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Le Comte de Monte-Cristo, Alexandre Dumas, Tome 1, 31.1 Italie.—Simbad le marin

31.1 Italie.—Simbad le marin

Vers le commencement de l'année 1838, se trouvaient à Florence deux jeunes gens appartenant à la plus élégante société de Paris, l'un, le vicomte Albert de Morcerf, l'autre, le baron Franz d'Épinay. Il avait été convenu entre eux qu'ils iraient passer le carnaval de la même année à Rome, où Franz, qui depuis près de quatre ans habitait l'Italie, servirait de cicerone à Albert. Or, comme ce n'est pas une petite affaire que d'aller passer le carnaval à Rome, surtout quand on tient à ne pas coucher place du Peuple ou dans le Campo-Vaccino, ils écrivirent à maître Pastrini, propriétaire de l'hôtel de Londres, place d'Espagne, pour le prier de leur retenir un appartement confortable. Maître Pastrini répondit qu'il n'avait plus à leur disposition que deux chambres et un cabinet situés al secondo piano , et qu'il offrait moyennant la modique rétribution d'un louis par jour. Les deux jeunes gens acceptèrent; puis, voulant mettre à profit le temps qui lui restait, Albert partit pour Naples. Quant à Franz, il resta à Florence.

Quand il eut joui quelque temps de la vie que donne la ville des Médicis, quand il se fut bien promené dans cet Éden qu'on nomme les Casines, quand il eut été reçu chez ces hôtes magnifiques qui font les honneurs de Florence, il lui prit fantaisie, ayant déjà vu la Corse, ce berceau de Bonaparte, d'aller voir l'île d'Elbe, ce grand relais de Napoléon. Un soir donc il détacha une barchetta de l'anneau de fer qui la scellait au port de Livourne, se coucha au fond dans son manteau, en disant aux mariniers ces seules paroles: «À l'île d'Elbe!» La barque quitta le port comme l'oiseau de mer quitte son nid, et le lendemain elle débarquait Franz à Porto-Ferrajo. Franz traversa l'île impériale, après avoir suivi toutes les traces que les pas du géant y a laissées, et alla s'embarquer à Marciana. Deux heures après avoir quitté la terre, il la reprit pour descendre à la Pianosa, où l'attendaient, assurait-on, des vols infinis de perdrix rouges. La chasse fut mauvaise. Franz tua à grand-peine quelques perdrix maigres, et, comme tout chasseur qui s'est fatigué pour rien, il remonta dans sa barque d'assez mauvaise humeur. «Ah! si Votre Excellence voulait, lui dit le patron, elle ferait une belle chasse!

—Et où cela?

—Voyez-vous cette île? continua le patron, en étendant le doigt vers le midi et en montrant une masse conique qui sortait du milieu de la mer teintée du plus bel indigo.

—Eh bien, qu'est-ce que cette île? demanda Franz.

—L'île de Monte-Cristo, répondit le Livournais. —Mais je n'ai pas de permission pour chasser dans cette île. —Votre Excellence n'en a pas besoin, l'île est déserte. —Ah! pardieu, dit le jeune homme, une île déserte au milieu de la Méditerranée, c'est chose curieuse. —Et chose naturelle, Excellence. Cette île est un banc de rochers, et, dans toute son étendue, il n'y a peut-être pas un arpent de terre labourable. —Et à qui appartient cette île?

—À la Toscane.

—Quel gibier y trouverai-je?

—Des milliers de chèvres sauvages.

—Qui vivent en léchant les pierres, dit Franz avec un sourire d'incrédulité. —Non, mais en broutant les bruyères, les myrtes, les lentisques qui poussent dans leurs intervalles.

—Mais où coucherai-je?

—À terre dans les grottes, ou à bord dans votre manteau. D'ailleurs, si Son Excellence veut, nous pourrons partir aussitôt après la chasse; elle sait que nous faisons aussi bien voile la nuit que le jour, et qu'à défaut de la voile nous avons les rames.» Comme il restait encore assez de temps à Franz pour rejoindre son compagnon, et qu'il n'avait plus à s'inquiéter de son logement à Rome, il accepta cette proposition de se dédommager de sa première chasse. Sur sa réponse affirmative, les matelots échangèrent entre eux quelques paroles à voix basse.

«Eh bien, demanda-t-il, qu'avons-nous de nouveau? serait-il survenu quelque impossibilité?

—Non, reprit le patron; mais nous devons prévenir Votre Excellence que l'île est en contumace. —Qu'est-ce que cela veut dire? —Cela veut dire que, comme Monte-Cristo est inhabitée, et sert parfois de relâche à des contrebandiers et des pirates qui viennent de Corse, de Sardaigne ou d'Afrique, si un signe quelconque dénonce notre séjour dans l'île, nous serons forcés, à notre retour à Livourne, de faire une quarantaine de six jours. —Diable! voilà qui change la thèse! six jours! Juste autant qu'il en a fallu à Dieu pour créer le monde. C'est un peu long, mes enfants. —Mais qui dira que Son Excellence a été à Monte-Cristo?

—Oh! ce n'est pas moi, s'écria Franz. —Ni nous non plus, firent les matelots.

—En ce cas, va pour Monte-Cristo.»

Le patron commanda la manœuvre; on mit le cap sur l'île, et la barque commença de voguer dans sa direction. Franz laissa l'opération s'achever, et quand on eut pris la nouvelle route, quand la voile se fut gonflée par la brise, et que les quatre mariniers eurent repris leurs places, trois à l'avant, un au gouvernail, il renoua la conversation. «Mon cher Gaetano, dit-il au patron, vous venez de me dire, je crois, que l'île de Monte-Cristo servait de refuge à des pirates, ce qui me paraît un bien autre gibier que des chèvres. —Oui, Excellence, et c'est la vérité. —Je savais bien l'existence des contrebandiers, mais je pensais que, depuis la prise d'Alger et la destruction de la Régence, les pirates n'existaient plus que dans les romans de Cooper et du capitaine Marryat. —Eh bien, Votre Excellence se trompait: il en est des pirates comme des bandits, qui sont censés exterminés par le pape Léon XII, et qui cependant arrêtent tous les jours les voyageurs jusqu'aux portes de Rome. N'avez-vous pas entendu dire qu'il y a six mois à peine le chargé d'affaires de France près le Saint-Siège avait été dévalisé à cinq cents pas de Velletri? —Si fait.

—Eh bien, si comme nous Votre Excellence habitait Livourne, elle entendrait dire de temps en temps qu'un petit bâtiment chargé de marchandises ou qu'un joli yacht anglais, qu'on attendait à Bastia, à Porto-Ferrajo ou à Civita-Vecchia, n'est point arrivé, qu'on ne sait ce qu'il est devenu, et que sans doute il se sera brisé contre quelque rocher. Eh bien, ce rocher qu'il a rencontré, c'est une barque basse et étroite, montée de six ou huit hommes, qui l'ont surpris ou pillé par une nuit sombre et orageuse au détour de quelque îlot sauvage et inhabité, comme des bandits arrêtent et pillent une chaise de poste au coin d'un bois. —Mais enfin, reprit Franz toujours étendu dans sa barque, comment ceux à qui pareil accident arrive ne se plaignent-ils pas, comment n'appellent-ils pas sur ces pirates la vengeance du gouvernement français, sarde ou toscan? —Pourquoi? dit Gaetano avec un sourire.

—Oui, pourquoi?

—Parce que d'abord on transporte du bâtiment ou un yacht sur la barque tout ce qui est bon à prendre; puis on lie les pieds et les mains à l'équipage, on attache au cou de chaque homme un boulet de 24, on fait un trou de la grandeur d'une barrique dans la quille du bâtiment capturé, on remonte sur le pont, on ferme les écoutilles et l'on passe sur la barque. Au bout de dix minutes, le bâtiment commence à se plaindre et à gémir, peu à peu il s'enfonce. D'abord un des côtés plonge, puis l'autre; puis il se relève, puis il plonge encore, s'enfonçant toujours davantage. Tout à coup, un bruit pareil à un coup de canon retentit: c'est l'air qui brise le pont. Alors le bâtiment s'agite comme un noyé qui se débat, s'alourdissant à chaque mouvement. Bientôt l'eau, trop pressée dans les cavités, s'élance des ouvertures, pareille aux colonnes liquides que jetterait par ses évents quelque cachalot gigantesque. Enfin il pousse un dernier râle, fait un dernier tour sur lui-même, et s'engouffre en creusant dans l'abîme un vaste entonnoir qui tournoie un instant, se comble peu à peu et finit par s'effacer tout à fait; si bien qu'au bout de cinq minutes il faut l'œil de Dieu lui-même pour aller chercher au fond de cette mer calme le bâtiment disparu. «Comprenez-vous maintenant, ajouta le patron en souriant, comment le bâtiment ne rentre pas dans le port, et pourquoi l'équipage ne porte pas plainte?» Si Gaetano eût raconté la chose avant de proposer l'expédition, il est probable que Franz eût regardé à deux fois avant de l'entreprendre; mais ils étaient partis, et il lui sembla qu'il y aurait lâcheté à reculer. C'était un de ces hommes qui ne courent pas à une occasion périlleuse, mais qui, si cette occasion vient au-devant d'eux, restent d'un sang-froid inaltérable pour la combattre: c'était un de ces hommes à la volonté calme, qui ne regardent un danger dans la vie que comme un adversaire dans un duel, qui calculent ses mouvements, qui étudient sa force, qui rompent assez pour reprendre haleine, pas assez pour paraître lâches, qui, comprenant d'un seul regard tous leurs avantages, tuent d'un seul coup. «Bah! reprit-il, j'ai traversé la Sicile et la Calabre, j'ai navigué deux mois dans l'archipel, et je n'ai jamais vu l'ombre d'un bandit ni d'un forban. —Aussi n'ai-je pas dit cela à Son Excellence, fit Gaetano, pour la faire renoncer à son projet; elle m'a interrogé et je lui ai répondu, voilà tout. —Oui, mon cher Gaetano, et votre conversation est des plus intéressantes; aussi comme je veux en jouir le plus longtemps possible, va pour Monte-Cristo.»

Cependant, on approchait rapidement du terme du voyage; il ventait bon frais, et la barque faisait six à sept milles à l'heure. À mesure qu'on approchait, l'île semblait sortir grandissante du sein de la mer; et, à travers l'atmosphère limpide des derniers rayons du jour, on distinguait, comme les boulets dans un arsenal, cet amoncellement de rochers empilés les uns sur les autres, et dans les interstices desquels on voyait rougir des bruyères et verdir les arbres. Quant aux matelots, quoiqu'ils parussent parfaitement tranquilles, il était évident que leur vigilance était éveillée, et que leur regard interrogeait le vaste miroir sur lequel ils glissaient, et dont quelques barques de pêcheurs, avec leurs voiles blanches, peuplaient seules l'horizon, se balançant comme des mouettes au bout des flots. Ils n'étaient plus guère qu'à une quinzaine de milles de Monte-Cristo lorsque le soleil commença à se coucher derrière la Corse, dont les montagnes apparaissaient à droite, découpant sur le ciel leur sombre dentelure; cette masse de pierres, pareille au géant Adamastor, se dressait menaçante devant la barque à laquelle elle dérobait le soleil dont la partie supérieure se dorait; peu à peu l'ombre monta de la mer et sembla chasser devant elle ce dernier reflet du jour qui allait s'éteindre, enfin le rayon lumineux fut repoussé jusqu'à la cime du cône, où il s'arrêta un instant comme le panache enflammé d'un volcan: enfin l'ombre, toujours ascendante, envahit progressivement le sommet, comme elle avait envahi la base, et l'île n'apparut plus que comme une montagne grise qui allait toujours se rembrunissant. Une demi-heure après, il faisait nuit noire.

Heureusement que les mariniers étaient dans leurs parages habituels et qu'ils connaissaient jusqu'au moindre rocher de l'archipel toscan; car, au milieu de l'obscurité profonde qui enveloppait la barque, Franz n'eût pas été tout à fait sans inquiétude. La Corse avait entièrement disparu, l'île de Monte-Cristo était elle-même devenue invisible, mais les matelots semblaient avoir, comme le lynx, la faculté de voir dans les ténèbres, et le pilote, qui se tenait au gouvernail, ne marquait pas la moindre hésitation. Une heure à peu près s'était écoulée depuis le coucher du soleil, lorsque Franz crut apercevoir, à un quart de mille à la gauche, une masse sombre, mais il était si impossible de distinguer ce que c'était, que, craignant d'exciter l'hilarité de ses matelots, en prenant quelques nuages flottants pour la terre ferme, il garda le silence. Mais tout à coup une grande lueur apparut sur la rive; la terre pouvait ressembler à un nuage, mais le feu n'était pas un météore. «Qu'est-ce que cette lumière? demanda-t-il.

—Chut! dit le patron, c'est un feu. —Mais vous disiez que l'île était inhabitée! —Je disais qu'elle n'avait pas de population fixe, mais j'ai dit aussi qu'elle est un lieu de relâche pour les contrebandiers. —Et pour les pirates!

—Et pour les pirates, dit Gaetano répétant les paroles de Franz; c'est pour cela que j'ai donné l'ordre de passer l'île, car, ainsi que vous le voyez, le feu est derrière nous. —Mais ce feu, continua Franz, me semble plutôt un motif de sécurité que d'inquiétude, des gens qui craindraient d'être vus n'auraient pas allumé ce feu. —Oh! cela ne veut rien dire, dit Gaetano, si vous pouviez juger, au milieu de l'obscurité, de la position de l'île, vous verriez que, placé comme il l'est, ce feu ne peut être aperçu ni de la côte, ni de la Pianosa, mais seulement de la pleine mer. —Ainsi vous craignez que ce feu ne nous annonce mauvaise compagnie?

—C'est ce dont il faudra s'assurer, reprit Gaetano, les yeux toujours fixés sur cette étoile terrestre. —Et comment s'en assurer? —Vous allez voir.»

À ces mots Gaetano tint conseil avec ses compagnons, et au bout de cinq minutes de discussion, on exécuta en silence une manœuvre, à l'aide de laquelle, en un instant, on eut viré de bord; alors on reprit la route qu'on venait de faire, et quelques secondes après ce changement de direction, le feu disparut, caché par quelque mouvement de terrain. Alors le pilote imprima par le gouvernail une nouvelle direction au petit bâtiment, qui se rapprocha visiblement de l'île et qui bientôt ne s'en trouva plus éloigné que d'une cinquantaine de pas. Gaetano abattit la voile, et la barque resta stationnaire.

Tout cela avait été fait dans le plus grand silence, et d'ailleurs, depuis le changement de route, pas une parole n'avait été prononcée à bord. Gaetano, qui avait proposé l'expédition, en avait pris toute la responsabilité sur lui. Les quatre matelots ne le quittaient pas des yeux, tout en préparant les avirons et en se tenant évidemment prêts à faire force de rames, ce qui, grâce à l'obscurité, n'était pas difficile. Quant à Franz, il visitait ses armes avec ce sang-froid que nous lui connaissons; il avait deux fusils à deux coups et une carabine, il les chargea, s'assura des batteries, et attendit. Pendant ce temps, le patron avait jeté bas son caban et sa chemise, assuré son pantalon autour de ses reins, et, comme il était pieds nus, il n'avait eu ni souliers ni bas à défaire. Une fois dans ce costume, ou plutôt hors de son costume, il mit un doigt sur ses lèvres pour faire signe de garder le plus profond silence, et, se laissant couler dans la mer, il nagea vers le rivage avec tant de précaution qu'il était impossible d'entendre le moindre bruit. Seulement, au sillon phosphorescent que dégageaient ses mouvements, on pouvait suivre sa trace.

Bientôt, ce sillon même disparut: il était évident que Gaetano avait touché terre.

Tout le monde sur le petit bâtiment resta immobile pendant une demi-heure, au bout de laquelle on vit reparaître près du rivage et s'approcher de la barque le même sillon lumineux. Au bout d'un instant, et en deux brassées, Gaetano avait atteint la barque. «Eh bien? firent ensemble Franz et les quatre matelots.

—Eh bien, dit-il, ce sont des contrebandiers espagnols; ils ont seulement avec eux deux bandits corses.

—Et que font ces deux bandits corses avec des contrebandiers espagnols?

—Eh! mon Dieu! Excellence, reprit Gaetano d'un ton de profonde charité chrétienne, il faut bien s'aider les uns les autres. Souvent les bandits se trouvent un peu pressés sur terre par les gendarmes ou les carabiniers, eh bien, ils trouvent là une barque, et dans cette barque de bons garçons comme nous. Ils viennent nous demander l'hospitalité dans notre maison flottante. Le moyen de refuser secours à un pauvre diable qu'on poursuit! Nous le recevons, et, pour plus grande sécurité, nous gagnons le large. Cela ne nous coûte rien et sauve la vie ou, tout au moins, la liberté à un de nos semblables qui, dans l'occasion, reconnaît le service que nous lui avons rendu en nous indiquant un bon endroit où nous puissions débarquer nos marchandises sans être dérangés par les curieux. —Ah çà! dit Franz, vous êtes donc un peu contrebandier vous-même, mon cher Gaetano?

—Eh! que voulez-vous, Excellence! dit-il avec un sourire impossible à décrire, on fait un peu de tout; il faut bien vivre.

—Alors vous êtes en pays de connaissance avec les gens qui habitent Monte-Cristo à cette heure?

—À peu près. Nous autres mariniers, nous sommes comme les francs-maçons, nous nous reconnaissons à certains signes.

—Et vous croyez que nous n'aurions rien à craindre en débarquant à notre tour? —Absolument rien, les contrebandiers ne sont pas des voleurs.

—Mais ces deux bandits corses... reprit Franz, calculant d'avance toutes les chances de danger. —Eh mon Dieu! dit Gaetano, ce n'est pas leur faute s'ils sont bandits, c'est celle de l'autorité. —Comment cela?

—Sans doute! on les poursuit pour avoir fait une peau , pas autre chose; comme s'il n'était pas dans la nature du Corse de se venger! —Qu'entendez-vous par avoir fait une peau ? Avoir assassiné un homme? dit Franz, continuant ses investigations.

—J'entends avoir tué un ennemi, reprit le patron, ce qui est bien différent. —Eh bien, fit le jeune homme, allons demander l'hospitalité aux contrebandiers et aux bandits. Croyez-vous qu'ils nous l'accordent? —Sans aucun doute.

—Combien sont-ils?

—Quatre, Excellence, et les deux bandits ça fait six.

—Eh bien, c'est juste notre chiffre; nous sommes même, dans le cas où ces messieurs montreraient de mauvaises dispositions, en force égale, et par conséquent en mesure de les contenir. Ainsi, une dernière fois, va pour Monte-Cristo.

—Oui, Excellence; mais vous nous permettrez bien encore de prendre quelques précautions?

—Comment donc, mon cher! soyez sage comme Nestor, et prudent comme Ulysse. Je fais plus que de vous le permettre, je vous y exhorte.

—Eh bien alors, silence!» fit Gaetano.

Tout le monde se tut.

Pour un homme envisageant, comme Franz, toute chose sous son véritable point de vue, la situation, sans être dangereuse, ne manquait pas d'une certaine gravité. Il se trouvait dans l'obscurité la plus profonde, isolé, au milieu de la mer, avec des mariniers qui ne le connaissaient pas et qui n'avaient aucun motif de lui être dévoués; qui savaient qu'il avait dans sa ceinture quelques milliers de francs, et qui avaient dix fois, sinon avec envie, du moins avec curiosité, examiné ses armes, qui étaient fort belles. D'un autre côté, il allait aborder, sans autre escorte que ces hommes, dans une île qui portait un nom fort religieux, mais qui ne semblait pas promettre à Franz une autre hospitalité que celle du Calvaire au Christ, grâce à ses contrebandiers et à ses bandits. Puis cette histoire de bâtiments coulés à fond, qu'il avait crue exagérée le jour, lui semblait plus vraisemblable la nuit. Aussi, placé qu'il était entre ce double danger peut-être imaginaire, il ne quittait pas ces hommes des yeux et son fusil de la main. Cependant les mariniers avaient de nouveau hissé leurs voiles et avaient repris leur sillon déjà creusé en allant et en revenant. À travers l'obscurité Franz, déjà un peu habitué aux ténèbres, distinguait le géant de granit que la barque côtoyait; puis enfin, en dépassant de nouveau l'angle d'un rocher, il aperçut le feu qui brillait, plus éclatant que jamais, et autour de ce feu, cinq ou six personnes assises. La réverbération du foyer s'étendait d'une centaine de pas en mer. Gaetano côtoya la lumière, en faisant toutefois rester la barque dans la partie non éclairée; puis, lorsqu'elle fut tout à fait en face du foyer, il mit le cap sur lui et entra bravement dans le cercle lumineux, en entonnant une chanson de pêcheurs dont il soutenait le chant à lui seul, et dont ses compagnons reprenaient le refrain en chœur. Au premier mot de la chanson, les hommes assis autour du foyer s'étaient levés et s'étaient approchés du débarcadère, les yeux fixés sur la barque, dont ils s'efforçaient visiblement de juger la force et de deviner les intentions. Bientôt, ils parurent avoir fait un examen suffisant et allèrent, à l'exception d'un seul qui resta debout sur le rivage, se rasseoir autour du feu, devant lequel rôtissait un chevreau tout entier. Lorsque le bateau fut arrivé à une vingtaine de pas de la terre, l'homme qui était sur le rivage fit machinalement, avec sa carabine, le geste d'une sentinelle qui attend une patrouille, et cria Qui vive ! en patois sarde.

Franz arma froidement ses deux coups. Gaetano échangea alors avec cet homme quelques paroles auxquelles le voyageur ne comprit rien, mais qui le concernaient évidemment.

«Son Excellence, demanda le patron, veut-elle se nommer ou garder l'incognito? —Mon nom doit être parfaitement inconnu; dites-leur donc simplement, reprit Franz, que je suis un Français voyageant pour ses plaisirs.»

Lorsque Gaetano eut transmis cette réponse, la sentinelle donna un ordre à l'un des hommes assis devant le feu, lequel se leva aussitôt, et disparut dans les rochers. Il se fit un silence. Chacun semblait préoccupé de ses affaires: Franz de son débarquement, les matelots de leurs voiles, les contrebandiers de leur chevreau, mais, au milieu de cette insouciance apparente, on s'observait mutuellement. L'homme qui s'était éloigné reparut tout à coup, du côté opposé de celui par lequel il avait disparu. Il fit un signe de la tête à la sentinelle, qui se retourna de leur côté et se contenta de prononcer ces seules paroles: S'accommodi . Le s'accommodi italien est intraduisible; il veut dire à la fois, venez, entrez, soyez le bienvenu, faites comme chez vous, vous êtes le maître. C'est comme cette phrase turque de Molière, qui étonnait si fort le bourgeois gentilhomme par la quantité de choses qu'elle contenait. Les matelots ne se le firent pas dire deux fois: en quatre coups de rames, la barque toucha la terre. Gaetano sauta sur la grève, échangea encore quelques mots à voix basse avec la sentinelle, ses compagnons descendirent l'un après l'autre; puis vint enfin le tour de Franz. Il avait un de ses fusils en bandoulière, Gaetano avait l'autre, un des matelots tenait sa carabine. Son costume tenait à la fois de l'artiste et du dandy, ce qui n'inspira aux hôtes aucun soupçon, et par conséquent aucune inquiétude. On amarra la barque au rivage, on fit quelques pas pour chercher un bivouac commode; mais sans doute le point vers lequel on s'acheminait n'était pas de la convenance du contrebandier qui remplissait le poste de surveillant, car il cria à Gaetano: «Non, point par là, s'il vous plaît.» Gaetano balbutia une excuse, et, sans insister davantage, s'avança du côté opposé, tandis que deux matelots, pour éclairer la route, allaient allumer des torches au foyer. On fit trente pas à peu près et l'on s'arrêta sur une petite esplanade tout entourée de rochers dans lesquels on avait creusé des espèces de sièges, à peu près pareils à de petites guérites où l'on monterait la garde assis. Alentour poussaient, dans des veines de terre végétale quelques chênes nains et des touffes épaisses de myrtes. Franz abaissa une torche et reconnut, à un amas de cendres, qu'il n'était pas le premier à s'apercevoir du confortable de cette localité, et que ce devait être une des stations habituelles des visiteurs nomades de l'île de Monte-Cristo. Quant à son attente d'événement, elle avait cessé; une fois le pied sur la terre ferme, une fois qu'il eut vu les dispositions, sinon amicales, du moins indifférentes de ses hôtes, toute sa préoccupation avait disparu, et, à l'odeur du chevreau qui rôtissait au bivouac voisin, la préoccupation s'était changée en appétit. Il toucha deux mots de ce nouvel incident à Gaetano, qui lui répondit qu'il n'y avait rien de plus simple qu'un souper quand on avait, comme eux dans leur barque, du pain, du vin, six perdrix et un bon feu pour les faire rôtir. «D'ailleurs, ajouta-t-il, si Votre Excellence trouve si tentante l'odeur de ce chevreau, je puis aller offrir à nos voisins deux de nos oiseaux pour une tranche de leur quadrupède. —Faites, Gaetano, faites, dit Franz; vous êtes véritablement né avec le génie de la négociation.»

Pendant ce temps, les matelots avaient arraché des brassées de bruyères, fait des fagots de myrtes et de chênes verts, auxquels ils avaient mis le feu, ce qui présentait un foyer assez respectable.

Franz attendait donc avec impatience, humant toujours l'odeur du chevreau, le retour du patron, lorsque celui-ci reparut et vint à lui d'un air fort préoccupé. «Eh bien, demanda-t-il, quoi de nouveau? on repousse notre offre?

—Au contraire, fit Gaetano. Le chef, à qui l'on a dit que vous étiez un jeune homme français, vous invite à souper avec lui. —Eh bien, mais, dit Franz, c'est un homme fort civilisé que ce chef, et je ne vois pas pourquoi je refuserais; d'autant plus que j'apporte ma part du souper. —Oh! ce n'est pas cela: il a de quoi souper, et au-delà, mais c'est qu'il met à votre présentation chez lui une singulière condition. —Chez lui! reprit le jeune homme; il a donc fait bâtir une maison?

—Non; mais il n'en a pas moins un chez lui fort confortable, à ce qu'on assure du moins. —Vous connaissez donc ce chef?

—J'en ai entendu parler. —En bien ou en mal?

—Des deux façons.

—Diable! Et quelle est cette condition?

—C'est de vous laisser bander les yeux et de n'ôter votre bandeau que lorsqu'il vous y invitera lui-même.» Franz sonda autant que possible le regard de Gaetano pour savoir ce que cachait cette proposition.

«Ah dame! reprit celui-ci, répondant à la pensée de Franz, je le sais bien, la chose mérite réflexion.

—Que feriez-vous à ma place? fit le jeune homme.

—Moi, qui n'ai rien à perdre, j'irais. —Vous accepteriez?

—Oui, ne fût-ce que par curiosité.

—Il y a donc quelque chose de curieux à voir chez ce chef?

—Écoutez, dit Gaetano en baissant la voix, je ne sais pas si ce qu'on dit est vrai...» Il s'arrêta en regardant si aucun étranger ne l'écoutait. «Et que dit-on?

—On dit que ce chef habite un souterrain auprès duquel le palais Pitti est bien peu de chose.

—Quel rêve! dit Franz en se rasseyant.

—Oh! ce n'est pas un rêve, continua le patron, c'est une réalité! Cama, le pilote du Saint-Ferdinand , y est entré un jour, et il en est sorti tout émerveillé, en disant qu'il n'y a de pareils trésors que dans les contes de fées. —Ah çà! mais, savez-vous, dit Franz, qu'avec de pareilles paroles vous me feriez descendre dans la caverne d'Ali-Baba? —Je vous dis ce qu'on m'a dit, Excellence. —Alors, vous me conseillez d'accepter? —Oh! je ne dis pas cela! Votre Excellence fera selon son bon plaisir. Je ne voudrais pas lui donner un conseil dans une semblable occasion.»

Franz réfléchit quelques instants, comprit que cet homme si riche ne pouvait lui en vouloir, à lui qui portait seulement quelques mille francs; et, comme il n'entrevoyait dans tout cela qu'un excellent souper, il accepta. Gaetano alla porter sa réponse.

Cependant nous l'avons dit, Franz était prudent; aussi voulut-il avoir le plus de détails possible sur son hôte étrange et mystérieux. Il se retourna donc du côté du matelot qui, pendant ce dialogue, avait plumé les perdrix avec la gravité d'un homme fier de ses fonctions, et lui demanda dans quoi ses hommes avaient pu aborder, puisqu'on ne voyait ni barques, ni spéronares, ni tartanes. «Je ne suis pas inquiet de cela, dit le matelot, et je connais le bâtiment qu'ils montent. —Est-ce un joli bâtiment?

—J'en souhaite un pareil à Votre Excellence pour faire le tour du monde. —De quelle force est-il?

—Mais de cent tonneaux à peu près. C'est, du reste un bâtiment de fantaisie, un yacht, comme disent les Anglais, mais confectionné, voyez-vous, de façon à tenir la mer par tous les temps. —Et où a-t-il été construit?

—Je l'ignore. Cependant je le crois génois.

—Et comment un chef de contrebandiers, continua Franz, ose-t-il faire construire un yacht destiné à son commerce dans le port de Gênes?

—Je n'ai pas dit, fit le matelot, que le propriétaire de ce yacht fût un contrebandier. —Non; mais Gaetano l'a dit, ce me semble. —Gaetano avait vu l'équipage de loin, mais il n'avait encore parlé à personne. —Mais si cet homme n'est pas un chef de contrebandiers, quel est-il donc? —Un riche seigneur qui voyage pour son plaisir.»

«Allons, pensa Franz, le personnage n'en est que plus mystérieux, puisque les versions sont différentes.» «Et comment s'appelle-t-il? —Lorsqu'on le lui demande, il répond qu'il se nomme Simbad le marin. Mais je doute que ce soit son véritable nom.

—Simbad le marin?

—Oui.

—Et où habite ce seigneur?

—Sur la mer.

—De quel pays est-il?

—Je ne sais pas.

—L'avez-vous vu? —Quelquefois.

—Quel homme est-ce?

—Votre Excellence en jugera elle-même.

—Et où va-t-il me recevoir?

—Sans doute dans ce palais souterrain dont vous a parlé Gaetano.

—Et vous n'avez jamais eu la curiosité, quand vous avez relâché ici et que vous avez trouvé l'île déserte, de chercher à pénétrer dans ce palais enchanté? —Oh! si fait, Excellence, reprit le matelot, et plus d'une fois même; mais toujours nos recherches ont été inutiles. Nous avons fouillé la grotte de tous côtés et nous n'avons pas trouvé le plus petit passage. Au reste, on dit que la porte ne s'ouvre pas avec une clef, mais avec un mot magique. —Allons, décidément, murmura Franz, me voilà embarqué dans un conte des Mille et une Nuits .

—Son Excellence vous attend», dit derrière lui une voix qu'il reconnut pour celle de la sentinelle. Le nouveau venu était accompagné de deux hommes de l'équipage du yacht. Pour toute réponse, Franz tira son mouchoir et le présenta à celui qui lui avait adressé la parole.

Sans dire une seule parole, on lui banda les yeux avec un soin qui indiquait la crainte qu'il ne commit quelque indiscrétion; après quoi on lui fit jurer qu'il n'essayerait en aucune façon d'ôter son bandeau. Il jura. Alors les deux hommes le prirent chacun par un bras, et il marcha guidé par eux et précédé de la sentinelle. Après une trentaine de pas, il sentit, à l'odeur de plus en plus appétissante du chevreau, qu'il repassait devant le bivouac; puis on lui fit continuer sa route pendant une cinquantaine de pas encore, en avançant évidemment du côté où l'on n'avait pas voulu laisser pénétrer Gaetano: défense qui s'expliquait maintenant. Bientôt, au changement d'atmosphère, il comprit qu'il entrait dans un souterrain; au bout de quelques secondes de marche, il entendit un craquement, et il lui sembla que l'atmosphère changeait encore de nature et devenait tiède et parfumée; enfin, il sentit que ses pieds posaient sur un tapis épais et moelleux; ses guides l'abandonnèrent. Il se fit un instant de silence, et une voix dit en bon français, quoique avec un accent étranger:

«Vous êtes le bienvenu chez moi, monsieur, et vous pouvez ôter votre mouchoir.»

Comme on le pense bien, Franz ne se fit pas répéter deux fois cette invitation; il leva son mouchoir, et se trouva en face d'un homme de trente-huit à quarante ans, portant un costume tunisien, c'est-à-dire une calotte rouge avec un long gland de soie bleue, une veste de drap noir toute brodée d'or, des pantalons sang de bœuf larges et bouffants des guêtres de même couleur brodées d'or comme la veste, et des babouches jaunes; un magnifique cachemire lui serrait la taille, et un petit cangiar aigu et recourbé était passé dans cette ceinture. Quoique d'une pâleur presque livide, cet homme avait une figure remarquablement belle; ses yeux étaient vifs et perçants; son nez droit, et presque de niveau avec le front, indiquait le type grec dans toute sa pureté, et ses dents, blanches comme des perles, ressortaient admirablement sous la moustache noire qui les encadrait. Seulement cette pâleur était étrange; on eût dit un homme enfermé depuis longtemps dans un tombeau, et qui n'eût pas pu reprendre la carnation des vivants. Sans être d'une grande taille, il était bien fait du reste, et, comme les hommes du Midi, avait les mains et les pieds petits. Mais ce qui étonna Franz, qui avait traité de rêve le récit de Gaetano, ce fut la somptuosité de l'ameublement. Toute la chambre était tendue d'étoffes turques de couleur cramoisie et brochées de fleurs d'or. Dans un enfoncement était une espèce de divan surmonté d'un trophée d'armes arabes à fourreaux de vermeil et à poignées resplendissantes de pierreries; au plafond, pendait une lampe en verre de Venise, d'une forme et d'une couleur charmantes, et les pieds reposaient sur un tapis de Turquie dans lequel ils enfonçaient jusqu'à la cheville: des portières pendaient devant la porte par laquelle Franz était entré, et devant une autre porte donnant passage dans une seconde chambre qui paraissait splendidement éclairée. L'hôte laissa un instant Franz tout à sa surprise, et d'ailleurs il lui rendait examen pour examen, et ne le quittait pas des yeux. «Monsieur, lui dit-il enfin, mille fois pardon des précautions que l'on a exigées de vous pour vous introduire chez moi: mais, comme la plupart du temps cette île est déserte, si le secret de cette demeure était connu, je trouverais sans doute, en revenant, mon pied-à-terre en assez mauvais état, ce qui me serait fort désagréable, non pas pour la perte que cela me causerait, mais parce que je n'aurais pas la certitude de pouvoir, quand je le veux, me séparer du reste de la terre. Maintenant, je vais tâcher de vous faire oublier ce petit désagrément, en vous offrant ce que vous n'espériez certes pas trouver ici, c'est-à-dire un souper passable et d'assez bons lits. —Ma foi, mon cher hôte, répondit Franz, il ne faut pas vous excuser pour cela. J'ai toujours vu que l'on bandait les yeux aux gens qui pénétraient dans les palais enchantés: voyez plutôt Raoul dans les Huguenots et véritablement je n'ai pas à me plaindre, car ce que vous me montrez fait suite aux merveilles des Mille et une Nuits . —Hélas! je vous dirai comme Lucullus: Si j'avais su avoir l'honneur de votre visite, je m'y serais préparé. Mais enfin, tel qu'est mon ermitage, je le mets à votre disposition; tel qu'il est, mon souper vous est offert. Ali, sommes-nous servis?»

Presque au même instant, la portière se souleva, et un Nègre nubien, noir comme l'ébène et vêtu d'une simple tunique blanche, fit signe à son maître qu'il pouvait passer dans la salle à manger. «Maintenant, dit l'inconnu à Franz, je ne sais si vous êtes de mon avis, mais je trouve que rien n'est gênant comme de rester deux ou trois heures en tête-à-tête sans savoir de quel nom ou de quel titre s'appeler. Remarquez que je respecte trop les lois de l'hospitalité pour vous demander ou votre nom ou votre titre; je vous prie seulement de me désigner une appellation quelconque, à l'aide de laquelle je puisse vous adresser la parole. Quant à moi, pour vous mettre à votre aise je vous dirai que l'on a l'habitude de m'appeler Simbad le marin. —Et moi, reprit Franz, je vous dirai que, comme il ne me manque, pour être dans la situation d'Aladin, que la fameuse lampe merveilleuse, je ne vois aucune difficulté à ce que, pour le moment, vous m'appeliez Aladin. Cela ne nous sortira pas de l'Orient, où je suis tenté de croire que j'ai été transporté par la puissance de quelque bon génie. —Eh bien, seigneur Aladin, fit l'étrange amphitryon, vous avez entendu que nous étions servis, n'est-ce pas? veuillez donc prendre la peine d'entrer dans la salle à manger; votre très humble serviteur passe devant vous pour vous montrer le chemin.» Et à ces mots, soulevant la portière, Simbad passa effectivement devant Franz.

Franz marchait d'enchantements en enchantements; la table était splendidement servie. Une fois convaincu de ce point important, il porta les yeux autour de lui. La salle à manger était non moins splendide que le boudoir qu'il venait de quitter; elle était tout en marbre, avec des bas reliefs antiques du plus grand prix, et aux deux extrémités de cette salle, qui était oblongue, deux magnifiques statues portaient des corbeilles sur leurs têtes. Ces corbeilles contenaient deux pyramides de fruits magnifiques; c'étaient des ananas de Sicile, des grenades de Malaga, des oranges des îles Baléares, des pêches de France et des dattes de Tunis. Quant au souper, il se composait d'un faisan rôti entouré de merles de Corse, d'un jambon de sanglier à la gelée, d'un quartier de chevreau à la tartare, d'un turbot magnifique et d'une gigantesque langouste. Les intervalles des grands plats étaient remplis par de petits plats contenant les entremets.

Les plats étaient en argent, les assiettes en porcelaine du Japon.

Franz se frotta les yeux pour s'assurer qu'il ne rêvait pas. Ali seul était admis à faire le service et s'en acquittait fort bien. Le convive en fit compliment à son hôte.

«Oui, reprit celui-ci, tout en faisant les honneurs de son souper avec la plus grande aisance; oui, c'est un pauvre diable qui m'est fort dévoué et qui fait de son mieux. Il se souvient que je lui ai sauvé la vie, et comme il tenait à sa tête, à ce qu'il paraît, il m'a gardé quelque reconnaissance de la lui avoir conservée.» Ali s'approcha de son maître, lui prit la main et la baisa. «Et serait-ce trop indiscret, seigneur Simbad, dit Franz, de vous demander en quelle circonstance vous avez fait cette belle action?

—Oh! mon Dieu, c'est bien simple, répondit l'hôte. Il paraît que le drôle avait rôdé plus près du sérail du bey de Tunis qu'il n'était convenable de le faire à un gaillard de sa couleur; de sorte qu'il avait été condamné par le bey à avoir la langue, la main et la tête tranchées: la langue le premier jour, la main le second, et la tête le troisième. J'avais toujours eu envie d'avoir un muet à mon service; j'attendis qu'il eût la langue coupée, et j'allai proposer au bey de me le donner pour un magnifique fusil à deux coups qui, la veille, m'avait paru éveiller les désirs de Sa Hautesse. Il balança un instant, tant il tenait à en finir avec ce pauvre diable. Mais j'ajoutai à ce fusil un couteau de chasse anglais avec lequel j'avais haché le yatagan de Sa Hautesse; de sorte que le bey se décida à lui faire grâce de la main et de la tête, mais à condition qu'il ne remettrait jamais le pied à Tunis. La recommandation était inutile. Du plus loin que le mécréant aperçoit les côtes d'Afrique, il se sauve à fond de cale, et l'on ne peut le faire sortir de là que lorsqu'on est hors de vue de la troisième partie du monde.» Franz resta un moment muet et pensif, cherchant ce qu'il devait penser de la bonhomie cruelle avec laquelle son hôte venait de lui faire ce récit. «Et, comme l'honorable marin dont vous avez pris le nom, dit-il en changeant de conversation, vous passez votre vie à voyager? —Oui; c'est un vœu que j'ai fait dans un temps où je ne pensais guère pouvoir l'accomplir, dit l'inconnu en souriant. J'en ai fait quelques-uns comme cela, et qui, je l'espère, s'accompliront tous à leur tour.» Quoique Simbad eût prononcé ces mots avec le plus grand sang-froid, ses yeux avaient lancé un regard de férocité étrange.

«Vous avez beaucoup souffert monsieur?» lui dit Franz.

Simbad tressaillit et le regarda fixement.

«À quoi voyez-vous cela? demanda-t-il.

—À tout, reprit Franz: à votre voix, à votre regard, à votre pâleur, et à la vie même que vous menez.

—Moi! je mène la vie la plus heureuse que je connaisse, une véritable vie de pacha; je suis le roi de la création: je me plais dans un endroit, j'y reste; je m'ennuie, je pars; je suis libre comme l'oiseau, j'ai des ailes comme lui; les gens qui m'entourent m'obéissent sur un signe. De temps en temps, je m'amuse à railler la justice humaine en lui enlevant un bandit qu'elle cherche, un criminel qu'elle poursuit. Puis j'ai ma justice à moi, basse et haute, sans sursis et sans appel, qui condamne ou qui absout, et à laquelle personne n'a rien à voir. Ah! si vous aviez goûté de ma vie, vous n'en voudriez plus d'autre, et vous ne rentreriez jamais dans le monde, à moins que vous n'eussiez quelque grand projet à y accomplir. —Une vengeance! par exemple», dit Franz.

L'inconnu fixa sur le jeune homme un de ces regards qui plongent au plus profond du cœur et de la pensée. «Et pourquoi une vengeance? demanda-t-il.

—Parce que, reprit Franz, vous m'avez tout l'air d'un homme qui, persécuté par la société, a un compte terrible à régler avec elle. —Eh bien, fit Simbad en riant de son rire étrange, qui montrait ses dents blanches et aiguës, vous n'y êtes pas; tel que vous me voyez, je suis une espèce de philanthrope, et peut-être un jour irai-je à Paris pour faire concurrence à M. Appert et à l'homme au Petit Manteau Bleu. —Et ce sera la première fois que vous ferez ce voyage?

—Oh! mon Dieu, oui. J'ai l'air d'être bien peu curieux, n'est-ce pas? mais je vous assure qu'il n'y a pas de ma faute si j'ai tant tardé, cela viendra un jour ou l'autre! —Et comptez-vous faire bientôt ce voyage?

—Je ne sais encore, il dépend de circonstances soumises à des combinaisons incertaines.

—Je voudrais y être à l'époque où vous y viendrez, je tâcherais de vous rendre, en tant qu'il serait en mon pouvoir, l'hospitalité que vous me donnez si largement à Monte-Cristo. —J'accepterais votre offre avec un grand plaisir, reprit l'hôte; mais malheureusement, si j'y vais, ce sera peut-être incognito.» Cependant, le souper s'avançait et paraissait avoir été servi à la seule intention de Franz, car à peine si l'inconnu avait touché du bout des dents à un ou deux plats du splendide festin qu'il lui avait offert, et auquel son convive inattendu avait fait si largement honneur. Enfin, Ali apporta le dessert, ou plutôt prit les corbeilles des mains des statues et les posa sur la table.

Entre les deux corbeilles, il plaça une petite coupe de vermeil fermée par un couvercle de même métal.

Le respect avec lequel Ali avait apporté cette coupe piqua la curiosité de Franz. Il leva le couvercle et vit une espèce de pâte verdâtre qui ressemblait à des confitures d'angélique, mais qui lui était parfaitement inconnue. Il replaça le couvercle, aussi ignorant de ce que la coupe contenait après avoir remis le couvercle qu'avant de l'avoir levé, et, en reportant les yeux sur son hôte, il le vit sourire de son désappointement. «Vous ne pouvez pas deviner, lui dit celui-ci, quelle espèce de comestible contient ce petit vase, et cela vous intrigue, n'est-ce pas? —Je l'avoue. —Eh bien, cette sorte de confiture verte n'est ni plus ni moins que l'ambroisie qu'Hébé servait à la table de Jupiter. —Mais cette ambroisie, dit Franz, a sans doute, en passant par la main des hommes, perdu son nom céleste pour prendre un nom humain; en langue vulgaire, comment cet ingrédient, pour lequel, au reste, je ne me sens pas une grande sympathie, s'appelle-t-il? —Eh! voilà justement ce qui révèle notre origine matérielle, s'écria Simbad; souvent nous passons ainsi auprès du bonheur sans le voir, sans le regarder, ou, si nous l'avons vu et regardé, sans le reconnaître. Êtes-vous un homme positif et l'or est-il votre dieu, goûtez à ceci, et les mines du Pérou, de Guzarate et de Golconde vous seront ouvertes. Êtes-vous un homme d'imagination, êtes-vous poète, goûtez encore à ceci, et les barrières du possible disparaîtront; les champs de l'infini vont s'ouvrir, vous vous promènerez, libre de cœur, libre d'esprit, dans le domaine sans bornes de la rêverie. Êtes-vous ambitieux courez-vous après les grandeurs de la terre, goûtez de ceci toujours, et dans une heure vous serez roi, non pas roi d'un petit royaume caché dans un coin de l'Europe, comme la France, l'Espagne ou l'Angleterre mais roi du monde, roi de l'univers, roi de la création. Votre trône sera dressé sur la montagne où Satan emporta Jésus; et, sans avoir besoin de lui faire hommage, sans être forcé de lui baiser la griffe, vous serez le souverain maître de tous les royaumes de la terre. N'est-ce pas tentant, ce que je vous offre là dites, et n'est-ce pas une chose bien facile puisqu'il n'y a que cela à faire? Regardez.»

À ces mots, il découvrit à son tour la petite coupe de vermeil qui contenait la substance tant louée, prit une cuillerée à café des confitures magiques, la porta à sa bouche et la savoura lentement, les yeux à moitié fermés, et la tête renversée en arrière.

Franz lui laissa tout le temps d'absorber son mets favori, puis, lorsqu'il le vit un peu revenu à lui: «Mais enfin, dit-il, qu'est-ce que ce mets si précieux? —Avez-vous entendu parler du Vieux de la Montagne, lui demanda son hôte, le même qui voulut faire assassiner Philippe Auguste?

—Sans doute.

—Eh bien, vous savez qu'il régnait sur une riche vallée qui dominait la montagne d'où il avait pris son nom pittoresque. Dans cette vallée étaient de magnifiques jardins plantés par Hassen-ben-Sabah, et, dans ces jardins, des pavillons isolés. C'est dans ces pavillons qu'il faisait entrer ses élus, et là il leur faisait manger, dit Marco-Polo, une certaine herbe qui les transportait dans le paradis, au milieu de plantes toujours fleuries, de fruits toujours mûrs, de femmes toujours vierges. Or, ce que ces jeunes gens bienheureux prenaient pour la réalité, c'était un rêve; mais un rêve si doux, si enivrant, si voluptueux, qu'ils se vendaient corps et âme à celui qui le leur avait donné, et qu'obéissant à ses ordres comme à ceux de Dieu, ils allaient frapper au bout du monde la victime indiquée, mourant dans les tortures sans se plaindre à la seule idée que la mort qu'ils subissaient n'était qu'une transition à cette vie de délices dont cette herbe sainte, servie devant vous, leur avait donné un avant-goût. —Alors, s'écria Franz, c'est du hachisch! Oui, je connais cela, de nom du moins.

—Justement, vous avez dit le mot, seigneur Aladin, c'est du hachisch, tout ce qui se fait de meilleur et de plus pur en hachisch à Alexandrie, du hachisch d'Abougor, le grand faiseur, l'homme unique, l'homme à qui l'on devrait bâtir un palais avec cette inscription: Au marchand du bonheur, le monde reconnaissant. —Savez-vous, lui dit Franz, que j'ai bien envie de juger par moi-même de la vérité ou de l'exagération de vos éloges? —Jugez par vous-même, mon hôte, jugez; mais ne vous en tenez pas à une première expérience: comme en toute chose, il faut habituer les sens à une impression nouvelle, douce ou violente, triste ou joyeuse. Il y a une lutte de la nature contre cette divine substance, de la nature qui n'est pas faite pour la joie et qui se cramponne à la douleur. Il faut que la nature vaincue succombe dans le combat, il faut que la réalité succède au rêve; et alors le rêve règne en maître, alors c'est le rêve qui devient la vie et la vie qui devient le rêve: mais quelle différence dans cette transfiguration! c'est-à-dire qu'en comparant les douleurs de l'existence réelle aux jouissances de l'existence factice, vous ne voudrez plus vivre jamais, et que vous voudrez rêver toujours. Quand vous quitterez votre monde à vous pour le monde des autres, il vous semblera passer d'un printemps napolitain à un hiver lapon, il vous semblera quitter le paradis pour la terre, le ciel pour l'enfer. Goûtez du hachisch, mon hôte! goûtez-en!»

Pour toute réponse, Franz prit une cuillerée de cette pâte merveilleuse, mesurée sur celle qu'avait prise son amphitryon, et la porta à sa bouche. «Diable! fit-il après avoir avalé ces confitures divines, je ne sais pas encore si le résultat sera aussi agréable que vous le dites, mais la chose ne me paraît pas aussi succulente que vous l'affirmez. —Parce que les houppes de votre palais ne sont pas encore faites à la sublimité de la substance qu'elles dégustent. Dites-moi: est-ce que dès la première fois vous avez aimé les huîtres, le thé, le porter, les truffes, toutes choses que vous avez adorées par la suite? Est-ce que vous comprenez les Romains, qui assaisonnaient les faisans avec de l'assafoetida, et les Chinois, qui mangent des nids d'hirondelles? Eh! mon Dieu, non. Eh bien, il en est de même du hachisch: mangez-en huit jours de suite seulement, nulle nourriture au monde ne vous paraîtra atteindre à la finesse de ce goût qui vous paraît peut-être aujourd'hui fade et nauséabond. D'ailleurs, passons dans la chambre à côté, c'est-à-dire dans votre chambre, et Ali va nous servir le café et nous donner des pipes.» Tous deux se levèrent, et, pendant que celui qui s'était donné le nom de Simbad, et que nous avons ainsi nommé de temps en temps, de façon à pouvoir, comme son convive, lui donner une dénomination quelconque, donnait quelques ordres à son domestique, Franz entra dans la chambre attenante. Celle-ci était d'un ameublement plus simple quoique non moins riche. Elle était de forme ronde, et un grand divan en faisait tout le tour. Mais divan, murailles, plafonds et parquet étaient tout tendus de peaux magnifiques, douces et moelleuses comme les plus moelleux tapis; c'étaient des peaux de lions de l'Atlas aux puissantes crinières; c'étaient des peaux de tigres du Bengale aux chaudes rayures, des peaux de panthères du Cap tachetées joyeusement comme celle qui apparaît à Dante, enfin des peaux d'ours de Sibérie, de renards de Norvège, et toutes ces peaux étaient jetées en profusion les unes sur les autres, de façon qu'on eût cru marcher sur le gazon le plus épais et reposer sur le lit le plus soyeux.

31.1 Italie.—Simbad le marin 31.1 Italy -Simbad the sailor 31.1 Itália - Simbad, o marinheiro 31.1 Италия - Симбад-мореход

Vers le commencement de l’année 1838, se trouvaient à Florence deux jeunes gens appartenant à la plus élégante société de Paris, l’un, le vicomte Albert de Morcerf, l’autre, le baron Franz d’Épinay. Towards the beginning of the year 1838, there were at Florence two young men belonging to the most elegant society of Paris, one, Viscount Albert de Morcerf, the other, Baron Franz d'Epinay. Il avait été convenu entre eux qu’ils iraient passer le carnaval de la même année à Rome, où Franz, qui depuis près de quatre ans habitait l’Italie, servirait de cicerone à Albert. It had been agreed between them that they would spend the carnival of the same year in Rome, where Franz, who for nearly four years had been living in Italy, would serve as cicerone for Albert. Or, comme ce n’est pas une petite affaire que d’aller passer le carnaval à Rome, surtout quand on tient à ne pas coucher place du Peuple ou dans le Campo-Vaccino, ils écrivirent à maître Pastrini, propriétaire de l’hôtel de Londres, place d’Espagne, pour le prier de leur retenir un appartement confortable. Now, as it is no small business to go to carnival in Rome, especially when you do not want to sleep in the Piazza del Popolo or in Campo Vaccino, they wrote to master Pastrini, owner of the hotel from London, Spanish Steps, to beg him to hold them a comfortable apartment. Maître Pastrini répondit qu’il n’avait plus à leur disposition que deux chambres et un cabinet situés  al secondo piano , et qu’il offrait moyennant la modique rétribution d’un louis par jour. Master Pastrini replied that he had only two rooms and a cabinet at the second piano at his disposal, and that he offered for a modest fee of one louis a day. Les deux jeunes gens acceptèrent; puis, voulant mettre à profit le temps qui lui restait, Albert partit pour Naples. The two young people agreed; then, wishing to make the most of his time, Albert left for Naples. Quant à Franz, il resta à Florence. As for Franz, he remained in Florence.

Quand il eut joui quelque temps de la vie que donne la ville des Médicis, quand il se fut bien promené dans cet Éden qu’on nomme les Casines, quand il eut été reçu chez ces hôtes magnifiques qui font les honneurs de Florence, il lui prit fantaisie, ayant déjà vu la Corse, ce berceau de Bonaparte, d’aller voir l’île d’Elbe, ce grand relais de Napoléon. When he had enjoyed for some time the life which the city of the Medici gives, when he had taken a good walk in that Eden called Casines, when he had been received by those magnificent guests who do the honors of Florence, he took a fancy, having already seen Corsica, the cradle of Bonaparte, go to see the island of Elba, this great relay of Napoleon. Un soir donc il détacha une barchetta de l’anneau de fer qui la scellait au port de Livourne, se coucha au fond dans son manteau, en disant aux mariniers ces seules paroles: «À l’île d’Elbe!» One evening, then, he untied a barchetta from the iron ring which sealed it to the port of Livorno, lay down in his cloak, saying to the sailors these words alone: ​​"On the island of Elba!" La barque quitta le port comme l’oiseau de mer quitte son nid, et le lendemain elle débarquait Franz à Porto-Ferrajo. The boat left the port as the seabird leaves its nest, and the next day it disembarked Franz at Porto-Ferrajo. Franz traversa l’île impériale, après avoir suivi toutes les traces que les pas du géant y a laissées, et alla s’embarquer à Marciana. Franz crossed the imperial island, after having followed all the footsteps of the giant left there, and went to embark at Marciana. Deux heures après avoir quitté la terre, il la reprit pour descendre à la Pianosa, où l’attendaient, assurait-on, des vols infinis de perdrix rouges. Two hours after leaving the land, he took it again to descend to La Pianosa, where it was expected, it was said, endless flights of red partridges. La chasse fut mauvaise. The hunt was bad. Franz tua à grand-peine quelques perdrix maigres, et, comme tout chasseur qui s’est fatigué pour rien, il remonta dans sa barque d’assez mauvaise humeur. Franz barely killed a few partridges, and, like any other huntsman who got tired for nothing, he got into his boat in a bad mood. «Ah! "Ah! si Votre Excellence voulait, lui dit le patron, elle ferait une belle chasse! if Your Excellency wanted, said the boss, she would have a nice hunt!

—Et où cela? “And where?

—Voyez-vous cette île? “Do you see this island? continua le patron, en étendant le doigt vers le midi et en montrant une masse conique qui sortait du milieu de la mer teintée du plus bel indigo. continued the patron, extending his finger toward the south, and pointing to a conical mass, coming out of the middle of the sea tinged with the most beautiful indigo.

—Eh bien, qu’est-ce que cette île? "Well, what is this island?" demanda Franz. asked Franz.

—L’île de Monte-Cristo, répondit le Livournais. "The island of Monte Cristo," replied the Livorno. —Mais je n’ai pas de permission pour chasser dans cette île. -But I do not have permission to hunt in this island. —Votre Excellence n’en a pas besoin, l’île est déserte. “Your Excellency does not need it, the island is deserted. —Ah! -Ah! pardieu, dit le jeune homme, une île déserte au milieu de la Méditerranée, c’est chose curieuse. pardieu, "said the young man," a deserted island in the middle of the Mediterranean, it is a curious thing. —Et chose naturelle, Excellence. “And a natural thing, Excellency. Cette île est un banc de rochers, et, dans toute son étendue, il n’y a peut-être pas un arpent de terre labourable. This island is a bank of rocks, and in all its extent there may not be an acre of arable land. —Et à qui appartient cette île? "And who owns this island?"

—À la Toscane. “To Tuscany.

—Quel gibier y trouverai-je? -What game will I find?

—Des milliers de chèvres sauvages. “Thousands of wild goats.

—Qui vivent en léchant les pierres, dit Franz avec un sourire d’incrédulité. "Who live by licking the stones," said Franz with a smile of disbelief. —Non, mais en broutant les bruyères, les myrtes, les lentisques qui poussent dans leurs intervalles. "No, but grazing the heather, the myrtle, the lentisque that grow in their intervals.

—Mais où coucherai-je? "But where shall I sleep?

—À terre dans les grottes, ou à bord dans votre manteau. -On the ground in the caves, or on board in your coat. D’ailleurs, si Son Excellence veut, nous pourrons partir aussitôt après la chasse; elle sait que nous faisons aussi bien voile la nuit que le jour, et qu’à défaut de la voile nous avons les rames.» Moreover, if His Excellency wishes, we can leave immediately after the hunt; she knows that we sail as well at night as during the day, and that in the absence of sailing we have oars. " Comme il restait encore assez de temps à Franz pour rejoindre son compagnon, et qu’il n’avait plus à s’inquiéter de son logement à Rome, il accepta cette proposition de se dédommager de sa première chasse. As there was still enough time for Franz to join his companion, and he no longer had to worry about his accommodation in Rome, he accepted this offer to compensate himself for his first hunt. Sur sa réponse affirmative, les matelots échangèrent entre eux quelques paroles à voix basse. On his affirmative answer, the sailors exchanged between themselves a few words in a low voice.

«Eh bien, demanda-t-il, qu’avons-nous de nouveau? "Well," he asked, "what do we have again? serait-il survenu quelque impossibilité? would it have occurred some impossibility?

—Non, reprit le patron; mais nous devons prévenir Votre Excellence que l’île est en contumace. "No," said the boss; but we must warn Your Excellency that the island is in absentia. —Qu’est-ce que cela veut dire? -What does that mean? —Cela veut dire que, comme Monte-Cristo est inhabitée, et sert parfois de relâche à des contrebandiers et des pirates qui viennent de Corse, de Sardaigne ou d’Afrique, si un signe quelconque dénonce notre séjour dans l’île, nous serons forcés, à notre retour à Livourne, de faire une quarantaine de six jours. -It means that, as Monte-Cristo is uninhabited, and sometimes serves as a release for smugglers and pirates who come from Corsica, Sardinia or Africa, if any sign denounces our stay on the island, we will be when we returned to Leghorn, we were forced to do forty days. —Diable! -Devil! voilà qui change la thèse! that changes the thesis! six jours! six days! Juste autant qu’il en a fallu à Dieu pour créer le monde. Just as much as it took God to create the world. C’est un peu long, mes enfants. It's a bit long, my children. —Mais qui dira que Son Excellence a été à Monte-Cristo? "But who will say that His Excellency was at Monte Cristo?

—Oh! ce n’est pas moi, s’écria Franz. it's not me, cried Franz. —Ni nous non plus, firent les matelots. "Neither do we," said the sailors.

—En ce cas, va pour Monte-Cristo.» "In that case, go to Monte Cristo."

Le patron commanda la manœuvre; on mit le cap sur l’île, et la barque commença de voguer dans sa direction. The boss ordered the maneuver; We set sail for the island, and the boat began to sail in its direction. Franz laissa l’opération s’achever, et quand on eut pris la nouvelle route, quand la voile se fut gonflée par la brise, et que les quatre mariniers eurent repris leurs places, trois à l’avant, un au gouvernail, il renoua la conversation. Franz allowed the operation to be completed, and when the new route had been taken, when the sail had been swollen by the breeze, and the four sailors had resumed their places, three at the front, one at the rudder, he returned the conversation. «Mon cher Gaetano, dit-il au patron, vous venez de me dire, je crois, que l’île de Monte-Cristo servait de refuge à des pirates, ce qui me paraît un bien autre gibier que des chèvres. "My dear Gaetano," he said to the owner, "you have just told me, I believe, that the island of Monte Cristo served as a refuge for pirates, which seems to me to be much other game than goats. —Oui, Excellence, et c’est la vérité. “Yes, Excellency, and it's the truth. —Je savais bien l’existence des contrebandiers, mais je pensais que, depuis la prise d’Alger et la destruction de la Régence, les pirates n’existaient plus que dans les romans de Cooper et du capitaine Marryat. "I knew the existence of the smugglers, but I thought that since the capture of Algiers and the destruction of the Regency, the pirates only existed in the novels of Cooper and Captain Marryat. —Eh bien, Votre Excellence se trompait: il en est des pirates comme des bandits, qui sont censés exterminés par le pape Léon XII, et qui cependant arrêtent tous les jours les voyageurs jusqu’aux portes de Rome. "Well, your Excellency was mistaken: there are pirates like bandits, who are supposed to have been exterminated by Pope Leo XII, and who, however, stop travelers every day to the gates of Rome. N’avez-vous pas entendu dire qu’il y a six mois à peine le chargé d’affaires de France près le Saint-Siège avait été dévalisé à cinq cents pas de Velletri? Have you not heard that scarcely six months ago the charge d'affaires of France near the Holy See had been robbed five hundred paces from Velletri? —Si fait. -If done.

—Eh bien, si comme nous Votre Excellence habitait Livourne, elle entendrait dire de temps en temps qu’un petit bâtiment chargé de marchandises ou qu’un joli yacht anglais, qu’on attendait à Bastia, à Porto-Ferrajo ou à Civita-Vecchia, n’est point arrivé, qu’on ne sait ce qu’il est devenu, et que sans doute il se sera brisé contre quelque rocher. "Well, if, like us, your Excellency lived in Livorno, she would hear from time to time a little building loaded with goods, or a pretty English yacht, which was expected at Bastia, Porto Ferrajo, or Civita. Vecchia has not arrived, no one knows what has become of him, and no doubt he will have broken himself against some rock. Eh bien, ce rocher qu’il a rencontré, c’est une barque basse et étroite, montée de six ou huit hommes, qui l’ont surpris ou pillé par une nuit sombre et orageuse au détour de quelque îlot sauvage et inhabité, comme des bandits arrêtent et pillent une chaise de poste au coin d’un bois. Well, that rock he met was a low, narrow barge of six or eight men, who surprised or looted him on a dark and stormy night at the bend of some wild and uninhabited island, like bandits stop and loot a post-chaise at the corner of a wood. —Mais enfin, reprit Franz toujours étendu dans sa barque, comment ceux à qui pareil accident arrive ne se plaignent-ils pas, comment n’appellent-ils pas sur ces pirates la vengeance du gouvernement français, sarde ou toscan? "But," said Franz, still stretched out in his boat, "how can not those who have such an accident complain, how do they call upon the pirates the vengeance of the French, Sardinian, or Tuscan government? —Pourquoi? -Why? dit Gaetano avec un sourire. Gaetano said with a smile.

—Oui, pourquoi? -Yes why?

—Parce que d’abord on transporte du bâtiment ou un yacht sur la barque tout ce qui est bon à prendre; puis on lie les pieds et les mains à l’équipage, on attache au cou de chaque homme un boulet de 24, on fait un trou de la grandeur d’une barrique dans la quille du bâtiment capturé, on remonte sur le pont, on ferme les écoutilles et l’on passe sur la barque. -Because first of all the ship or yacht on the boat is transported all that is good to take; then bind the feet and hands to the crew, attach each man's neck a ball of 24, make a hole the size of a barrel in the keel of the captured building, we go back on the bridge, we close the hatches and go on the boat. Au bout de dix minutes, le bâtiment commence à se plaindre et à gémir, peu à peu il s’enfonce. After ten minutes, the building begins to complain and moan, gradually it sinks. D’abord un des côtés plonge, puis l’autre; puis il se relève, puis il plonge encore, s’enfonçant toujours davantage. First, one side plunges, then the other; then he gets up again, then he plunges again, sinking ever further. Tout à coup, un bruit pareil à un coup de canon retentit: c’est l’air qui brise le pont. Suddenly a noise like a cannon-shot sounds: it is the air that breaks the bridge. Alors le bâtiment s’agite comme un noyé qui se débat, s’alourdissant à chaque mouvement. Then the building agitates like a drowned man who struggles, getting heavier with each movement. Bientôt l’eau, trop pressée dans les cavités, s’élance des ouvertures, pareille aux colonnes liquides que jetterait par ses évents quelque cachalot gigantesque. Soon the water, too much pressed into the cavities, rushes out of the openings, like the liquid columns which would be thrown by its vents some gigantic sperm whale. Enfin il pousse un dernier râle, fait un dernier tour sur lui-même, et s’engouffre en creusant dans l’abîme un vaste entonnoir qui tournoie un instant, se comble peu à peu et finit par s’effacer tout à fait; si bien qu’au bout de cinq minutes il faut l’œil de Dieu lui-même pour aller chercher au fond de cette mer calme le bâtiment disparu. Finally he utters a last rattle, makes a last turn on himself, and rushes into the deep by digging a vast funnel that swirls for a moment, fills up little by little and eventually completely fade away; so that at the end of five minutes it takes the eye of God himself to go to the bottom of this calm sea to retrieve the missing building. «Comprenez-vous maintenant, ajouta le patron en souriant, comment le bâtiment ne rentre pas dans le port, et pourquoi l’équipage ne porte pas plainte?» "Do you understand now," added the boss, smiling, "how does the vessel not enter the harbor, and why does not the crew complain?" Si Gaetano eût raconté la chose avant de proposer l’expédition, il est probable que Franz eût regardé à deux fois avant de l’entreprendre; mais ils étaient partis, et il lui sembla qu’il y aurait lâcheté à reculer. If Gaetano had told the thing before proposing the expedition, it is probable that Franz had looked twice before undertaking it; but they were gone, and it seemed to him that there would be cowardice to recoil. C’était un de ces hommes qui ne courent pas à une occasion périlleuse, mais qui, si cette occasion vient au-devant d’eux, restent d’un sang-froid inaltérable pour la combattre: c’était un de ces hommes à la volonté calme, qui ne regardent un danger dans la vie que comme un adversaire dans un duel, qui calculent ses mouvements, qui étudient sa force, qui rompent assez pour reprendre haleine, pas assez pour paraître lâches, qui, comprenant d’un seul regard tous leurs avantages, tuent d’un seul coup. He was one of those men who do not run on a perilous occasion, but who, if this opportunity comes to meet them, remain with unalterable coolness to fight it: he was one of those men to the calm will, who look at a danger in life only as an adversary in a duel, who calculate his movements, who study his strength, who break enough to take breath, not enough to appear cowardly, who, understanding of a single look at all their benefits, kill all at once. «Bah! reprit-il, j’ai traversé la Sicile et la Calabre, j’ai navigué deux mois dans l’archipel, et je n’ai jamais vu l’ombre d’un bandit ni d’un forban. he went on, "I have crossed Sicily and Calabria, I have sailed for two months in the archipelago, and I have never seen the shadow of a bandit or a forban. —Aussi n’ai-je pas dit cela à Son Excellence, fit Gaetano, pour la faire renoncer à son projet; elle m’a interrogé et je lui ai répondu, voilà tout. "I did not say that to His Excellency," said Gaetano, "to make her give up her project; she interrogated me and I answered her, that's all. —Oui, mon cher Gaetano, et votre conversation est des plus intéressantes; aussi comme je veux en jouir le plus longtemps possible, va pour Monte-Cristo.» "Yes, my dear Gaetano, and your conversation is most interesting; Also, as I want to enjoy it as long as possible, go for Monte Cristo. "

Cependant, on approchait rapidement du terme du voyage; il ventait bon frais, et la barque faisait six à sept milles à l’heure. However, the end of the journey was soon approaching; it was windy, and the boat was six to seven miles an hour. À mesure qu’on approchait, l’île semblait sortir grandissante du sein de la mer; et, à travers l’atmosphère limpide des derniers rayons du jour, on distinguait, comme les boulets dans un arsenal, cet amoncellement de rochers empilés les uns sur les autres, et dans les interstices desquels on voyait rougir des bruyères et verdir les arbres. As we approached, the island seemed to be growing out of the sea; and, through the limpid atmosphere of the last rays of the day, one could distinguish, like balls in an arsenal, that pile of rocks piled one on top of the other, and in the interstices of which one could see heaths blush and green the trees. Quant aux matelots, quoiqu’ils parussent parfaitement tranquilles, il était évident que leur vigilance était éveillée, et que leur regard interrogeait le vaste miroir sur lequel ils glissaient, et dont quelques barques de pêcheurs, avec leurs voiles blanches, peuplaient seules l’horizon, se balançant comme des mouettes au bout des flots. As for the sailors, although they seemed perfectly calm, it was evident that their vigilance was awake, and that their gaze questioned the vast mirror on which they glided, and of which a few fishing boats, with their white sails, populated the horizon alone. , swaying like seagulls at the end of the waves. Ils n’étaient plus guère qu’à une quinzaine de milles de Monte-Cristo lorsque le soleil commença à se coucher derrière la Corse, dont les montagnes apparaissaient à droite, découpant sur le ciel leur sombre dentelure; cette masse de pierres, pareille au géant Adamastor, se dressait menaçante devant la barque à laquelle elle dérobait le soleil dont la partie supérieure se dorait; peu à peu l’ombre monta de la mer et sembla chasser devant elle ce dernier reflet du jour qui allait s’éteindre, enfin le rayon lumineux fut repoussé jusqu’à la cime du cône, où il s’arrêta un instant comme le panache enflammé d’un volcan: enfin l’ombre, toujours ascendante, envahit progressivement le sommet, comme elle avait envahi la base, et l’île n’apparut plus que comme une montagne grise qui allait toujours se rembrunissant. They were scarcely more than fifteen miles from Monte Cristo when the sun began to set behind Corsica, whose mountains appeared to the right, cutting out the dark serration on the sky; this mass of stones, like the giant Adamastor, stood menacingly before the boat from which she stole the sun, the upper part of which was gilded; Gradually the shadow rose from the sea and seemed to chase away the last reflection of the day that was going to be extinguished, at last the ray of light was pushed back to the top of the cone, where it stopped for a moment like the plume. a fiery volcano: finally the shadow, always ascending, gradually invaded the summit, as it had invaded the base, and the island appeared only as a gray mountain that was always getting darker. Une demi-heure après, il faisait nuit noire. Half an hour later it was pitch dark.

Heureusement que les mariniers étaient dans leurs parages habituels et qu’ils connaissaient jusqu’au moindre rocher de l’archipel toscan; car, au milieu de l’obscurité profonde qui enveloppait la barque, Franz n’eût pas été tout à fait sans inquiétude. Fortunately, the mariners were in their usual surroundings and knew the least rock of the Tuscan archipelago; for in the midst of the deep darkness which enveloped the boat Franz would not have been utterly uneasy. La Corse avait entièrement disparu, l’île de Monte-Cristo était elle-même devenue invisible, mais les matelots semblaient avoir, comme le lynx, la faculté de voir dans les ténèbres, et le pilote, qui se tenait au gouvernail, ne marquait pas la moindre hésitation. Corsica had entirely disappeared, the island of Monte Cristo had itself become invisible, but the sailors seemed to have, like the lynx, the faculty of seeing in the darkness, and the pilot, who was standing at the rudder, did not mark not the slightest hesitation. Une heure à peu près s’était écoulée depuis le coucher du soleil, lorsque Franz crut apercevoir, à un quart de mille à la gauche, une masse sombre, mais il était si impossible de distinguer ce que c’était, que, craignant d’exciter l’hilarité de ses matelots, en prenant quelques nuages flottants pour la terre ferme, il garda le silence. About an hour had passed since sunset, when Franz thought he saw, a quarter of a mile to the left, a dark mass, but it was so impossible to distinguish what it was, that, fearing to arousing the hilarity of his sailors, mistaking some floating clouds for dry land, he remained silent. Mais tout à coup une grande lueur apparut sur la rive; la terre pouvait ressembler à un nuage, mais le feu n’était pas un météore. But suddenly a great gleam appeared on the bank; the earth could look like a cloud, but the fire was not a meteor. «Qu’est-ce que cette lumière? “What is this light? demanda-t-il. he asked.

—Chut! “Shhh! dit le patron, c’est un feu. said the boss, it's a fire. —Mais vous disiez que l’île était inhabitée! “But you said the island was uninhabited! —Je disais qu’elle n’avait pas de population fixe, mais j’ai dit aussi qu’elle est un lieu de relâche pour les contrebandiers. -I said she did not have a fixed population, but I also said that it is a place of release for smugglers. —Et pour les pirates! “And for the pirates!

—Et pour les pirates, dit Gaetano répétant les paroles de Franz; c’est pour cela que j’ai donné l’ordre de passer l’île, car, ainsi que vous le voyez, le feu est derrière nous. "And for the pirates," said Gaetano, repeating Franz's words; that is why I gave the order to cross the island, because, as you see, the fire is behind us. —Mais ce feu, continua Franz, me semble plutôt un motif de sécurité que d’inquiétude, des gens qui craindraient d’être vus n’auraient pas allumé ce feu. "But this fire," continued Franz, "seems rather to me a cause of security than anxiety; people who fear to be seen would not have lit this fire. —Oh! cela ne veut rien dire, dit Gaetano, si vous pouviez juger, au milieu de l’obscurité, de la position de l’île, vous verriez que, placé comme il l’est, ce feu ne peut être aperçu ni de la côte, ni de la Pianosa, mais seulement de la pleine mer. that does not mean anything, said Gaetano, if you could judge, in the midst of the darkness, of the position of the island, you would see that, placed as it is, this fire can not be seen from the coast neither of the Pianosa, but only of the open sea. —Ainsi vous craignez que ce feu ne nous annonce mauvaise compagnie? - So you fear that this fire does not announce us bad company?

—C’est ce dont il faudra s’assurer, reprit Gaetano, les yeux toujours fixés sur cette étoile terrestre. "That's what we'll have to make sure of," Gaetano said, his eyes still fixed on this earthly star. —Et comment s’en assurer? “And how can we be sure? —Vous allez voir.» -You'll see."

À ces mots Gaetano tint conseil avec ses compagnons, et au bout de cinq minutes de discussion, on exécuta en silence une manœuvre, à l’aide de laquelle, en un instant, on eut viré de bord; alors on reprit la route qu’on venait de faire, et quelques secondes après ce changement de direction, le feu disparut, caché par quelque mouvement de terrain. At these words Gaetano held a council with his companions, and after five minutes of discussion, a maneuver was performed in silence, with the aid of which, in an instant, they had tacked; then we took the road we had just made, and a few seconds after this change of direction, the fire disappeared, hidden by some movement of ground. Alors le pilote imprima par le gouvernail une nouvelle direction au petit bâtiment, qui se rapprocha visiblement de l’île et qui bientôt ne s’en trouva plus éloigné que d’une cinquantaine de pas. Then the pilot gave the rudder a new direction to the little vessel, which was visibly close to the island, and which soon found itself no more than fifty paces distant. Gaetano abattit la voile, et la barque resta stationnaire. Gaetano brought down the sail, and the boat remained stationary.

Tout cela avait été fait dans le plus grand silence, et d’ailleurs, depuis le changement de route, pas une parole n’avait été prononcée à bord. All this had been done in the utmost silence, and moreover, since the change of course, no word had been spoken on board. Gaetano, qui avait proposé l’expédition, en avait pris toute la responsabilité sur lui. Gaetano, who had proposed the expedition, had taken all the responsibility for it. Les quatre matelots ne le quittaient pas des yeux, tout en préparant les avirons et en se tenant évidemment prêts à faire force de rames, ce qui, grâce à l’obscurité, n’était pas difficile. The four sailors kept their eyes on him, while preparing the oars, and evidently keeping themselves ready to paddle, which, thanks to the darkness, was not difficult. Quant à Franz, il visitait ses armes avec ce sang-froid que nous lui connaissons; il avait deux fusils à deux coups et une carabine, il les chargea, s’assura des batteries, et attendit. As for Franz, he visited his arms with the composure we know for him; he had two double-barreled rifles and a rifle, he loaded them, made sure of the batteries, and waited. Pendant ce temps, le patron avait jeté bas son caban et sa chemise, assuré son pantalon autour de ses reins, et, comme il était pieds nus, il n’avait eu ni souliers ni bas à défaire. Meanwhile, the boss had thrown down his coat and shirt, secured his pants around his waist, and, as he was barefoot, he had no shoes or stockings to undo. Une fois dans ce costume, ou plutôt hors de son costume, il mit un doigt sur ses lèvres pour faire signe de garder le plus profond silence, et, se laissant couler dans la mer, il nagea vers le rivage avec tant de précaution qu’il était impossible d’entendre le moindre bruit. Once in this costume, or rather out of his costume, he put a finger to his lips to signal to keep the deepest silence, and, sinking into the sea, he swam to the shore with so much precaution that it was impossible to hear the slightest sound. Seulement, au sillon phosphorescent que dégageaient ses mouvements, on pouvait suivre sa trace. Only, in the phosphorescent furrow which his movements gave off, it was possible to follow his trace.

Bientôt, ce sillon même disparut: il était évident que Gaetano avait touché terre. Soon that furrow disappeared: it was obvious that Gaetano had touched the ground.

Tout le monde sur le petit bâtiment resta immobile pendant une demi-heure, au bout de laquelle on vit reparaître près du rivage et s’approcher de la barque le même sillon lumineux. Everyone on the little building remained motionless for half an hour, at the end of which we saw reappear near the shore and approach the boat the same luminous furrow. Au bout d’un instant, et en deux brassées, Gaetano avait atteint la barque. After a moment, and in two loads, Gaetano had reached the boat. «Eh bien? "Well? firent ensemble Franz et les quatre matelots. made Franz and the four sailors together.

—Eh bien, dit-il, ce sont des contrebandiers espagnols; ils ont seulement avec eux deux bandits corses. "Well," he said, "they are Spanish smugglers; they have only two Corsican bandits with them.

—Et que font ces deux bandits corses avec des contrebandiers espagnols? And what are these two Corsican bandits doing with Spanish smugglers?

—Eh! mon Dieu! Excellence, reprit Gaetano d’un ton de profonde charité chrétienne, il faut bien s’aider les uns les autres. Excellency, "said Gaetano, in a tone of profound Christian charity," we must help one another. Souvent les bandits se trouvent un peu pressés sur terre par les gendarmes ou les carabiniers, eh bien, ils trouvent là une barque, et dans cette barque de bons garçons comme nous. Often the bandits are a little pressed on the ground by the gendarmes or carabinieri, well, they find there a boat, and in this boat of good boys like us. Ils viennent nous demander l’hospitalité dans notre maison flottante. They come to us for hospitality in our floating house. Le moyen de refuser secours à un pauvre diable qu’on poursuit! The means of refusing help to a poor devil pursued! Nous le recevons, et, pour plus grande sécurité, nous gagnons le large. We receive it, and for greater security, we win the open sea. Cela ne nous coûte rien et sauve la vie ou, tout au moins, la liberté à un de nos semblables qui, dans l’occasion, reconnaît le service que nous lui avons rendu en nous indiquant un bon endroit où nous puissions débarquer nos marchandises sans être dérangés par les curieux. It does not cost us anything and saves life or, at least, freedom for one of our kind who, on this occasion, recognizes the service we have given him by telling us a good place where we can unload our goods without to be disturbed by the curious. —Ah çà! -Oh my! dit Franz, vous êtes donc un peu contrebandier vous-même, mon cher Gaetano? Said Franz, are you a little smuggler yourself, my dear Gaetano?

—Eh! que voulez-vous, Excellence! what do you want, Excellency! dit-il avec un sourire impossible à décrire, on fait un peu de tout; il faut bien vivre. he said with a smile impossible to describe, one does a little bit of everything; we must live well.

—Alors vous êtes en pays de connaissance avec les gens qui habitent Monte-Cristo à cette heure? "So you are in a country of acquaintance with the people who live in Monte Cristo at this hour?"

—À peu près. -Nearly. Nous autres mariniers, nous sommes comme les francs-maçons, nous nous reconnaissons à certains signes. We mariners are like Freemasons, we recognize some signs.

—Et vous croyez que nous n’aurions rien à craindre en débarquant à notre tour? "And do you think we would have nothing to fear when we land?" —Absolument rien, les contrebandiers ne sont pas des voleurs. “Absolutely nothing, smugglers are not thieves.

—Mais ces deux bandits corses... reprit Franz, calculant d’avance toutes les chances de danger. "But these two Corsican bandits ..." replied Franz, calculating in advance all the chances of danger. —Eh mon Dieu! “Oh my God! dit Gaetano, ce n’est pas leur faute s’ils sont bandits, c’est celle de l’autorité. said Gaetano, it is not their fault if they are bandits, it is that of authority. —Comment cela? -What do you mean?

—Sans doute! -Without a doubt! on les poursuit pour avoir fait une  peau , pas autre chose; comme s’il n’était pas dans la nature du Corse de se venger! they are pursued for having made a skin, nothing else; as if it was not in the nature of Corsica to take revenge! —Qu’entendez-vous par avoir fait une  peau ? -What do you mean by having a skin? Avoir assassiné un homme? Have murdered a man? dit Franz, continuant ses investigations. said Franz, continuing his investigations.

—J’entends avoir tué un ennemi, reprit le patron, ce qui est bien différent. "I hear that I have killed an enemy," said the master, "which is very different. —Eh bien, fit le jeune homme, allons demander l’hospitalité aux contrebandiers et aux bandits. "Well," said the young man, "let's go and ask the smugglers and bandits for hospitality. Croyez-vous qu’ils nous l’accordent? Do you think they grant it to us? —Sans aucun doute. -Without a doubt.

—Combien sont-ils? -How many are they?

—Quatre, Excellence, et les deux bandits ça fait six. "Four, Excellency, and the two bandits, that's six.

—Eh bien, c’est juste notre chiffre; nous sommes même, dans le cas où ces messieurs montreraient de mauvaises dispositions, en force égale, et par conséquent en mesure de les contenir. “Well, that's just our number; we are even, in the case where these gentlemen show bad dispositions, in equal force, and consequently able to contain them. Ainsi, une dernière fois, va pour Monte-Cristo. So, one last time, go for Monte-Cristo.

—Oui, Excellence; mais vous nous permettrez bien encore de prendre quelques précautions? Yes, Excellency; but will you still allow us to take some precautions?

—Comment donc, mon cher! "How then, my dear!" soyez sage comme Nestor, et prudent comme Ulysse. be wise like Nestor, and prudent like Ulysses. Je fais plus que de vous le permettre, je vous y exhorte. I do more than allow you, I urge you.

—Eh bien alors, silence!» fit Gaetano. "Well then, silence!" Gaetano said.

Tout le monde se tut. Everyone was silent.

Pour un homme envisageant, comme Franz, toute chose sous son véritable point de vue, la situation, sans être dangereuse, ne manquait pas d’une certaine gravité. For a man contemplating, like Franz, everything under his true point of view, the situation, without being dangerous, did not lack a certain gravity. Il se trouvait dans l’obscurité la plus profonde, isolé, au milieu de la mer, avec des mariniers qui ne le connaissaient pas et qui n’avaient aucun motif de lui être dévoués; qui savaient qu’il avait dans sa ceinture quelques milliers de francs, et qui avaient dix fois, sinon avec envie, du moins avec curiosité, examiné ses armes, qui étaient fort belles. He was in the deepest darkness, isolated, in the middle of the sea, with mariners who did not know him and who had no reason to be devoted to him; who knew that he had in his belt a few thousand francs, and who had ten times, if not with envy, at least with curiosity, examined his arms, which were very beautiful. D’un autre côté, il allait aborder, sans autre escorte que ces hommes, dans une île qui portait un nom fort religieux, mais qui ne semblait pas promettre à Franz une autre hospitalité que celle du Calvaire au Christ, grâce à ses contrebandiers et à ses bandits. On the other hand, he was going to approach, without any escort other than these men, on an island which bore a name very religious, but which did not seem to promise to Franz another hospitality than that of Calvary to Christ, thanks to its smugglers and to his bandits. Puis cette histoire de bâtiments coulés à fond, qu’il avait crue exagérée le jour, lui semblait plus vraisemblable la nuit. Then this story of buildings sunk to the bottom, which he had thought exaggerated during the day, seemed to him more likely at night. Entonces esta historia de edificios hundidos hasta el fondo, que le había parecido exagerada durante el día, le pareció más verosímil por la noche. Aussi, placé qu’il était entre ce double danger peut-être imaginaire, il ne quittait pas ces hommes des yeux et son fusil de la main. So, placed between this double and perhaps imaginary danger, he did not leave these men with his eyes and his rifle in his hand. Así que, situado como estaba entre estos dos peligros tal vez imaginarios, no apartó los ojos de los hombres ni la pistola de la mano. Cependant les mariniers avaient de nouveau hissé leurs voiles et avaient repris leur sillon déjà creusé en allant et en revenant. However, the sailors had hoisted their sails again and had resumed their furrow already dug by going and returning. À travers l’obscurité Franz, déjà un peu habitué aux ténèbres, distinguait le géant de granit que la barque côtoyait; puis enfin, en dépassant de nouveau l’angle d’un rocher, il aperçut le feu qui brillait, plus éclatant que jamais, et autour de ce feu, cinq ou six personnes assises. Through the darkness Franz, already a little accustomed to darkness, could distinguish the granite giant that the boat rubbed against; and finally, again passing the angle of a rock, he saw the fire shining, more brilliant than ever, and around this fire, five or six people seated. La réverbération du foyer s’étendait d’une centaine de pas en mer. The reverberation of the hearth stretched a hundred steps at sea. Gaetano côtoya la lumière, en faisant toutefois rester la barque dans la partie non éclairée; puis, lorsqu’elle fut tout à fait en face du foyer, il mit le cap sur lui et entra bravement dans le cercle lumineux, en entonnant une chanson de pêcheurs dont il soutenait le chant à lui seul, et dont ses compagnons reprenaient le refrain en chœur. Gaetano rubbed shoulders with the light, while remaining in the unlit part of the boat; then, when she was quite in front of the hearth, he set sail for him and bravely entered the circle of lights, singing a song of fishermen whose singing he supported, and whose companions took up the chorus again. in chorus. Au premier mot de la chanson, les hommes assis autour du foyer s’étaient levés et s’étaient approchés du débarcadère, les yeux fixés sur la barque, dont ils s’efforçaient visiblement de juger la force et de deviner les intentions. At the first word of the song, the men around the hearth had stood up and had approached the landing stage, their eyes fixed on the boat, which they visibly tried to judge the force and guess the intentions. Bientôt, ils parurent avoir fait un examen suffisant et allèrent, à l’exception d’un seul qui resta debout sur le rivage, se rasseoir autour du feu, devant lequel rôtissait un chevreau tout entier. Soon they appeared to have made a sufficient examination and went, with the exception of one who remained standing on the shore, to sit down around the fire, in front of which roasted a whole goat. Lorsque le bateau fut arrivé à une vingtaine de pas de la terre, l’homme qui était sur le rivage fit machinalement, avec sa carabine, le geste d’une sentinelle qui attend une patrouille, et cria Qui vive ! When the boat had arrived at about twenty paces from the shore, the man on the shore, with his carbine, mechanically made the gesture of a sentinel waiting for a patrol, and shouted Qui vive! en patois sarde. in Sardinian patois.

Franz arma froidement ses deux coups. Franz coldly waved his two blows. Gaetano échangea alors avec cet homme quelques paroles auxquelles le voyageur ne comprit rien, mais qui le concernaient évidemment. Gaetano then exchanged some words with this man, to which the traveler understood nothing, but which obviously concerned him.

«Son Excellence, demanda le patron, veut-elle se nommer ou garder l’incognito? "Her Excellency," the boss asked, "does she want to name herself or keep the incognito? —Mon nom doit être parfaitement inconnu; dites-leur donc simplement, reprit Franz, que je suis un Français voyageant pour ses plaisirs.» —My name must be perfectly unknown; tell them simply, "said Franz," that I am a Frenchman traveling for his pleasures. "

Lorsque Gaetano eut transmis cette réponse, la sentinelle donna un ordre à l’un des hommes assis devant le feu, lequel se leva aussitôt, et disparut dans les rochers. When Gaetano had transmitted this answer, the sentry gave an order to one of the men sitting in front of the fire, who rose immediately and disappeared into the rocks. Il se fit un silence. There was silence. Chacun semblait préoccupé de ses affaires: Franz de son débarquement, les matelots de leurs voiles, les contrebandiers de leur chevreau, mais, au milieu de cette insouciance apparente, on s’observait mutuellement. Each one seemed preoccupied with his affairs: Franz on his landing, the sailors on their sails, the smugglers of their kid, but, in the midst of this apparent recklessness, one observed each other. L’homme qui s’était éloigné reparut tout à coup, du côté opposé de celui par lequel il avait disparu. The man who had gone away reappeared suddenly, on the opposite side from the one by which he had disappeared. Il fit un signe de la tête à la sentinelle, qui se retourna de leur côté et se contenta de prononcer ces seules paroles:  S’accommodi . He nodded to the sentinel, who turned on their side and contented himself with uttering these words alone. Le  s’accommodi  italien est intraduisible; il veut dire à la fois, venez, entrez, soyez le bienvenu, faites comme chez vous, vous êtes le maître. Italian acquaintance is untranslatable; he means at once, come, enter, be welcome, make yourself at home, you are the master. C’est comme cette phrase turque de Molière, qui étonnait si fort le bourgeois gentilhomme par la quantité de choses qu’elle contenait. It is like this Turkish sentence by Molière, which so astonished the bourgeois gentleman by the quantity of things it contained. Les matelots ne se le firent pas dire deux fois: en quatre coups de rames, la barque toucha la terre. The sailors did not make him say twice: in four strokes, the boat touched the ground. Gaetano sauta sur la grève, échangea encore quelques mots à voix basse avec la sentinelle, ses compagnons descendirent l’un après l’autre; puis vint enfin le tour de Franz. Gaetano jumped on the beach, exchanged a few more words in a whisper with the sentinel, and his companions descended one after the other; then finally came Franz's turn. Il avait un de ses fusils en bandoulière, Gaetano avait l’autre, un des matelots tenait sa carabine. He had one of his rifles slung over his shoulder, Gaetano had the other, one of the sailors was holding his rifle. Son costume tenait à la fois de l’artiste et du dandy, ce qui n’inspira aux hôtes aucun soupçon, et par conséquent aucune inquiétude. His costume was both artist and dandy, which did not inspire the guests with any suspicion, and therefore no anxiety. On amarra la barque au rivage, on fit quelques pas pour chercher un bivouac commode; mais sans doute le point vers lequel on s’acheminait n’était pas de la convenance du contrebandier qui remplissait le poste de surveillant, car il cria à Gaetano: The boat was moored at the shore, and some steps were taken to find a comfortable camp. but no doubt the point towards which they were heading was not the convenience of the smuggler who filled the position of supervisor, for he shouted to Gaetano: «Non, point par là, s’il vous plaît.» "No, not that way, please." Gaetano balbutia une excuse, et, sans insister davantage, s’avança du côté opposé, tandis que deux matelots, pour éclairer la route, allaient allumer des torches au foyer. Gaetano stammered an excuse, and, without insisting more, advanced on the opposite side, while two sailors, to light the road, were going to light torches in the hearth. On fit trente pas à peu près et l’on s’arrêta sur une petite esplanade tout entourée de rochers dans lesquels on avait creusé des espèces de sièges, à peu près pareils à de petites guérites où l’on monterait la garde assis. They took about thirty paces and stopped on a small esplanade, all surrounded by rocks, in which some sort of seats had been dug, almost like small sentry-posts, where the guard would be seated. Alentour poussaient, dans des veines de terre végétale quelques chênes nains et des touffes épaisses de myrtes. Around it sprouted, in veins of topsoil, a few dwarf oaks and thick tufts of myrtle. Franz abaissa une torche et reconnut, à un amas de cendres, qu’il n’était pas le premier à s’apercevoir du confortable de cette localité, et que ce devait être une des stations habituelles des visiteurs nomades de l’île de Monte-Cristo. Franz lowered a torch and recognized, to a heap of ashes, that he was not the first to notice the comforts of this locality, and that it must be one of the habitual stations of the nomadic visitors of the island of Monte -Cristo. Quant à son attente d’événement, elle avait cessé; une fois le pied sur la terre ferme, une fois qu’il eut vu les dispositions, sinon amicales, du moins indifférentes de ses hôtes, toute sa préoccupation avait disparu, et, à l’odeur du chevreau qui rôtissait au bivouac voisin, la préoccupation s’était changée en appétit. As for her expectation of an event, she had ceased; once on land, once he had seen the dispositions, if not friendly, at least indifferent, of his guests, all his preoccupation had disappeared, and, on the odor of the kid roasting at the neighboring bivouac, the had changed in appetite. Il toucha deux mots de ce nouvel incident à Gaetano, qui lui répondit qu’il n’y avait rien de plus simple qu’un souper quand on avait, comme eux dans leur barque, du pain, du vin, six perdrix et un bon feu pour les faire rôtir. He touched two words of this new incident to Gaetano, who answered him that there was nothing simpler than a supper when one had, like them in their boat, bread, wine, six partridges and a good fire for roasting. «D’ailleurs, ajouta-t-il, si Votre Excellence trouve si tentante l’odeur de ce chevreau, je puis aller offrir à nos voisins deux de nos oiseaux pour une tranche de leur quadrupède. "Besides," added he, "if your Excellency finds the odor of this kid so tempting, I can offer our neighbors two of our birds for a slice of their quadruped. —Faites, Gaetano, faites, dit Franz; vous êtes véritablement né avec le génie de la négociation.» "Do, Gaetano, do," said Franz; you are truly born with the genius of negotiation. "

Pendant ce temps, les matelots avaient arraché des brassées de bruyères, fait des fagots de myrtes et de chênes verts, auxquels ils avaient mis le feu, ce qui présentait un foyer assez respectable. During this time, the sailors had uprooted armfuls of heather, made bundles of myrtles and holm oaks, which they had set on fire, which presented a fairly respectable hearth.

Franz attendait donc avec impatience, humant toujours l’odeur du chevreau, le retour du patron, lorsque celui-ci reparut et vint à lui d’un air fort préoccupé. Franz was therefore impatiently waiting, still inhaling the smell of the kid, for the boss's return, when the latter reappeared and came to him with an air of great concern. «Eh bien, demanda-t-il, quoi de nouveau? "Well," he asked, "what's new?" on repousse notre offre? we reject our offer?

—Au contraire, fit Gaetano. “On the contrary,” Gaetano said. Le chef, à qui l’on a dit que vous étiez un jeune homme français, vous invite à souper avec lui. The chef, who was told that you were a young French man, invites you to have dinner with him. —Eh bien, mais, dit Franz, c’est un homme fort civilisé que ce chef, et je ne vois pas pourquoi je refuserais; d’autant plus que j’apporte ma part du souper. "Well, but," said Franz, "this leader is a very civilized man, and I do not see why I would refuse; especially since I bring my share of the dinner. —Oh! -Oh! ce n’est pas cela: il a de quoi souper, et au-delà, mais c’est qu’il met à votre présentation chez lui une singulière condition. it is not that: he has enough to sup, and beyond, but it is that he puts in your presentation in him a singular condition. —Chez lui! -His home! reprit le jeune homme; il a donc fait bâtir une maison? replied the young man; So he built a house?

—Non; mais il n’en a pas moins un chez lui fort confortable, à ce qu’on assure du moins. -No; but he has none the less a very comfortable house, at least, at least. —Vous connaissez donc ce chef? "So you know this chief?"

—J’en ai entendu parler. -I heard about it. —En bien ou en mal? -For good or for bad?

—Des deux façons. -Both ways.

—Diable! -Devil! Et quelle est cette condition? And what is this condition?

—C’est de vous laisser bander les yeux et de n’ôter votre bandeau que lorsqu’il vous y invitera lui-même.» "It is to let you blindfold and remove your headband only when he invites you to it himself." Franz sonda autant que possible le regard de Gaetano pour savoir ce que cachait cette proposition. Franz probed Gaetano's eyes as much as possible to find out what was in the proposal.

«Ah dame! "Ah lady! reprit celui-ci, répondant à la pensée de Franz, je le sais bien, la chose mérite réflexion. replied the latter, responding to Franz's thought, I know it well, the thing deserves reflection.

—Que feriez-vous à ma place? -What would you do in my place? fit le jeune homme. said the young man.

—Moi, qui n’ai rien à perdre, j’irais. “I, who have nothing to lose, would go. —Vous accepteriez? “Would you accept?

—Oui, ne fût-ce que par curiosité. “Yes, if only out of curiosity.

—Il y a donc quelque chose de curieux à voir chez ce chef? "Is there anything curious to see in this chief?

—Écoutez, dit Gaetano en baissant la voix, je ne sais pas si ce qu’on dit est vrai...» "Listen," said Gaetano, lowering his voice, "I don't know if what we're saying is true ..." Il s’arrêta en regardant si aucun étranger ne l’écoutait. He stopped, watching if no stranger listened to him. «Et que dit-on? "And what do we say?

—On dit que ce chef habite un souterrain auprès duquel le palais Pitti est bien peu de chose. -It is said that this chief lives in an underground building near which Pitti Palace is very little.

—Quel rêve! -What a dream! dit Franz en se rasseyant. said Franz, sitting down again.

—Oh! ce n’est pas un rêve, continua le patron, c’est une réalité! it's not a dream, continued the boss, it's a reality! Cama, le pilote du  Saint-Ferdinand , y est entré un jour, et il en est sorti tout émerveillé, en disant qu’il n’y a de pareils trésors que dans les contes de fées. Cama, the pilot of St. Ferdinand, entered it one day, and came out marveling, saying that there are only such treasures in fairy tales. —Ah çà! -Oh that! mais, savez-vous, dit Franz, qu’avec de pareilles paroles vous me feriez descendre dans la caverne d’Ali-Baba? but, do you know, said Franz, that with such words you would bring me down to the cave of Ali Baba? —Je vous dis ce qu’on m’a dit, Excellence. "I tell you what I have been told, Excellency. —Alors, vous me conseillez d’accepter? -So, you advise me to accept? —Oh! je ne dis pas cela! I do not say that! Votre Excellence fera selon son bon plaisir. Your Excellency will do as he pleases. Je ne voudrais pas lui donner un conseil dans une semblable occasion.» I would not want to give him advice on such an occasion. "

Franz réfléchit quelques instants, comprit que cet homme si riche ne pouvait lui en vouloir, à lui qui portait seulement quelques mille francs; et, comme il n’entrevoyait dans tout cela qu’un excellent souper, il accepta. Franz thought for a few moments, understood that this rich man could not blame him, who was only a few thousand francs; and as he saw in all this only an excellent supper, he accepted. Gaetano alla porter sa réponse. Gaetano went to answer.

Cependant nous l’avons dit, Franz était prudent; aussi voulut-il avoir le plus de détails possible sur son hôte étrange et mystérieux. However, as we have said, Franz was careful; so he wanted to have as much detail as possible about his strange and mysterious guest. Il se retourna donc du côté du matelot qui, pendant ce dialogue, avait plumé les perdrix avec la gravité d’un homme fier de ses fonctions, et lui demanda dans quoi ses hommes avaient pu aborder, puisqu’on ne voyait ni barques, ni spéronares, ni tartanes. He therefore turned to the side of the sailor who, during this dialogue, had plucked the partridges with the gravity of a man proud of his duties, and asked him what his men had been able to approach, since we saw neither boats nor spéronares, nor tartanes. «Je ne suis pas inquiet de cela, dit le matelot, et je connais le bâtiment qu’ils montent. "I'm not worried about that," said the sailor, "and I know the building they're riding. —Est-ce un joli bâtiment? “Is it a nice building?

—J’en souhaite un pareil à Votre Excellence pour faire le tour du monde. I wish you the same for your Excellency to go around the world. —De quelle force est-il? "How strong is he?"

—Mais de cent tonneaux à peu près. "But about a hundred barrels. C’est, du reste un bâtiment de fantaisie, un yacht, comme disent les Anglais, mais confectionné, voyez-vous, de façon à tenir la mer par tous les temps. It is, moreover, a fancy building, a yacht, as the English say, but crafted, you see, so as to keep the sea in all weathers. —Et où a-t-il été construit? “And where was it built?

—Je l’ignore. -I do not know. Cependant je le crois génois. However, I believe him to be Genoese.

—Et comment un chef de contrebandiers, continua Franz, ose-t-il faire construire un yacht destiné à son commerce dans le port de Gênes? "And how can a chief smuggler," continued Franz, "dare to have a yacht for his business built in the port of Genoa?

—Je n’ai pas dit, fit le matelot, que le propriétaire de ce yacht fût un contrebandier. "I did not say," said the sailor, "that the owner of this yacht was a smuggler. —Non; mais Gaetano l’a dit, ce me semble. -No; but Gaetano said it, it seems to me. —Gaetano avait vu l’équipage de loin, mais il n’avait encore parlé à personne. Gaetano had seen the crew from a distance, but he had not spoken to anyone yet. —Mais si cet homme n’est pas un chef de contrebandiers, quel est-il donc? "But if this man is not a smuggler, what is he? —Un riche seigneur qui voyage pour son plaisir.» "A rich lord who travels for his pleasure."

«Allons, pensa Franz, le personnage n’en est que plus mystérieux, puisque les versions sont différentes.» "Come on," thought Franz, "the character is all the more mysterious, since the versions are different." «Et comment s’appelle-t-il? "And what's his name? —Lorsqu’on le lui demande, il répond qu’il se nomme Simbad le marin. “When asked, he replies that his name is Simbad the sailor. Mais je doute que ce soit son véritable nom. But I doubt it’s his real name.

—Simbad le marin? -Simbad the sailor?

—Oui. -Yes.

—Et où habite ce seigneur? "And where does this lord live?"

—Sur la mer. -On the sea.

—De quel pays est-il? —What country is he from?

—Je ne sais pas. -I do not know.

—L’avez-vous vu? -Have you seen it? —Quelquefois. -Sometimes.

—Quel homme est-ce? "What man is he?"

—Votre Excellence en jugera elle-même. “Your Excellency will judge for itself.

—Et où va-t-il me recevoir? And where will he receive me?

—Sans doute dans ce palais souterrain dont vous a parlé Gaetano. "No doubt in this underground palace that Gaetano told you about.

—Et vous n’avez jamais eu la curiosité, quand vous avez relâché ici et que vous avez trouvé l’île déserte, de chercher à pénétrer dans ce palais enchanté? "And you never had the curiosity, when you relaxed here and found the desert island, to seek to enter this enchanted palace? —Oh! -Oh! si fait, Excellence, reprit le matelot, et plus d’une fois même; mais toujours nos recherches ont été inutiles. if done, Excellency, resumed the sailor, and more than once even; but always our research was useless. Nous avons fouillé la grotte de tous côtés et nous n’avons pas trouvé le plus petit passage. We searched the cave on all sides and we did not find the smallest passage. Au reste, on dit que la porte ne s’ouvre pas avec une clef, mais avec un mot magique. Moreover, it is said that the door does not open with a key, but with a magic word. —Allons, décidément, murmura Franz, me voilà embarqué dans un conte des  Mille et une Nuits . "Come on, really," murmured Franz, "I am in a tale of the Thousand and One Nights.

—Son Excellence vous attend», dit derrière lui une voix qu’il reconnut pour celle de la sentinelle. "His Excellency is waiting for you," said a voice behind him, which he recognized as that of the sentry. Le nouveau venu était accompagné de deux hommes de l’équipage du yacht. The newcomer was accompanied by two men from the yacht's crew. Pour toute réponse, Franz tira son mouchoir et le présenta à celui qui lui avait adressé la parole. For a reply, Franz drew his handkerchief and presented it to the one who had spoken to him.

Sans dire une seule parole, on lui banda les yeux avec un soin qui indiquait la crainte qu’il ne commit quelque indiscrétion; après quoi on lui fit jurer qu’il n’essayerait en aucune façon d’ôter son bandeau. Without saying a single word, his eyes were bound with a care which indicated the fear that he would commit some indiscretion; after which he was made to swear that he would in no way attempt to remove his blindfold. Il jura. He swore. Alors les deux hommes le prirent chacun par un bras, et il marcha guidé par eux et précédé de la sentinelle. Then the two men took him by the arm, and he walked guided by them and preceded by the sentry. Après une trentaine de pas, il sentit, à l’odeur de plus en plus appétissante du chevreau, qu’il repassait devant le bivouac; puis on lui fit continuer sa route pendant une cinquantaine de pas encore, en avançant évidemment du côté où l’on n’avait pas voulu laisser pénétrer Gaetano: défense qui s’expliquait maintenant. After about thirty steps, he felt, with the increasingly appetizing smell of the kid, that he was ironing in front of the bivouac; then he was made to continue his journey for about fifty steps still, advancing obviously on the side where one had not wanted to let Gaetano enter: defense which was explained now. Bientôt, au changement d’atmosphère, il comprit qu’il entrait dans un souterrain; au bout de quelques secondes de marche, il entendit un craquement, et il lui sembla que l’atmosphère changeait encore de nature et devenait tiède et parfumée; enfin, il sentit que ses pieds posaient sur un tapis épais et moelleux; ses guides l’abandonnèrent. Soon, at the change of atmosphere, he understood that he was entering an underground; after a few seconds of walking, he heard a cracking sound, and it seemed to him that the atmosphere was still changing in nature and becoming warm and fragrant; finally, he felt that his feet were resting on a thick, soft carpet; his guides abandoned him. Il se fit un instant de silence, et une voix dit en bon français, quoique avec un accent étranger: There was a moment of silence, and a voice said in good French, albeit with a foreign accent:

«Vous êtes le bienvenu chez moi, monsieur, et vous pouvez ôter votre mouchoir.» "You are welcome to stay with me, sir, and you can take off your handkerchief."

Comme on le pense bien, Franz ne se fit pas répéter deux fois cette invitation; il leva son mouchoir, et se trouva en face d’un homme de trente-huit à quarante ans, portant un costume tunisien, c’est-à-dire une calotte rouge avec un long gland de soie bleue, une veste de drap noir toute brodée d’or, des pantalons sang de bœuf larges et bouffants des guêtres de même couleur brodées d’or comme la veste, et des babouches jaunes; un magnifique cachemire lui serrait la taille, et un petit cangiar aigu et recourbé était passé dans cette ceinture. As we can well imagine, Franz did not have this invitation repeated twice; he raised his handkerchief, and found himself in front of a man from thirty-eight to forty years old, wearing a Tunisian costume, that is to say a red cap with a long tassel of blue silk, a jacket of black cloth all embroidered in gold, wide, puffy ox-blood pants of the same color gaiters embroidered in gold like the jacket, and yellow slippers; a magnificent cashmere tightened his waist, and a small, sharp and curved cangiar had passed through this belt. Quoique d’une pâleur presque livide, cet homme avait une figure remarquablement belle; ses yeux étaient vifs et perçants; son nez droit, et presque de niveau avec le front, indiquait le type grec dans toute sa pureté, et ses dents, blanches comme des perles, ressortaient admirablement sous la moustache noire qui les encadrait. Although almost lividly pale, this man had a remarkably handsome figure; his eyes were sharp and piercing; his straight nose, almost level with the forehead, indicated the Greek type in all its purity, and its teeth, white as pearls, stood out admirably under the black mustache that framed them. Seulement cette pâleur était étrange; on eût dit un homme enfermé depuis longtemps dans un tombeau, et qui n’eût pas pu reprendre la carnation des vivants. Only this pallor was strange; he looked like a man shut up for a long time in a tomb, and who could not have recovered the flesh of the living. Sans être d’une grande taille, il était bien fait du reste, et, comme les hommes du Midi, avait les mains et les pieds petits. Without being tall, he was well done, and, like the men of the South, had small hands and feet. Mais ce qui étonna Franz, qui avait traité de rêve le récit de Gaetano, ce fut la somptuosité de l’ameublement. But what astonished Franz, who had dreamed Gaetano's story as a dream, was the sumptuousness of the furniture. Toute la chambre était tendue d’étoffes turques de couleur cramoisie et brochées de fleurs d’or. The whole room was draped with crimson-colored Turkish fabrics and brocaded with gold flowers. Dans un enfoncement était une espèce de divan surmonté d’un trophée d’armes arabes à fourreaux de vermeil et à poignées resplendissantes de pierreries; au plafond, pendait une lampe en verre de Venise, d’une forme et d’une couleur charmantes, et les pieds reposaient sur un tapis de Turquie dans lequel ils enfonçaient jusqu’à la cheville: des portières pendaient devant la porte par laquelle Franz était entré, et devant une autre porte donnant passage dans une seconde chambre qui paraissait splendidement éclairée. In a depression was a sort of divan surmounted by a trophy of Arab arms with gilt sleeves and resplendent handles of jewels; on the ceiling hung a glass lamp of Venice, of a charming shape and color, and the feet rested on a Turkish carpet in which they stuck to the ankle: doors hung in front of the door by which Franz had entered, and in front of another door giving passage in a second room which seemed splendidly lighted. L’hôte laissa un instant Franz tout à sa surprise, et d’ailleurs il lui rendait examen pour examen, et ne le quittait pas des yeux. The host left Franz for a moment, to his surprise, and besides, he returned his examination for examination, and did not take his eyes off him. «Monsieur, lui dit-il enfin, mille fois pardon des précautions que l’on a exigées de vous pour vous introduire chez moi: mais, comme la plupart du temps cette île est déserte, si le secret de cette demeure était connu, je trouverais sans doute, en revenant, mon pied-à-terre en assez mauvais état, ce qui me serait fort désagréable, non pas pour la perte que cela me causerait, mais parce que je n’aurais pas la certitude de pouvoir, quand je le veux, me séparer du reste de la terre. "Monsieur," he said to him at last, "a thousand times, the precautions which have been required of you to introduce yourself to my house; but, as most of the time this island is deserted, if the secret of this house were known, I would, no doubt, find, on my return, my pied-à-terre in a rather bad state, which would be very disagreeable to me, not for the loss it would cause me, but because I would not be certain of being able, when I want it, to separate me from the rest of the earth. Maintenant, je vais tâcher de vous faire oublier ce petit désagrément, en vous offrant ce que vous n’espériez certes pas trouver ici, c’est-à-dire un souper passable et d’assez bons lits. Now I am going to try to make you forget this little inconvenience, by offering you what you did not expect to find here, that is to say, a fair dinner and quite good beds. —Ma foi, mon cher hôte, répondit Franz, il ne faut pas vous excuser pour cela. "Faith, my dear guest," replied Franz, "we must not excuse you for that. J’ai toujours vu que l’on bandait les yeux aux gens qui pénétraient dans les palais enchantés: voyez plutôt Raoul dans les  Huguenots  et véritablement je n’ai pas à me plaindre, car ce que vous me montrez fait suite aux merveilles des  Mille et une Nuits . I always saw that people blindfolded people who penetrated the enchanted palaces: see Raoul in the Huguenots and really I do not have to complain, because what you show me is a result of the wonders of the Thousand and a Nights. —Hélas! -Alas! je vous dirai comme Lucullus: Si j’avais su avoir l’honneur de votre visite, je m’y serais préparé. I will say to you like Lucullus: If I had known how to have the honor of your visit, I would have prepared myself for it. Mais enfin, tel qu’est mon ermitage, je le mets à votre disposition; tel qu’il est, mon souper vous est offert. But finally, such as my hermitage, I put it at your disposal; as it is, my supper is offered to you. Ali, sommes-nous servis?» Ali, are we served? ”

Presque au même instant, la portière se souleva, et un Nègre nubien, noir comme l’ébène et vêtu d’une simple tunique blanche, fit signe à son maître qu’il pouvait passer dans la salle à manger. Almost at the same time, the door lifted, and a Nubian Negro, black as ebony and dressed in a simple white tunic, signaled to his master that he could pass into the dining room. «Maintenant, dit l’inconnu à Franz, je ne sais si vous êtes de mon avis, mais je trouve que rien n’est gênant comme de rester deux ou trois heures en tête-à-tête sans savoir de quel nom ou de quel titre s’appeler. "Now," said the stranger to Franz, "I do not know whether you agree with me, but I find that nothing is embarrassing, like staying two or three hours alone, without knowing what name or what title is called. Remarquez que je respecte trop les lois de l’hospitalité pour vous demander ou votre nom ou votre titre; je vous prie seulement de me désigner une appellation quelconque, à l’aide de laquelle je puisse vous adresser la parole. Note that I respect the laws of hospitality too much to ask you or your name or title; I only ask you to indicate to me any designation whatsoever, with the help of which I can address you. Quant à moi, pour vous mettre à votre aise je vous dirai que l’on a l’habitude de m’appeler Simbad le marin. As for me, to put you at ease I will tell you that it is customary to call me Simbad the sailor. —Et moi, reprit Franz, je vous dirai que, comme il ne me manque, pour être dans la situation d’Aladin, que la fameuse lampe merveilleuse, je ne vois aucune difficulté à ce que, pour le moment, vous m’appeliez Aladin. "And I," said Franz, "will tell you that, as I only want to be in Aladdin's position, the famous wonderful lamp, I see no difficulty in what, for the moment, you call me." Aladdin. Cela ne nous sortira pas de l’Orient, où je suis tenté de croire que j’ai été transporté par la puissance de quelque bon génie. This will not get us out of the East, where I am tempted to believe that I was transported by the power of some good genius. —Eh bien, seigneur Aladin, fit l’étrange amphitryon, vous avez entendu que nous étions servis, n’est-ce pas? "Well, Lord Aladin," said the strange host, "you heard that we were served, didn't you?" veuillez donc prendre la peine d’entrer dans la salle à manger; votre très humble serviteur passe devant vous pour vous montrer le chemin.» so please take the trouble to enter the dining room; your very humble servant walks before you to show you the way. ” Et à ces mots, soulevant la portière, Simbad passa effectivement devant Franz. And at these words, lifting the door, Simbad actually walked past Franz.

Franz marchait d’enchantements en enchantements; la table était splendidement servie. Franz walked from enchantment to enchantment; the table was splendidly served. Une fois convaincu de ce point important, il porta les yeux autour de lui. Once convinced of this important point, he looked around. La salle à manger était non moins splendide que le boudoir qu’il venait de quitter; elle était tout en marbre, avec des bas reliefs antiques du plus grand prix, et aux deux extrémités de cette salle, qui était oblongue, deux magnifiques statues portaient des corbeilles sur leurs têtes. The dining room was no less splendid than the boudoir he had just left; it was all in marble, with ancient bas-reliefs of the greatest price, and at the two ends of this room, which was oblong, two magnificent statues carried baskets on their heads. Ces corbeilles contenaient deux pyramides de fruits magnifiques; c’étaient des ananas de Sicile, des grenades de Malaga, des oranges des îles Baléares, des pêches de France et des dattes de Tunis. These baskets contained two pyramids of magnificent fruit; they were pineapples from Sicily, pomegranates from Malaga, oranges from the Balearic Islands, peaches from France and dates from Tunis. Quant au souper, il se composait d’un faisan rôti entouré de merles de Corse, d’un jambon de sanglier à la gelée, d’un quartier de chevreau à la tartare, d’un turbot magnifique et d’une gigantesque langouste. As for supper, it consisted of a roasted pheasant surrounded by Corsican blackbirds, a boar ham with jelly, a quarter of kid with tartare, a magnificent turbot and a gigantic lobster. Les intervalles des grands plats étaient remplis par de petits plats contenant les entremets. The intervals of the large dishes were filled with small dishes containing the entremets.

Les plats étaient en argent, les assiettes en porcelaine du Japon. The dishes were silver, the plates porcelain from Japan.

Franz se frotta les yeux pour s’assurer qu’il ne rêvait pas. Franz rubbed his eyes to make sure he was not dreaming. Ali seul était admis à faire le service et s’en acquittait fort bien. Ali alone was allowed to do the service and did it very well. Le convive en fit compliment à son hôte. The guest complimented his guest.

«Oui, reprit celui-ci, tout en faisant les honneurs de son souper avec la plus grande aisance; oui, c’est un pauvre diable qui m’est fort dévoué et qui fait de son mieux. "Yes," said the latter, while doing the honors of his supper with the greatest ease; yes, it is a poor devil who is very devoted to me and who does his best. Il se souvient que je lui ai sauvé la vie, et comme il tenait à sa tête, à ce qu’il paraît, il m’a gardé quelque reconnaissance de la lui avoir conservée.» He remembers that I saved his life, and as he held to his head, it seems, he has been grateful to me for keeping it to him. " Ali s’approcha de son maître, lui prit la main et la baisa. Ali approached his master, took his hand and kissed it. «Et serait-ce trop indiscret, seigneur Simbad, dit Franz, de vous demander en quelle circonstance vous avez fait cette belle action? "And would it be too indiscreet, Lord Simbad," said Franz, "to ask you in what circumstances you have done this fine action?

—Oh! mon Dieu, c’est bien simple, répondit l’hôte. my God, it's very simple, replied the host. Il paraît que le drôle avait rôdé plus près du sérail du bey de Tunis qu’il n’était convenable de le faire à un gaillard de sa couleur; de sorte qu’il avait été condamné par le bey à avoir la langue, la main et la tête tranchées: la langue le premier jour, la main le second, et la tête le troisième. It seems that the hooligan had prowled closer to the Bey of Tunis's seraglio than it was proper to do to a fellow of his color; so that he had been condemned by the bey to have his tongue, his hand, and his head cut off: the tongue the first day, the hand the second, and the head the third. J’avais toujours eu envie d’avoir un muet à mon service; j’attendis qu’il eût la langue coupée, et j’allai proposer au bey de me le donner pour un magnifique fusil à deux coups qui, la veille, m’avait paru éveiller les désirs de Sa Hautesse. I had always wanted to have a mute at my service; I waited until he had his tongue cut off, and I went to propose to the bey to give it to me for a magnificent double-barreled rifle, which the day before had appeared to awaken the desires of His Highness. Il balança un instant, tant il tenait à en finir avec ce pauvre diable. He swung a moment, so much he wanted to finish with this poor devil. Mais j’ajoutai à ce fusil un couteau de chasse anglais avec lequel j’avais haché le yatagan de Sa Hautesse; de sorte que le bey se décida à lui faire grâce de la main et de la tête, mais à condition qu’il ne remettrait jamais le pied à Tunis. But I added to this rifle an English hunting knife with which I had chopped the yatagan of His Highness; so that the bey decided to pardon him by the hand and the head, but on the condition that he never return his foot to Tunis. La recommandation était inutile. The recommendation was useless. Du plus loin que le mécréant aperçoit les côtes d’Afrique, il se sauve à fond de cale, et l’on ne peut le faire sortir de là que lorsqu’on est hors de vue de la troisième partie du monde.» As far as the miscreant sees the coasts of Africa, he fleees at the bottom of the hold, and one can only get him out of there when one is out of sight of the third part of the world. " Franz resta un moment muet et pensif, cherchant ce qu’il devait penser de la bonhomie cruelle avec laquelle son hôte venait de lui faire ce récit. Franz remained silent and thoughtful for a moment, seeking what to think of the cruel goodness with which his host had just told him this story. «Et, comme l’honorable marin dont vous avez pris le nom, dit-il en changeant de conversation, vous passez votre vie à voyager? "And, like the honorable sailor whose name you have taken," he said, changing his conversation, "you spend your life traveling? —Oui; c’est un vœu que j’ai fait dans un temps où je ne pensais guère pouvoir l’accomplir, dit l’inconnu en souriant. -Yes; it is a wish I made at a time when I hardly thought I could accomplish it, "said the stranger, smiling. J’en ai fait quelques-uns comme cela, et qui, je l’espère, s’accompliront tous à leur tour.» I have made a few of them, and I hope they will all be fulfilled in their turn. " Quoique Simbad eût prononcé ces mots avec le plus grand sang-froid, ses yeux avaient lancé un regard de férocité étrange. Although Simbad had uttered these words with the utmost coolness, his eyes had cast a look of strange ferocity.

«Vous avez beaucoup souffert monsieur?» lui dit Franz. "Have you suffered a lot, sir?" Said Franz.

Simbad tressaillit et le regarda fixement. Simbad flinched and stared at him.

«À quoi voyez-vous cela? "What do you see this? demanda-t-il. he asked.

—À tout, reprit Franz: à votre voix, à votre regard, à votre pâleur, et à la vie même que vous menez. "At all," said Franz, "to your voice, to your look, to your pallor, and to the very life you lead.

—Moi! -Me! je mène la vie la plus heureuse que je connaisse, une véritable vie de pacha; je suis le roi de la création: je me plais dans un endroit, j’y reste; je m’ennuie, je pars; je suis libre comme l’oiseau, j’ai des ailes comme lui; les gens qui m’entourent m’obéissent sur un signe. I lead the happiest life I know, a real pasha life; I am the king of creation: I like a place, I stay there; I'm bored, I'm leaving; I am free like the bird, I have wings like him; the people around me obey a sign. De temps en temps, je m’amuse à railler la justice humaine en lui enlevant un bandit qu’elle cherche, un criminel qu’elle poursuit. From time to time, I have fun mocking human justice by abducting a bandit she is looking for, a criminal she is chasing. Puis j’ai ma justice à moi, basse et haute, sans sursis et sans appel, qui condamne ou qui absout, et à laquelle personne n’a rien à voir. Then I have my justice, low and high, without respite and without appeal, which condemns or which absolves, and to which nobody has nothing to do. Ah! si vous aviez goûté de ma vie, vous n’en voudriez plus d’autre, et vous ne rentreriez jamais dans le monde, à moins que vous n’eussiez quelque grand projet à y accomplir. if you had tasted in my life, you would not want any more, and you would never return to the world unless you had some great project to accomplish. —Une vengeance! -Revenge! par exemple», dit Franz. for example, ”says Franz.

L’inconnu fixa sur le jeune homme un de ces regards qui plongent au plus profond du cœur et de la pensée. The stranger fixed on the young man one of those glances which plunge deep into the heart and the mind. «Et pourquoi une vengeance? "And why revenge? demanda-t-il. he asked.

—Parce que, reprit Franz, vous m’avez tout l’air d’un homme qui, persécuté par la société, a un compte terrible à régler avec elle. "Because," said Franz, "you seem to me like a man who, persecuted by society, has a terrible account to settle with her. —Eh bien, fit Simbad en riant de son rire étrange, qui montrait ses dents blanches et aiguës, vous n’y êtes pas; tel que vous me voyez, je suis une espèce de philanthrope, et peut-être un jour irai-je à Paris pour faire concurrence à M. Appert et à l’homme au Petit Manteau Bleu. "Well," said Simbad, laughing at his strange laugh, which showed his sharp white teeth, "you are not there; as you see me, I am a kind of philanthropist, and perhaps one day I will go to Paris to compete with Mr. Appert and the man in the Little Blue Coat. —Et ce sera la première fois que vous ferez ce voyage? -And it will be the first time that you will make this trip?

—Oh! mon Dieu, oui. my God, yes. J’ai l’air d’être bien peu curieux, n’est-ce pas? I seem to be very curious, are not I? mais je vous assure qu’il n’y a pas de ma faute si j’ai tant tardé, cela viendra un jour ou l’autre! but I assure you that it is not my fault if I have waited so long, it will come one day or another! —Et comptez-vous faire bientôt ce voyage? -And do you intend to make this trip soon?

—Je ne sais encore, il dépend de circonstances soumises à des combinaisons incertaines. —I don't know yet, it depends on circumstances subject to uncertain combinations.

—Je voudrais y être à l’époque où vous y viendrez, je tâcherais de vous rendre, en tant qu’il serait en mon pouvoir, l’hospitalité que vous me donnez si largement à Monte-Cristo. "I would like to be there at the time when you will come there, I will try to return to you, in so far as it is in my power, the hospitality you give me so largely at Monte Cristo. —J’accepterais votre offre avec un grand plaisir, reprit l’hôte; mais malheureusement, si j’y vais, ce sera peut-être incognito.» "I would accept your offer with great pleasure," replied the host; but unfortunately, if I go, it may be incognito. " Cependant, le souper s’avançait et paraissait avoir été servi à la seule intention de Franz, car à peine si l’inconnu avait touché du bout des dents à un ou deux plats du splendide festin qu’il lui avait offert, et auquel son convive inattendu avait fait si largement honneur. The supper, however, advanced, and seemed to have been served for the sole purpose of Franz, for hardly had the stranger touched his teeth with one or two dishes of the splendid feast which he had offered him, and to which his unexpected guest had done so much honor. Enfin, Ali apporta le dessert, ou plutôt prit les corbeilles des mains des statues et les posa sur la table. Finally, Ali brought the dessert, or rather took the baskets from the statues and put them on the table.

Entre les deux corbeilles, il plaça une petite coupe de vermeil fermée par un couvercle de même métal. Between the two baskets, he placed a small cup of vermeil closed by a lid of the same metal.

Le respect avec lequel Ali avait apporté cette coupe piqua la curiosité de Franz. The respect with which Ali had brought this cup aroused Franz's curiosity. Il leva le couvercle et vit une espèce de pâte verdâtre qui ressemblait à des confitures d’angélique, mais qui lui était parfaitement inconnue. He lifted the lid and saw a kind of greenish paste that looked like angelic jam, but was completely unknown to him. Il replaça le couvercle, aussi ignorant de ce que la coupe contenait après avoir remis le couvercle qu’avant de l’avoir levé, et, en reportant les yeux sur son hôte, il le vit sourire de son désappointement. He replaced the lid, as ignorant of what the cup contained after putting the lid on as before having lifted it, and, looking back at his host, he saw him smile at his disappointment. «Vous ne pouvez pas deviner, lui dit celui-ci, quelle espèce de comestible contient ce petit vase, et cela vous intrigue, n’est-ce pas? "You can not guess," said he, "what kind of edible contains this little vase, and that intrigues you, does not it? —Je l’avoue. -I admit it. —Eh bien, cette sorte de confiture verte n’est ni plus ni moins que l’ambroisie qu’Hébé servait à la table de Jupiter. -Well, this kind of green jam is neither more nor less than the ambrosia that Hebe served at the table of Jupiter. —Mais cette ambroisie, dit Franz, a sans doute, en passant par la main des hommes, perdu son nom céleste pour prendre un nom humain; en langue vulgaire, comment cet ingrédient, pour lequel, au reste, je ne me sens pas une grande sympathie, s’appelle-t-il? "But this ambrosia," said Franz, "has doubtless passed through the hands of men, lost his heavenly name to take a human name; in the vulgar tongue, how is this ingredient, for which, for the rest, I do not feel a great sympathy, is it called? —Eh! voilà justement ce qui révèle notre origine matérielle, s’écria Simbad; souvent nous passons ainsi auprès du bonheur sans le voir, sans le regarder, ou, si nous l’avons vu et regardé, sans le reconnaître. that is precisely what reveals our material origin, exclaimed Simbad; often we pass thus to happiness without seeing it, without looking at it, or, if we have seen and looked at it, without recognizing it. Êtes-vous un homme positif et l’or est-il votre dieu, goûtez à ceci, et les mines du Pérou, de Guzarate et de Golconde vous seront ouvertes. Are you a positive man and gold is your god, taste this, and the mines of Peru, Guzarate and Golconda will be open to you. Êtes-vous un homme d’imagination, êtes-vous poète, goûtez encore à ceci, et les barrières du possible disparaîtront; les champs de l’infini vont s’ouvrir, vous vous promènerez, libre de cœur, libre d’esprit, dans le domaine sans bornes de la rêverie. Are you a man of imagination, are you a poet, taste this again, and the barriers of the possible will disappear; the fields of infinity will open, you will walk, free of heart, free of spirit, in the boundless domain of reverie. Êtes-vous ambitieux courez-vous après les grandeurs de la terre, goûtez de ceci toujours, et dans une heure vous serez roi, non pas roi d’un petit royaume caché dans un coin de l’Europe, comme la France, l’Espagne ou l’Angleterre mais roi du monde, roi de l’univers, roi de la création. Are you ambitious are you chasing the greatness of the earth, taste this always, and in an hour you will be king, not king of a small kingdom hidden in a corner of Europe, like France, the Spain or England but king of the world, king of the universe, king of creation. Votre trône sera dressé sur la montagne où Satan emporta Jésus; et, sans avoir besoin de lui faire hommage, sans être forcé de lui baiser la griffe, vous serez le souverain maître de tous les royaumes de la terre. Your throne will be set up on the mountain where Satan took Jesus; and, without having to pay homage to him, without being forced to kiss his claw, you will be the sovereign master of all the kingdoms of the earth. N’est-ce pas tentant, ce que je vous offre là dites, et n’est-ce pas une chose bien facile puisqu’il n’y a que cela à faire? Is not it tempting, what I offer you there say, and is not it a very easy thing since there is only that to do? Regardez.» Take a look."

À ces mots, il découvrit à son tour la petite coupe de vermeil qui contenait la substance tant louée, prit une cuillerée à café des confitures magiques, la porta à sa bouche et la savoura lentement, les yeux à moitié fermés, et la tête renversée en arrière. At these words, he discovered in his turn the small cup of vermeil which contained the much praised substance, took a teaspoon of magic jams, brought it to his mouth and savored it slowly, eyes half closed, and head tilted backward.

Franz lui laissa tout le temps d’absorber son mets favori, puis, lorsqu’il le vit un peu revenu à lui: Franz gave him plenty of time to absorb his favorite food, then, when he saw it come back to him a little: «Mais enfin, dit-il, qu’est-ce que ce mets si précieux? "But still," he said, "what is this precious food?" —Avez-vous entendu parler du Vieux de la Montagne, lui demanda son hôte, le même qui voulut faire assassiner Philippe Auguste? "Have you heard of the Old Man of the Mountain," asked his guest, the same who wanted to have Philippe Auguste assassinated?

—Sans doute. -Without a doubt.

—Eh bien, vous savez qu’il régnait sur une riche vallée qui dominait la montagne d’où il avait pris son nom pittoresque. "Well, you know that he reigned over a rich valley which dominated the mountain from which he took his picturesque name. Dans cette vallée étaient de magnifiques jardins plantés par Hassen-ben-Sabah, et, dans ces jardins, des pavillons isolés. In this valley were magnificent gardens planted by Hassen-ben-Sabah, and in these gardens, isolated pavilions. C’est dans ces pavillons qu’il faisait entrer ses élus, et là il leur faisait manger, dit Marco-Polo, une certaine herbe qui les transportait dans le paradis, au milieu de plantes toujours fleuries, de fruits toujours mûrs, de femmes toujours vierges. It was in these pavilions that his elect entered, and there he made them eat, said Marco Polo, a certain herb that carried them in paradise, amidst ever-flowering plants, ever-ripe fruits, women always virgins. Or, ce que ces jeunes gens bienheureux prenaient pour la réalité, c’était un rêve; mais un rêve si doux, si enivrant, si voluptueux, qu’ils se vendaient corps et âme à celui qui le leur avait donné, et qu’obéissant à ses ordres comme à ceux de Dieu, ils allaient frapper au bout du monde la victime indiquée, mourant dans les tortures sans se plaindre à la seule idée que la mort qu’ils subissaient n’était qu’une transition à cette vie de délices dont cette herbe sainte, servie devant vous, leur avait donné un avant-goût. Now, what these blessed young men took for reality was a dream; but a dream so sweet, intoxicating, so voluptuous, that they sold body and soul to him who had given it to them, and obeying his orders as those of God, they were going to strike at the end of the world the victim indicated, dying in tortures without complaining at the mere thought that the death they were suffering was only a transition to that life of delights from which this holy herb, served before you, had given them a taste. —Alors, s’écria Franz, c’est du hachisch! "Then," exclaimed Franz, "it's hashish! Oui, je connais cela, de nom du moins. Yes, I know that, by name at least.

—Justement, vous avez dit le mot, seigneur Aladin, c’est du hachisch, tout ce qui se fait de meilleur et de plus pur en hachisch à Alexandrie, du hachisch d’Abougor, le grand faiseur, l’homme unique, l’homme à qui l’on devrait bâtir un palais avec cette inscription:  Au marchand du bonheur, le monde reconnaissant. You have said the word, Lord Aladdin, it is hashish, all that is made of the best and purest hashish in Alexandria, the hashish of Abougor, the great maker, the only man, the man to whom one should build a palace with this inscription: To the merchant of happiness, the grateful world. —Savez-vous, lui dit Franz, que j’ai bien envie de juger par moi-même de la vérité ou de l’exagération de vos éloges? "Do you know," said Franz, "that I have a great desire to judge for myself the truth or the exaggeration of your praises? —Jugez par vous-même, mon hôte, jugez; mais ne vous en tenez pas à une première expérience: comme en toute chose, il faut habituer les sens à une impression nouvelle, douce ou violente, triste ou joyeuse. -Judge by yourself, my host, judge; but do not hold to a first experience: as in all things, you must accustom the senses to a new, sweet or violent, sad or joyous impression. Il y a une lutte de la nature contre cette divine substance, de la nature qui n’est pas faite pour la joie et qui se cramponne à la douleur. There is a struggle of nature against this divine substance, of nature which is not made for joy and clings to pain. Il faut que la nature vaincue succombe dans le combat, il faut que la réalité succède au rêve; et alors le rêve règne en maître, alors c’est le rêve qui devient la vie et la vie qui devient le rêve: mais quelle différence dans cette transfiguration! It is necessary that the vanquished nature succumbs in the combat, it is necessary that the reality succeeds to the dream; and then the dream reigns supreme, so it is the dream that becomes life and life becomes the dream: but what a difference in this transfiguration! c’est-à-dire qu’en comparant les douleurs de l’existence réelle aux jouissances de l’existence factice, vous ne voudrez plus vivre jamais, et que vous voudrez rêver toujours. that is to say, by comparing the pains of real existence with the enjoyments of factitious existence, you will never want to live again, and you will always dream. Quand vous quitterez votre monde à vous pour le monde des autres, il vous semblera passer d’un printemps napolitain à un hiver lapon, il vous semblera quitter le paradis pour la terre, le ciel pour l’enfer. When you leave your own world for the world of others, you will seem to go from a Neapolitan spring to a Lappish winter, you will seem to leave heaven for the earth, the sky for hell. Goûtez du hachisch, mon hôte! Taste hash, my host! goûtez-en!» Taste it! "

Pour toute réponse, Franz prit une cuillerée de cette pâte merveilleuse, mesurée sur celle qu’avait prise son amphitryon, et la porta à sa bouche. In response, Franz took a spoonful of this wonderful paste, measured on the one taken by his host, and brought it to his mouth. «Diable! "Devil! fit-il après avoir avalé ces confitures divines, je ne sais pas encore si le résultat sera aussi agréable que vous le dites, mais la chose ne me paraît pas aussi succulente que vous l’affirmez. he said, after having swallowed these divine jams, I do not know yet whether the result will be as pleasant as you say it, but the thing does not seem to me as succulent as you affirm it. —Parce que les houppes de votre palais ne sont pas encore faites à la sublimité de la substance qu’elles dégustent. "Because the tussles of your palate are not yet made to the sublimity of the substance they taste. Dites-moi: est-ce que dès la première fois vous avez aimé les huîtres, le thé, le porter, les truffes, toutes choses que vous avez adorées par la suite? Tell me: from the first time did you like oysters, tea, porter, truffles, all the things you loved afterwards? Est-ce que vous comprenez les Romains, qui assaisonnaient les faisans avec de l’assafoetida, et les Chinois, qui mangent des nids d’hirondelles? Do you understand the Romans, who seasoned pheasants with assafoetida, and the Chinese, who eat swallow nests? Eh! mon Dieu, non. my God no. Eh bien, il en est de même du hachisch: mangez-en huit jours de suite seulement, nulle nourriture au monde ne vous paraîtra atteindre à la finesse de ce goût qui vous paraît peut-être aujourd’hui fade et nauséabond. Well, it's the same with hashish: eat it for eight days in a row, no food in the world will seem to reach the finesse of this taste, which may seem to you today bland and nauseating. D’ailleurs, passons dans la chambre à côté, c’est-à-dire dans votre chambre, et Ali va nous servir le café et nous donner des pipes.» Besides, let's go to the next room, that is, to your room, and Ali will serve us coffee and give us some pipes. " Tous deux se levèrent, et, pendant que celui qui s’était donné le nom de Simbad, et que nous avons ainsi nommé de temps en temps, de façon à pouvoir, comme son convive, lui donner une dénomination quelconque, donnait quelques ordres à son domestique, Franz entra dans la chambre attenante. Both of them got up, and while the man who called himself Simbad, and whom we have so named from time to time, so that he, like his guest, could give him some denomination, gave some orders to his servant Franz entered the adjoining room. Celle-ci était d’un ameublement plus simple quoique non moins riche. This one was of a simpler furnishing though not less rich. Elle était de forme ronde, et un grand divan en faisait tout le tour. It was round in shape, and a large divan made it all round. Mais divan, murailles, plafonds et parquet étaient tout tendus de peaux magnifiques, douces et moelleuses comme les plus moelleux tapis; c’étaient des peaux de lions de l’Atlas aux puissantes crinières; c’étaient des peaux de tigres du Bengale aux chaudes rayures, des peaux de panthères du Cap tachetées joyeusement comme celle qui apparaît à Dante, enfin des peaux d’ours de Sibérie, de renards de Norvège, et toutes ces peaux étaient jetées en profusion les unes sur les autres, de façon qu’on eût cru marcher sur le gazon le plus épais et reposer sur le lit le plus soyeux. But divan, walls, ceilings and parquet were all stretched with magnificent skins, soft and soft like the softest carpets; they were skins of Atlas lions with powerful manes; they were skins of Bengal tigers with hot stripes, skins of Cape panthers spotted happily like the one that appears to Dante, finally skins of Siberian bears, foxes of Norway, and all these skins were thrown in profusion. on each other, so that one might have stepped on the thickest grass and rested on the most silky bed.