—Non.

—Regardez autour de vous alors.»

Dantès se leva, jeta naturellement les yeux sur le point où paraissait se diriger le bateau, et à cent toises devant lui il vit s'élever la roche noire et ardue sur laquelle monte, comme une superfétation du silex, le sombre château d'If.

Cette forme étrange, cette prison autour de laquelle règne une si profonde terreur, cette forteresse qui fait vivre depuis trois cents ans Marseille de ses lugubre traditions, apparaissant ainsi tout à coup à Dantès qui ne songeait point à elle, lui fit l'effet que fait au condamné à mort l'aspect de l'échafaud.

«Ah! mon Dieu! s'écria-t-il, le château d'If! et qu'allons nous faire là?»

Le gendarme sourit.

«Mais on ne me mène pas là pour être emprisonné? continua Dantès. Le château d'If est une prison d'État, destinée seulement aux grands coupables politiques. Je n'ai commis aucun crime. Est-ce qu'il y a des juges d'instruction, des magistrats quelconques au château d'If?

—Il n'y a, je suppose, dit le gendarme, qu'un gouverneur, des geôliers, une garnison et de bons murs. Allons, allons, l'ami, ne faites pas tant l'étonné; car, en vérité, vous me feriez croire que vous reconnaissez ma complaisance en vous moquant de moi.»

Dantès serra la main du gendarme à la lui briser.

«Vous prétendez donc, dit-il, que l'on me conduit au château d'If pour m'y emprisonner?

—C'est probable, dit le gendarme; mais en tout cas, camarade, il est inutile de me serrer si fort.

—Sans autre information, sans autre formalité? demanda le jeune homme.

—Les formalités sont remplies, l'information est faite.

—Ainsi, malgré la promesse de M. de Villefort?...

—Je ne sais si M. de Villefort vous a fait une promesse, dit le gendarme, mais ce que je sais, c'est que nous allons au château d'If. Eh bien, que faites-vous donc? Holà! camarades, à moi!»

Par un mouvement prompt comme l'éclair, qui cependant avait été prévu par l'œil exercé du gendarme, Dantès avait voulu s'élancer à la mer; mais quatre poignets vigoureux le retinrent au moment où ses pieds quittaient le plancher du bateau.

Il retomba au fond de la barque en hurlant de rage.

«Bon! s'écria le gendarme en lui mettant un genou sur la poitrine, bon! voilà comme vous tenez votre parole de marin. Fiez-vous donc aux gens doucereux! Eh bien, maintenant, mon cher ami, faites un mouvement, un seul, et je vous loge une balle dans la tête. J'ai manqué à ma première consigne, mais, je vous en réponds, je ne manquerai pas à la seconde.»

Et il abaissa effectivement sa carabine vers Dantès qui sentit s'appuyer le bout du canon contre sa tempe. Un instant, il eut l'idée de faire ce mouvement défendu et d'en finir ainsi violemment avec le malheur inattendu qui s'était abattu sur lui et l'avait pris tout à coup dans ses serres de vautour. Mais, justement parce que ce malheur était inattendu, Dantès songea qu'il ne pouvait être durable; puis les promesses de M. de Villefort lui revinrent à l'esprit; puis, s'il faut le dire enfin, cette mort au fond d'un bateau, venant de la main d'un gendarme, lui apparue laide et nue. Il retomba donc sur le plancher de la barque en poussant un hurlement de rage et en se rongeant les mains avec fureur. Presque au même instant, un choc violent ébranla le canot. Un des bateliers sauta sur le roc que la proue de la petite barque venait de toucher, une corde grinça en se déroulant autour d'une poulie, et Dantès comprit qu'on était arrivé et qu'on amarrait l'esquif.

En effet, ses gardiens, qui le tenaient à la fois par les bras et par le collet de son habit, le forcèrent de se relever, le contraignirent à descendre à terre, et le traînèrent vers les degrés qui montent à la porte de la citadelle, tandis que l'exempt, armé d'un mousqueton à baïonnette, le suivait par-derrière.

Dantès, au reste, ne fit point une résistance inutile; sa lenteur venait plutôt d'inertie que d'opposition; il était étourdi et chancelant comme un homme ivre. Il vit de nouveau des soldats qui s'échelonnaient sur le talus rapide, il sentit des escaliers qui le forçaient de lever les pieds, il s'aperçut qu'il passait sous une porte et que cette porte se refermait derrière lui, mais tout cela machinalement, comme à travers un brouillard, sans rien distinguer de positif. Il ne voyait même plus la mer, cette immense douleur des prisonniers, qui regardent l'espace avec le sentiment terrible qu'ils sont impuissants à le franchir.

Il y eut une halte d'un moment, pendant laquelle il essaya de recueillir ses esprits. Il regarda autour de lui: il était dans une cour carrée, formée par quatre hautes murailles; on entendait le pas lent et régulier des sentinelles; et chaque fois qu'elles passaient devant deux ou trois reflets que projetait sur les murailles la lueur de deux ou trois lumières qui brillaient dans l'intérieur du château, on voyait scintiller le canon de leurs fusils.

On attendit là dix minutes à peu près; certains que Dantès ne pouvait plus fuir, les gendarmes l'avaient lâché. On semblait attendre des ordres, ces ordres arrivèrent.

«Où est le prisonnier? demanda une voix.

—Le voici, répondirent les gendarmes.

—Qu'il me suive, je vais le conduire à son logement.

—Allez», dirent les gendarmes en poussant Dantès. Le prisonnier suivit son conducteur, qui le conduisit effectivement dans une salle presque souterraine, dont les murailles nues et suantes semblaient imprégnées d'une vapeur de larmes. Une espèce de lampion posé sur un escabeau, et dont la mèche nageait dans une graisse fétide, illuminait les parois lustrées de cet affreux séjour, et montrait à Dantès son conducteur, espèce de geôlier subalterne, mal vêtu et de basse mine.

«Voici votre chambre pour cette nuit, dit-il; il est tard, et M. le gouverneur est couché. Demain, quand il se réveillera et qu'il aura pris connaissance des ordres qui vous concernent, peut-être vous changera-t-il de domicile; en attendant, voici du pain, il y a de l'eau dans cette cruche, de la paille là-bas dans un coin: c'est tout ce qu'un prisonnier peut désirer. Bonsoir.»

Et avant que Dantès eût songé à ouvrir la bouche pour lui répondre, avant qu'il eût remarqué où le geôlier posait ce pain, avant qu'il se fût rendu compte de l'endroit où gisait cette cruche, avant qu'il eût tourné les yeux vers le coin où l'attendait cette paille destinée à lui servir de lit, le geôlier avait pris le lampion, et, refermant la porte, enlevé au prisonnier ce reflet blafard qui lui avait montré, comme à la lueur d'un éclair, les murs ruisselants de sa prison.

Alors il se trouva seul dans les ténèbres et dans le silence, aussi muet et aussi sombre que ces voûtes dont il sentait le froid glacial s'abaisser sur son front brûlant.

Quand les premiers rayons du jour eurent ramené un peu de clarté dans cet antre, le geôlier revint avec ordre de laisser le prisonnier où il était. Dantès n'avait point changé de place. Une main de fer semblait l'avoir cloué à l'endroit même où la veille il s'était arrêté: seulement son œil profond se cachait sous une enflure causée par la vapeur humide de ses larmes. Il était immobile et regardait la terre.

Il avait ainsi passé toute la nuit debout, et sans dormir un instant.

Le geôlier s'approcha de lui, tourna autour de lui, mais Dantès ne parut pas le voir.

Il lui frappa sur l'épaule, Dantès tressaillit et secoua la tête.

«N'avez-vous donc pas dormi, demanda le geôlier.

—Je ne sais pas», répondit Dantès.

Le geôlier le regarda avec étonnement.

«N'avez-vous pas faim? continua-t-il.

—Je ne sais pas, répondit encore Dantès.

—Voulez-vous quelque chose?

—Je voudrais voir le gouverneur.»

Le geôlier haussa les épaules et sortit.

Dantès le suivit des yeux, tendit les mains vers la porte entrouverte, mais la porte se referma.

Alors sa poitrine sembla se déchirer dans un long sanglot. Les larmes qui gonflaient sa poitrine jaillirent comme deux ruisseaux, il se précipita le front contre terre et pria longtemps, repassant dans son esprit toute sa vie passée, et se demandant à lui-même quel crime il avait commis dans cette vie, jeune encore, qui méritât une si cruelle punition.

La journée se passa ainsi. À peine s'il mangea quelques bouchées de pain et but quelques gouttes d'eau. Tantôt il restait assis et absorbé dans ses pensées; tantôt il tournait tout autour de sa prison comme fait un animal sauvage enfermé dans une cage de fer.

Une pensée surtout le faisait bondir: c'est que, pendant cette traversée, où, dans son ignorance du lieu où on le conduisait, il était resté si calme et si tranquille, il aurait pu dix fois, se jeter à la mer, et, une fois dans l'eau, grâce à son habileté à nager, grâce à cette habitude qui faisait de lui un des plus habiles plongeurs de Marseille, disparaître sous l'eau, échapper à ses gardiens, gagner la côte, fuir, se cacher dans quelque crique déserte, attendre un bâtiment génois ou catalan, gagner l'Italie ou l'Espagne et de là écrire à Mercédès de venir le rejoindre. Quant à sa vie, dans aucune contrée il n'en était inquiet: partout les bons marins sont rares; il parlait l'italien comme un Toscan, l'espagnol comme un enfant de la Vieille-Castille; il eût vécu libre, heureux avec Mercédès, son père, car son père fût venu le rejoindre; tandis qu'il était prisonnier, enfermé au château d'If dans cette infranchissable prison, ne sachant pas ce que devenait son père, ce que devenait Mercédès, et tout cela parce qu'il avait cru à la parole de Villefort: c'était à en devenir fou; aussi Dantès se roulait-il furieux sur la paille fraîche que lui avait apportée son geôlier.

Le lendemain, à la même heure, le geôlier entra.

«Eh bien, lui demanda le geôlier, êtes-vous plus raisonnable aujourd'hui qu'hier?»

Dantès ne répondit point.

«Voyons donc, dit celui-ci, un peu de courage! Désirez-vous quelque chose qui soit à ma disposition? voyons, dites.

—Je désire parler au gouverneur.

—Eh! dit le geôlier avec impatience, je vous ai déjà dit que c'est impossible.

—Pourquoi cela, impossible?

—Parce que, par les règlements de la prison, il n'est point permis à un prisonnier de le demander.

—Qu'y a-t-il donc de permis ici? demanda Dantès.

—Une meilleure nourriture en payant, la promenade, et quelquefois des livres.

—Je n'ai pas besoin de livres, je n'ai aucune envie de me promener et je trouve ma nourriture bonne; ainsi je ne veux qu'une chose, voir le gouverneur.

—Si vous m'ennuyez à me répéter toujours la même chose, dit le geôlier, je ne vous apporterai plus à manger.

—Eh bien, dit Dantès, si tu ne m'apportes plus à manger, je mourrai de faim, voilà tout.»

L'accent avec lequel Dantès prononça ces mots prouva au geôlier que son prisonnier serait heureux de mourir; aussi, comme tout prisonnier, de compte fait, rapporte dix sous à peu près par jour à son geôlier, celui de Dantès envisagea le déficit qui résulterait pour lui de sa mort, et reprit d'un ton plus radouci:

«Écoutez: ce que vous désirez là est impossible; ne le demandez donc pas davantage, car il est sans exemple que, sur sa demande, le gouverneur soit venu dans la chambre d'un prisonnier; seulement, soyez bien sage, on vous permettra la promenade, et il est possible qu'un jour, pendant que vous vous promènerez, le gouverneur passera: alors vous l'interrogerez, et, s'il veut vous répondre, cela le regarde.

—Mais, dit Dantès, combien de temps puis-je attendre ainsi sans que ce hasard se présente?

—Ah! dame, dit le geôlier, un mois, trois mois, six mois, un an peut-être.

—C'est trop long, dit Dantès; je veux le voir tout de suite.

—Ah! dit le geôlier, ne vous absorbez pas ainsi dans un seul désir impossible, ou, avant quinze jours, vous serez fou.

—Ah! tu crois? dit Dantès.

—Oui, fou. C'est toujours ainsi que commence la folie; nous en avons un exemple ici: c'est en offrant sans cesse un million au gouverneur, si on voulait le mettre en liberté, que le cerveau de l'abbé qui habitait cette chambre avant vous s'est détraqué.

—Et combien y a-t-il qu'il a quitté cette chambre?

—Deux ans.

—On l'a mis en liberté?

—Non: on l'a mis au cachot.

—Écoute! dit Dantès, je ne suis pas un abbé, je ne suis pas fou; peut-être le deviendrai-je; mais, malheureusement, à cette heure, j'ai encore tout mon bon sens: je vais te faire une autre proposition.

—Laquelle?

—Je ne t'offrirai pas un million, moi, car je ne pourrais pas te le donner; mais je t'offrirai cent écus si tu veux, la première fois que tu iras à Marseille, descendre jusqu'aux Catalans, et remettre une lettre à une jeune fille qu'on appelle Mercédès... pas même une lettre, deux lignes seulement.

—Si je portais ces deux lignes et que je fusse découvert, je perdrais ma place, qui est de mille livres par an, sans compter les bénéfices et la nourriture; vous voyez donc bien que je serais un grand imbécile de risquer de perdre mille livres pour en gagner trois cents.

—Eh bien! dit Dantès, écoute et retiens bien ceci: si tu refuses de prévenir le gouverneur que je désire lui parler; si tu refuses de porter deux lignes à Mercédès, ou tout au moins de la prévenir que je suis ici, un jour je t'attendrai derrière ma porte, et, au moment où tu entreras, je te briserai la tête avec cet escabeau.

—Des menaces! s'écria le geôlier en faisant un pas en arrière et en se mettant sur la défensive; décidément la tête vous tourne. L'abbé a commencé comme vous, et dans trois jours vous serez fou à lier, comme lui; heureusement que l'on a des cachots au château d'If.»

Dantès prit l'escabeau, et il le fit tournoyer autour de sa tête.

«C'est bien! c'est bien! dit le geôlier; eh bien! puisque vous le voulez absolument, on va prévenir le gouverneur.

—À la bonne heure!» dit Dantès en reposant son escabeau sur le sol et en s'asseyant dessus, la tête basse et les yeux hagards, comme s'il devenait réellement insensé.

Le geôlier sortit, et, un instant après, rentra avec quatre soldats et un caporal.

«Par ordre du gouverneur, dit-il, descendez le prisonnier un étage au-dessous de celui-ci.

—Au cachot, alors? dit le caporal.

—Au cachot. Il faut mettre les fous avec les fous.»

Les quatre soldats s'emparèrent de Dantès qui tomba dans une espèce d'atonie et les suivit sans résistance.

On lui fit descendre quinze marches, et on ouvrit la porte d'un cachot dans lequel il entra en murmurant:

«Il a raison, il faut mettre les fous avec les fous.»

La porte se referma, et Dantès alla devant lui, les mains étendues jusqu'à ce qu'il sentît le mur; alors il s'assit dans un angle et resta immobile, tandis que ses yeux, s'habituant peu à peu à l'obscurité, commençaient à distinguer les objets.

Le geôlier avait raison, il s'en fallait de bien peu que Dantès ne fût fou.


8. Le château d'If 8. If Castle 8. Als Kasteel 8. Se Castelo 8. Якщо Касл

En traversant l’antichambre, le commissaire de police fit un signe à deux gendarmes, lesquels se placèrent, l’un à droite l’autre à gauche de Dantès; on ouvrit une porte qui communiquait de l’appartement du procureur du roi au palais de justice, on suivit quelque temps un de ces grands corridors sombres qui font frissonner ceux-là qui y passent, quand même ils n’ont aucun motif de frissonner. Crossing the anteroom, the police superintendent made a sign to two gendarmes, who took their places, one to the right and the other to the left of Dantès; a door was opened which communicated from the king's attorney's apartment to the courthouse, and for some time we followed one of those great dark corridors which make those who pass through it shudder, even though they have no reason to shudder. Atravessando a antecâmara, o comissário de polícia fez sinal a dois gendarmes, que se colocaram, um à direita, outro à esquerda de Dantès; abriram uma porta que levava do apartamento do advogado do rei ao tribunal, seguiram por algum tempo por um daqueles grandes corredores escuros que fazem estremecer quem passa por ele, mesmo quando não tem motivo para estremecer.

De même que l’appartement de Villefort communiquait au palais de justice, le palais de justice communiquait à la prison, sombre monument accolé au palais et que regarde curieusement, de toutes ses ouvertures béantes, le clocher des Accoules qui se dresse devant lui. As Villefort's apartment communicated with the courthouse, the courthouse communicated to the prison, a sombre monument adjoining the palace, and which, curiously, with all its gaping openings, looks at the Accoules tower which stands before it.

Après nombre de détours dans le corridor qu’il suivait, Dantès vit s’ouvrir une porte avec un guichet de fer; le commissaire de police frappa, avec un marteau de fer, trois coups qui retentirent, pour Dantès, comme s’ils étaient frappés sur son cœur; la porte s’ouvrit, les deux gendarmes poussèrent légèrement leur prisonnier, qui hésitait encore. After a number of detours in the corridor which he followed, Dantes saw open a door with an iron gate; the police commissioner struck with an iron hammer three blows which rang out for Dantes as if they were struck on his heart; the door opened, the two gendarmes slightly pushed their prisoner, who was still hesitating. Dantès franchit le seuil redoutable, et la porte se referma bruyamment derrière lui. Dantes crossed the dreaded threshold, and the door closed loudly behind him. Il respirait un autre air, un air méphitique et lourd: il était en prison. He was breathing another air, a mephitic and heavy air: he was in prison.

On le conduisit dans une chambre assez propre, mais grillée et verrouillée; il en résulta que l’aspect de sa demeure ne lui donna point trop de crainte: d’ailleurs, les paroles du substitut du procureur du roi, prononcées avec une voix qui avait paru à Dantès si pleine d’intérêt, résonnaient à son oreille comme une douce promesse d’espérance. He was taken to a room clean enough, but grilled and locked; The result of this was that the appearance of his house did not give him too much fear; besides, the words of the substitute of the procureur du roi, pronounced with a voice which had appeared to Dantes, so full of interest, resonated in his ear. as a sweet promise of hope.

Il était déjà quatre heures lorsque Dantès avait été conduit dans sa chambre. It was already four o'clock when Dantes had been taken to her room. On était, comme nous l’avons dit, au 1er mars, le prisonnier se trouva donc bientôt dans la nuit. It was, as we have said, on March 1, so the prisoner soon found himself in the night.

Alors, le sens de l’ouïe s’augmenta chez lui du sens de la vue qui venait de s’éteindre: au moindre bruit qui pénétrait jusqu’à lui, convaincu qu’on venait le mettre en liberté, il se levait vivement et faisait un pas vers la porte; mais bientôt le bruit s’en allait mourant dans une autre direction, et Dantès retombait sur son escabeau. Then the sense of hearing increased in him from the sense of sight which had just disappeared: at the slightest noise that penetrated to him, convinced that he was coming to liberty, he rose quickly and took a step towards the door; but soon the noise was dying in another direction, and Dantes fell back on his stool.

Enfin, vers les dix heures du soir, au moment où Dantès commençait à perdre l’espoir, un nouveau bruit se fit entendre, qui lui parut, cette fois, se diriger vers sa chambre: en effet, des pas retentirent dans le corridor et s’arrêtèrent devant sa porte; une clef tourna dans la serrure, les verrous grincèrent, et la massive barrière de chêne s’ouvrit, laissant voir, tout à coup dans la chambre sombre l’éblouissante lumière de deux torches. Finally, around ten o'clock in the evening, when Dantes was beginning to lose hope, a new noise was heard, which seemed to him, this time, to be heading towards his room: in fact, footsteps were heard in the corridor and stopped in front of his door; a key turned in the lock, the bolts creaked, and the massive oak gate opened, suddenly revealing the dazzling light of two torches in the dark room.

À la lueur de ces deux torches, Dantès vit briller les sabres et les mousquetons de quatre gendarmes. In the light of these two torches, Dantès saw the sabers and carabiners of four gendarmes shine.

Il avait fait deux pas en avant, il demeura immobile à sa place en voyant ce surcroît de force. He had taken two steps forward, he remained motionless in his place when he saw this additional force.

«Venez-vous me chercher? "Are you coming to get me?" demanda Dantès. asked Dantes.

—Oui répondit un des gendarmes. “Yes, one of the gendarmes replied.

—De la part de M. le substitut du procureur du roi? On the part of the Crown prosecutor?

—Mais je le pense. “But I think so.

—Bien, dit Dantès, je suis prêt à vous suivre.» "Very well," said Dantès, "I am ready to follow you."

La conviction qu’on venait le chercher de la part de M. de Villefort ôtait toute crainte au malheureux jeune homme: il s’avança donc, calme d’esprit, libre de démarche, et se plaça de lui-même au milieu de son escorte. The conviction that M. de Villefort was coming to seek him removed all fear from the unfortunate young man. He then advanced, calm of mind, free of gait, and placed himself in the midst of his escort. Убежденность в том, что г-н де Вильфор пришел искать его, устранил весь страх от несчастного молодого человека, он продвинулся, успокоился, освободился от походки и поставил себя посреди его сопровождение.

Une voiture attendait à la porte de la rue, le cocher était sur son siège, un exempt était assis près du cocher. A carriage was waiting at the street door, the coachman was on his seat, a gentleman was sitting near the coachman.

«Est-ce donc pour moi que cette voiture est là? "So is this car for me here?" demanda Dantès.

—C’est pour vous, répondit un des gendarmes, montez.» "It's for you," replied one of the gendarmes, "go upstairs."

Dantès voulut faire quelques observations, mais la portière s’ouvrit, il sentit qu’on le poussait; il n’avait ni la possibilité ni même l’intention de faire résistance, il se trouva en un instant assis au fond de la voiture, entre deux gendarmes; les deux autres s’assirent sur la banquette de devant, et la pesante machine se mit à rouler avec un bruit sinistre. Dantes tried to make some observations, but the door opened, he felt that they were pushing him; he had neither the possibility nor even the intention to resist; he found himself in an instant seated at the back of the carriage, between two gendarmes; the other two sat down on the front seat, and the heavy machine began to roll with a sinister sound.

Le prisonnier jeta les yeux sur les ouvertures, elles étaient grillées: il n’avait fait que changer de prison; seulement celle-là roulait, et le transportait en roulant vers un but ignoré. The prisoner cast his eyes on the openings; they were roasted; he had only changed his prison; only that one rolled, and transported it rolling towards a goal ignored. Заключенный опустил глаза на отверстия, они были обжарены, он только сменил свою тюрьму; только то, что один катился, и перевозил его, катясь к цели, игнорируемой. À travers les barreaux serrés à pouvoir à peine y passer la main, Dantès reconnut cependant qu’on longeait la rue Caisserie, et que par la rue Saint-Laurent et la rue Taramis on descendait vers le quai. Through the bars, which were barely able to pass their hand, Dantes recognized that they were walking along Caisserie Street, and that by the Rue Saint-Laurent and Taramis Street, they were going down to the wharf. Bientôt, il vit, à travers ses barreaux, à lui, et les barreaux du monument près duquel il se trouvait, briller les lumières de la Consigne. Soon, through his bars, he saw him, and the bars of the monument near which he stood, shine the lights of the Consignment. La voiture s’arrêta, l’exempt descendit, s’approcha du corps de garde; une douzaine de soldats en sortirent et se mirent en haie; Dantès voyait, à la lueur des réverbères du quai, reluire leurs fusils. The car stopped, the officer descended, approached the guard-house; a dozen soldiers came out and hedged; Dantes saw, by the light of the lampposts of the quay, shine their rifles.

«Serait-ce pour moi, se demanda-t-il, que l’on déploie une pareille force militaire?» "Would it be for me," he asked himself, "that such a military force be deployed?"

L’exempt, en ouvrant la portière qui fermait à clef quoique sans prononcer une seule parole répondit à cette question, car Dantès vit, entre les deux haies de soldats, un chemin ménagé pour lui de la voiture au port. The officer, opening the door that was locking, though without uttering a single word, answered this question, for Dantes saw, between the two soldiers' hedges, a way for him from the carriage to the port.

Les deux gendarmes qui étaient assis sur la banquette de devant descendirent les premiers, puis on le fit descendre à son tour, puis ceux qui se tenaient à ses côtés le suivirent. The two gendarmes who were seated on the front seat got out first, then he was taken down in turn, then those who were at his side followed him. On marcha vers un canot qu’un marinier de la douane maintenait près du quai par une chaîne. We marched towards a boat that a customs marshal was holding near the quay by a chain. Les soldats regardèrent passer Dantès d’un air de curiosité hébétée. The soldiers watched Dantes pass with an air of dazed curiosity. En un instant, il fut installé à la poupe du bateau, toujours entre ces quatre gendarmes, tandis que l’exempt se tenait à la proue. In an instant, he was seated at the stern of the boat, still between these four gendarmes, while the officer stood at the bow. Une violente secousse éloigna le bateau du bord, quatre rameurs nagèrent vigoureusement vers le Pilon. A violent shock pushed the boat away, four rowers swam vigorously to the Pestle. À un cri poussé de la barque, la chaîne qui ferme le port s’abaissa, et Dantès se trouva dans ce qu’on appelle le Frioul c’est-à-dire hors du port. At a shout from the boat, the chain which closes the port was lowered, and Dantes was in what is called the Friuli, that is to say, out of the harbor. Le premier mouvement du prisonnier, en se trouvant en plein air, avait été un mouvement de joie. The first movement of the prisoner, lying in the open air, had been a movement of joy.

L’air, c’est presque la liberté. Air is almost freedom. Il respira donc à pleine poitrine cette brise vivace qui apporte sur ses ailes toutes ces senteurs inconnues de la nuit et de la mer. So he inhaled deeply this vivacious breeze which brings on his wings all these unknown scents of the night and the sea. Bientôt, cependant, il poussa un soupir; il passait devant cette Réserve où il avait été si heureux le matin même pendant l’heure qui avait précédé son arrestation, et, à travers l’ouverture ardente de deux fenêtres, le bruit joyeux d’un bal arrivait jusqu’à lui. Soon, however, he sighed; he was passing by the reserve where he had been so happy that very morning during the hour before his arrest, and through the blazing opening of two windows the joyous noise of a ball reached him.

Dantès joignit ses mains, leva les yeux au ciel et pria. Dantes joined his hands, rolled his eyes and prayed.

La barque continuait son chemin; elle avait dépassé la Tête de Mort, elle était en face de l’anse du Pharo; elle allait doubler la batterie, c’était une manœuvre incompréhensible pour Dantès. The boat continued on its way; she had passed the Head of Death, she was facing the cove of Pharo; she was going to double the battery, it was an incomprehensible maneuver for Dantes.

«Mais où donc me menez-vous? "But where do you lead me? demanda-t-il l’un des gendarmes. he asked one of the gendarmes.

—Vous le saurez tout à l’heure. -You will know it later.

—Mais encore.... -But still....

—Il nous est interdit de vous donner aucune explication.» "We are forbidden to give you any explanation."

Dantès était à moitié soldat; questionner des subordonnés auxquels il était défendu de répondre lui parut une chose absurde, et il se tut. Dantes was half a soldier; to question subordinates whom it was forbidden to answer seemed to him an absurd thing, and he was silent. Alors les pensées les plus étranges passèrent par son esprit: comme on ne pouvait faire une longue route dans une pareille barque, comme il n’y avait aucun bâtiment à l’ancre du côté où l’on se rendait, il pensa qu’on allait le déposer sur un point éloigné de la côte et lui dire qu’il était libre; il n’était point attaché, on n’avait fait aucune tentative pour lui mettre les menottes, cela lui paraissait d’un bon augure; d’ailleurs le substitut, si excellent pour lui, ne lui avait-il pas dit que, pourvu qu’il ne prononçât point ce nom fatal de Noirtier, il n’avait rien à craindre? Then the strangest thoughts passed by his mind: as one could not make a long road in such a boat, as there was no vessel at anchor on the side where one went, he thought that was going to put him on a point far from the coast and tell him he was free; he was not attached, no attempt had been made to handcuff him; this seemed to him a good omen; besides, the substitute, so excellent for him, had he not told him that, provided he did not pronounce that fatal name of Noirtier, he had nothing to fear? Villefort n’avait-il pas, en sa présence, anéanti cette dangereuse lettre, seule preuve qu’il eût contre lui? Did not Villefort, in his presence, annihilate this dangerous letter, the only proof that he had against him? Il attendit donc, muet et pensif, et essayant de percer, avec cet œil du marin exercé aux ténèbres et accoutumé à l’espace, l’obscurité de la nuit. He waited therefore, mute and pensive, and trying to pierce, with that eye of the sailor practiced in the darkness and accustomed to space, the darkness of the night. Поэтому он ждал, немой и задумчивый, пытаясь пронзить, с таким глазом моряка, проявленного во тьме и привыкшего к пространству, темноте ночи. On avait laissé à droite l’île Ratonneau, où brûlait un phare, et tout en longeant presque la côte, on était arrivé à la hauteur de l’anse des Catalans. We had left Ratonneau Island on the right, where a lighthouse was burning, and almost along the coast, we had reached the level of the Catalan cove. Là, les regards du prisonnier redoublèrent d’énergie: c’était là qu’était Mercédès, et il lui semblait à chaque instant voir se dessiner sur le rivage sombre la forme vague et indécise d’une femme. There, the prisoner's eyes redoubled his energy. It was there that Mercedes was, and it seemed to him every moment that the vague and indecisive form of a woman appeared on the dark shore. Там глаза заключенного удвоили их энергию. Именно там был Мерседес, и ему казалось, что на темном берегу появляется неопределенная и нерешительная форма женщины.

Comment un pressentiment ne disait-il pas à Mercédès que son amant passait à trois cents pas d’elle? How did a presentiment not tell Mercedes that his lover was three hundred paces from her? Как предчувствие не говорило Мерседесу, что его возлюбленный был в трехстах шагах от нее?

Une seule lumière brillait aux Catalans. Only one light shone in the Catalans. En interrogeant la position de cette lumière, Dantès reconnut qu’elle éclairait la chambre de sa fiancée. By questioning the position of this light, Dantès recognized that it lit his fiancée's room. Mercédès était la seule qui veillât dans toute la petite colonie. Mercedes was the only one who watched in all the little colony. En poussant un grand cri le jeune homme pouvait être entendu de sa fiancée. With a loud cry the young man could be heard from his fiancée.

Une fausse honte le retint. A false shame restrained him. Que diraient ces hommes qui le regardaient, en l’entendant crier comme un insensé? What would those men say who looked at him, hearing him scream like a fool? Il resta donc muet et les yeux fixés sur cette lumière. So he remained silent and his eyes fixed on this light.

Pendant ce temps, la barque continuait son chemin; mais le prisonnier ne pensait point à la barque il pensait à Mercédès. Meanwhile, the boat continued on its way; but the prisoner did not think of the boat he thought of Mercedes.

Un accident de terrain fit disparaître la lumière. A field accident made the light disappear. Dantès se retourna et s’aperçut que la barque gagnait le large. Dantes turned around and noticed that the boat was going off.

Pendant qu’il regardait, absorbé dans sa propre pensée, on avait substitué les voiles aux rames, et la barque s’avançait maintenant, poussée par le vent. While he watched, absorbed in his own thought, the sails had been replaced by the oars, and the boat was now advancing, pushed by the wind.

Malgré la répugnance qu’éprouvait Dantès à adresser au gendarme de nouvelles questions, il se rapprocha de lui, et lui prenant la main. Notwithstanding Dantès' reluctance to address new questions to the gendarme, he drew nearer to him and took his hand.

«Camarade, lui dit-il, au nom de votre conscience et de par votre qualité de soldat, je vous adjure d’avoir pitié de moi et de me répondre. “Comrade,” he said to him, “in the name of your conscience and because of your quality as a soldier, I beg you to have pity on me and to answer me. Je suis le capitaine Dantès, bon et loyal Français, quoique accusé de je ne sais quelle trahison: où me menez-vous? I am Captain Dantès, a good and loyal Frenchman, although accused of I know not what treason: where are you leading me? dites-le, et, foi de marin, je me rangerai à mon devoir et me résignerai à mon sort.» say it, and, as a sailor, I will go to my duty and resign myself to my fate. " скажи это, и, как моряк, я пойду на свой долг и смирись с судьбой ».

Le gendarme se gratta l’oreille, regarda son camarade. The gendarme scratched his ear, looked at his comrade. Celui-ci fit un mouvement qui voulait dire à peu près: Il me semble qu’au point où nous en sommes il n’y a pas d’inconvénient, et le gendarme se retourna vers Dantès: The latter made a movement which almost said: It seems to me that at the point where we are there is no inconvenience, and the gendarme turned to Dantes:

«Vous êtes Marseillais et marin, dit-il, et vous me demandez où nous allons? “You are Marseillais and a sailor,” he said, “and you ask me where we are going?

—Oui, car, sur mon honneur, je l’ignore. “Yes, because, on my honor, I don't know.

—Ne vous en doutez-vous pas? -Do you doubt it?

—Aucunement. —No one.

—Ce n’est pas possible. -It is not possible.

—Je vous le jure sur ce que j’ai de plus sacré monde. -I swear to you on what I have most sacred world. Répondez-moi donc, de grâce! Answer me then, please!

—Mais la consigne? "But the deposit?"

—La consigne ne vous défend pas de m’apprendre ce que je saurai dans dix minutes, dans une demi heure, dans une heure peut-être. "The instructions do not forbid you to tell me what I shall know in ten minutes, in half an hour, perhaps in an hour. Seulement vous m’épargnez d’ici là des siècles d’incertitude. Only you save me by then centuries of uncertainty. Только вы спасете меня к столетиям неопределенности. Je vous le demande, comme si vous étiez mon ami, regardez: je ne veux ni me révolter ni fuir; d’ailleurs je ne le puis: où allons-nous? I ask you, as if you were my friend, look: I do not want to revolt or flee; besides, I can not: where are we going?

—À moins que vous n’ayez un bandeau sur les yeux, ou que vous ne soyez jamais sorti du port de Marseille, vous devez cependant deviner où vous allez? "Unless you have a blindfold, or have never been out of the port of Marseilles, yet you must guess where you are going?

—Non. -No.

—Regardez autour de vous alors.» “Look around then.”

Dantès se leva, jeta naturellement les yeux sur le point où paraissait se diriger le bateau, et à cent toises devant lui il vit s’élever la roche noire et ardue sur laquelle monte, comme une superfétation du silex, le sombre château d’If. Dantes rose, looked naturally at the point where the boat seemed to be heading, and at a hundred yards in front of him he saw rise the black and arduous rock on which rises, like a superfluity of the flint, the dark castle of If .

Cette forme étrange, cette prison autour de laquelle règne une si profonde terreur, cette forteresse qui fait vivre depuis trois cents ans Marseille de ses lugubre traditions, apparaissant ainsi tout à coup à Dantès qui ne songeait point à elle, lui fit l’effet que fait au condamné à mort l’aspect de l’échafaud. This strange form, the prison around which reigns so profound a terror, this fortress which, for three hundred years, has made Marseilles live its lugubrious traditions, suddenly appearing to Dantes, who did not think of her, had the effect of sentenced to death the appearance of the scaffold.

«Ah! mon Dieu! my God! s’écria-t-il, le château d’If! he cried, the Chateau d'If! et qu’allons nous faire là?» and what are we going to do there? "

Le gendarme sourit. The gendarme smiles.

«Mais on ne me mène pas là pour être emprisonné? "But they do not take me there to be imprisoned? continua Dantès. Le château d’If est une prison d’État, destinée seulement aux grands coupables politiques. The Château d'If is a state prison, intended only for major political culprits. Je n’ai commis aucun crime. I did not commit any crime. Est-ce qu’il y a des juges d’instruction, des magistrats quelconques au château d’If? Are there any examining magistrates, any magistrates at the Château d'If?

—Il n’y a, je suppose, dit le gendarme, qu’un gouverneur, des geôliers, une garnison et de bons murs. "There is, I suppose," said the gendarme, "only a governor, jailers, a garrison and good walls. Allons, allons, l’ami, ne faites pas tant l’étonné; car, en vérité, vous me feriez croire que vous reconnaissez ma complaisance en vous moquant de moi.» Come, come, friend, do not be so surprised; for, in truth, you would make me believe that you acknowledge my complacency by making fun of me. "

Dantès serra la main du gendarme à la lui briser. Dantes squeezed the gendarme's hand to break it. Дантес пожал руку жандарма, чтобы сломать ее.

«Vous prétendez donc, dit-il, que l’on me conduit au château d’If pour m’y emprisonner? "So you claim," said he, "that I am taken to the castle of If to imprison me there?

—C’est probable, dit le gendarme; mais en tout cas, camarade, il est inutile de me serrer si fort. "It is probable," said the gendarme; but in any case, comrade, it is useless to hold me so tight.

—Sans autre information, sans autre formalité? "Without further information, without any other formality?" demanda le jeune homme. asked the young man.

—Les formalités sont remplies, l’information est faite. -The formalities are fulfilled, the information is made.

—Ainsi, malgré la promesse de M. de Villefort?... "So, despite M. de Villefort's promise? ..."

—Je ne sais si M. de Villefort vous a fait une promesse, dit le gendarme, mais ce que je sais, c’est que nous allons au château d’If. "I don't know if M. de Villefort made you a promise," said the policeman, "but what I do know is that we are going to the Chateau d'If." Eh bien, que faites-vous donc? Well, what are you doing? Holà! Hey! camarades, à moi!» comrades, mine! "

Par un mouvement prompt comme l’éclair, qui cependant avait été prévu par l’œil exercé du gendarme, Dantès avait voulu s’élancer à la mer; mais quatre poignets vigoureux le retinrent au moment où ses pieds quittaient le plancher du bateau. By a movement as quick as lightning, which, however, had been foreseen by the trained eye of the gendarme, Dantes had wished to fly to the sea; but four sturdy wrists held him back as his feet left the floor of the boat.

Il retomba au fond de la barque en hurlant de rage. He fell back to the bottom of the boat screaming with rage.

«Bon! "Well! s’écria le gendarme en lui mettant un genou sur la poitrine, bon! cried the gendarme, putting one knee on his chest. voilà comme vous tenez votre parole de marin. that's how you keep your sailor's word. Fiez-vous donc aux gens doucereux! So trust sweet people! Eh bien, maintenant, mon cher ami, faites un mouvement, un seul, et je vous loge une balle dans la tête. Well, now, my dear friend, make a movement, a single one, and I will lodge a bullet in your head. J’ai manqué à ma première consigne, mais, je vous en réponds, je ne manquerai pas à la seconde.» I failed in my first instruction, but, I answer you, I will not fail in the second. ”

Et il abaissa effectivement sa carabine vers Dantès qui sentit s’appuyer le bout du canon contre sa tempe. And he actually lowered his rifle to Dantes, who felt the tip of the barrel against his temple. Un instant, il eut l’idée de faire ce mouvement défendu et d’en finir ainsi violemment avec le malheur inattendu qui s’était abattu sur lui et l’avait pris tout à coup dans ses serres de vautour. For a moment he had the idea of making this movement forbidden, and thus ending it violently with the unexpected misfortune which had fallen upon him, and suddenly seized him in his vulture's claws. На мгновение у него возникла идея запретить это движение и, таким образом, жестоко закончиться неожиданным несчастьем, которое упало на него, и внезапно схватил его в когти его стервятника. Mais, justement parce que ce malheur était inattendu, Dantès songea qu’il ne pouvait être durable; puis les promesses de M. de Villefort lui revinrent à l’esprit; puis, s’il faut le dire enfin, cette mort au fond d’un bateau, venant de la main d’un gendarme, lui apparue laide et nue. But precisely because this misfortune was unexpected, Dantes thought that it could not be lasting; then the promises of M. de Villefort returned to his mind; then, if it is necessary to say it at last, this death in the bottom of a boat, coming from the hand of a gendarme, appeared to him ugly and naked. Il retomba donc sur le plancher de la barque en poussant un hurlement de rage et en se rongeant les mains avec fureur. He fell back on the floor of the boat, screaming furiously, and gnawing at his hands furiously. Presque au même instant, un choc violent ébranla le canot. Almost at the same moment, a violent shock shook the boat. Un des bateliers sauta sur le roc que la proue de la petite barque venait de toucher, une corde grinça en se déroulant autour d’une poulie, et Dantès comprit qu’on était arrivé et qu’on amarrait l’esquif. One of the boatmen jumped on the rock that the bow of the little boat had just touched, a rope creaked around a pulley, and Dantes realized that we had arrived and that we were mooring the skiff. Один из лодочников прыгнул на скалу, которую коснулся лук маленькой лодки, веревка скрипела вокруг шкива, и Дантес увидел, что мы приехали, и что лодка была пришвартована.

En effet, ses gardiens, qui le tenaient à la fois par les bras et par le collet de son habit, le forcèrent de se relever, le contraignirent à descendre à terre, et le traînèrent vers les degrés qui montent à la porte de la citadelle, tandis que l’exempt, armé d’un mousqueton à baïonnette, le suivait par-derrière. In fact, his guardians, who held him by the arms and collar of his coat, forced him to get up again, forced him to descend to the ground, and dragged him towards the steps which rise at the door of the citadel. while the officer, armed with a bayonet carabiner, followed him behind.

Dantès, au reste, ne fit point une résistance inutile; sa lenteur venait plutôt d’inertie que d’opposition; il était étourdi et chancelant comme un homme ivre. Dantes, moreover, did not make a useless resistance; his slowness came rather from inertia than opposition; he was dizzy and tottering like a drunk man. Il vit de nouveau des soldats qui s’échelonnaient sur le talus rapide, il sentit des escaliers qui le forçaient de lever les pieds, il s’aperçut qu’il passait sous une porte et que cette porte se refermait derrière lui, mais tout cela machinalement, comme à travers un brouillard, sans rien distinguer de positif. He saw soldiers again on the fast slope, he felt the stairs that forced him to lift his feet, he saw that he was passing under a door and that door closed behind him, but all this mechanically, as though through a fog, without distinguishing anything from positive. Il ne voyait même plus la mer, cette immense douleur des prisonniers, qui regardent l’espace avec le sentiment terrible qu’ils sont impuissants à le franchir. He could not even see the sea, that immense pain of the prisoners, who look at the space with the terrible feeling that they are powerless to cross it.

Il y eut une halte d’un moment, pendant laquelle il essaya de recueillir ses esprits. There was a pause for a moment, during which he tried to gather his spirits. Il regarda autour de lui: il était dans une cour carrée, formée par quatre hautes murailles; on entendait le pas lent et régulier des sentinelles; et chaque fois qu’elles passaient devant deux ou trois reflets que projetait sur les murailles la lueur de deux ou trois lumières qui brillaient dans l’intérieur du château, on voyait scintiller le canon de leurs fusils. He looked around him: he was in a square court, formed by four high walls; we heard the slow and steady pace of the sentinels; and each time they passed by two or three reflections projected on the walls by the gleam of two or three lights shining in the interior of the castle, the cannon of their rifles glittered.

On attendit là dix minutes à peu près; certains que Dantès ne pouvait plus fuir, les gendarmes l’avaient lâché. We waited there about ten minutes; some that Dantes could not flee, the gendarmes had let go. On semblait attendre des ordres, ces ordres arrivèrent. They seemed to be waiting for orders, these orders arrived.

«Où est le prisonnier? "Where's the prisoner?" demanda une voix. asked a voice.

—Le voici, répondirent les gendarmes. "Here he is," replied the gendarmes.

—Qu’il me suive, je vais le conduire à son logement. “Let him follow me, I'll take him to his accommodation.

—Allez», dirent les gendarmes en poussant Dantès. "Go," said the gendarmes, pushing Dantes. Le prisonnier suivit son conducteur, qui le conduisit effectivement dans une salle presque souterraine, dont les murailles nues et suantes semblaient imprégnées d’une vapeur de larmes. The prisoner followed his conductor, who actually conducted him to an almost subterranean room, whose bare, sweaty walls seemed to be imbued with tears. Une espèce de lampion posé sur un escabeau, et dont la mèche nageait dans une graisse fétide, illuminait les parois lustrées de cet affreux séjour, et montrait à Dantès son conducteur, espèce de geôlier subalterne, mal vêtu et de basse mine. A kind of lantern resting on a stool, whose wick swam in stinking fat, illuminated the lustrous walls of this dreadful abode, and showed Dantes his conductor, a sort of subaltern jailer, badly clad and low-lying.

«Voici votre chambre pour cette nuit, dit-il; il est tard, et M. le gouverneur est couché. "Here is your room for tonight," he said; it is late, and the governor is in bed. Demain, quand il se réveillera et qu’il aura pris connaissance des ordres qui vous concernent, peut-être vous changera-t-il de domicile; en attendant, voici du pain, il y a de l’eau dans cette cruche, de la paille là-bas dans un coin: c’est tout ce qu’un prisonnier peut désirer. Tomorrow, when he wakes up and becomes aware of the orders that concern you, perhaps he will change your address; in the meantime, here is some bread, there is water in this jug, some straw there in a corner; it is all that a prisoner can desire. Bonsoir.» Good evening."

Et avant que Dantès eût songé à ouvrir la bouche pour lui répondre, avant qu’il eût remarqué où le geôlier posait ce pain, avant qu’il se fût rendu compte de l’endroit où gisait cette cruche, avant qu’il eût tourné les yeux vers le coin où l’attendait cette paille destinée à lui servir de lit, le geôlier avait pris le lampion, et, refermant la porte, enlevé au prisonnier ce reflet blafard qui lui avait montré, comme à la lueur d’un éclair, les murs ruisselants de sa prison. And before Dantes had thought of opening his mouth to answer him, before he had noticed where the jailer was putting this bread, before he had realized where the pitcher was, before he had turned. eyes towards the corner where this straw destined to be used for him was waiting for him, the jailer had taken the lantern, and, shutting the door, removed from the prisoner that pale reflection which had shown him, as by the light of a flash of lightning. , the dripping walls of his prison.

Alors il se trouva seul dans les ténèbres et dans le silence, aussi muet et aussi sombre que ces voûtes dont il sentait le froid glacial s’abaisser sur son front brûlant. Then he found himself alone in the darkness and silence, as dumb and dark as the vaults of which he felt the icy cold lower on his burning forehead.

Quand les premiers rayons du jour eurent ramené un peu de clarté dans cet antre, le geôlier revint avec ordre de laisser le prisonnier où il était. When the first rays of day had brought some light back to this den, the jailer returned with orders to leave the prisoner where he was. Dantès n’avait point changé de place. Dantes had not changed his place. Une main de fer semblait l’avoir cloué à l’endroit même où la veille il s’était arrêté: seulement son œil profond se cachait sous une enflure causée par la vapeur humide de ses larmes. An iron fist seemed to have nailed him to the very spot where the day before he had stopped: only his deep eye was hidden under a swelling caused by the wet vapor of his tears. Il était immobile et regardait la terre. He was still and was looking at the earth.

Il avait ainsi passé toute la nuit debout, et sans dormir un instant. He had spent the whole night standing up, and without sleeping for a moment.

Le geôlier s’approcha de lui, tourna autour de lui, mais Dantès ne parut pas le voir. The jailer approached him, turned around him, but Dantes did not seem to see him.

Il lui frappa sur l’épaule, Dantès tressaillit et secoua la tête. He struck her on the shoulder, Dantes flinched and shook her head.

«N’avez-vous donc pas dormi, demanda le geôlier. "Have you not slept?" Asked the jailer.

—Je ne sais pas», répondit Dantès. "I don't know," replied Dantès.

Le geôlier le regarda avec étonnement. The jailer looked at him in amazement.

«N’avez-vous pas faim? "Are you not hungry? continua-t-il. he continued.

—Je ne sais pas, répondit encore Dantès. "I don't know," Dantes replied again.

—Voulez-vous quelque chose? -Do you want something?

—Je voudrais voir le gouverneur.» “I would like to see the governor.”

Le geôlier haussa les épaules et sortit. The jailer shrugged and went out.

Dantès le suivit des yeux, tendit les mains vers la porte entrouverte, mais la porte se referma. Dantes followed him with his eyes, held out his hands toward the ajar door, but the door closed.

Alors sa poitrine sembla se déchirer dans un long sanglot. Then his chest seemed to tear in a long sob. Les larmes qui gonflaient sa poitrine jaillirent comme deux ruisseaux, il se précipita le front contre terre et pria longtemps, repassant dans son esprit toute sa vie passée, et se demandant à lui-même quel crime il avait commis dans cette vie, jeune encore, qui méritât une si cruelle punition. The tears that swelled his chest sprang like two streams, he rushed his forehead to the ground and prayed for a long time, returning to his mind all his past life, and wondering to himself what crime he had committed in this life, still young, who deserved such cruel punishment.

La journée se passa ainsi. The day went well. À peine s’il mangea quelques bouchées de pain et but quelques gouttes d’eau. He scarcely ate a few bites of bread and drank a few drops of water. Tantôt il restait assis et absorbé dans ses pensées; tantôt il tournait tout autour de sa prison comme fait un animal sauvage enfermé dans une cage de fer. Sometimes he remained seated and absorbed in his thoughts; sometimes he turned around his prison like a wild animal locked in an iron cage.

Une pensée surtout le faisait bondir: c’est que, pendant cette traversée, où, dans son ignorance du lieu où on le conduisait, il était resté si calme et si tranquille, il aurait pu dix fois, se jeter à la mer, et, une fois dans l’eau, grâce à son habileté à nager, grâce à cette habitude qui faisait de lui un des plus habiles plongeurs de Marseille, disparaître sous l’eau, échapper à ses gardiens, gagner la côte, fuir, se cacher dans quelque crique déserte, attendre un bâtiment génois ou catalan, gagner l’Italie ou l’Espagne et de là écrire à Mercédès de venir le rejoindre. One thought especially made him leap: it was that, during this crossing, where, in his ignorance of the place where he was being led, he had remained so calm and so tranquil, he could have thrice thrown himself into the sea, and once in the water, thanks to his ability to swim, thanks to the habit that made him one of the most skilled divers of Marseille, disappear under water, escape his guardians, reach the coast, flee, hide in some deserted cove, wait for a Genoese or Catalan building, reach Italy or Spain and then write to Mercedes to join him. Одна мысль особенно заставляла его прыгать: во время этого перекрестка, где, в своем незнании того места, где его вели, он оставался таким спокойным и таким спокойным, что мог бы трижды броситься в море и однажды в воде, благодаря его способности плавать, благодаря этой привычке, которая сделала его одним из самых опытных дайверов в Марселе, исчезнуть под водой, убежать от своих опекунов, добраться до побережья, бежать, скрывать в какой-то пустынной бухте, дожидаться генуэзского или каталонского здания, доехать до Италии или Испании, а затем написать Мерседесу, чтобы присоединиться к нему. Quant à sa vie, dans aucune contrée il n’en était inquiet: partout les bons marins sont rares; il parlait l’italien comme un Toscan, l’espagnol comme un enfant de la Vieille-Castille; il eût vécu libre, heureux avec Mercédès, son père, car son père fût venu le rejoindre; tandis qu’il était prisonnier, enfermé au château d’If dans cette infranchissable prison, ne sachant pas ce que devenait son père, ce que devenait Mercédès, et tout cela parce qu’il avait cru à la parole de Villefort: c’était à en devenir fou; aussi Dantès se roulait-il furieux sur la paille fraîche que lui avait apportée son geôlier. As for his life, in no country he was uneasy: everywhere good sailors are rare; he spoke Italian as a Tuscan, Spanish as a child of Old Castile; he would have lived free, happy with Mercedes, his father, for his father had come to join him; while he was a prisoner, shut up in the castle of If in this impassable prison, not knowing what became of his father, what became Mercedes, and all that because he had believed the word of Villefort: it was to go crazy; Dantes also rolled furiously over the fresh straw which his jailer had brought him.

Le lendemain, à la même heure, le geôlier entra. The next day, at the same hour, the jailer entered.

«Eh bien, lui demanda le geôlier, êtes-vous plus raisonnable aujourd’hui qu’hier?» "Well," the jailer asked him, "are you more reasonable today than yesterday?"

Dantès ne répondit point. Dantes did not answer.

«Voyons donc, dit celui-ci, un peu de courage! "Let us see then," said the latter, "a little courage! Désirez-vous quelque chose qui soit à ma disposition? Do you want something that is available to me? voyons, dites. let's see, say.

—Je désire parler au gouverneur. “I want to speak to the governor.

—Eh! “Hey! dit le geôlier avec impatience, je vous ai déjà dit que c’est impossible. said the jailer impatiently, I have already told you that it is impossible.

—Pourquoi cela, impossible? -Why is that impossible?

—Parce que, par les règlements de la prison, il n’est point permis à un prisonnier de le demander. “Because, by prison regulations, a prisoner is not permitted to ask for it.

—Qu’y a-t-il donc de permis ici? -What's the license here? demanda Dantès.

—Une meilleure nourriture en payant, la promenade, et quelquefois des livres. - Better food by paying, walking, and sometimes books.

—Je n’ai pas besoin de livres, je n’ai aucune envie de me promener et je trouve ma nourriture bonne; ainsi je ne veux qu’une chose, voir le gouverneur. “I don't need books, I don't feel like going for a walk and I find my food good; so I only want one thing, to see the governor.

—Si vous m’ennuyez à me répéter toujours la même chose, dit le geôlier, je ne vous apporterai plus à manger. “If you bore me telling me the same thing over and over again,” said the jailer, “I won't bring you any more food.

—Eh bien, dit Dantès, si tu ne m’apportes plus à manger, je mourrai de faim, voilà tout.» "Well," said Dantes, "if you don't bring me anything to eat, I'll starve, that's all."

L’accent avec lequel Dantès prononça ces mots prouva au geôlier que son prisonnier serait heureux de mourir; aussi, comme tout prisonnier, de compte fait, rapporte dix sous à peu près par jour à son geôlier, celui de Dantès envisagea le déficit qui résulterait pour lui de sa mort, et reprit d’un ton plus radouci: The accent with which Dantes pronounced these words proved to the jailer that his prisoner would be happy to die; also, as every prisoner, in fact, pays ten sous a day to his jailer, that of Dantes considered the deficit which would result for him from his death, and resumed in a softer tone: Акцент, с которым Дантес произносил эти слова, доказывал тюремщику, что его заключенный будет счастлив умереть; Кроме того, поскольку каждый заключенный фактически платит десять су в день своему тюремщику, дефицит Дантеса рассматривал дефицит, который может быть вызван его смертью, и возобновился более мягким тоном:

«Écoutez: ce que vous désirez là est impossible; ne le demandez donc pas davantage, car il est sans exemple que, sur sa demande, le gouverneur soit venu dans la chambre d’un prisonnier; seulement, soyez bien sage, on vous permettra la promenade, et il est possible qu’un jour, pendant que vous vous promènerez, le gouverneur passera: alors vous l’interrogerez, et, s’il veut vous répondre, cela le regarde. “Listen: what you want there is impossible; therefore ask no more, for there is no example that, at his request, the governor came to the room of a prisoner; only, be very wise, you will be allowed a walk, and it is possible that one day, while you are walking, the governor will pass by: then you will question him, and if he wants to answer you, that concerns him.

—Mais, dit Dantès, combien de temps puis-je attendre ainsi sans que ce hasard se présente? "But," said Dantès, "how long can I wait like this without this chance happening?"

—Ah! dame, dit le geôlier, un mois, trois mois, six mois, un an peut-être. lady, said the jailer, a month, three months, six months, a year perhaps.

—C’est trop long, dit Dantès; je veux le voir tout de suite. "It is too long," said Dantès; I want to see it right away.

—Ah! dit le geôlier, ne vous absorbez pas ainsi dans un seul désir impossible, ou, avant quinze jours, vous serez fou. "said the jailer," do not so absorb yourself in one impossible desire, or, before a fortnight, you will be mad.

—Ah! tu crois? you think? dit Dantès. said Dantes.

—Oui, fou. “Yes, crazy. C’est toujours ainsi que commence la folie; nous en avons un exemple ici: c’est en offrant sans cesse un million au gouverneur, si on voulait le mettre en liberté, que le cerveau de l’abbé qui habitait cette chambre avant vous s’est détraqué. It is always thus that madness begins; we have an example here: it is by constantly offering a million to the governor, if one wanted to set him free, that the brain of the abbot who lived in that room before you broke down.

—Et combien y a-t-il qu’il a quitté cette chambre? "And how much has he left this room?

—Deux ans. -Two years.

—On l’a mis en liberté? "Did we set him free?"

—Non: on l’a mis au cachot. - No: we put him in the dungeon.

—Écoute! -Listen! dit Dantès, je ne suis pas un abbé, je ne suis pas fou; peut-être le deviendrai-je; mais, malheureusement, à cette heure, j’ai encore tout mon bon sens: je vais te faire une autre proposition. said Dantes, I am not an abbot, I am not mad; perhaps I will become one; but, unfortunately, at this hour, I still have all my common sense: I will make you another proposal.

—Laquelle? -Which?

—Je ne t’offrirai pas un million, moi, car je ne pourrais pas te le donner; mais je t’offrirai cent écus si tu veux, la première fois que tu iras à Marseille, descendre jusqu’aux Catalans, et remettre une lettre à une jeune fille qu’on appelle Mercédès... pas même une lettre, deux lignes seulement. “I won't give you a million, because I couldn't give it to you; but I'll offer you a hundred crowns if you want, the first time you go to Marseille, go down to the Catalans, and deliver a letter to a young girl called Mercédès ... not even a letter, only two lines .

—Si je portais ces deux lignes et que je fusse découvert, je perdrais ma place, qui est de mille livres par an, sans compter les bénéfices et la nourriture; vous voyez donc bien que je serais un grand imbécile de risquer de perdre mille livres pour en gagner trois cents. “If I wore these two lines and were discovered, I would lose my place, which is a thousand pounds a year, without counting the profits and the food; you can see, then, that I would be a great fool to risk losing a thousand pounds in order to gain three hundred.

—Eh bien! -Well! dit Dantès, écoute et retiens bien ceci: si tu refuses de prévenir le gouverneur que je désire lui parler; si tu refuses de porter deux lignes à Mercédès, ou tout au moins de la prévenir que je suis ici, un jour je t’attendrai derrière ma porte, et, au moment où tu entreras, je te briserai la tête avec cet escabeau. said Dantès, listen and remember this well: if you refuse to inform the governor that I wish to speak to him; if you refuse to take two lines to Mercédès, or at least to warn her that I am here, one day I will wait for you behind my door, and, when you enter, I will break your head with this stepladder.

—Des menaces! -Threats! s’écria le geôlier en faisant un pas en arrière et en se mettant sur la défensive; décidément la tête vous tourne. cried the jailer, taking a step back and putting himself on the defensive; your head is definitely spinning. L’abbé a commencé comme vous, et dans trois jours vous serez fou à lier, comme lui; heureusement que l’on a des cachots au château d’If.» The abbe has begun like you, and in three days you will be mad to bind, like him; fortunately we have dungeons at the castle of If. "

Dantès prit l’escabeau, et il le fit tournoyer autour de sa tête. Dantes took the ladder and twirled it around his head.

«C’est bien! "It's good! c’est bien! it's good! dit le geôlier; eh bien! said the jailer; well! puisque vous le voulez absolument, on va prévenir le gouverneur. since you absolutely want it, we will warn the governor.

—À la bonne heure!» dit Dantès en reposant son escabeau sur le sol et en s’asseyant dessus, la tête basse et les yeux hagards, comme s’il devenait réellement insensé. "At the right time!" Said Dantes, resting his stepladder on the ground and sitting on it, his head down and his eyes haggard, as if he were really going mad.

Le geôlier sortit, et, un instant après, rentra avec quatre soldats et un caporal. The jailer went out, and a moment later returned with four soldiers and a corporal.

«Par ordre du gouverneur, dit-il, descendez le prisonnier un étage au-dessous de celui-ci. “By order of the governor,” he said, “take the prisoner down one floor below it.

—Au cachot, alors? "In the dungeon, then?" dit le caporal. said the corporal.

—Au cachot. “To the dungeon. Il faut mettre les fous avec les fous.» We have to put the madmen with the madmen. "

Les quatre soldats s’emparèrent de Dantès qui tomba dans une espèce d’atonie et les suivit sans résistance. The four soldiers seized Dantes who fell into a kind of sluggishness and followed them without resistance.

On lui fit descendre quinze marches, et on ouvrit la porte d’un cachot dans lequel il entra en murmurant: They made him descend fifteen steps, and the door of a dungeon was opened, into which he entered murmuring:

«Il a raison, il faut mettre les fous avec les fous.» "He's right, we have to put the madmen with the madmen."

La porte se referma, et Dantès alla devant lui, les mains étendues jusqu’à ce qu’il sentît le mur; alors il s’assit dans un angle et resta immobile, tandis que ses yeux, s’habituant peu à peu à l’obscurité, commençaient à distinguer les objets. The door closed, and Dantes went before him, hands extended until he felt the wall; so he sat at an angle and remained motionless, while his eyes, gradually getting used to the darkness, began to distinguish the objects.

Le geôlier avait raison, il s’en fallait de bien peu que Dantès ne fût fou. The jailer was right, it was hardly that Dantes was crazy.