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Le Comte de Monte-Cristo, Alexandre Dumas, Tome 1, 16. Un savant italien

16. Un savant italien

Dantès prit dans ses bras ce nouvel ami, si longtemps et si impatiemment attendu, et l'attira vers sa fenêtre, afin que le peu de jour qui pénétrait dans le cachot l'éclairât tout entier.

C'était un personnage de petite taille, aux cheveux blanchis par la peine plutôt que par l'âge, à l'œil pénétrant caché sous d'épais sourcils qui grisonnaient, à la barbe encore noire et descendant jusque sur sa poitrine: la maigreur de son visage creusé par des rides profondes, la ligne hardie de ses traits caractéristiques, révélaient un homme plus habitué à exercer ses facultés morales que ses forces physiques.

Le front du nouveau venu était couvert de sueur. Quand à son vêtement, il était impossible d'en distinguer la forme primitive, car il tombait en lambeaux.

Il paraissait avoir soixante-cinq ans au moins, quoiqu'une certaine vigueur dans les mouvements annonçât qu'il avait moins d'années peut-être que n'en accusait une longue captivité.

Il accueillit avec une sorte de plaisir les protestations enthousiastes du jeune homme; son âme glacée sembla, pour un instant, se réchauffer et se fondre au contact de cette âme ardente.

Il le remercia de sa cordialité avec une certaine chaleur, quoique sa déception eût été grande de trouver un second cachot où il croyait rencontrer la liberté. «Voyons d'abord, dit-il, s'il y a moyen de faire disparaître aux yeux de vos geôliers les traces de mon passage.

Toute notre tranquillité à venir est dans leur ignorance de ce qui s'est passé.» Alors il se pencha vers l'ouverture, prit la pierre, qu'il souleva facilement malgré son poids, et la fit entrer dans le trou.

«Cette pierre a été descellée bien négligemment, dit-il en hochant la tête: vous n'avez donc pas d'outils?

—Et vous, demanda Dantès avec étonnement, en avez-vous donc?

—Je m'en suis fait quelques-uns.

Excepté une lime, j'ai tout ce qu'il me faut, ciseau, pince, levier. —Oh!

je serais curieux de voir ces produits de votre patience et de votre industrie, dit Dantès. —Tenez, voici d'abord un ciseau.»

Et il lui montra une lame forte et aiguë emmanchée dans un morceau de bois de hêtre.

«Avec quoi avez-vous fait cela?

dit Dantès.

—Avec une des fiches de mon lit.

C'est avec cet instrument que je me suis creusé tout le chemin qui m'a conduit jusqu'ici; cinquante pieds à peu près. —Cinquante pieds!

s'écria Dantès avec une espèce de terreur. —Parlez plus bas, jeune homme, parlez plus bas; souvent il arrive qu'on écoute aux portes des prisonniers.

—On me sait seul.

—N'importe.

—Et vous dites que vous avez percé cinquante pieds pour arriver jusqu'ici?

—Oui, telle est à peu près la distance qui sépare ma chambre de la vôtre; seulement j'ai mal calculé ma courbe, faute d'instrument de géométrie pour dresser mon échelle de proportion; au lieu de quarante pieds d'ellipse, il s'en est rencontré cinquante; je croyais, ainsi que je vous l'ai dit, arriver jusqu'au mur extérieur, percer ce mur et me jeter à la mer.

J'ai longé le corridor, contre lequel donne votre chambre, au lieu de passer dessous; tout mon travail est perdu, car ce corridor donne sur une cour pleine de gardes. —C'est vrai, dit Dantès; mais ce corridor ne longe qu'une face de ma chambre, et ma chambre en a quatre.

—Oui, sans doute, mais en voici d'abord une dont le rocher fait la muraille; il faudrait dix années de travail à dix mineurs munis de tous leurs outils pour percer le rocher; cette autre doit être adossée aux fondations de l'appartement du gouverneur; nous tomberions dans les caves qui ferment évidemment à la clef et nous serions pris; l'autre face donne, attendez donc, où donne l'autre face?

Cette face était celle où était percée la meurtrière à travers laquelle venait le jour: cette meurtrière, qui allait toujours en se rétrécissant jusqu'au moment où elle donnait entrée au jour, et par laquelle un enfant n'aurait certes pas pu passer, était en outre garnie par trois rangs de barreaux de fer qui pouvaient rassurer sur la crainte d'une évasion par ce moyen le geôlier le plus soupçonneux.

Et le nouveau venu, en faisant cette question, traîna la table au-dessous de la fenêtre.

«Montez sur cette table» dit-il à Dantès.

Dantès obéit, monta sur la table, et, devinant les intentions de son compagnon, appuya le dos au mur et lui présenta les deux mains.

Celui qui s'était donné le nom du numéro de sa chambre, et dont Dantès ignorait encore le véritable nom, monta alors plus lestement que n'eût pu le faire présager son âge, avec une habileté de chat ou de lézard, sur la table d'abord, puis de la table sur les mains de Dantès, puis de ses mains sur ses épaules; ainsi courbé en deux, car la voûte du cachot l'empêchait de se redresser, il glissa sa tête entre le premier rang de barreaux, et put plonger alors de haut en bas.

Un instant après, il retira vivement la tête.

«Oh!

oh! dit-il, je m'en étais douté.» Et il se laissa glisser le long du corps de Dantès sur la table, et de la table sauta à terre.

«De quoi vous étiez-vous douté?» demanda le jeune homme anxieux, en sautant à son tour auprès de lui.

Le vieux prisonnier méditait.

«Oui, dit-il, c'est cela; la quatrième face de votre cachot donne sur une galerie extérieure, espèce de chemin de ronde où passent les patrouilles et où veillent des sentinelles.

—Vous en êtes sûr?

—J'ai vu le shako du soldat et le bout de son fusil et je ne me suis retiré si vivement que de peur qu'il ne m'aperçût moi-même.

—Eh bien?

dit Dantès.

—Vous voyez bien qu'il est impossible de fuir par votre cachot.

—Alors?

continua le jeune homme avec un accent interrogateur. —Alors, dit le vieux prisonnier, que la volonté de Dieu soit faite!»

Et une teinte de profonde résignation s'étendit sur les traits du vieillard.

Dantès regarda cet homme qui renonçait ainsi et avec tant de philosophie à une espérance nourrie depuis si longtemps, avec un étonnement mêlé d'admiration.

«Maintenant, voulez-vous me dire qui vous êtes?

demanda Dantès. —Oh!

mon Dieu, oui, si cela peut encore vous intéresser, maintenant que je ne puis plus vous être bon à rien. —Vous pouvez être bon à me consoler et à me soutenir, car vous me semblez fort parmi les forts.»

L'abbé sourit tristement.

«Je suis l'abbé Faria, dit-il, prisonnier depuis 1811, comme vous le savez, au château d'If; mais j'étais depuis trois ans renfermé dans la forteresse de Fenestrelle.

En 1811, on m'a transféré du Piémont en France. C'est alors que j'ai appris que la destinée, qui, à cette époque, lui semblait soumise, avait donné un fils à Napoléon, et que ce fils au berceau avait été nommé roi de Rome. J'étais loin de me douter alors de ce que vous m'avez dit tout à l'heure: c'est que, quatre ans plus tard, le colosse serait renversé. Qui règne donc en France? Est-ce Napoléon II? —Non, c'est Louis XVIII.

—Louis XVIII, le frère de Louis XVI, les décrets du ciel sont étranges et mystérieux.

Quelle a donc été l'intention de la Providence en abaissant l'homme qu'elle avait élevé et en élevant celui qu'elle avait abaissé?» Dantès suivait des yeux cet homme qui oubliait un instant sa propre destinée pour se préoccuper ainsi des destinées du monde.

«Oui, oui, continua-t-il, c'est comme en Angleterre: après Charles Ier, Cromwell, après Cromwell, Charles II, et peut-être après Jacques II, quelque gendre, quelque parent, quelque prince d'Orange; un stathouder qui se fera roi; et alors de nouvelles concessions au peuple, alors une constitution alors la liberté!

Vous verrez cela, jeune homme, dit-il en se retournant vers Dantès, et en le regardant avec des yeux brillants et profonds, comme en devaient avoir les prophètes. Vous êtes encore d'âge à le voir, vous verrez cela. —Oui, si je sors d'ici.

—Ah c'est juste, dit l'abbé Faria.

Nous sommes prisonniers; il y a des moments où je l'oublie, et où, parce que mes yeux percent les murailles qui m'enferment, je me crois en liberté. —Mais pourquoi êtes-vous enfermé, vous?

—Moi?

parce que j'ai rêvé en 1807 le projet que Napoléon a voulu réaliser en 1811; parce que, comme Machiavel, au milieu de tous ces principicules qui faisaient de l'Italie un nid de petits royaumes tyranniques et faibles, j'ai voulu un grand et seul empire, compact et fort: parce que j'ai cru trouver mon César Borgia dans un niais couronné qui a fait semblant de me comprendre pour me mieux trahir. C'était le projet d'Alexandre VI et de Clément VII; il échouera toujours, puisqu'ils l'ont entrepris inutilement et que Napoléon n'a pu l'achever; décidément l'Italie est maudite!» Et le vieillard baissa la tête.

Dantès ne comprenait pas comment un homme pouvait risquer sa vie pour de pareils intérêts; il est vrai que s'il connaissait Napoléon pour l'avoir vu et lui avoir parlé, il ignorait complètement, en revanche, ce que c'étaient que Clément VII et Alexandre VI.

«N'êtes-vous pas, dit Dantès, commençant à partager l'opinion de son geôlier, qui était l'opinion générale au château d'If, le prêtre que l'on croit... malade?

—Que l'on croit fou, vous voulez dire, n'est-ce pas?

—Je n'osais, dit Dantès en souriant.

—Oui, oui, continua Faria avec un rire amer; oui, c'est moi qui passe pour fou; c'est moi qui divertis depuis si longtemps les hôtes de cette prison, et qui réjouirais les petits enfants, s'il y avait des enfants dans le séjour de la douleur sans espoir.»

Dantès demeura un instant immobile et muet.

«Ainsi, vous renoncez à fuir?

lui dit-il. —Je vois la fuite impossible; c'est se révolter contre Dieu que de tenter ce que Dieu ne veut pas qui s'accomplisse.

—Pourquoi vous décourager?

ce serait trop demander aussi à la Providence que de vouloir réussir du premier coup. Ne pouvez-vous pas recommencer dans un autre sens ce que vous avez fait dans celui-ci? —Mais savez-vous ce que j'ai fait, pour parler ainsi de recommencer?

Savez-vous qu'il m'a fallu quatre ans pour faire les outils que je possède? Savez-vous que depuis deux ans je gratte et creuse une terre dure comme le granit? Savez-vous qu'il m'a fallu déchausser des pierres qu'autrefois je n'aurais pas cru pouvoir remuer, que des journées tout entières se sont passées dans ce labeur titanique et que parfois, le soir, j'étais heureux quand j'avais enlevé un pouce carré de ce vieux ciment, devenu aussi dur que la pierre elle-même? Savez-vous, savez-vous que pour loger toute cette terre et toutes ces pierres que j'enterrais, il m'a fallu percer la voûte d'un escalier, dans le tambour duquel tous ces décombres ont été tour à tour ensevelis, si bien qu'aujourd'hui le tambour est plein, et que je ne saurais plus où mettre une poignée de poussière? Savez-vous, enfin, que je croyais toucher au but de tous mes travaux, que je me sentais juste la force d'accomplir cette tâche, et que voilà que Dieu non seulement recule ce but, mais le transporte je ne sais où? Ah! je vous le dis, je vous le répète, je ne ferai plus rien désormais pour essayer de reconquérir ma liberté, puisque la volonté de Dieu est qu'elle soit perdue à tout jamais.» Edmond baissa la tête pour ne pas avouer à cet homme que la joie d'avoir un compagnon l'empêchait de compatir, comme il eût dû, à la douleur qu'éprouvait le prisonnier de n'avoir pu se sauver.

L'abbé Faria se laissa aller sur le lit d'Edmond, et Edmond resta debout.

Le jeune homme n'avait jamais songé à la fuite.

Il y a de ces choses qui semblent tellement impossibles qu'on n'a pas même l'idée de les tenter et qu'on les évite d'instinct. Creuser cinquante pieds sous la terre, consacrer à cette opération un travail de trois ans pour arriver, si on réussit, à un précipice donnant à pic sur la mer; se précipiter de cinquante, de soixante, de cent pieds peut-être, pour s'écraser, en tombant, la tête sur quelque rocher, si la balle des sentinelles ne vous a point déjà tué auparavant; être obligé, si l'on échappe à tous ces dangers, de faire en nageant une lieue, c'en était trop pour qu'on ne se résignât point, et nous avons vu que Dantès avait failli pousser cette résignation jusqu'à la mort. Mais maintenant que le jeune homme avait vu un vieillard se cramponner à la vie avec tant d'énergie et lui donner l'exemple des résolutions désespérées, il se mit à réfléchir et à mesurer son courage.

Un autre avait tenté ce qu'il n'avait pas même eu l'idée de faire; un autre, moins jeune, moins fort, moins adroit que lui, s'était procuré, à force d'adresse et de patience, tous les instruments dont il avait besoin pour cette incroyable opération, qu'une mesure mal prise avait pu seule faire échouer: un autre avait fait tout cela, rien n'était donc impossible à Dantès: Faria avait percé cinquante pieds, il en percerait cent, Faria, à cinquante ans, avait mis trois ans à son œuvre; il n'avait que la moitié de l'âge de Faria, lui, il en mettrait six; Faria, abbé, savant, homme d'Église, n'avait pas craint de risquer la traversée du château d'If à l'île de Daume, de Ratonneau ou de Lemaire; lui, Edmond le marin, lui, Dantès le hardi plongeur, qui avait été si souvent chercher une branche de corail au fond de la mer, hésiterait-il donc à faire une lieue en nageant? que fallait-il pour faire une lieue en nageant? une heure? Eh bien, n'était-il donc pas resté des heures entières à la mer sans reprendre pied sur le rivage! Non, non, Dantès n'avait besoin que d'être encouragé par un exemple. Tout ce qu'un autre a fait ou aurait pu faire, Dantès le fera. Le jeune homme réfléchit un instant.

«J'ai trouvé ce que vous cherchiez», dit-il au vieillard.

Faria tressaillit.

«Vous?

dit-il, et en relevant la tête d'un air qui indiquait que si Dantès disait la vérité, le découragement de son compagnon ne serait pas de longue durée; vous, voyons, qu'avez-vous trouvé? —Le corridor que vous avez percé pour venir de chez vous ici s'étend dans le même sens que la galerie extérieure, n'est-ce pas?

—Oui.

—Il doit n'en être éloigné que d'une quinzaine de pas?

—Tout au plus.

—Eh bien, vers le milieu du corridor nous perçons un chemin formant comme la branche d'une croix.

Cette fois, vous prenez mieux vos mesures. Nous débouchons sur la galerie extérieure. Nous tuons la sentinelle et nous nous évadons. Il ne faut, pour que ce plan réussisse, que du courage, vous en avez; que de la vigueur, je n'en manque pas. Je ne parle pas de la patience, vous avez fait vos preuves et je ferai les miennes. —Un instant, répondit l'abbé; vous n'avez pas su, mon cher compagnon, de quelle espèce est mon courage, et quel emploi je compte faire de ma force.

Quand à la patience, je crois avoir été assez patient en recommençant chaque matin la tâche de la nuit, et chaque nuit la tâche du jour. Mais alors écoutez-moi bien, jeune homme, c'est qu'il me semblait que je servais Dieu, en délivrant une de ses créatures qui, étant innocente, n'avait pu être condamnée. —Eh bien, demanda Dantès, la chose n'en est-elle pas au même point, et vous êtes-vous reconnu coupable depuis que vous m'avez rencontré, dites?

—Non, mais je ne veux pas le devenir.

Jusqu'ici je croyais n'avoir affaire qu'aux choses, voilà que vous me proposez d'avoir affaire aux hommes. J'ai pu percer un mur et détruire un escalier, mais je ne percerai pas une poitrine et ne détruirai pas une existence.» Dantès fit un léger mouvement de surprise.

«Comment, dit-il, pouvant être libre, vous seriez retenu par un semblable scrupule?

—Mais, vous-même, dit Faria, pourquoi n'avez-vous pas un soir assommé votre geôlier avec le pied de votre table, revêtu ses habits et essayé de fuir?

—C'est que l'idée ne m'en est pas venue, dit Dantès.

—C'est que vous avez une telle horreur instinctive pour un pareil crime, une telle horreur que vous n'y avez pas même songé, reprit le vieillard; car dans les choses simples et permises nos appétits naturels nous avertissent que nous ne dévions pas de la ligne de notre droit.

Le tigre, qui verse le sang par nature, dont c'est l'état, la destination, n'a besoin que d'une chose, c'est que son odorat l'avertisse qu'il a une proie à sa portée. Aussitôt, il bondit vers cette proie, tombe dessus et la déchire. C'est son instinct, et il y obéit. Mais l'homme, au contraire, répugne au sang; ce ne sont point les lois sociales qui répugnent au meurtre, ce sont les lois naturelles.» Dantès resta confondu: c'était, en effet, l'explication de ce qui s'était passé à son insu dans son esprit ou plutôt dans son âme, car il y a des pensées qui viennent de la tête, et d'autres qui viennent du cœur.

«Et puis, continua Faria, depuis tantôt douze ans que je suis en prison, j'ai repassé dans mon esprit toutes les évasions célèbres.

Je n'ai vu réussir que rarement les évasions. Les évasions heureuses, les évasions couronnées d'un plein succès, sont les évasions méditées avec soin et lentement préparées; c'est ainsi que le duc de Beaufort s'est échappé du château de Vincennes; l'abbé Dubuquoi du Fort-l'Évêque, et Latude de la Bastille. Il y a encore celles que le hasard peut offrir: celles-là sont les meilleures; attendons une occasion, croyez-moi, et si cette occasion se présente, profitons-en. —Vous avez pu attendre, vous, dit Dantès en soupirant; ce long travail vous faisait une occupation de tous les instants, et quand vous n'aviez pas votre travail pour vous distraire, vous aviez vos espérances pour vous consoler.

—Puis, dit l'abbé, je ne m'occupais point qu'à cela.

—Que faisiez-vous donc?

—J'écrivais ou j'étudiais.

—On vous donne donc du papier, des plumes, de l'encre?

—Non, dit l'abbé, mais je m'en fais.

—Vous vous faites du papier, des plumes et de l'encre?

s'écria Dantès. —Oui.» Dantès regarda cet homme avec admiration; seulement, il avait encore peine à croire ce qu'il disait.

Faria s'aperçut de ce léger doute. «Quand vous viendrez chez moi, lui dit-il, je vous montrerai un ouvrage entier, résultat des pensées, des recherches et des réflexions de toute ma vie, que j'avais médité à l'ombre du Colisée à Rome, au pied de la colonne Saint-Marc à Venise, sur les bords de l'Arno à Florence, et que je ne me doutais guère qu'un jour mes geôliers me laisseraient le loisir d'exécuter entre les quatre murs du château d'If.

C'est un Traité sur la possibilité d'une monarchie générale en Italie . Ce fera un grand volume in-quarto. —Et vous l'avez écrit?

—Sur deux chemises.

J'ai inventé une préparation qui rend le linge lisse et uni comme le parchemin. —Vous êtes donc chimiste.

—Un peu.

J'ai connu Lavoisier et je suis lié avec Cabanis. —Mais, pour un pareil ouvrage, il vous a fallu faire des recherches historiques.

Vous aviez donc des livres? —À Rome, j'avais à peu près cinq mille volumes dans ma bibliothèque.

À force de les lire et de les relire, j'ai découvert qu'avec cent cinquante ouvrages bien choisis on a, sinon le résumé complet des connaissances humaines, du moins tout ce qu'il est utile à un homme de savoir. J'ai consacré trois années de ma vie à lire et à relire ces cent cinquante volumes, de sorte que je les savais à peu près par cœur lorsque j'ai été arrêté. Dans ma prison, avec un léger effort de mémoire, je me les suis rappelés tout à fait. Ainsi pourrais-je vous réciter Thucydide, Xénophon, Plutarque, Tite-Live, Tacite, Strada, Jornandès, Dante, Montaigne, Shakespeare, Spinosa, Machiavel et Bossuet. Je ne vous cite que les plus importants. —Mais vous savez donc plusieurs langues?

—Je parle cinq langues vivantes, l'allemand, le français, l'italien, l'anglais et l'espagnol; à l'aide du grec ancien je comprends le grec moderne; seulement je le parle mal, mais je l'étudie en ce moment.

—Vous l'étudiez?

dit Dantès.

—Oui, je me suis fait un vocabulaire des mots que je sais, je les ai arrangés, combinés, tournés et retournés, de façon qu'ils puissent me suffire pour exprimer ma pensée.

Je sais à peu près mille mots, c'est tout ce qu'il me faut à la rigueur, quoiqu'il y en ait cent mille, je crois, dans les dictionnaires. Seulement, je ne serai pas éloquent, mais je me ferai comprendre à merveille et cela me suffit.» De plus en plus émerveillé, Edmond commençait à trouver presque surnaturelles les facultés de cet homme étrange; il voulut le trouver en défaut sur un point quelconque, il continua:

«Mais si l'on ne vous a pas donné de plumes, dit-il avec quoi avez-vous pu écrire ce traité si volumineux?

—Je m'en suis fait d'excellentes, et que l'on préférerait aux plumes ordinaires si la matière était connue, avec les cartilages des têtes de ces énormes merlans que l'on nous sert quelquefois pendant les jours maigres.

Aussi vois-je toujours arriver les mercredis, les vendredis et les samedis avec grand plaisir, car ils me donnent l'espérance d'augmenter ma provision de plumes, et mes travaux historiques sont, je l'avoue, ma plus douce occupation. En descendant dans le passé, j'oublie le présent; en marchant libre et indépendant dans l'histoire, je ne me souviens plus que je suis prisonnier. —Mais de l'encre?

dit Dantès, avec quoi vous êtes-vous fait de l'encre? —Il y avait autrefois une cheminée dans mon cachot, dit Faria; cette cheminée a été bouchée quelque temps avant mon arrivée, sans doute, mais pendant de longues années on y avait fait du feu: tout l'intérieur en est donc tapissé de suie.

Je fais dissoudre cette suie dans une portion du vin qu'on me donne tous les dimanches, cela me fournit de l'encre excellente. Pour les notes particulières, et qui ont besoin d'attirer les yeux, je me pique les doigts et j'écris avec mon sang. —Et quand pourrai-je voir tout cela?

demanda Dantès. —Quand vous voudrez, répondit Faria.

—Oh!

tout de suite! s'écria le jeune homme. —Suivez-moi donc», dit l'abbé.

Et il rentra dans le corridor souterrain où il disparut.

Dantès le suivit.


16. Un savant italien 16. An Italian scholar 16. Een Italiaanse geleerde

Dantès prit dans ses bras ce nouvel ami, si longtemps et si impatiemment attendu, et l’attira vers sa fenêtre, afin que le peu de jour qui pénétrait dans le cachot l’éclairât tout entier. Dantes took in his arms this new friend, so long and so impatiently awaited, and drew him to his window, so that the few days that penetrated into the dungeon would light him up entirely.

C’était un personnage de petite taille, aux cheveux blanchis par la peine plutôt que par l’âge, à l’œil pénétrant caché sous d’épais sourcils qui grisonnaient, à la barbe encore noire et descendant jusque sur sa poitrine: la maigreur de son visage creusé par des rides profondes, la ligne hardie de ses traits caractéristiques, révélaient un homme plus habitué à exercer ses facultés morales que ses forces physiques. He was a man of short stature, his hair white with pain rather than age, with the penetrating eye hidden under thick eyebrows that grizzled, his beard still black and down to his chest: the thinness his face, hollowed by deep wrinkles, the bold line of his characteristic features, revealed a man more accustomed to exercising his moral faculties than his physical forces.

Le front du nouveau venu était couvert de sueur. The newcomer's forehead was covered with sweat. Quand à son vêtement, il était impossible d’en distinguer la forme primitive, car il tombait en lambeaux. As for his garment, it was impossible to distinguish the primitive form, for it was falling to pieces.

Il paraissait avoir soixante-cinq ans au moins, quoiqu’une certaine vigueur dans les mouvements annonçât qu’il avait moins d’années peut-être que n’en accusait une longue captivité. He appeared to be at least sixty-five years old, although a certain vigor in the movements announced that he had less years, perhaps, than a long captivity.

Il accueillit avec une sorte de plaisir les protestations enthousiastes du jeune homme; son âme glacée sembla, pour un instant, se réchauffer et se fondre au contact de cette âme ardente. He received with a kind of pleasure the enthusiastic protests of the young man; his frozen soul seemed, for a moment, to warm up and melt in contact with this ardent soul.

Il le remercia de sa cordialité avec une certaine chaleur, quoique sa déception eût été grande de trouver un second cachot où il croyait rencontrer la liberté. He thanked him for his cordiality with a certain warmth, although his disappointment would have been great to find a second dungeon where he thought he would meet liberty. «Voyons d’abord, dit-il, s’il y a moyen de faire disparaître aux yeux de vos geôliers les traces de mon passage. "Let us first see," he said, "if there is a way to make the traces of my passage disappear in the eyes of your jailers.

Toute notre tranquillité à venir est dans leur ignorance de ce qui s’est passé.» All our future tranquility is in their ignorance of what has happened. " Alors il se pencha vers l’ouverture, prit la pierre, qu’il souleva facilement malgré son poids, et la fit entrer dans le trou. Then he leaned toward the opening, took the stone, which he easily lifted in spite of its weight, and made it enter the hole.

«Cette pierre a été descellée bien négligemment, dit-il en hochant la tête: vous n’avez donc pas d’outils? "This stone has been loosened very carelessly," he said, shaking his head. "So you have no tools?

—Et vous, demanda Dantès avec étonnement, en avez-vous donc? "And you," said Dantes, with astonishment, "do you have any?

—Je m’en suis fait quelques-uns. -I made some of them.

Excepté une lime, j’ai tout ce qu’il me faut, ciseau, pince, levier. Except for a file, I have everything I need, chisel, pliers, lever. —Oh! -Oh!

je serais curieux de voir ces produits de votre patience et de votre industrie, dit Dantès. I would be curious to see these products of your patience and your industry, "said Dantes. —Tenez, voici d’abord un ciseau.» "Here is a scissors first."

Et il lui montra une lame forte et aiguë emmanchée dans un morceau de bois de hêtre. And he showed him a strong, sharp blade fitted into a piece of beech wood.

«Avec quoi avez-vous fait cela? "What did you do with that?

dit Dantès. said Dantes.

—Avec une des fiches de mon lit. -With one of the sheets of my bed.

C’est avec cet instrument que je me suis creusé tout le chemin qui m’a conduit jusqu’ici; cinquante pieds à peu près. It was with this instrument that I dug myself all the way that led me here; fifty feet or so. —Cinquante pieds! "Fifty feet!"

s’écria Dantès avec une espèce de terreur. cried Dantes with a sort of terror. —Parlez plus bas, jeune homme, parlez plus bas; souvent il arrive qu’on écoute aux portes des prisonniers. "Speak further, young man, speak below; often it happens that we listen to the doors of prisoners.

—On me sait seul. -I know me alone.

—N’importe. -Anything.

—Et vous dites que vous avez percé cinquante pieds pour arriver jusqu’ici? "And you say you drilled fifty feet to get here?"

—Oui, telle est à peu près la distance qui sépare ma chambre de la vôtre; seulement j’ai mal calculé ma courbe, faute d’instrument de géométrie pour dresser mon échelle de proportion; au lieu de quarante pieds d’ellipse, il s’en est rencontré cinquante; je croyais, ainsi que je vous l’ai dit, arriver jusqu’au mur extérieur, percer ce mur et me jeter à la mer. -Yes, that's about the distance between my room and yours; only I have miscalculated my curve, for want of an instrument of geometry to draw up my scale of proportion; instead of forty feet of ellipse, he met fifty; I thought, as I told you, to reach the outer wall, pierce this wall and throw myself into the sea.

J’ai longé le corridor, contre lequel donne votre chambre, au lieu de passer dessous; tout mon travail est perdu, car ce corridor donne sur une cour pleine de gardes. I went along the corridor, against which your room gives way, instead of passing under it; all my work is lost, because this corridor overlooks a courtyard full of guards. —C’est vrai, dit Dantès; mais ce corridor ne longe qu’une face de ma chambre, et ma chambre en a quatre. "That's true," said Dantes; but this corridor runs along only one side of my room, and my room has four.

—Oui, sans doute, mais en voici d’abord une dont le rocher fait la muraille; il faudrait dix années de travail à dix mineurs munis de tous leurs outils pour percer le rocher; cette autre doit être adossée aux fondations de l’appartement du gouverneur; nous tomberions dans les caves qui ferment évidemment à la clef et nous serions pris; l’autre face donne, attendez donc, où donne l’autre face? "Yes, no doubt, but here is one of them whose rock is the wall; it would take ten years of work for ten miners with all their tools to pierce the rock; this other must be leaning against the foundations of the governor's apartment; we would fall into the cellars which obviously close to the key and we would be taken; the other side gives, wait then, where gives the other face?

Cette face était celle où était percée la meurtrière à travers laquelle venait le jour: cette meurtrière, qui allait toujours en se rétrécissant jusqu’au moment où elle donnait entrée au jour, et par laquelle un enfant n’aurait certes pas pu passer, était en outre garnie par trois rangs de barreaux de fer qui pouvaient rassurer sur la crainte d’une évasion par ce moyen le geôlier le plus soupçonneux. This face was where the murderer through which the day came was pierced: this murderer, who was always narrowing until the moment when she gave birth to the day, and by which a child would certainly not have been able to pass, was besides, furnished with three rows of bars of iron, which could reassure the most suspicious jailer of the fear of an escape by this means. На этом лице был убит убийца, через который наступил день: этот убийца, который всегда суживался до того момента, когда она родила день и которым ребенок, конечно, не смог бы пройти, был кроме того, снабжены тремя рядами железных прутьев, которые могли бы успокоить самого подозрительного тюремщика страха побега этим путем.

Et le nouveau venu, en faisant cette question, traîna la table au-dessous de la fenêtre. And the newcomer, in making this question, dragged the table under the window.

«Montez sur cette table» dit-il à Dantès. "Get on this table," he said to Dantes.

Dantès obéit, monta sur la table, et, devinant les intentions de son compagnon, appuya le dos au mur et lui présenta les deux mains. Dantes obeyed, went up to the table, and, guessing the intentions of his companion, leaned his back against the wall, and presented him with both hands.

Celui qui s’était donné le nom du numéro de sa chambre, et dont Dantès ignorait encore le véritable nom, monta alors plus lestement que n’eût pu le faire présager son âge, avec une habileté de chat ou de lézard, sur la table d’abord, puis de la table sur les mains de Dantès, puis de ses mains sur ses épaules; ainsi courbé en deux, car la voûte du cachot l’empêchait de se redresser, il glissa sa tête entre le premier rang de barreaux, et put plonger alors de haut en bas. He who had given himself the name of the number of his room, and of which Dantes still did not know the real name, mounted then more quickly than could have made his age, with a skill of cat or lizard, on the table first, then of the table on the hands of Dantes, then of his hands on his shoulders; so curved in two, for the vault of the dungeon prevented him from straightening himself up, he slipped his head between the first row of bars, and could then plunge up and down.

Un instant après, il retira vivement la tête. A moment later, he hastily withdrew his head.

«Oh! "Oh!

oh! dit-il, je m’en étais douté.» he said, I had doubted it. " Et il se laissa glisser le long du corps de Dantès sur la table, et de la table sauta à terre. And he slid down the body of Dantes on the table, and from the table jumped to the ground.

«De quoi vous étiez-vous douté?» demanda le jeune homme anxieux, en sautant à son tour auprès de lui. "What did you doubt?" Asked the anxious young man, jumping in his turn beside him.

Le vieux prisonnier méditait. The old prisoner meditated.

«Oui, dit-il, c’est cela; la quatrième face de votre cachot donne sur une galerie extérieure, espèce de chemin de ronde où passent les patrouilles et où veillent des sentinelles. "Yes," said he, "that is it; the fourth face of your dungeon opens on an outer gallery, a sort of rampart where patrols pass and sentinels watch.

—Vous en êtes sûr? -Are you sure?

—J’ai vu le shako du soldat et le bout de son fusil et je ne me suis retiré si vivement que de peur qu’il ne m’aperçût moi-même. "I saw the soldier's shako and the end of his rifle, and I only retreated so violently that I was afraid he would see me.

—Eh bien? -Well?

dit Dantès. said Dantes.

—Vous voyez bien qu’il est impossible de fuir par votre cachot. "You can see that it is impossible to escape by your dungeon.

—Alors? -So?

continua le jeune homme avec un accent interrogateur. continued the young man with a questioning accent. —Alors, dit le vieux prisonnier, que la volonté de Dieu soit faite!» "Then," said the old prisoner, "may the will of God be done!"

Et une teinte de profonde résignation s’étendit sur les traits du vieillard. And a tinge of deep resignation spread over the features of the old man.

Dantès regarda cet homme qui renonçait ainsi et avec tant de philosophie à une espérance nourrie depuis si longtemps, avec un étonnement mêlé d’admiration. Dantes looked at this man who renounced thus and with so much philosophy to a hope nourished for so long, with astonishment mingled with admiration.

«Maintenant, voulez-vous me dire qui vous êtes? "Now, do you want to tell me who you are?

demanda Dantès. asked Dantes. —Oh! -Oh!

mon Dieu, oui, si cela peut encore vous intéresser, maintenant que je ne puis plus vous être bon à rien. My God, yes, if it still interests you, now that I can no longer be good for anything. —Vous pouvez être bon à me consoler et à me soutenir, car vous me semblez fort parmi les forts.» "You can be good at comforting me and supporting me, for you seem strong among the strong."

L’abbé sourit tristement. The abbot smiled sadly.

«Je suis l’abbé Faria, dit-il, prisonnier depuis 1811, comme vous le savez, au château d’If; mais j’étais depuis trois ans renfermé dans la forteresse de Fenestrelle. "I am the Abbe Faria," he said, "a prisoner since 1811, as you know, at the Chateau d'If; but for three years I had been shut up in the fortress of Fenestrelle.

En 1811, on m’a transféré du Piémont en France. In 1811, I was transferred from Piedmont to France. C’est alors que j’ai appris que la destinée, qui, à cette époque, lui semblait soumise, avait donné un fils à Napoléon, et que ce fils au berceau avait été nommé roi de Rome. It was then that I learned that destiny, which at that time seemed to him submissive, had given a son to Napoleon, and that this son in the cradle had been appointed King of Rome. J’étais loin de me douter alors de ce que vous m’avez dit tout à l’heure: c’est que, quatre ans plus tard, le colosse serait renversé. I was far from suspecting then of what you told me a moment ago: that four years later, the colossus would be overthrown. Qui règne donc en France? Who reigns in France? Est-ce Napoléon II? Is it Napoleon II? —Non, c’est Louis XVIII. “No, it's Louis XVIII.

—Louis XVIII, le frère de Louis XVI, les décrets du ciel sont étranges et mystérieux. -Louis XVIII, the brother of Louis XVI, the decrees of heaven are strange and mysterious.

Quelle a donc été l’intention de la Providence en abaissant l’homme qu’elle avait élevé et en élevant celui qu’elle avait abaissé?» What, then, was the intention of Providence in lowering the man whom she had raised and raising the man whom she had lowered? Dantès suivait des yeux cet homme qui oubliait un instant sa propre destinée pour se préoccuper ainsi des destinées du monde. Dantes followed with his eyes this man who for a moment forgot his own destiny, so to be concerned about the destinies of the world.

«Oui, oui, continua-t-il, c’est comme en Angleterre: après Charles Ier, Cromwell, après Cromwell, Charles II, et peut-être après Jacques II, quelque gendre, quelque parent, quelque prince d’Orange; un stathouder qui se fera roi; et alors de nouvelles concessions au peuple, alors une constitution alors la liberté! "Yes, yes," he continued, "as in England; after Charles I., Cromwell, after Cromwell, Charles II, and perhaps after James II, some son-in-law, some relative, some prince of Orange; a stadtholder who will become king; and then new concessions to the people, then a constitution then freedom!

Vous verrez cela, jeune homme, dit-il en se retournant vers Dantès, et en le regardant avec des yeux brillants et profonds, comme en devaient avoir les prophètes. You will see that, young man, "he said, turning to Dantes, and looking at him with bright, deep eyes, as the prophets must have been. Vous êtes encore d’âge à le voir, vous  verrez  cela. You are still old enough to see it, you will see that. —Oui, si je sors d’ici. -Yes, if I get out of here.

—Ah c’est juste, dit l’abbé Faria. "Ah, that's right," said Father Faria.

Nous sommes prisonniers; il y a des moments où je l’oublie, et où, parce que mes yeux percent les murailles qui m’enferment, je me crois en liberté. We are prisoners; there are moments when I forget it, and where, because my eyes pierce the walls that enclose me, I believe myself in freedom. —Mais pourquoi êtes-vous enfermé, vous? "But why are you shut up?

—Moi? -Me?

parce que j’ai rêvé en 1807 le projet que Napoléon a voulu réaliser en 1811; parce que, comme Machiavel, au milieu de tous ces principicules qui faisaient de l’Italie un nid de petits royaumes tyranniques et faibles, j’ai voulu un grand et seul empire, compact et fort: parce que j’ai cru trouver mon César Borgia dans un niais couronné qui a fait semblant de me comprendre pour me mieux trahir. because I dreamed in 1807 the project that Napoleon wanted to achieve in 1811; because, like Machiavelli, in the midst of all these principles which made Italy a nest of small tyrannical and weak kingdoms, I wanted a great and only empire, compact and strong: because I thought I was finding my Caesar Borgia in a crowned filly who pretended to understand me to better betray me. C’était le projet d’Alexandre VI et de Clément VII; il échouera toujours, puisqu’ils l’ont entrepris inutilement et que Napoléon n’a pu l’achever; décidément l’Italie est maudite!» It was the project of Alexander VI and Clement VII; he will always fail, since they have undertaken it in vain, and Napoleon has not been able to finish it; definitely Italy is cursed! " Et le vieillard baissa la tête. And the old man lowered his head.

Dantès ne comprenait pas comment un homme pouvait risquer sa vie pour de pareils intérêts; il est vrai que s’il connaissait Napoléon pour l’avoir vu et lui avoir parlé, il ignorait complètement, en revanche, ce que c’étaient que Clément VII et Alexandre VI. Dantes did not understand how a man could risk his life for such interests; it is true that if he knew Napoleon for having seen and spoken to him, he was completely ignorant, on the other hand, of what Clement VII and Alexander VI.

«N’êtes-vous pas, dit Dantès, commençant à partager l’opinion de son geôlier, qui était l’opinion générale au château d’If, le prêtre que l’on croit... malade? "Are you not," said Dantes, beginning to share the opinion of his jailer, who was the general opinion at the Chateau d'If, the priest who is supposed to be sick?

—Que l’on croit fou, vous voulez dire, n’est-ce pas? -What one believes crazy, you mean, is not it?

—Je n’osais, dit Dantès en souriant. "I did not dare," said Dantes, smiling.

—Oui, oui, continua Faria avec un rire amer; oui, c’est moi qui passe pour fou; c’est moi qui divertis depuis si longtemps les hôtes de cette prison, et qui réjouirais les petits enfants, s’il y avait des enfants dans le séjour de la douleur sans espoir.» "Yes, yes," continued Faria, with a bitter laugh; yes, it's me who goes crazy; it was I who entertained the guests of this prison for so long, and who would delight little children, if there were children in the abode of hopeless grief. "

Dantès demeura un instant immobile et muet. Dantes remained for a moment motionless and mute.

«Ainsi, vous renoncez à fuir? "So you give up on running?

lui dit-il. he said to him. —Je vois la fuite impossible; c’est se révolter contre Dieu que de tenter ce que Dieu ne veut pas qui s’accomplisse. -I see the escape impossible; it is to revolt against God to attempt what God does not want to do.

—Pourquoi vous décourager? -Why do you discourage?

ce serait trop demander aussi à la Providence que de vouloir réussir du premier coup. it would be too much to ask Providence to want to succeed on the first try. Ne pouvez-vous pas recommencer dans un autre sens ce que vous avez fait dans celui-ci? Can not you repeat in another way what you did in this one? —Mais savez-vous ce que j’ai fait, pour parler ainsi de recommencer? "But do you know what I did, so to speak again?

Savez-vous qu’il m’a fallu quatre ans pour faire les outils que je possède? Do you know that it took me four years to do the tools I own? Savez-vous que depuis deux ans je gratte et creuse une terre dure comme le granit? Do you know that for two years I have been scratching and digging hard earth like granite? Savez-vous qu’il m’a fallu déchausser des pierres qu’autrefois je n’aurais pas cru pouvoir remuer, que des journées tout entières se sont passées dans ce labeur titanique et que parfois, le soir, j’étais heureux quand j’avais enlevé un pouce carré de ce vieux ciment, devenu aussi dur que la pierre elle-même? Do you know that I had to remove stones that I once thought I could not move, that whole days were spent in this titanic work and that sometimes, in the evening, I was happy when I had removed a square inch of this old cement, which had become as hard as the stone itself? Savez-vous, savez-vous que pour loger toute cette terre et toutes ces pierres que j’enterrais, il m’a fallu percer la voûte d’un escalier, dans le tambour duquel tous ces décombres ont été tour à tour ensevelis, si bien qu’aujourd’hui le tambour est plein, et que je ne saurais plus où mettre une poignée de poussière? Do you know that, in order to house all this earth and all the stones that I bury, I had to pierce the vault of a staircase, in the drum of which all these rubbish were alternately buried, if Although today the drum is full, and I do not know where to put a handful of dust? Savez-vous, enfin, que je croyais toucher au but de tous mes travaux, que je me sentais juste la force d’accomplir cette tâche, et que voilà que Dieu non seulement recule ce but, mais le transporte je ne sais où? Do you know, at last, that I thought I was touching the point of all my labors, that I felt just the strength to accomplish this task, and that now God is not only retreating this goal, but carrying it I do not know where? Ah! je vous le dis, je vous le répète, je ne ferai plus rien désormais pour essayer de reconquérir ma liberté, puisque la volonté de Dieu est qu’elle soit perdue à tout jamais.» I tell you, I repeat, I will do nothing now to try to reclaim my freedom, since the will of God is to be lost forever. " Edmond baissa la tête pour ne pas avouer à cet homme que la joie d’avoir un compagnon l’empêchait de compatir, comme il eût dû, à la douleur qu’éprouvait le prisonnier de n’avoir pu se sauver. Edmond lowered his head not to confess to this man that the joy of having a companion prevented him from sympathizing, as he ought, with the prisoner's grief at not having been able to escape.

L’abbé Faria se laissa aller sur le lit d’Edmond, et Edmond resta debout. Father Faria sank on Edmond's bed, and Edmond remained standing.

Le jeune homme n’avait jamais songé à la fuite. The young man had never thought of flight.

Il y a de ces choses qui semblent tellement impossibles qu’on n’a pas même l’idée de les tenter et qu’on les évite d’instinct. There are things that seem so impossible that we do not even have the idea of ​​tempting them and avoiding them instinctively. Creuser cinquante pieds sous la terre, consacrer à cette opération un travail de trois ans pour arriver, si on réussit, à un précipice donnant à pic sur la mer; se précipiter de cinquante, de soixante, de cent pieds peut-être, pour s’écraser, en tombant, la tête sur quelque rocher, si la balle des sentinelles ne vous a point déjà tué auparavant; être obligé, si l’on échappe à tous ces dangers, de faire en nageant une lieue, c’en était trop pour qu’on ne se résignât point, et nous avons vu que Dantès avait failli pousser cette résignation jusqu’à la mort. Dig fifty feet under the ground, devote to this operation a work of three years to arrive, if you succeed, to a precipice overlooking the sea; to rush fifty, sixty, perhaps a hundred feet, to crash, falling, head on some rock, if the bullet sentinels has not already killed you before; to be obliged, if we escape all these dangers, to swim a league, it was too much for us not to resign ourselves, and we have seen that Dantes had almost pushed this resignation to death . Mais maintenant que le jeune homme avait vu un vieillard se cramponner à la vie avec tant d’énergie et lui donner l’exemple des résolutions désespérées, il se mit à réfléchir et à mesurer son courage. But now that the young man had seen an old man cling to life with so much energy and give him the example of desperate resolution, he began to think and measure his courage.

Un autre avait tenté ce qu’il n’avait pas même eu l’idée de faire; un autre, moins jeune, moins fort, moins adroit que lui, s’était procuré, à force d’adresse et de patience, tous les instruments dont il avait besoin pour cette incroyable opération, qu’une mesure mal prise avait pu seule faire échouer: un autre avait fait tout cela, rien n’était donc impossible à Dantès: Faria avait percé cinquante pieds, il en percerait cent, Faria, à cinquante ans, avait mis trois ans à son œuvre; il n’avait que la moitié de l’âge de Faria, lui, il en mettrait six; Faria, abbé, savant, homme d’Église, n’avait pas craint de risquer la traversée du château d’If à l’île de Daume, de Ratonneau ou de Lemaire; lui, Edmond le marin, lui, Dantès le hardi plongeur, qui avait été si souvent chercher une branche de corail au fond de la mer, hésiterait-il donc à faire une lieue en nageant? Another had tried what he had not even thought of doing; another, less young, less strong, less skilful than he, had obtained, by dint of skill and patience, all the instruments which he needed for this incredible operation, which an ill-taken measure had been able alone to to fail: another had done all this, so nothing was impossible for Dantes: Faria had pierced fifty feet, he would pierce a hundred, Faria, at fifty, had taken three years to his work; he was only half the age of Faria, he would put six; Faria, abbot, scholar, and clergyman, had not feared risking the crossing of the Chateau d'If at the Isle of Daume, Ratonneau, or Lemaire; he, Edmond the sailor, him, Dantes the daring diver, who had so often been searching for a branch of coral at the bottom of the sea, would he hesitate to make a league while swimming? que fallait-il pour faire une lieue en nageant? what did it take to swim a league? une heure? one hour? Eh bien, n’était-il donc pas resté des heures entières à la mer sans reprendre pied sur le rivage! Well, had not he stayed for hours at sea without getting back on the shore! Non, non, Dantès n’avait besoin que d’être encouragé par un exemple. No, no, Dantes only needed to be encouraged by an example. Tout ce qu’un autre a fait ou aurait pu faire, Dantès le fera. Everything else Dantès did or could have done, Dantes will do. Le jeune homme réfléchit un instant. The young man thinks for a moment.

«J’ai trouvé ce que vous cherchiez», dit-il au vieillard. "I found what you were looking for," he says to the old man.

Faria tressaillit. Faria flinched.

«Vous? "You?

dit-il, et en relevant la tête d’un air qui indiquait que si Dantès disait la vérité, le découragement de son compagnon ne serait pas de longue durée; vous, voyons, qu’avez-vous trouvé? he said, and raising his head with an air which indicated that if Dantes said the truth, the discouragement of his companion would not be of long duration; you see, what did you find? —Le corridor que vous avez percé pour venir de chez vous ici s’étend dans le même sens que la galerie extérieure, n’est-ce pas? "The corridor you came from here extends in the same direction as the outer gallery, does it not? «Коридор, откуда вы пришли, простирается в том же направлении, что и внешняя галерея, не так ли?

—Oui.

—Il doit n’en être éloigné que d’une quinzaine de pas? -It must be removed from it by a dozen steps?

—Tout au plus. -At most.

—Eh bien, vers le milieu du corridor nous perçons un chemin formant comme la branche d’une croix. -Well, towards the middle of the corridor, we are going through a path forming the branch of a cross.

Cette fois, vous prenez mieux vos mesures. This time, you better take your measurements. Nous débouchons sur la galerie extérieure. We arrive at the outer gallery. Nous tuons la sentinelle et nous nous évadons. We kill the sentry and we escape. Il ne faut, pour que ce plan réussisse, que du courage, vous en avez; que de la vigueur, je n’en manque pas. In order for this plan to succeed, you must have courage, you have it; that vigor, I do not miss it. Je ne parle pas de la patience, vous avez fait vos preuves et je ferai les miennes. I do not speak of patience, you have proved yourself and I will do mine. —Un instant, répondit l’abbé; vous n’avez pas su, mon cher compagnon, de quelle espèce est mon courage, et quel emploi je compte faire de ma force. "One moment," replied the abbe; you have not known, my dear companion, what species is my courage, and what a job I intend to do with my strength.

Quand à la patience, je crois avoir été assez patient en recommençant chaque matin la tâche de la nuit, et chaque nuit la tâche du jour. As for patience, I think I have been patient enough, beginning every morning the task of the night, and every night the task of the day. Mais alors écoutez-moi bien, jeune homme, c’est qu’il me semblait que je servais Dieu, en délivrant une de ses créatures qui, étant innocente, n’avait pu être condamnée. But then listen to me, young man, because it seemed to me that I was serving God, by delivering one of his creatures who, being innocent, could not have been condemned. —Eh bien, demanda Dantès, la chose n’en est-elle pas au même point, et vous êtes-vous reconnu coupable depuis que vous m’avez rencontré, dites? "Well," said Dantes, "is it not the same thing, and have you been guilty since you met me?

—Non, mais je ne veux pas le devenir. -No, but I do not want to become one.

Jusqu’ici je croyais n’avoir affaire qu’aux choses, voilà que vous me proposez d’avoir affaire aux hommes. Until now I thought I was dealing only with things, and now you are proposing to me to deal with men. J’ai pu percer un mur et détruire un escalier, mais je ne percerai pas une poitrine et ne détruirai pas une existence.» I was able to break a wall and destroy a staircase, but I will not pierce a chest and destroy an existence. " Dantès fit un léger mouvement de surprise. Dantes made a slight movement of surprise.

«Comment, dit-il, pouvant être libre, vous seriez retenu par un semblable scrupule? "How," he said, "could be free, you would be restrained by such a scruple?

—Mais, vous-même, dit Faria, pourquoi n’avez-vous pas un soir assommé votre geôlier avec le pied de votre table, revêtu ses habits et essayé de fuir? "But you yourself," said Faria, "why did not you one night stun your jailer with the foot of your table, put on his clothes, and try to flee?

—C’est que l’idée ne m’en est pas venue, dit Dantès. "It's because the idea did not come to me," said Dantes.

—C’est que vous avez une telle horreur instinctive pour un pareil crime, une telle horreur que vous n’y avez pas même songé, reprit le vieillard; car dans les choses simples et permises nos appétits naturels nous avertissent que nous ne dévions pas de la ligne de notre droit. "It is because you have such an instinctive horror of such a crime, such horror, that you have not even thought of it," said the old man; for in the simple and permissible things our natural appetites warn us that we are not deviating from the line of our right.

Le tigre, qui verse le sang par nature, dont c’est l’état, la destination, n’a besoin que d’une chose, c’est que son odorat l’avertisse qu’il a une proie à sa portée. The tiger, who pours the blood by nature, of which it is the state, the destination, needs only one thing; it is because his sense of smell warns him that he has a prey within his reach. Aussitôt, il bondit vers cette proie, tombe dessus et la déchire. Immediately, he leaps towards this prey, falls on it and tears it. C’est son instinct, et il y obéit. It is his instinct, and he obeys it. Mais l’homme, au contraire, répugne au sang; ce ne sont point les lois sociales qui répugnent au meurtre, ce sont les lois naturelles.» But man, on the contrary, is loath to blood; it is not the social laws that are repugnant to murder, they are the natural laws. " Dantès resta confondu: c’était, en effet, l’explication de ce qui s’était passé à son insu dans son esprit ou plutôt dans son âme, car il y a des pensées qui viennent de la tête, et d’autres qui viennent du cœur. Dantes remained confused: it was, indeed, the explanation of what had happened without his knowledge in his mind or rather in his soul, because there are thoughts that come from the head, and others that come from the heart.

«Et puis, continua Faria, depuis tantôt douze ans que je suis en prison, j’ai repassé dans mon esprit toutes les évasions célèbres. "And then," Faria continued, "for twelve years now that I have been in prison, I have ironed in my mind all the famous escapes.

Je n’ai vu réussir que rarement les évasions. I have rarely seen escapes. Les évasions heureuses, les évasions couronnées d’un plein succès, sont les évasions méditées avec soin et lentement préparées; c’est ainsi que le duc de Beaufort s’est échappé du château de Vincennes; l’abbé Dubuquoi du Fort-l’Évêque, et Latude de la Bastille. Happy escapes, escapes crowned with complete success, are escapes carefully meditated and slowly prepared; it is thus that the duke of Beaufort escaped from the castle of Vincennes; Abbot Dubuquoi of Fort L'Evêque, and Latude de la Bastille. Il y a encore celles que le hasard peut offrir: celles-là sont les meilleures; attendons une occasion, croyez-moi, et si cette occasion se présente, profitons-en. There are still those that chance can offer: those are the best; let's wait for an opportunity, believe me, and if this opportunity arises, let's take advantage of it. —Vous avez pu attendre, vous, dit Dantès en soupirant; ce long travail vous faisait une occupation de tous les instants, et quand vous n’aviez pas votre travail pour vous distraire, vous aviez vos espérances pour vous consoler. "You have been able to wait," said Dantes, sighing; this long work made you an occupation at all times, and when you did not have your work to distract you, you had your hopes to console you.

—Puis, dit l’abbé, je ne m’occupais point qu’à cela. "Then," said the abbe, "I did not occupy myself with anything but that.

—Que faisiez-vous donc? -What did you do?

—J’écrivais ou j’étudiais. “I was writing or studying.

—On vous donne donc du papier, des plumes, de l’encre? "Are you giving us paper, feathers, ink?

—Non, dit l’abbé, mais je m’en fais. "No," said the abbe, "but I am worried.

—Vous vous faites du papier, des plumes et de l’encre? -Do you make paper, feathers and ink?

s’écria Dantès. exclaimed Dantes. —Oui.» Dantès regarda cet homme avec admiration; seulement, il avait encore peine à croire ce qu’il disait. "Yes." Dantes looked at this man with admiration; only he still could not believe what he was saying.

Faria s’aperçut de ce léger doute. Faria noticed this slight doubt. «Quand vous viendrez chez moi, lui dit-il, je vous montrerai un ouvrage entier, résultat des pensées, des recherches et des réflexions de toute ma vie, que j’avais médité à l’ombre du Colisée à Rome, au pied de la colonne Saint-Marc à Venise, sur les bords de l’Arno à Florence, et que je ne me doutais guère qu’un jour mes geôliers me laisseraient le loisir d’exécuter entre les quatre murs du château d’If. "When you come to my house," said he, "I will show you an entire work, the result of the thoughts, the researches, and the reflections of my whole life, which I meditated in the shade of the Colosseum at Rome, at the foot of the column of St. Mark at Venice, on the banks of the Arno at Florence, and that I hardly suspected that one day my jailers would leave me the leisure to execute between the four walls of the castle of If.

C’est un  Traité sur la possibilité d’une monarchie générale en Italie . It is a treatise on the possibility of a general monarchy in Italy. Ce fera un grand volume in-quarto. This will make a great quarto volume. —Et vous l’avez écrit? "And you wrote it down?"

—Sur deux chemises. -On two shirts.

J’ai inventé une préparation qui rend le linge lisse et uni comme le parchemin. I invented a preparation that makes the laundry smooth and even like parchment. —Vous êtes donc chimiste. -You are therefore a chemist.

—Un peu. -A little.

J’ai connu Lavoisier et je suis lié avec Cabanis. I knew Lavoisier and I am linked with Cabanis. —Mais, pour un pareil ouvrage, il vous a fallu faire des recherches historiques. -But, for such a work, you have had to do historical research.

Vous aviez donc des livres? So you had books? —À Rome, j’avais à peu près cinq mille volumes dans ma bibliothèque. “In Rome I had about five thousand volumes in my library.

À force de les lire et de les relire, j’ai découvert qu’avec cent cinquante ouvrages bien choisis on a, sinon le résumé complet des connaissances humaines, du moins tout ce qu’il est utile à un homme de savoir. By reading and re-reading them, I have discovered that with one hundred and fifty well-chosen works one has, if not the complete summary of human knowledge, at least all that it is useful for a man to know. J’ai consacré trois années de ma vie à lire et à relire ces cent cinquante volumes, de sorte que je les savais à peu près par cœur lorsque j’ai été arrêté. I spent three years of my life reading and rereading these one hundred and fifty volumes, so that I knew them almost by heart when I was arrested. Dans ma prison, avec un léger effort de mémoire, je me les suis rappelés tout à fait. In my prison, with a slight memory effort, I remembered them completely. Ainsi pourrais-je vous réciter Thucydide, Xénophon, Plutarque, Tite-Live, Tacite, Strada, Jornandès, Dante, Montaigne, Shakespeare, Spinosa, Machiavel et Bossuet. Thus may I recite Thucydides, Xenophon, Plutarch, Livy, Tacitus, Strada, Jornandes, Dante, Montaigne, Shakespeare, Spinosa, Machiavelli, and Bossuet. Je ne vous cite que les plus importants. I will only give you the most important ones. —Mais vous savez donc plusieurs langues? "But do you know several languages?"

—Je parle cinq langues vivantes, l’allemand, le français, l’italien, l’anglais et l’espagnol; à l’aide du grec ancien je comprends le grec moderne; seulement je le parle mal, mais je l’étudie en ce moment. -I speak five living languages, German, French, Italian, English and Spanish; with the help of ancient Greek I understand modern Greek; only I speak it badly, but I study it at this moment.

—Vous l’étudiez? "Are you studying it?"

dit Dantès. said Dantes.

—Oui, je me suis fait un vocabulaire des mots que je sais, je les ai arrangés, combinés, tournés et retournés, de façon qu’ils puissent me suffire pour exprimer ma pensée. -Yes, I made myself a vocabulary of the words that I know, I arranged them, combined, turned and returned, so that they could suffice me to express my thought.

Je sais à peu près mille mots, c’est tout ce qu’il me faut à la rigueur, quoiqu’il y en ait cent mille, je crois, dans les dictionnaires. I know about a thousand words, that's all I need, though there are a hundred thousand, I believe, in the dictionaries. Seulement, je ne serai pas éloquent, mais je me ferai comprendre à merveille et cela me suffit.» Only I will not be eloquent, but I will understand myself perfectly and that is enough for me. " De plus en plus émerveillé, Edmond commençait à trouver presque surnaturelles les facultés de cet homme étrange; il voulut le trouver en défaut sur un point quelconque, il continua: More and more amazed, Edmond began to find the faculties of this strange man almost supernatural; he wanted to find it at fault on some point, he continued:

«Mais si l’on ne vous a pas donné de plumes, dit-il avec quoi avez-vous pu écrire ce traité si volumineux? "But if you have not been given feathers," said he, "with what have you been able to write this voluminous treatise?

—Je m’en suis fait d’excellentes, et que l’on préférerait aux plumes ordinaires si la matière était connue, avec les cartilages des têtes de ces énormes merlans que l’on nous sert quelquefois pendant les jours maigres. "I have made some excellent ones, and one would prefer ordinary feathers if the matter were known, with the cartilage of the heads of those enormous whites that are sometimes served to us during the meager days. «Я сделал несколько превосходных, и можно было бы предпочесть обычные перья, если бы материал был известен, с хрящом голов тех огромных белых, которые иногда подают нам в скудные дни».

Aussi vois-je toujours arriver les mercredis, les vendredis et les samedis avec grand plaisir, car ils me donnent l’espérance d’augmenter ma provision de plumes, et mes travaux historiques sont, je l’avoue, ma plus douce occupation. So I always arrive on Wednesdays, Fridays, and Saturdays with great pleasure, for they give me the hope of increasing my supply of feathers, and my historical labors are, I confess, my sweetest occupation. En descendant dans le passé, j’oublie le présent; en marchant libre et indépendant dans l’histoire, je ne me souviens plus que je suis prisonnier. Going down into the past, I forget the present; by walking free and independent in history, I do not remember that I'm a prisoner. —Mais de l’encre? “But ink?

dit Dantès, avec quoi vous êtes-vous fait de l’encre? said Dantès, what have you made ink with? —Il y avait autrefois une cheminée dans mon cachot, dit Faria; cette cheminée a été bouchée quelque temps avant mon arrivée, sans doute, mais pendant de longues années on y avait fait du feu: tout l’intérieur en est donc tapissé de suie. "There used to be a fireplace in my dungeon," said Faria; this chimney was closed some time before my arrival, no doubt, but for many years there had been a fire there: the whole interior is so covered with soot.

Je fais dissoudre cette suie dans une portion du vin qu’on me donne tous les dimanches, cela me fournit de l’encre excellente. I dissolve this soot in a portion of wine that is given to me every Sunday, which gives me excellent ink. Pour les notes particulières, et qui ont besoin d’attirer les yeux, je me pique les doigts et j’écris avec mon sang. For particular notes, which need to attract the eyes, I prick my fingers and write with my blood. —Et quand pourrai-je voir tout cela? -And when will I be able to see all this?

demanda Dantès. asked Dantes. —Quand vous voudrez, répondit Faria. “Whenever you want,” Faria replied.

—Oh!

tout de suite! right now! s’écria le jeune homme. cried the young man. —Suivez-moi donc», dit l’abbé. "Follow me then," said the abbe.

Et il rentra dans le corridor souterrain où il disparut. And he returned to the underground corridor where he disappeared.

Dantès le suivit. Dantes followed him.