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Le Comte de Monte-Cristo, Alexandre Dumas, Tome 1, 14. Le prisonnier furieux et le prisonnier fou

14. Le prisonnier furieux et le prisonnier fou

Un an environ après le retour de Louis XVIII, il y eut visite de M. l'inspecteur général des prisons.

Dantès entendit rouler et grincer du fond de son cachot tous ces préparatifs, qui faisaient en haut beaucoup de fracas, mais qui, en bas, eussent été des bruits inappréciables pour toute autre oreille que pour celle d'un prisonnier, accoutumé à écouter, dans le silence de la nuit, l'araignée qui tisse sa toile, et la chute périodique de la goutte d'eau qui met une heure à se former au plafond de son cachot.

Il devina qu'il se passait chez les vivants quelque chose d'inaccoutumé: il habitait depuis si longtemps une tombe qu'il pouvait bien se regarder comme mort.

En effet, l'inspecteur visitait, l'un après l'autre, chambres, cellules et cachots.

Plusieurs prisonniers furent interrogés: c'étaient ceux que leur douceur ou leur stupidité recommandait à la bienveillance de l'administration; l'inspecteur leur demanda comment ils étaient nourris, et quelles étaient les réclamations qu'ils avaient à faire. Ils répondirent unanimement que la nourriture était détestable et qu'ils réclamaient leur liberté.

L'inspecteur leur demanda alors s'ils n'avaient pas autre chose à lui dire.

Ils secouèrent la tête.

Quel autre bien que la liberté peuvent réclamer des prisonniers? L'inspecteur se tourna en souriant, et dit au gouverneur:

«Je ne sais pas pourquoi on nous fait faire ces tournées inutiles.

Qui voit un prisonnier en voit cent; qui entend un prisonnier en entend mille; c'est toujours la même chose: mal nourris et innocents. En avez-vous d'autres? —Oui, nous avons les prisonniers dangereux ou fous, que nous gardons au cachot.

—Voyons, dit l'inspecteur avec un air de profonde lassitude, faisons notre métier jusqu'au bout; descendons dans les cachots.

—Attendez, dit le gouverneur, que l'on aille au moins chercher deux hommes; les prisonniers commettent parfois, ne fût-ce que par dégoût de la vie et pour se faire condamner à mort, des actes de désespoir inutiles: vous pourriez être victime de l'un de ces actes.

—Prenez donc vos précautions», dit l'inspecteur.

En effet, on envoya chercher deux soldats et l'on commença de descendre par un escalier si puant, si infect, si moisi, que rien que le passage dans un pareil endroit affectait désagréablement à la fois la vue, l'odorat et la respiration.

«Oh!

fit l'inspecteur en s'arrêtant à moitié de la descente, qui diable peut loger là? —Un conspirateur des plus dangereux, et qui nous est particulièrement recommandé comme un homme capable de tout.

—Il est seul?

—Certainement.

—Depuis combien de temps est-il là?

—Depuis un an à peu près.

—Et il a été mis dans ce cachot dès son entrée.

—Non, monsieur, mais après avoir voulu tuer le porte-clefs chargé de lui porter sa nourriture.

—Il a voulu tuer le porte-clefs?

—Oui, monsieur, celui-là même qui nous éclaire, n'est-il pas vrai, Antoine?

demanda le gouverneur. —Il a voulu me tuer tout de même, répondit le porte-clefs.

—Ah çà!

mais c'est donc un fou que cet homme? —C'est pire que cela, dit le porte-clefs, c'est un démon.

—Voulez-vous qu'on s'en plaigne?

demanda l'inspecteur au gouverneur. —Inutile, monsieur, il est assez puni comme cela, d'ailleurs, à présent, il touche presque à la folie, et, selon l'expérience que nous donnent nos observations, avant une autre année d'ici il sera complètement aliéné.

—Ma foi, tant mieux pour lui, dit l'inspecteur; une fois fou tout à fait, il souffrira moins.»

C'était, comme on le voit, un homme plein d'humanité que cet inspecteur, et bien digne des fonctions philanthropiques qu'il remplissait.

«Vous avez raison, monsieur, dit le gouverneur, et votre réflexion prouve que vous avez profondément étudié la matière.

Ainsi, nous avons dans un cachot, qui n'est séparé de celui-ci que par une vingtaine de pieds, et dans lequel on descend par un autre escalier, un vieil abbé, ancien chef de parti en Italie, qui est ici depuis 1811, auquel la tête a tourné vers la fin de 1813, et qui, depuis ce moment, n'est pas physiquement reconnaissable: il pleurait, il rit; il maigrissait, il engraisse. Voulez-vous le voir plutôt que celui-ci? Sa folie est divertissante et ne vous attristera point. —Je les verrai l'un et l'autre, répondit l'inspecteur; il faut faire son état en conscience.»

L'inspecteur en était à sa première tournée et voulait donner bonne idée de lui à l'autorité.

«Entrons donc chez celui-ci d'abord, ajouta-t-il.

—Volontiers», répondit le gouverneur.

Et il fit signe au porte-clefs, qui ouvrit la porte.

Au grincement des massives serrures, au cri des gonds rouillés tournant sur leurs pivots, Dantès, accroupi dans un angle de son cachot, où il recevait avec un bonheur indicible le mince rayon du jour qui filtrait à travers un étroit soupirail grillé, releva la tête.

À la vue d'un homme inconnu, éclairé par deux porte-clefs tenant des torches, et auquel le gouverneur parlait le chapeau à la main, accompagné par deux soldats, Dantès devina ce dont il s'agissait, et, voyant enfin se présenter une occasion d'implorer une autorité supérieure, bondit en avant les mains jointes. Les soldats croisèrent aussitôt la baïonnette, car ils crurent que le prisonnier s'élançait vers l'inspecteur avec de mauvaises intentions.

L'inspecteur lui-même fit un pas en arrière.

Dantès vit qu'on l'avait présenté comme homme à craindre.

Alors, il réunit dans son regard tout ce que le cœur de l'homme peut contenir de mansuétude et d'humilité, et s'exprimant avec une sorte d'éloquence pieuse qui étonna les assistants, il essaya de toucher l'âme de son visiteur.

L'inspecteur écouta le discours de Dantès, jusqu'au bout, puis se tournant vers le gouverneur:

«Il tournera à la dévotion, dit-il à mi-voix; il est déjà disposé à des sentiments plus doux.

Voyez, la peur fait son effet sur lui; il a reculé devant les baïonnettes; or, un fou ne recule devant rien: j'ai fait sur ce sujet des observations bien curieuses à Charenton.» Puis, se retournant vers le prisonnier:

«En résumé, dit-il, que demandez-vous?

—Je demande quel crime j'ai commis; je demande que l'on me donne des juges; je demande que mon procès soit instruit; je demande enfin que l'on me fusille si je suis coupable, mais aussi qu'on me mette en liberté si je suis innocent.

—Êtes-vous bien nourri?

demanda l'inspecteur. —Oui, je le crois, je n'en sais rien.

Mais cela importe peu; ce qui doit importer, non seulement à moi, malheureux prisonnier, mais encore à tous les fonctionnaires rendant la justice, mais encore au roi qui nous gouverne, c'est qu'un innocent ne soit pas victime d'une dénonciation infâme et ne meure pas sous les verrous en maudissant ses bourreaux. —Vous êtes bien humble aujourd'hui, dit le gouverneur; vous n'avez pas toujours été comme cela.

Vous parliez tout autrement, mon cher ami, le jour où vous vouliez assommer votre gardien. —C'est vrai, monsieur, dit Dantès, et j'en demande bien humblement pardon à cet homme qui a toujours été bon pour moi.... Mais, que voulez-vous?

j'étais fou, j'étais furieux. —Et vous ne l'êtes plus?

—Non, monsieur, car la captivité m'a plié, brisé, anéanti.... Il y a si longtemps que je suis ici!

—Si longtemps?...

et à quelle époque avez-vous été arrêté? demanda l'inspecteur. —Le 28 février 1815, à deux heures de l'après-midi.»

L'inspecteur calcula.

«Nous sommes au 30 juillet 1816; que dites-vous donc?

il n'y a que dix-sept mois que vous êtes prisonnier. —Que dix-sept mois!

reprit Dantès. Ah!

monsieur, vous ne savez pas ce que c'est que dix-sept mois de prison: dix-sept années, dix-sept siècles; surtout pour un homme qui, comme moi, touchait au bonheur, pour un homme qui, comme moi, allait épouser une femme aimée, pour un homme qui voyait s'ouvrir devant lui une carrière honorable, et à qui tout manque à l'instant; qui, du milieu du jour le plus beau, tombe dans la nuit la plus profonde, qui voit sa carrière détruite, qui ne sait si celle qui l'aimait l'aime toujours, qui ignore si son vieux père est mort ou vivant. Dix-sept mois de prison, pour un homme habitué à l'air de la mer, à l'indépendance du marin, à l'espace, à l'immensité, à l'infini! Monsieur, dix-sept mois de prison, c'est plus que ne le méritent tous les crimes que désigne par les noms les plus odieux la langue humaine. Ayez donc pitié de moi, monsieur, et demandez pour moi, non pas l'indulgence, mais la rigueur; non pas une grâce, mais un jugement; des juges, monsieur, je ne demande que des juges; on ne peut pas refuser des juges à un accusé. —C'est bien, dit l'inspecteur, on verra.»

Puis, se retournant vers le gouverneur:

«En vérité, dit-il, le pauvre diable me fait de la peine.

En remontant, vous me montrerez son livre d'écrou. —Certainement, dit le gouverneur; mais je crois que vous trouverez contre lui des notes terribles.

—Monsieur, continua Dantès, je sais que vous ne pouvez pas me faire sortir d'ici de votre propre décision; mais vous pouvez transmettre ma demande à l'autorité, vous pouvez provoquer une enquête, vous pouvez, enfin, me faire mettre en jugement: un jugement, c'est tout ce que je demande; que je sache quel crime j'ai commis, et à quelle peine je suis condamné; car, voyez-vous, l'incertitude, c'est le pire de tous les supplices.

—Éclairez-moi, dit l'inspecteur.

—Monsieur, s'écria Dantès, je comprends, au son de votre voix, que vous êtes ému.

Monsieur, dites-moi d'espérer. —Je ne puis vous dire cela, répondit l'inspecteur, je puis seulement vous promettre d'examiner votre dossier.

—Oh!

alors, monsieur, je suis libre, je suis sauvé. —Qui vous a fait arrêter?

demanda l'inspecteur. —M.

de Villefort, répondit Dantès. Voyez-le et entendez-vous avec lui. —M.

de Villefort n'est plus à Marseille depuis un an, mais à Toulouse. —Ah!

cela ne m'étonne plus, murmura Dantès: mon seul protecteur est éloigné. —M.

de Villefort avait-il quelque motif de haine contre vous? demanda l'inspecteur. —Aucun, monsieur; et même il a été bienveillant pour moi.

—Je pourrai donc me fier aux notes qu'il a laissées sur vous ou qu'il me donnera?

—Entièrement, monsieur.

—C'est bien, attendez.»

Dantès tomba à genoux, levant les mains vers le ciel, et murmurant une prière dans laquelle il recommandait à Dieu cet homme qui était descendu dans sa prison, pareil au Sauveur allant délivrer les âmes de l'enfer.

La porte se referma; mais l'espoir descendu avec l'inspecteur était resté enfermé dans le cachot de Dantès.

«Voulez-vous voir le registre d'écrou tout de suite, demanda le gouverneur, ou passer au cachot de l'abbé?

—Finissons-en avec les cachots tout d'un coup, répondit l'inspecteur.

Si je remontais au jour, je n'aurais peut-être plus le courage de continuer ma triste mission. —Ah!

celui-là n'est point un prisonnier comme l'autre, et sa folie, à lui, est moins attristante que la raison de son voisin. —Et quelle est sa folie?

—Oh!

une folie étrange: il se croit possesseur d'un trésor immense. La première année de sa captivité, il a fait offrir au gouvernement un million, si le gouvernement le voulait mettre en liberté; la seconde année, deux millions, la troisième, trois millions, et ainsi progressivement. Il en est à sa cinquième année de captivité: il va vous demander de vous parler en secret, et vous offrira cinq millions. —Ah!

ah! c'est curieux en effet, dit l'inspecteur; et comment appelez-vous ce millionnaire? —L'abbé Faria.

—No 27!

dit l'inspecteur.

—C'est ici.

Ouvrez, Antoine.» Le porte-clefs obéit, et le regard curieux de l'inspecteur plongea dans le cachot de l' abbé fou .

C'est ainsi que l'on nommait généralement le prisonnier.

Au milieu de la chambre, dans un cercle tracé sur la terre avec un morceau de plâtre détaché du mur, était couché un homme presque nu, tant ses vêtements étaient tombés en lambeaux.

Il dessinait dans ce cercle des lignes géométriques fort nettes, et paraissait aussi occupé de résoudre son problème qu'Archimède l'était lorsqu'il fut tué par un soldat de Marcellus. Aussi ne bougea-t-il pas même au bruit que fit la porte du cachot en s'ouvrant, et ne sembla-t-il se réveiller que lorsque la lumière des torches éclaira d'un éclat inaccoutumé le sol humide sur lequel il travaillait. Alors il se retourna et vit avec étonnement la nombreuse compagnie qui venait de descendre dans son cachot. Aussitôt, il se leva vivement, prit une couverture jetée sur le pied de son lit misérable, et se drapa précipitamment pour paraître dans un état plus décent aux yeux des étrangers.

«Que demandez-vous?

dit l'inspecteur sans varier sa formule. —Moi, monsieur!

dit l'abbé d'un air étonné; je ne demande rien. —Vous ne comprenez pas, reprit l'inspecteur: je suis agent du gouvernement, j'ai mission de descendre dans les prisons et d'écouter les réclamations des prisonniers.

—Oh!

alors, monsieur, c'est autre chose, s'écria vivement l'abbé, et j'espère que nous allons nous entendre. —Voyez, dit tout bas le gouverneur, cela ne commence-t-il pas comme je vous l'avais annoncé?

—Monsieur, continua le prisonnier, je suis l'abbé Faria, né à Rome, j'ai été vingt ans secrétaire du cardinal Rospigliosi; j'ai été arrêté, je ne sais trop pourquoi, vers le commencement de l'année 1811, depuis ce moment, je réclame ma liberté des autorités italiennes et françaises.

—Pourquoi près des autorités françaises?

demanda le gouverneur. —Parce que j'ai été arrêté à Piombino et que je présume que, comme Milan et Florence, Piombino est devenu le chef-lieu de quelque département français.»

L'inspecteur et le gouverneur se regardèrent en riant.

«Diable, mon cher, dit l'inspecteur, vos nouvelles de l'Italie ne sont pas fraîches.

—Elles datent du jour où j'ai été arrêté, monsieur, dit l'abbé Faria; et comme Sa Majesté l'Empereur avait créé la royauté de Rome pour le fils que le ciel venait de lui envoyer, je présume que, poursuivant le cours de ses conquêtes, il a accompli le rêve de Machiavel et de César Borgia, qui était de faire de toute l'Italie un seul et unique royaume.

—Monsieur, dit l'inspecteur, la Providence a heureusement apporté quelque changement à ce plan gigantesque dont vous me paraissez assez chaud partisan.

—C'est le seul moyen de faire de l'Italie un État fort, indépendant et heureux, répondit l'abbé.

—Cela est possible, répondit l'inspecteur, mais je ne suis pas venu ici pour faire avec vous un cours de politique ultramontaine, mais pour vous demander ce que j'ai déjà fait, si vous avez quelques réclamations à faire sur la manière dont vous êtes nourri et logé.

—La nourriture est ce qu'elle est dans toutes les prisons, répondit l'abbé, c'est-à-dire fort mauvaise; quant au logement, vous le voyez, il est humide et malsain, mais néanmoins assez convenable pour un cachot.

Maintenant, ce n'est pas de cela qu'il s'agit mais bien de révélations de la plus haute importance et du plus haut intérêt que j'ai à faire au gouvernement. —Nous y voici, dit tout bas le gouverneur à l'inspecteur.

—Voilà pourquoi je suis si heureux de vous voir, continua l'abbé, quoique vous m'ayez dérangé dans un calcul fort important, et qui, s'il réussit, changera peut-être le système de Newton.

Pouvez-vous m'accorder la faveur d'un entretien particulier? —Hein!

que disais-je! fit le gouverneur à l'inspecteur. —Vous connaissez votre personne», répondit ce dernier souriant.

Puis, se retournant vers Faria: «Monsieur, dit-il, ce que vous me demandez est impossible.

—Cependant, monsieur, reprit l'abbé, s'il s'agissait de faire gagner au gouvernement une somme énorme, une somme de cinq millions, par exemple?

—Ma foi, dit l'inspecteur en se retournant à son tour vers le gouverneur, vous aviez prédit jusqu'au chiffre.

—Voyons, reprit l'abbé, s'apercevant que l'inspecteur faisait un mouvement pour se retirer, il n'est pas nécessaire que nous soyons absolument seuls; M. le gouverneur pourra assister à notre entretien.

—Mon cher monsieur, dit le gouverneur, malheureusement nous savons d'avance et par cœur ce que vous direz.

Il s'agit de vos trésors, n'est-ce pas?» Faria regarda cet homme railleur avec des yeux où un observateur désintéressé eût vu, certes, luire l'éclair de la raison et de la vérité.

«Sans doute, dit-il; de quoi voulez-vous que je parle, sinon de cela?

—Monsieur l'inspecteur, continua le gouverneur, je puis vous raconter cette histoire aussi bien que l'abbé, car il y a quatre ou cinq ans que j'en ai les oreilles rebattues.

—Cela prouve, monsieur le gouverneur, dit l'abbé, que vous êtes comme ces gens dont parle l'Écriture, qui ont des yeux et qui ne voient pas, qui ont des oreilles et qui n'entendent pas.

—Mon cher monsieur, dit l'inspecteur, le gouvernement est riche et n'a, Dieu merci, pas besoin de votre argent; gardez-le donc pour le jour où vous sortirez de prison.»

L'œil de l'abbé se dilata; il saisit la main de l'inspecteur.

«Mais si je n'en sors pas de prison, dit-il, si, contre toute justice, on me retient dans ce cachot, si j'y meurs sans avoir légué mon secret à personne, ce trésor sera donc perdu!

Ne vaut-il pas mieux que le gouvernement en profite, et moi aussi? J'irai jusqu'à six millions, monsieur; oui, j'abandonnerai six millions, et je me contenterai du reste si l'on veut me rendre la liberté. —Sur ma parole, dit l'inspecteur à demi-voix, si l'on ne savait que cet homme est fou, il parle avec un accent si convaincu qu'on croirait qu'il dit la vérité.

—Je ne suis pas fou, monsieur, et je dis bien la vérité, reprit Faria qui, avec cette finesse d'ouïe particulière aux prisonniers, n'avait pas perdu une seule des paroles de l'inspecteur.

Ce trésor dont je vous parle existe bien réellement, et j'offre de signer un traité avec vous, en vertu duquel vous me conduirez à l'endroit désigné par moi; on fouillera la terre sous nos yeux, et si je mens, si l'on ne trouve rien, si je suis un fou, comme vous le dites, eh bien! vous me ramènerez dans ce même cachot, où je resterai éternellement, et où je mourrai sans plus rien demander ni à vous ni à personne.» Le gouverneur se mit à rire.

«Est-ce bien loin votre trésor?

demanda-t-il. —À cent lieues d'ici à peu près, dit Faria.

—La chose n'est pas mal imaginée, dit le gouverneur; si tous les prisonniers voulaient s'amuser à promener leurs gardiens pendant cent lieues, et si les gardiens consentaient à faire une pareille promenade, ce serait une excellente chance que les prisonniers se ménageraient de prendre la clef des champs dès qu'ils en trouveraient l'occasion, et pendant un pareil voyage l'occasion se présenterait certainement.

—C'est un moyen connu, dit l'inspecteur, et monsieur n'a pas même le mérite de l'invention.

Puis, se retournant vers l'abbé. «Je vous ai demandé si vous étiez bien nourri?

dit-il. —Monsieur, répondit Faria, jurez-moi sur le Christ de me délivrer si je vous ai dit vrai, et je vous indiquerai l'endroit où le trésor est enfoui.

—Êtes-vous bien nourri?

répéta l'inspecteur. —Monsieur, vous ne risquez rien ainsi, et vous voyez bien que ce n'est pas pour me ménager une chance pour me sauver, puisque je resterai en prison tandis qu'on fera le voyage.

—Vous ne répondez pas à ma question, reprit avec impatience l'inspecteur.

—Ni vous à ma demande!

s'écria l'abbé. Soyez donc maudit comme les autres insensés qui n'ont pas voulu me croire! Vous ne voulez pas de mon or, je le garderai; vous me refusez la liberté, Dieu me l'enverra. Allez, je n'ai plus rien à dire.» Et l'abbé, rejetant sa couverture, ramassa son morceau de plâtre, et alla s'asseoir de nouveau au milieu de son cercle, où il continua ses lignes et ses calculs.

«Que fait-il là?

dit l'inspecteur se retirant. —Il compte ses trésors», reprit le gouverneur.

Faria répondit à ce sarcasme par un coup d'œil empreint du plus suprême mépris. Ils sortirent.

Le geôlier ferma la porte derrière eux. «Il aura, en effet, possédé quelques trésors, dit l'inspecteur en remontant l'escalier.

—Ou il aura rêvé qu'il les possédait, répondit le gouverneur, et le lendemain il se sera réveillé fou.

—En effet, dit l'inspecteur avec la naïveté de la corruption; s'il eût été réellement riche, il ne serait pas en prison.»

Ainsi finit l'aventure pour l'abbé Faria.

Il demeura prisonnier, et, à la suite de cette visite, sa réputation de fou réjouissant s'augmenta encore. Caligula ou Néron, ces grands chercheurs de trésors, ces désireurs de l'impossible, eussent prêté l'oreille aux paroles de ce pauvre homme et lui eussent accordé l'air qu'il désirait, l'espace qu'il estimait à un si haut prix, et la liberté qu'il offrait de payer si cher.

Mais les rois de nos jours, maintenus dans la limite du probable, n'ont plus l'audace de la volonté; ils craignent l'oreille qui écoute les ordres qu'ils donnent, l'œil qui scrute leurs actions; ils ne sentent plus la supériorité de leur essence divine; ils sont des hommes couronnés, voilà tout. Jadis, ils se croyaient, ou du moins se disaient fils de Jupiter, et retenaient quelque chose des façons du dieu leur père: on ne contrôle pas facilement ce qui se passe au-delà des nuages; aujourd'hui, les rois se laissent aisément rejoindre. Or, comme il a toujours répugné au gouvernement despotique de montrer au grand jour les effets de la prison et de la torture; comme il y a peu d'exemples qu'une victime des inquisitions ait pu reparaître avec ses os broyés et ses plaies saignantes, de même la folie, cet ulcère né dans la fange des cachots à la suite des tortures morales, se cache presque toujours avec soin dans le lieu où elle est née, ou, si elle en sort, elle va s'ensevelir dans quelque hôpital sombre, où les médecins ne reconnaissent ni l'homme ni la pensée dans le débris informe que leur transmet le geôlier fatigué. L'abbé Faria, devenu fou en prison, était condamné, par sa folie même, à une prison perpétuelle.

Quant à Dantès, l'inspecteur lui tint parole.

En remontant chez le gouverneur, il se fit présenter le registre d'écrou. La note concernant le prisonnier était ainsi conçue: Edmond Dantès: Bonapartiste enragé: a pris une part active au retour de l'île d'Elbe.

À tenir au plus grand secret et sous la plus stricte surveillance.

Cette note était d'une autre écriture et d'une encre différente que le reste du registre ce qui prouvait qu'elle avait été ajoutée depuis l'incarcération de Dantès.

L'accusation était trop positive pour essayer de la combattre.

L'inspecteur écrivit donc au-dessous de l'accolade: «Rien à faire.»

Cette visite avait, pour ainsi dire, ravivé Dantès depuis qu'il était entré en prison, il avait oublié de compter les jours, mais l'inspecteur lui avait donné une nouvelle date et Dantès ne l'avait pas oubliée.

Derrière lui, il écrivit sur le mur, avec un morceau de plâtre détaché de son plafond, 30 juillet 1816, et, à partir de ce moment, il fit un cran chaque jour pour que la mesure du temps ne lui échappât plus. Les jours s'écoulèrent, puis les semaines, puis les mois: Dantès attendait toujours, il avait commencé par fixer à sa liberté un terme de quinze jours.

En mettant à suivre son affaire la moitié de l'intérêt qu'il avait paru éprouver, l'inspecteur devait avoir assez de quinze jours. Ces quinze jours écoulés, il se dit qu'il était absurde à lui de croire que l'inspecteur se serait occupé de lui avant son retour à Paris; or, son retour à Paris ne pouvait avoir lieu que lorsque sa tournée serait finie, et sa tournée pouvait durer un mois ou deux; il se donna donc trois mois au lieu de quinze jours. Les trois mois écoulés, un autre raisonnement vint à son aide, qui fit qu'il s'accorda six mois, mais ces six mois écoulés, en mettant les jours au bout les uns des autres, il se trouvait qu'il avait attendu dix mois et demi. Pendant ces dix mois, rien n'avait été changé au régime de sa prison; aucune nouvelle consolante ne lui était parvenue; le geôlier interrogé était muet, comme d'habitude. Dantès commença à douter de ses sens, à croire que ce qu'il prenait pour un souvenir de sa mémoire n'était rien autre chose qu'une hallucination de son cerveau, et que cet ange consolateur qui était apparu dans sa prison y était descendu sur l'aile d'un rêve. Au bout d'un an, le gouverneur fut changé, il avait obtenu la direction du fort de Ham; il emmena avec lui plusieurs de ses subordonnés et, entre autres, le geôlier de Dantès.

Un nouveau gouverneur arriva; il eût été trop long pour lui d'apprendre les noms de ses prisonniers, il se fit représenter seulement leurs numéros. Cet horrible hôtel garni se composait de cinquante chambres; leurs habitants furent appelés du numéro de la chambre qu'ils occupaient, et le malheureux jeune homme cessa de s'appeler de son prénom d'Edmond ou de son nom de Dantès, il s'appela le n 34.

14. Le prisonnier furieux et le prisonnier fou 14. The furious prisoner and the mad prisoner 14. De woedende gevangene en de gekke gevangene 14. O prisioneiro furioso e o prisioneiro louco 14. Розлючений в'язень і божевільний в'язень

Un an environ après le retour de Louis XVIII, il y eut visite de M. l’inspecteur général des prisons. About a year after the return of Louis XVIII, there was a visit from the Inspector-General of Prisons.

Dantès entendit rouler et grincer du fond de son cachot tous ces préparatifs, qui faisaient en haut beaucoup de fracas, mais qui, en bas, eussent été des bruits inappréciables pour toute autre oreille que pour celle d’un prisonnier, accoutumé à écouter, dans le silence de la nuit, l’araignée qui tisse sa toile, et la chute périodique de la goutte d’eau qui met une heure à se former au plafond de son cachot. Dantes saw rolled and creaked from the depths of his dungeon all these preparations, which made a great deal of noise above, but which, at bottom, would have been inauspicious noises for any other ear than for that of a prisoner, accustomed to listen, in the silence of the night, the spider weaving its web, and the periodic fall of the drop of water which takes one hour to form on the ceiling of his dungeon.

Il devina qu’il se passait chez les vivants quelque chose d’inaccoutumé: il habitait depuis si longtemps une tombe qu’il pouvait bien se regarder comme mort. He guessed that something unusual was going on among the living: he had been living for so long a grave that he could look upon himself as dead.

En effet, l’inspecteur visitait, l’un après l’autre, chambres, cellules et cachots. In fact, the inspector visited, one after another, rooms, cells and dungeons.

Plusieurs prisonniers furent interrogés: c’étaient ceux que leur douceur ou leur stupidité recommandait à la bienveillance de l’administration; l’inspecteur leur demanda comment ils étaient nourris, et quelles étaient les réclamations qu’ils avaient à faire. Several prisoners were interrogated; they were those whom their mildness or stupidity recommended to the benevolence of the administration; the inspector asked them how they were fed, and what were the claims they had to make. Ils répondirent unanimement que la nourriture était détestable et qu’ils réclamaient leur liberté. They unanimously replied that the food was detestable and that they were demanding their freedom.

L’inspecteur leur demanda alors s’ils n’avaient pas autre chose à lui dire. The inspector then asked them if they had nothing else to say to him.

Ils secouèrent la tête. They shook their heads.

Quel autre bien que la liberté peuvent réclamer des prisonniers? What other good than freedom can claim prisoners? L’inspecteur se tourna en souriant, et dit au gouverneur: The inspector turned, smiling, and said to the governor:

«Je ne sais pas pourquoi on nous fait faire ces tournées inutiles. "I do not know why we are made to do these unnecessary tours.

Qui voit un prisonnier en voit cent; qui entend un prisonnier en entend mille; c’est toujours la même chose: mal nourris et innocents. Whoever sees a prisoner sees a hundred; whoever hears a prisoner hears a thousand; it's always the same thing: malnourished and innocent. En avez-vous d’autres? Do you have others? —Oui, nous avons les prisonniers dangereux ou fous, que nous gardons au cachot. "Yes, we have dangerous or insane prisoners, whom we keep in solitary confinement.

—Voyons, dit l’inspecteur avec un air de profonde lassitude, faisons notre métier jusqu’au bout; descendons dans les cachots. "Come," said the inspector, with an air of profound weariness, "let us do our job to the end; let's go down to the dungeons.

—Attendez, dit le gouverneur, que l’on aille au moins chercher deux hommes; les prisonniers commettent parfois, ne fût-ce que par dégoût de la vie et pour se faire condamner à mort, des actes de désespoir inutiles: vous pourriez être victime de l’un de ces actes. "Wait," said the governor, "that you go at least to fetch two men; the prisoners sometimes commit, if only out of disgust for life and to be condemned to death, useless acts of despair: you may be the victim of one of these acts.

—Prenez donc vos précautions», dit l’inspecteur. "Take your precautions, then," said the inspector.

En effet, on envoya chercher deux soldats et l’on commença de descendre par un escalier si puant, si infect, si moisi, que rien que le passage dans un pareil endroit affectait désagréablement à la fois la vue, l’odorat et la respiration. In fact, we sent for two soldiers and we began to descend by a staircase so stinking, so foul, so moldy, that just passing through such a place unpleasantly affected sight, smell and breathing. .

«Oh! "Oh!

fit l’inspecteur en s’arrêtant à moitié de la descente, qui diable peut loger là? said the inspector, stopping halfway down the descent, who the hell can stay there? —Un conspirateur des plus dangereux, et qui nous est particulièrement recommandé comme un homme capable de tout. A conspirator of the most dangerous, and who is particularly recommended to us as a man capable of everything.

—Il est seul? -He is alone?

—Certainement. -Certainly.

—Depuis combien de temps est-il là? “How long has he been here?

—Depuis un an à peu près. “For about a year.

—Et il a été mis dans ce cachot dès son entrée. “And he was put in this dungeon as soon as he entered.

—Non, monsieur, mais après avoir voulu tuer le porte-clefs chargé de lui porter sa nourriture. "No, sir, but after having wanted to kill the key-ring charged with carrying him his food.

—Il a voulu tuer le porte-clefs? -He wanted to kill the keychain?

—Oui, monsieur, celui-là même qui nous éclaire, n’est-il pas vrai, Antoine? "Yes, sir, the very one who enlightens us, is it not true, Antoine?

demanda le gouverneur. asked the governor. —Il a voulu me tuer tout de même, répondit le porte-clefs. "He wanted to kill me all the same," replied the keyring.

—Ah çà! -Oh that!

mais c’est donc un fou que cet homme? but is this man a fool? —C’est pire que cela, dit le porte-clefs, c’est un démon. -It's worse than that, said the keychain, it's a demon.

—Voulez-vous qu’on s’en plaigne? "Do you want us to complain about it?"

demanda l’inspecteur au gouverneur. the inspector asked the governor. —Inutile, monsieur, il est assez puni comme cela, d’ailleurs, à présent, il touche presque à la folie, et, selon l’expérience que nous donnent nos observations, avant une autre année d’ici il sera complètement aliéné. "In vain, sir, he is sufficiently punished like that, moreover, now he almost touches madness, and, according to the experience that our observations give us, before another year from here he will be completely insane.

—Ma foi, tant mieux pour lui, dit l’inspecteur; une fois fou tout à fait, il souffrira moins.» "Faith, so much the better for him," said the inspector; once crazy, he will suffer less. "

C’était, comme on le voit, un homme plein d’humanité que cet inspecteur, et bien digne des fonctions philanthropiques qu’il remplissait. It was, as we see, a man full of humanity that this inspector, and well worthy of the philanthropic functions he filled.

«Vous avez raison, monsieur, dit le gouverneur, et votre réflexion prouve que vous avez profondément étudié la matière. "You are right, sir," said the governor, "and your reflection proves that you have thoroughly studied the subject.

Ainsi, nous avons dans un cachot, qui n’est séparé de celui-ci que par une vingtaine de pieds, et dans lequel on descend par un autre escalier, un vieil abbé, ancien chef de parti en Italie, qui est ici depuis 1811, auquel la tête a tourné vers la fin de 1813, et qui, depuis ce moment, n’est pas physiquement reconnaissable: il pleurait, il rit; il maigrissait, il engraisse. Thus, we have in a dungeon, which is separated from it only by twenty feet, and in which we descend by another staircase, an old abbot, former party leader in Italy, who has been here since 1811 , who turned his head towards the end of 1813, and who, from that moment, is not physically recognizable: he was crying, he was laughing; it was losing weight, it was getting fat. Voulez-vous le voir plutôt que celui-ci? Do you want to see it rather than this one? Sa folie est divertissante et ne vous attristera point. His madness is entertaining and will not sadden you. —Je les verrai l’un et l’autre, répondit l’inspecteur; il faut faire son état en conscience.» "I will see them both," replied the inspector; you have to do your state consciously. "

L’inspecteur en était à sa première tournée et voulait donner bonne idée de lui à l’autorité. The inspector was on his first tour and wanted to give him a good idea of the authority.

«Entrons donc chez celui-ci d’abord, ajouta-t-il. "Let's go to this one first," he added.

—Volontiers», répondit le gouverneur. -Volontiers, "answered the governor.

Et il fit signe au porte-clefs, qui ouvrit la porte. And he made a sign to the key-ring, who opened the door.

Au grincement des massives serrures, au cri des gonds rouillés tournant sur leurs pivots, Dantès, accroupi dans un angle de son cachot, où il recevait avec un bonheur indicible le mince rayon du jour qui filtrait à travers un étroit soupirail grillé, releva la tête. At the creaking of the massive locks, at the cry of the rusty hinges turning on their pivots, Dantes, squatting in a corner of his dungeon, where he received with an unspeakable happiness the thin ray of the day which filtered through a narrow grilled window, raised his head .

À la vue d’un homme inconnu, éclairé par deux porte-clefs tenant des torches, et auquel le gouverneur parlait le chapeau à la main, accompagné par deux soldats, Dantès devina ce dont il s’agissait, et, voyant enfin se présenter une occasion d’implorer une autorité supérieure, bondit en avant les mains jointes. At the sight of an unknown man, enlightened by two key-holders holding torches, and to whom the governor spoke hat in hand, accompanied by two soldiers, Dantes saw what it was, and finally seeing himself present himself an opportunity to implore a higher authority, leaps forward with joined hands. При виде неизвестного человека, просвещенного двумя держателями ключей с факелами, и с которым губернатор говорил со шляпой в руках, в сопровождении двух солдат, Дантес увидел, что это было, и, наконец, увидел себя, представляя возможность умолять высший авторитет, прыгает вперед со сложенными руками. Les soldats croisèrent aussitôt la baïonnette, car ils crurent que le prisonnier s’élançait vers l’inspecteur avec de mauvaises intentions. The soldiers immediately crossed the bayonet, for they believed that the prisoner was dashing towards the inspector with ill intentions.

L’inspecteur lui-même fit un pas en arrière. The inspector himself took a step back.

Dantès vit qu’on l’avait présenté comme homme à craindre. Dantes saw that he had been presented as a man to be feared.

Alors, il réunit dans son regard tout ce que le cœur de l’homme peut contenir de mansuétude et d’humilité, et s’exprimant avec une sorte d’éloquence pieuse qui étonna les assistants, il essaya de toucher l’âme de son visiteur. Then, in his eyes, he unites all that the heart of man can contain of gentleness and humility, and expressing himself with a kind of pious eloquence which astonished the assistants, he tried to touch the soul of his visitor.

L’inspecteur écouta le discours de Dantès, jusqu’au bout, puis se tournant vers le gouverneur: The inspector listened to Dantes' speech to the end, then turning to the governor:

«Il tournera à la dévotion, dit-il à mi-voix; il est déjà disposé à des sentiments plus doux. "He will turn to devotion," he said in a low voice; he is already disposed to softer feelings.

Voyez, la peur fait son effet sur lui; il a reculé devant les baïonnettes; or, un fou ne recule devant rien: j’ai fait sur ce sujet des observations bien curieuses à Charenton.» See, fear has its effect on him; he recoiled before the bayonets; now, a madman will stop at nothing: I have made curious observations on this subject at Charenton. " Puis, se retournant vers le prisonnier: Then, turning to the prisoner:

«En résumé, dit-il, que demandez-vous? "In short," he says, "what are you asking?

—Je demande quel crime j’ai commis; je demande que l’on me donne des juges; je demande que mon procès soit instruit; je demande enfin que l’on me fusille si je suis coupable, mais aussi qu’on me mette en liberté si je suis innocent. -I ask what crime I committed; I ask that I be given judges; I ask that my trial be heard; I finally ask that I be shot if I am guilty, but also that I be released if I am innocent.

—Êtes-vous bien nourri? “Are you well fed?

demanda l’inspecteur. asked the inspector. —Oui, je le crois, je n’en sais rien. “Yes, I think so, I don't know.

Mais cela importe peu; ce qui doit importer, non seulement à moi, malheureux prisonnier, mais encore à tous les fonctionnaires rendant la justice, mais encore au roi qui nous gouverne, c’est qu’un innocent ne soit pas victime d’une dénonciation infâme et ne meure pas sous les verrous en maudissant ses bourreaux. But that does not matter; what must not only import to me, an unfortunate prisoner, but also to all the officials rendering justice, but still to the king who governs us, it is that an innocent person is not the victim of an infamous denunciation and does not die. not under lock and key, cursing his executioners. Но это не имеет значения; что должно не только импортировать меня, несчастного заключенного, но также и всех чиновников, отправляющих правосудие, но все же царя, который управляет нами, это то, что невинный человек не является жертвой позорного осуждения и не умирает. не под замком, проклинает своих палачей. —Vous êtes bien humble aujourd’hui, dit le gouverneur; vous n’avez pas toujours été comme cela. "You are very humble today," said the governor; you have not always been like that.

Vous parliez tout autrement, mon cher ami, le jour où vous vouliez assommer votre gardien. You were speaking quite differently, my dear friend, the day you wanted to knock out your guardian. —C’est vrai, monsieur, dit Dantès, et j’en demande bien humblement pardon à cet homme qui a toujours été bon pour moi.... Mais, que voulez-vous? "It is true, sir," said Dantes, "and I humbly ask forgiveness for this man who has always been good for me. But what do you want?"

j’étais fou, j’étais furieux. I was mad, I was furious. —Et vous ne l’êtes plus? "And you're not anymore?"

—Non, monsieur, car la captivité m’a plié, brisé, anéanti.... Il y a si longtemps que je suis ici! "No, sir, for captivity has bent me, broken, annihilated .... It has been so long since I am here!

—Si longtemps?... -So long?...

et à quelle époque avez-vous été arrêté? and when were you arrested? demanda l’inspecteur. asked the inspector. —Le 28 février 1815, à deux heures de l’après-midi.» "February 28, 1815, at two in the afternoon."

L’inspecteur calcula. The inspector calculated.

«Nous sommes au 30 juillet 1816; que dites-vous donc? “We are on July 30, 1816; what do you say then?

il n’y a que dix-sept mois que vous êtes prisonnier. You have only been a prisoner seventeen months. —Que dix-sept mois! “What seventeen months!

reprit Dantès. resumed Dantes. Ah! Ah!

monsieur, vous ne savez pas ce que c’est que dix-sept mois de prison: dix-sept années, dix-sept siècles; surtout pour un homme qui, comme moi, touchait au bonheur, pour un homme qui, comme moi, allait épouser une femme aimée, pour un homme qui voyait s’ouvrir devant lui une carrière honorable, et à qui tout manque à l’instant; qui, du milieu du jour le plus beau, tombe dans la nuit la plus profonde, qui voit sa carrière détruite, qui ne sait si celle qui l’aimait l’aime toujours, qui ignore si son vieux père est mort ou vivant. sir, you do not know what it is to be seventeen months in prison: seventeen years, seventeen centuries; especially for a man who, like me, touched happiness, for a man who, like me, was going to marry a beloved woman, for a man who saw an honorable career open before him, and to whom everything is missing at the moment ; who, from the middle of the most beautiful day, falls into the deepest night, who sees his career destroyed, who does not know if the one who loves him still loves him, who does not know if his old father is dead or alive. Dix-sept mois de prison, pour un homme habitué à l’air de la mer, à l’indépendance du marin, à l’espace, à l’immensité, à l’infini! Seventeen months in prison, for a man accustomed to the air of the sea, to the independence of the sailor, to space, to immensity, to infinity! Monsieur, dix-sept mois de prison, c’est plus que ne le méritent tous les crimes que désigne par les noms les plus odieux la langue humaine. Sir, seventeen months in prison, it is more than all the crimes deserve that the human language denotes by the most odious names. Ayez donc pitié de moi, monsieur, et demandez pour moi, non pas l’indulgence, mais la rigueur; non pas une grâce, mais un jugement; des juges, monsieur, je ne demande que des juges; on ne peut pas refuser des juges à un accusé. Have pity on me, sir, and ask for me, not indulgence, but rigor; not a grace, but a judgment; judges, sir, I only ask for judges; we can not refuse judges to an accused. —C’est bien, dit l’inspecteur, on verra.» "That's good," said the inspector, "we'll see."

Puis, se retournant vers le gouverneur: Then, turning to the governor:

«En vérité, dit-il, le pauvre diable me fait de la peine. "The truth is," he said, "the poor devil pains me.

En remontant, vous me montrerez son livre d’écrou. Going up, you'll show me his nut book. —Certainement, dit le gouverneur; mais je crois que vous trouverez contre lui des notes terribles. "Certainly," said the governor; but I think you will find terrible notes against him.

—Monsieur, continua Dantès, je sais que vous ne pouvez pas me faire sortir d’ici de votre propre décision; mais vous pouvez transmettre ma demande à l’autorité, vous pouvez provoquer une enquête, vous pouvez, enfin, me faire mettre en jugement: un jugement, c’est tout ce que je demande; que je sache quel crime j’ai commis, et à quelle peine je suis condamné; car, voyez-vous, l’incertitude, c’est le pire de tous les supplices. "Sir," continued Dantes, "I know you can not get me out of here of your own decision; but you can transmit my request to the authority, you can provoke an investigation, you can, finally, make me put in judgment: a judgment, it is all that I ask; that I know what crime I have committed, and to what pain I am condemned; for, you see, uncertainty is the worst of all tortures.

—Éclairez-moi, dit l’inspecteur. “Enlighten me,” said the inspector.

—Monsieur, s’écria Dantès, je comprends, au son de votre voix, que vous êtes ému. "Sir," cried Dantes, "I understand, at the sound of your voice, that you are moved.

Monsieur, dites-moi d’espérer. Sir, tell me to hope. —Je ne puis vous dire cela, répondit l’inspecteur, je puis seulement vous promettre d’examiner votre dossier. “I cannot tell you that,” replied the inspector, “I can only promise to examine your file.

—Oh! -Oh!

alors, monsieur, je suis libre, je suis sauvé. then, sir, I am free, I am saved. —Qui vous a fait arrêter? -Who did you stop?

demanda l’inspecteur. asked the inspector. —M. —Mr.

de Villefort, répondit Dantès. de Villefort, ”replied Dantès. Voyez-le et entendez-vous avec lui. See him and get along with him. —M. —Mr.

de Villefort n’est plus à Marseille depuis un an, mais à Toulouse. de Villefort has not been in Marseille for a year, but in Toulouse. —Ah! “Ah!

cela ne m’étonne plus, murmura Dantès: mon seul protecteur est éloigné. that does not surprise me any more, murmured Dantes: my only protector is distant. —M.

de Villefort avait-il quelque motif de haine contre vous? de Villefort had any motive of hatred against you? demanda l’inspecteur. asked the inspector. —Aucun, monsieur; et même il a été bienveillant pour moi. "No, sir; and even he was kind to me.

—Je pourrai donc me fier aux notes qu’il a laissées sur vous ou qu’il me donnera? "Can I trust the notes he has left on you, or will he give me?

—Entièrement, monsieur. “Completely, sir.

—C’est bien, attendez.» “That's good, wait.”

Dantès tomba à genoux, levant les mains vers le ciel, et murmurant une prière dans laquelle il recommandait à Dieu cet homme qui était descendu dans sa prison, pareil au Sauveur allant délivrer les âmes de l’enfer. Dantes fell on his knees, raising his hands to the sky, and murmuring a prayer in which he recommended to God this man who had descended to his prison, like the Savior going to deliver the souls of hell.

La porte se referma; mais l’espoir descendu avec l’inspecteur était resté enfermé dans le cachot de Dantès. The door closed; but the hope descended with the inspector had remained shut up in the dungeon of Dantes.

«Voulez-vous voir le registre d’écrou tout de suite, demanda le gouverneur, ou passer au cachot de l’abbé? "Do you want to see the nut register right away," asked the governor, "or go to the abbot's cell?"

—Finissons-en avec les cachots tout d’un coup, répondit l’inspecteur. "Let's end with the dungeons all at once," replied the inspector.

Si je remontais au jour, je n’aurais peut-être plus le courage de continuer ma triste mission. If I went back to the day, I might not have the courage to continue my sad mission. —Ah! “Ah!

celui-là n’est point un prisonnier comme l’autre, et sa folie, à lui, est moins attristante que la raison de son voisin. this one is not a prisoner like the other, and his madness is less sad than the reason of his neighbor. —Et quelle est sa folie? And what is his madness?

—Oh! -Oh!

une folie étrange: il se croit possesseur d’un trésor immense. a strange madness: he believes himself to be the possessor of an immense treasure. La première année de sa captivité, il a fait offrir au gouvernement un million, si le gouvernement le voulait mettre en liberté; la seconde année, deux millions, la troisième, trois millions, et ainsi progressivement. The first year of his captivity, he made offer to the government a million, if the government wanted it to release; the second year, two million, the third, three million, and so gradually. Il en est à sa cinquième année de captivité: il va vous demander de vous parler en secret, et vous offrira cinq millions. He is in his fifth year in captivity: he will ask you to speak to you in secret, and will offer you five million. —Ah! “Ah!

ah! ah! c’est curieux en effet, dit l’inspecteur; et comment appelez-vous ce millionnaire? it is curious indeed, said the inspector; and what do you call this millionaire? —L’abbé Faria. - Father Faria.

—No 27! —No 27!

dit l’inspecteur. said the inspector.

—C’est ici. -It's here.

Ouvrez, Antoine.» Open up, Antoine. " Le porte-clefs obéit, et le regard curieux de l’inspecteur plongea dans le cachot de l' abbé fou . The key-ring obeyed, and the curious look of the inspector plunged into the dungeon of the mad abbe.

C’est ainsi que l’on nommait généralement le prisonnier. This is how the prisoner was generally called.

Au milieu de la chambre, dans un cercle tracé sur la terre avec un morceau de plâtre détaché du mur, était couché un homme presque nu, tant ses vêtements étaient tombés en lambeaux. In the middle of the room, in a circle drawn on the ground with a piece of plaster detached from the wall, was lying a man almost naked, so much had his clothes fallen to shreds.

Il dessinait dans ce cercle des lignes géométriques fort nettes, et paraissait aussi occupé de résoudre son problème qu’Archimède l’était lorsqu’il fut tué par un soldat de Marcellus. He drew in this circle very sharp geometric lines, and seemed as busy solving his problem as Archimedes was when he was killed by a Marcellus soldier. Aussi ne bougea-t-il pas même au bruit que fit la porte du cachot en s’ouvrant, et ne sembla-t-il se réveiller que lorsque la lumière des torches éclaira d’un éclat inaccoutumé le sol humide sur lequel il travaillait. So he did not move even to the sound of the door of the dungeon opening, and he did not seem to wake up when the light of the torches flashed an unusual brightness wet soil on which he worked . Таким образом, он не двигался даже на звук открывающейся двери подземелья, и он, казалось, не просыпался, когда свет факелов вспыхнул необычно яркой влажной почвой, над которой он работал , Alors il se retourna et vit avec étonnement la nombreuse compagnie qui venait de descendre dans son cachot. Then he turned around and saw with astonishment the numerous company which had just gone down to his dungeon. Aussitôt, il se leva vivement, prit une couverture jetée sur le pied de son lit misérable, et se drapa précipitamment pour paraître dans un état plus décent aux yeux des étrangers. Immediately he rose quickly, took a blanket thrown on the foot of his miserable bed, and wrapped himself in a hurry to appear in a more decent state in the eyes of strangers.

«Que demandez-vous? "What are you asking?

dit l’inspecteur sans varier sa formule. said the inspector without varying his formula. —Moi, monsieur! “Me, sir!

dit l’abbé d’un air étonné; je ne demande rien. said the abbe with an air of astonishment; I'm not asking for anything. —Vous ne comprenez pas, reprit l’inspecteur: je suis agent du gouvernement, j’ai mission de descendre dans les prisons et d’écouter les réclamations des prisonniers. “You don't understand,” continued the inspector.

—Oh! -Oh!

alors, monsieur, c’est autre chose, s’écria vivement l’abbé, et j’espère que nous allons nous entendre. so, monsieur, that is another thing, cried the abbe eagerly, and I hope that we will come to an understanding. —Voyez, dit tout bas le gouverneur, cela ne commence-t-il pas comme je vous l’avais annoncé? "See," said the governor quietly, "does not that begin as I told you?

—Monsieur, continua le prisonnier, je suis l’abbé Faria, né à Rome, j’ai été vingt ans secrétaire du cardinal Rospigliosi; j’ai été arrêté, je ne sais trop pourquoi, vers le commencement de l’année 1811, depuis ce moment, je réclame ma liberté des autorités italiennes et françaises. "Sir," continued the prisoner, "I am the Abbe Faria, born in Rome; I was twenty years old secretary to Cardinal Rospigliosi; I was arrested, I do not know why, towards the beginning of the year 1811, since that moment, I claim my freedom from the Italian and French authorities.

—Pourquoi près des autorités françaises? -Why close to the French authorities?

demanda le gouverneur. asked the governor. —Parce que j’ai été arrêté à Piombino et que je présume que, comme Milan et Florence, Piombino est devenu le chef-lieu de quelque département français.» -Because I was arrested in Piombino and I presume that, like Milan and Florence, Piombino became the capital of some French department. "

L’inspecteur et le gouverneur se regardèrent en riant. The inspector and the governor looked at each other with a laugh.

«Diable, mon cher, dit l’inspecteur, vos nouvelles de l’Italie ne sont pas fraîches. "Devil, my dear," said the inspector, "your news from Italy is not fresh.

—Elles datent du jour où j’ai été arrêté, monsieur, dit l’abbé Faria; et comme Sa Majesté l’Empereur avait créé la royauté de Rome pour le fils que le ciel venait de lui envoyer, je présume que, poursuivant le cours de ses conquêtes, il a accompli le rêve de Machiavel et de César Borgia, qui était de faire de toute l’Italie un seul et unique royaume. "They date from the day I was arrested, sir," said the Abbe Faria; and as His Majesty the Emperor had created the kingship of Rome for the son whom Heaven had just sent him, I presume that, continuing the course of his conquests, he fulfilled the dream of Machiavelli and Caesar Borgia, who was to make of all Italy a single kingdom.

—Monsieur, dit l’inspecteur, la Providence a heureusement apporté quelque changement à ce plan gigantesque dont vous me paraissez assez chaud partisan. "Sir," said the inspector, "Providence has fortunately brought some change to this gigantic plan, of which you seem to me rather warm-hearted.

—C’est le seul moyen de faire de l’Italie un État fort, indépendant et heureux, répondit l’abbé. "This is the only way to make Italy a strong, independent and happy state," replied the abbot.

—Cela est possible, répondit l’inspecteur, mais je ne suis pas venu ici pour faire avec vous un cours de politique ultramontaine, mais pour vous demander ce que j’ai déjà fait, si vous avez quelques réclamations à faire sur la manière dont vous êtes nourri et logé. -It is possible, replied the inspector, but I have not come here to take a course in ultramontane politics with you, but to ask you what I have already done, if you have any complaints about how you are fed and housed.

—La nourriture est ce qu’elle est dans toutes les prisons, répondit l’abbé, c’est-à-dire fort mauvaise; quant au logement, vous le voyez, il est humide et malsain, mais néanmoins assez convenable pour un cachot. "Food is what it is in all the prisons," replied the abbe, "that is to say, very bad; as for the accommodation, you see, it is damp and unhealthy, but nevertheless quite suitable for a dungeon.

Maintenant, ce n’est pas de cela qu’il s’agit mais bien de révélations de la plus haute importance et du plus haut intérêt que j’ai à faire au gouvernement. Now, that is not the point but the revelations of the utmost importance and interest to the government. —Nous y voici, dit tout bas le gouverneur à l’inspecteur. "Here we are," whispered the governor to the inspector.

—Voilà pourquoi je suis si heureux de vous voir, continua l’abbé, quoique vous m’ayez dérangé dans un calcul fort important, et qui, s’il réussit, changera peut-être le système de Newton. "That is why I am so happy to see you," continued the abbe, "although you have disturbed me in a very important calculation, and who, if he succeeds, may change Newton's system."

Pouvez-vous m’accorder la faveur d’un entretien particulier? Can you grant me the favor of a particular interview? —Hein! “Hey!

que disais-je! what was I saying! fit le gouverneur à l’inspecteur. said the governor to the inspector. —Vous connaissez votre personne», répondit ce dernier souriant. "You know your person," replied the latter smiling.

Puis, se retournant vers Faria: Then, turning to Faria: «Monsieur, dit-il, ce que vous me demandez est impossible. “Sir,” he said, “what you ask of me is impossible.

—Cependant, monsieur, reprit l’abbé, s’il s’agissait de faire gagner au gouvernement une somme énorme, une somme de cinq millions, par exemple? "However, sir," resumed the abbe, "if it was a question of saving the government an enormous sum, a sum of five millions, for example?"

—Ma foi, dit l’inspecteur en se retournant à son tour vers le gouverneur, vous aviez prédit jusqu’au chiffre. "Faith," said the inspector, turning to the governor, "you have predicted the number.

—Voyons, reprit l’abbé, s’apercevant que l’inspecteur faisait un mouvement pour se retirer, il n’est pas nécessaire que nous soyons absolument seuls; M. le gouverneur pourra assister à notre entretien. "Come," said the abbe, perceiving that the inspector was making a move to withdraw, "it is not necessary for us to be absolutely alone; The governor will be able to attend our interview.

—Mon cher monsieur, dit le gouverneur, malheureusement nous savons d’avance et par cœur ce que vous direz. “My dear sir,” said the governor, “unfortunately we know in advance and by heart what you will say.

Il s’agit de vos trésors, n’est-ce pas?» These are your treasures, aren't they? " Faria regarda cet homme railleur avec des yeux où un observateur désintéressé eût vu, certes, luire l’éclair de la raison et de la vérité. Faria looked at this mocking man with eyes where a disinterested observer would have seen the lightning of reason and truth shine.

«Sans doute, dit-il; de quoi voulez-vous que je parle, sinon de cela? “Without doubt,” he said; what do you want me to talk about if not this?

—Monsieur l’inspecteur, continua le gouverneur, je puis vous raconter cette histoire aussi bien que l’abbé, car il y a quatre ou cinq ans que j’en ai les oreilles rebattues. "Monsieur l'inspecteur," continued the governor, "I can tell you this story as well as the abbe, for it is four or five years since I have had a hard time hearing it.

—Cela prouve, monsieur le gouverneur, dit l’abbé, que vous êtes comme ces gens dont parle l’Écriture, qui ont des yeux et qui ne voient pas, qui ont des oreilles et qui n’entendent pas. "That proves, sir," said the abbe, "that you are like those people of whom Scripture speaks, who have eyes and who do not see, who have ears, and who do not hear.

—Mon cher monsieur, dit l’inspecteur, le gouvernement est riche et n’a, Dieu merci, pas besoin de votre argent; gardez-le donc pour le jour où vous sortirez de prison.» "My dear sir," said the inspector, "the government is rich and has not, thank God, need your money; so keep it for the day you leave prison. "

L’œil de l’abbé se dilata; il saisit la main de l’inspecteur. The abbot's eye dilated; he grabs the inspector's hand.

«Mais si je n’en sors pas de prison, dit-il, si, contre toute justice, on me retient dans ce cachot, si j’y meurs sans avoir légué mon secret à personne, ce trésor sera donc perdu! "But if I do not go out of prison," said he, "if, against all justice, they keep me in this dungeon, if I die without having bequeathed my secret to anyone, this treasure will be lost!"

Ne vaut-il pas mieux que le gouvernement en profite, et moi aussi? Is it not better for the government to benefit, and me too? J’irai jusqu’à six millions, monsieur; oui, j’abandonnerai six millions, et je me contenterai du reste si l’on veut me rendre la liberté. I will go up to six millions, sir; yes, I will give up six millions, and I will be satisfied with the rest if I am to be freed. —Sur ma parole, dit l’inspecteur à demi-voix, si l’on ne savait que cet homme est fou, il parle avec un accent si convaincu qu’on croirait qu’il dit la vérité. "On my word," said the inspector, in a low voice, "if one did not know that this man is mad, he speaks with an accent so convincing that one would think he is telling the truth.

—Je ne suis pas fou, monsieur, et je dis bien la vérité, reprit Faria qui, avec cette finesse d’ouïe particulière aux prisonniers, n’avait pas perdu une seule des paroles de l’inspecteur. "I am not mad, sir, and I say the truth," said Faria, who, with that delicacy of hearing peculiar to the prisoners, had not lost a single word of the inspector. «Я не сумасшедший, сэр, и я говорю правду», - сказала Фариа, которая с таким деликатным слухом, присущим заключенным, не потеряла ни одного слова инспектора.

Ce trésor dont je vous parle existe bien réellement, et j’offre de signer un traité avec vous, en vertu duquel vous me conduirez à l’endroit désigné par moi; on fouillera la terre sous nos yeux, et si je mens, si l’on ne trouve rien, si je suis un fou, comme vous le dites, eh bien! This treasure, of which I speak to you, really exists, and I offer to sign a treaty with you, according to which you will conduct me to the place designated by me; we will search the earth before our eyes, and if I lie, if we find nothing, if I am a fool, as you say, well! vous me ramènerez dans ce même cachot, où je resterai éternellement, et où je mourrai sans plus rien demander ni à vous ni à personne.» you will bring me back to this same dungeon, where I will remain eternally, and where I will die without asking anything more from you or anyone. " Le gouverneur se mit à rire. The governor laughed.

«Est-ce bien loin votre trésor? "Is your treasure very far?"

demanda-t-il. he asked. —À cent lieues d’ici à peu près, dit Faria. "A hundred leagues from here," said Faria.

—La chose n’est pas mal imaginée, dit le gouverneur; si tous les prisonniers voulaient s’amuser à promener leurs gardiens pendant cent lieues, et si les gardiens consentaient à faire une pareille promenade, ce serait une excellente chance que les prisonniers se ménageraient de prendre la clef des champs dès qu’ils en trouveraient l’occasion, et pendant un pareil voyage l’occasion se présenterait certainement. "The thing is not badly imagined," said the governor; if all the prisoners wanted to amuse themselves by walking their guards for a hundred leagues, and if the guards agreed to go on such a walk, it would be an excellent chance that the prisoners would take the key of the fields as soon as they could find it. opportunity, and during such a trip the opportunity would certainly present itself.

—C’est un moyen connu, dit l’inspecteur, et monsieur n’a pas même le mérite de l’invention. "It is a known method," said the inspector, "and monsieur does not even have the merit of the invention."

Puis, se retournant vers l’abbé. Then, turning to the abbot. «Je vous ai demandé si vous étiez bien nourri? "I asked you if you were well fed?

dit-il. he said. —Monsieur, répondit Faria, jurez-moi sur le Christ de me délivrer si je vous ai dit vrai, et je vous indiquerai l’endroit où le trésor est enfoui. "Sir," replied Faria, "swear to me that Christ will deliver me if I have told you the truth, and I will show you where the treasure is buried.

—Êtes-vous bien nourri? “Are you well fed?

répéta l’inspecteur. repeated the inspector. —Monsieur, vous ne risquez rien ainsi, et vous voyez bien que ce n’est pas pour me ménager une chance pour me sauver, puisque je resterai en prison tandis qu’on fera le voyage. "Sir, you do not risk anything like that, and you see that it is not to spare me a chance to save me, since I will remain in prison while we make the trip.

—Vous ne répondez pas à ma question, reprit avec impatience l’inspecteur. "You are not answering my question," the inspector resumed impatiently.

—Ni vous à ma demande! “Not you at my request!

s’écria l’abbé. cried the abbe. Soyez donc maudit comme les autres insensés qui n’ont pas voulu me croire! Be cursed like the other fools who did not want to believe me! Vous ne voulez pas de mon or, je le garderai; vous me refusez la liberté, Dieu me l’enverra. You do not want my gold, I will keep it; you refuse me freedom, God will send it to me. Allez, je n’ai plus rien à dire.» Come on, I have nothing more to say. " Et l’abbé, rejetant sa couverture, ramassa son morceau de plâtre, et alla s’asseoir de nouveau au milieu de son cercle, où il continua ses lignes et ses calculs. And the abbe, throwing off his blanket, picked up his piece of plaster, and sat down again in the middle of his circle, where he continued his lines and calculations.

«Que fait-il là? "What is he doing there?"

dit l’inspecteur se retirant. said the inspector, withdrawing. —Il compte ses trésors», reprit le gouverneur. "He is counting his treasures," continued the governor.

Faria répondit à ce sarcasme par un coup d’œil empreint du plus suprême mépris. Faria responded to this sarcasm with a look marked by the utmost scorn. Ils sortirent. They went out.

Le geôlier ferma la porte derrière eux. The jailer closed the door behind them. «Il aura, en effet, possédé quelques trésors, dit l’inspecteur en remontant l’escalier. "He has, indeed, possessed some treasures," said the inspector, going up the stairs.

—Ou il aura rêvé qu’il les possédait, répondit le gouverneur, et le lendemain il se sera réveillé fou. "He will have dreamed that he possessed them," replied the governor, "and the next day he woke up mad."

—En effet, dit l’inspecteur avec la naïveté de la corruption; s’il eût été réellement riche, il ne serait pas en prison.» "Indeed," said the inspector, with the naivety of corruption; if he had really been rich, he would not be in prison. "

Ainsi finit l’aventure pour l’abbé Faria. So ended the adventure for Father Faria.

Il demeura prisonnier, et, à la suite de cette visite, sa réputation de fou réjouissant s’augmenta encore. He remained a prisoner, and as a result of this visit, his reputation as a pleasurable madman increased still further. Caligula ou Néron, ces grands chercheurs de trésors, ces désireurs de l’impossible, eussent prêté l’oreille aux paroles de ce pauvre homme et lui eussent accordé l’air qu’il désirait, l’espace qu’il estimait à un si haut prix, et la liberté qu’il offrait de payer si cher. Caligula or Nero, these great treasure hunters, those huntsmen of the impossible, would have listened to the words of this poor man and he would have given him the air he wanted, the space he believed in so much high price, and the freedom he offered to pay so dearly.

Mais les rois de nos jours, maintenus dans la limite du probable, n’ont plus l’audace de la volonté; ils craignent l’oreille qui écoute les ordres qu’ils donnent, l’œil qui scrute leurs actions; ils ne sentent plus la supériorité de leur essence divine; ils sont des hommes couronnés, voilà tout. But the kings of our days, kept within the limits of probability, no longer have the audacity of the will; they fear the ear that listens to the orders they give, the eye that scrutinizes their actions; they no longer feel the superiority of their divine essence; they are crowned men, that's all. Jadis, ils se croyaient, ou du moins se disaient fils de Jupiter, et retenaient quelque chose des façons du dieu leur père: on ne contrôle pas facilement ce qui se passe au-delà des nuages; aujourd’hui, les rois se laissent aisément rejoindre. Formerly, they believed themselves, or at least said they were sons of Jupiter, and held something in the ways of the god their father: we do not easily control what happens beyond the clouds; today kings are easy to join. Or, comme il a toujours répugné au gouvernement despotique de montrer au grand jour les effets de la prison et de la torture; comme il y a peu d’exemples qu’une victime des inquisitions ait pu reparaître avec ses os broyés et ses plaies saignantes, de même la folie, cet ulcère né dans la fange des cachots à la suite des tortures morales, se cache presque toujours avec soin dans le lieu où elle est née, ou, si elle en sort, elle va s’ensevelir dans quelque hôpital sombre, où les médecins ne reconnaissent ni l’homme ni la pensée dans le débris informe que leur transmet le geôlier fatigué. Now, as he always hated the despotic government to show the effects of prison and torture in the open; as there are few examples that a victim of the inquisitions could reappear with his crushed bones and bleeding wounds, so madness, this ulcer born in the mud of dungeons as a result of moral tortures, is almost always hidden with care in the place where she was born, or, if she comes out of it, she is going to bury herself in some dark hospital, where the doctors do not recognize the man nor the thought in the formless debris which the tired gaoler conveys to them. L’abbé Faria, devenu fou en prison, était condamné, par sa folie même, à une prison perpétuelle. Father Faria, who went mad in prison, was condemned, by his very madness, to life imprisonment.

Quant à Dantès, l’inspecteur lui tint parole. As for Dantes, the inspector kept his word.

En remontant chez le gouverneur, il se fit présenter le registre d’écrou. Going back to the governor's house, he had the nut register presented. La note concernant le prisonnier était ainsi conçue: The note concerning the prisoner was thus conceived: Edmond Dantès: Bonapartiste enragé: a pris une part active au retour de l’île d’Elbe. Edmond Dantès: rabid Bonapartist: took an active part in the return of the island of Elba.

À tenir au plus grand secret et sous la plus stricte surveillance. Keep it to the utmost secrecy and under the strictest supervision.

Cette note était d’une autre écriture et d’une encre différente que le reste du registre ce qui prouvait qu’elle avait été ajoutée depuis l’incarcération de Dantès. This note was of another writing and a different ink than the rest of the register which proved that it had been added since the imprisonment of Dantes.

L’accusation était trop positive pour essayer de la combattre. The accusation was too positive to try to fight it.

L’inspecteur écrivit donc au-dessous de l’accolade: The inspector therefore wrote below the hug: «Rien à faire.» "Nothing to do."

Cette visite avait, pour ainsi dire, ravivé Dantès depuis qu’il était entré en prison, il avait oublié de compter les jours, mais l’inspecteur lui avait donné une nouvelle date et Dantès ne l’avait pas oubliée. This visit had, so to speak, revived Dantès since he had entered prison, he had forgotten to count the days, but the inspector had given him a new date and Dantès had not forgotten it.

Derrière lui, il écrivit sur le mur, avec un morceau de plâtre détaché de son plafond, 30 juillet 1816, et, à partir de ce moment, il fit un cran chaque jour pour que la mesure du temps ne lui échappât plus. Behind him he wrote on the wall, with a piece of plaster detached from its ceiling, July 30, 1816, and from then on he stepped up every day so that the measure of time did not escape him. Les jours s’écoulèrent, puis les semaines, puis les mois: Dantès attendait toujours, il avait commencé par fixer à sa liberté un terme de quinze jours. The days passed, then the weeks, then the months: Dantès was still waiting, he had begun by fixing to his liberty a term of fifteen days.

En mettant à suivre son affaire la moitié de l’intérêt qu’il avait paru éprouver, l’inspecteur devait avoir assez de quinze jours. By putting his business to the side of half the interest he had seemed to feel, the inspector must have had enough of a fortnight. Ces quinze jours écoulés, il se dit qu’il était absurde à lui de croire que l’inspecteur se serait occupé de lui avant son retour à Paris; or, son retour à Paris ne pouvait avoir lieu que lorsque sa tournée serait finie, et sa tournée pouvait durer un mois ou deux; il se donna donc trois mois au lieu de quinze jours. These fifteen days passed, he told himself that it was absurd of him to believe that the inspector would have taken care of him before his return to Paris; but his return to Paris could only take place when his tour was over, and his tour could last a month or two; he gave himself three months instead of fifteen days. Les trois mois écoulés, un autre raisonnement vint à son aide, qui fit qu’il s’accorda six mois, mais ces six mois écoulés, en mettant les jours au bout les uns des autres, il se trouvait qu’il avait attendu dix mois et demi. The last three months, another reason came to his aid, which made him agree six months, but these six months elapsed, putting the days to the end of each other, it happened that he had waited ten month and a half. Pendant ces dix mois, rien n’avait été changé au régime de sa prison; aucune nouvelle consolante ne lui était parvenue; le geôlier interrogé était muet, comme d’habitude. During these ten months, nothing had been changed to the regime of his prison; no consoling news had reached him; the interrogated jailer was silent, as usual. Dantès commença à douter de ses sens, à croire que ce qu’il prenait pour un souvenir de sa mémoire n’était rien autre chose qu’une hallucination de son cerveau, et que cet ange consolateur qui était apparu dans sa prison y était descendu sur l’aile d’un rêve. Dantes began to doubt his senses, to believe that what he took for a memory of his memory was nothing but a hallucination of his brain, and that this consoling angel who had appeared in his prison had descended on the wing of a dream. Au bout d’un an, le gouverneur fut changé, il avait obtenu la direction du fort de Ham; il emmena avec lui plusieurs de ses subordonnés et, entre autres, le geôlier de Dantès. At the end of a year, the governor was changed, he had obtained the direction of Fort Ham; he took with him several of his subordinates and, among others, the jailer of Dantes.

Un nouveau gouverneur arriva; il eût été trop long pour lui d’apprendre les noms de ses prisonniers, il se fit représenter seulement leurs numéros. A new governor arrived; it would have been too long for him to learn the names of his prisoners, he only had their numbers represented. Cet horrible hôtel garni se composait de cinquante chambres; leurs habitants furent appelés du numéro de la chambre qu’ils occupaient, et le malheureux jeune homme cessa de s’appeler de son prénom d’Edmond ou de son nom de Dantès, il s’appela le n 34. This horrible hotel furnished consisted of fifty rooms; their inhabitants were summoned from the number of the room they occupied, and the unfortunate young man ceased to be called by his name of Edmond or his name of Dantes, his name was No. 34.